jeudi 23 mai 2013

Les relations sociales ou l’art de gérer les distances


Les relations sociales sont ceux dont toute société prend un grand soin à codifier comme si toute la vie ne tenait qu’à ça. Evidemment, c’est vrai que la cohérence d’une société dépend de la manière dont elle gère les relations entre ses membres. Nous voulons tout simplement relever ce qui semble obvies  à tout le monde dans les manières de s’adresser les uns aux autres.

            L’individu semble croire que le monde fait partie de son corps. Ainsi, son désir est d’étendre son « je » à tout, dans une tentative d’appropriation de tout. C’est mon monde et je le domine. D’aucuns se rappelle la fameuse scène du film de Charlie Chaplin Le dictateur, où l’acteur joue avec un globe terrestre en répétant à chaque fois : « Mon monde, mon monde… »

            L’individu se rend très vite compte qu’il n’est pas seul et que le monde lui résiste. Il lui faut négocier avec une autre volonté. Cependant, il ne veut pas arriver à une simple reddition. Il cherche alors à mettre ce qui lui échappe à la périphérie la plus proche de son moi. Il s’adresse au « tu » comme si c’était une proximité non seulement spatiale mais de l’ego. Le tutoiement est de cet ordre.

            Lorsque l’individu se rend compte qu’il ne peut se tirer à si peu de frais, il réalise que l’autre est autre. Il y a une altérité irréductible au mois qui demande à être respecté dans son être autrement. La frontière se fait alors plus précise et il y a une discontinuité avec le « je ». Le vouvoiement nait alors : « veuillez vous asseoir… Veuillez agréer… ».

            La frontière devient encore plus claire dans une autre situation. Je ne puis m’adresser à autrui dans certaines circonstances comme s’il était là. La proximité disparait complètement et c’est la distance qui crée la relation. On ne s’adresse plus directement à la personne mais on le fait à la troisième personne : «  Que son éminence veuille bien m’excuser… »

            Dans certains groupes, il y a encore une autre forme de distance dans la prise de parole. Dans ces groupes, on ne peut s’adresser directement à ses beaux-parents. Même lorsque les interlocuteurs ne sont qu’à deux, la bru ou le gendre doit passer par une personne absente pour s’adresser à sa belle-mère ou son beau-père : « jeune garçon, dis à ton grand-père, ta grand-mère que la nourriture est prête… »

            Un autre cas très étrange est cité par Emmanuel Levinas dans « Ethique et Infini » où dans la prière juive, il y a dans une même phrase, le change du tu en il. « Dans certaines prières très anciennes, fixées par d’antiques autorités, le fidèle commence par dire à Dieu « tu » et finit la proposition commencée en disant « il », comme si, au cours de cette approche du « toi » survenait sa transcendance en « il ».

            Les formules de politesse permettent ainsi à la société de créer des distances entre ses différents membres et gérer ainsi la vie sociale afin que les choses se passent bien. Peut-on lier la naissance de la politique dans ces bonnes manières qui naissent du génie de chaque peuple ?

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