Les relations sociales sont
ceux dont toute société prend un grand soin à codifier comme si toute la vie ne
tenait qu’à ça. Evidemment, c’est vrai que la cohérence d’une société dépend de
la manière dont elle gère les relations entre ses membres. Nous voulons tout
simplement relever ce qui semble obvies à tout le monde dans les manières de s’adresser
les uns aux autres.
L’individu semble croire que le monde fait partie de son
corps. Ainsi, son désir est d’étendre son « je » à tout, dans une tentative
d’appropriation de tout. C’est mon monde et je le domine. D’aucuns se rappelle
la fameuse scène du film de Charlie Chaplin Le
dictateur, où l’acteur joue avec un globe terrestre en répétant à chaque
fois : « Mon monde, mon monde… »
L’individu se rend très vite compte qu’il n’est pas seul
et que le monde lui résiste. Il lui faut négocier avec une autre volonté.
Cependant, il ne veut pas arriver à une simple reddition. Il cherche alors à
mettre ce qui lui échappe à la périphérie la plus proche de son moi. Il s’adresse
au « tu » comme si c’était une proximité non seulement spatiale mais de
l’ego. Le tutoiement est de cet ordre.
Lorsque l’individu se rend compte qu’il ne peut se tirer
à si peu de frais, il réalise que l’autre est autre. Il y a une altérité
irréductible au mois qui demande à être respecté dans son être autrement. La
frontière se fait alors plus précise et il y a une discontinuité avec le « je ».
Le vouvoiement nait alors : « veuillez
vous asseoir… Veuillez agréer… ».
La frontière devient encore plus claire dans une autre
situation. Je ne puis m’adresser à autrui dans certaines circonstances comme s’il
était là. La proximité disparait complètement et c’est la distance qui crée la
relation. On ne s’adresse plus directement à la personne mais on le fait à la
troisième personne : « Que son
éminence veuille bien m’excuser… »
Dans certains groupes, il y a encore une autre forme de
distance dans la prise de parole. Dans ces groupes, on ne peut s’adresser
directement à ses beaux-parents. Même lorsque les interlocuteurs ne sont qu’à
deux, la bru ou le gendre doit passer par une personne absente pour s’adresser
à sa belle-mère ou son beau-père : « jeune garçon, dis à ton grand-père, ta grand-mère que la nourriture est
prête… »
Un
autre cas très étrange est cité par Emmanuel Levinas dans « Ethique et Infini » où dans la
prière juive, il y a dans une même phrase, le change du tu en il. « Dans certaines prières très anciennes,
fixées par d’antiques autorités, le fidèle commence par dire à Dieu « tu »
et finit la proposition commencée en disant « il », comme si, au
cours de cette approche du « toi » survenait sa transcendance en « il ».
Les formules de politesse permettent ainsi à la société
de créer des distances entre ses différents membres et gérer ainsi la vie
sociale afin que les choses se passent bien. Peut-on lier la naissance de la
politique dans ces bonnes manières qui naissent du génie de chaque peuple ?
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