jeudi 30 janvier 2014

Centrafrique : quel tisserand pour un tissu fragile ? (par Pascal Djimoguinan)


Au bord de l’Oubangui, alors que crépitent dans les airs la musique

Qui de chansons n’entonne

Mais qui, tel un ogre, avale des vies,

Je vois le pays s’enfoncer dans l’onde amère qui pourtant ne touche le pays.

Tel un gâteau qu’on se partage je vois Bangui mais point pour une célébration

La haine se contamine et d’arrondissement en arrondissement la ville est fragmentée

Ici la portion musulmane, là celle des anti-balaka !

Désormais s’est installé le délit du facies.

Toi tu es musulman, celui-là est chrétien. Nous ne pouvons cheminer ensemble

Lentement le tissu social part en lambeaux

Ô Centrafrique, ô pays des bantous, est-ce toi ce haillon qui ne peut couvrir la nudité ?

Quel tisserand sortira du lot, et du métier mettra en marche la navette ?

Est-ce un oiseau, tisserin, qui des brins d’herbes collectées, construira un nid ?

Il faut un démiurge moderne qui pourra rassembler tous les fils pour faire une Centrafrique unie !

mercredi 29 janvier 2014

Centrafrique : ce que je crois (par Pascal Djimoguinan)


            La Centrafrique est en train de se débattre pour sortir de la situation dans laquelle elle se trouve. La communauté internationale voudrait bien lui donner un coup de main mais il revient d’abord aux centrafricains de décider de ce qu’ils veulent. Pour ce faire, ils doivent éviter de prêter l’oreille aux sirènes des solutions fallacieuses et s’engager résolument vers d’autres plus courageuses.

            A cause de la difficulté que connaît le pays et du chaos qu’on effleure, la première tentation pour les responsables politiques centrafricains mais aussi pour tous les citoyens et de vouloir revenir au status quo ante. Les difficultés présentes font oublier la réalité de la situation telle qu’elle était avant l’entrée de la séléka dans Bangui. On s’imagine qu’en revenant à cette situation, on sortirait de l’ornière pour retrouver l’état normal des choses.

            Le fait est que c’est la situation telle qu’elle était auparavant qui a provoqué la crise que le pays connaît maintenant. Comment se présentait-elle ? Tout le monde sait que le mal qui rongeait le pays était la gabegie et le népotisme. Cela se manifestait par la corruption, le régionalisme et l’impunité à toutes les échelles.
            Ce n’est certainement pas à cette situation qu’il faut ramener la Centrafrique. Il faut sortir de ce mythe de vouloir revenir en arrière pour retrouver l’âge d’or. L’avenir pour la Centrafrique est devant elle. Il faudra être capable d’invention démocratique. Il faut créer des conditions pour que la vie ensemble soit possible. C’est un défi que les centrafricains, tous ensemble, doivent relever !

mardi 28 janvier 2014

Souvenir, souvenir, lire Aime Césaire



Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile

Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile
que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés
sur cette ville que je prophétise, belle,
donnez-moi la foi sauvage du sorcier
donnez à mes mains puissance de modeler
donner à mon âme la trempe de l’épée
je ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proue
et de moi-même mon cœur, ne faites ni un père, ni un frère,
ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils,
ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie
comme le poing à l’allongée du bras!
Faites-moi commissaire de son ressentiment
faites-moi dépositaire de son sang
faites de moi un homme de terminaison
faites de moi un homme d’initiation
faites de moi un homme de recueillement
mais faites aussi de moi un homme d’ensemencement

faites de moi l’exécuteur de ces œuvres hautes
voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme-

Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine
ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine
car pour me cantonner en cette unique race vous savez pourtant mon amour tyrannique
vous savez que ce n’est point par haine des autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle

la sommer libre enfin
de produire de son intimité close
la succulence des fruits.

Aimé CESAIRE, Cahier d’un retour au pays natal








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samedi 25 janvier 2014

Centrafrique : enfin un Premier ministre (par Pascal Djimoguinan)


            Après plusieurs jours d’attente et sans doute d’intenses négociations, alors que le climat sécuritaire est remonté brusquement comme seule Bangui en a le secret, la présidente de la transition Catherine Samba-Panza vient de nommer son Premier ministre : André Nzapayeke.

            André Nzapayeke est un homme de 62 ans ; il occupe actuelle le poste de vice-président de la BDEAC (Banque de développement des Etats de l’Afrique Centrale).

            Il ne tardera pas à former son gouvernement. D’ores et déjà, on sait que ce sera un gouvernement restreint de technocrate dont le nombre ne devrait pas excéder 20 personnes.

            Le gouvernement devra rapidement se mettre à l’ouvrage car le défi est immense. Il faudra redonner assez rapidement confiance aux déplacés pour qu’ils puissent rentrer chez eux. Pour cela, il faudra que la sécurité revienne. Ensuite, l’administration de recommencer à fonctionner. La tête est immense car il s’agit presque de recréer un Etat qui n’existait plus.

            En Afrique, les noms de personnes sont tout un programme de vie. Nzapayeke signifie : Dieu existe. Il faut donc prier pour que Dieu bénisse la Centrafrique. Ce nom annonce sans doute la renaissance de la Centrafrique.

vendredi 24 janvier 2014

Non, la femme n'est pas un objet (par Pascal Djimoguinan)


            « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres. » Cette phrase de Dostoïevski que Levinas aimait répéter est d’actualité. La responsabilité d’autrui nous incombe !

            C’est un coup de gueule ! Non au nom des femmes, elles peuvent le pousser. Cri de gueule tout simplement parce que je suis humain. Quand quelque chose d’aberrant se passe contre l’humain, se taire c’est tout simplement être complice.

            Pour les âmes sensibles, arrêtez-vous ici, ne continuez pas votre lecture plus loin que ce dont il est question, même les animaux n’en sont pas capables. En Inde, dans la région du Bengale occidental, une femme a été victime d’un viol en réunion suite à une condamnation prononcée par le conseil du village. Les treize violeurs auraient été arrêtés et attendent leur condamnation.

            On est surpris d’entendre parler ici d’un conseil de village. Pour moi, il ne s’agit ni plus ni moins d’une bande de barbares patriarcaux au service de la dictature macho. Il s’agit ici de l’intégrisme mâle dans son expression la plus abjecte ! Ce n’est pas un problème propre à l’Inde, on le retrouve sur toutes les latitudes et dans tous les hémisphères. C’est partout où l’homme ne comprend pas son rôle dans la société.

            Il s’agit ici d’une perversité extrême ! Comment un acte qui exprime l’amour dans ce qu’il a de plus beau pourrait être une condamnation ? Comme l’acte sexuel qui devrait être le don total volontaire de soi à l’autre qui se donne également peut devenir une violence où l’on arrache, au nom d’une loi injuste, l’intimité de de l’autre ? Comment un acte qui devrait élever l’autre devient source de la perte de dignité de l’autre, la blessant dans ce qu’elle a de plus profond en elle ?

            Il ne faut pas se tromper. Violer une femme, la violenter n’est pas un signe de virilité. C’est le plus grand signe de lâcheté qui puisse exister. Chaque fois qu’une femme est violée, c’est chacun de nous qui l’est.

            Et dire que le viol est devenu une arme de guerre ! Nous sommes tous coupables ! Il faudrait que les hommes se rendent compte que le viol est non seulement un crime mais c’est l’expression d’une lâcheté suprême. Il faut dire non au viol, quelques soient les circonstances. Au besoin, il faudra aller jusqu’à la castration chimique pour éviter cela !

jeudi 23 janvier 2014

Centrafrique : la résilience ? (par Pascal Djimoguinan)


            Alors que tout le monde attend la prestation de serment de la présidente de transition de la Centrafrique dans l’après-midi et dans la foulée la nomination du Premier ministre, la violence refait surface. Dans les journées du  21 et 22 janvier, la Croix Rouge centrafricaine a parlé d’une quinzaine de personnes tuées et d’une trentaine de blessés, presque tous à l’arme blanche. La question qui se pose est de savoir si la population est capable de résilience.

            On parle de résilience généralement lorsqu’on veut parler de la capacité d’un organisme, d’une structure ou d’un groupe à s’adapter à un environnement changeant. Sur le plan psychologique, la résilience s’applique à un individu qui est affecté par un traumatisme et prend en compte l’événement qui l’a provoqué pour ne pas vivre dans la dépression et ainsi se reconstruit.

            L’environnement est tout le temps changeant en Centrafrique en ce moment. On passe d’une situation où la sécurité semble revenir à une situation d’insécurité totale. La population a-t-elle une personnalité bien structurée qui lui permettra de s’adapter où faudra-t-il passer par une thérapie ?

            La difficulté actuelle est aggravée par le fait que la nouvelle présidente de transition a accepté de travailler avec des cailloux dans sa chaussure. Elle a accepté de jouer le jeu de la confiance avec l’ex séléka, les facas et les anti-balaka.

            Le problème qui se pose semble assez simple pourtant. Il est impossible de faire une différence entre les facas et les anti-balaka. Et pourtant, on appelle les facas à venir reprendre leur poste. Ne faudrait-il pas commencer par cantonner les anti-balaka ? Cela les empêcherait d’agir en électrons libres. Déjà leurs chefs commencent à parler d’éléments anti-balaka incontrôlés comme le faisait déjà l’ex séléka.

            Il faudrait dans un premier temps cantonner toutes les milices, puis rappeler les facas. Pour le moment, seule la police et la gendarmerie devraient reprendre du travail. Le chemin de la paix en Centrafrique est encore long et il faudra se faire à cette idée. La paix ne viendra pas sous l’effet d’une baguette magique.

mercredi 22 janvier 2014

Tchad, la relation avec la belle famille (par Pascal Djimoguinan)


            Au Tchad, plus particulièrement dans le sud du pays, la relation à la belle famille est des plus complexes. Elle est mêlée à la fois de crainte, de honte, de gratitude et de rancune ; on peut dire que c’est une relation tout-à-fait paradoxale. Cela fait qu’on pense souvent se marier « contre » la belle famille. Ce sont surtout les femmes qui subissent les conséquences de cet état de fait mais les hommes également ont à se plier à certaines règles.

            Nous ne pouvons pas dire que les comportements qui sont induits par la complexité du rapport à la belle-famille soient homogènes mais nous voulons glaner par-ci, par-là ce qui ne manque pas de sel.

            L’attitude la plus remarquable concerne la parole. Dans toute une partie du sud du Tchad, la bru et le gendre ne doivent pas adresser la parole directement à leurs beaux-parents.

            Le dialogue doit nécessairement passer par un tiers qui est censé transmettre la parole aux beaux-parents. En cas de nécessité, il est permis à la bru de s’adresser à ses beaux-parents en parlant à un absent dont elle prononcera le nom avant de lui demander de dire ce qu’elle dit.

            Cette interdiction est plus ou moins bien gérée en tenant compte de la complicité qui pourrait exister avec le temps entre le gendre et le beau-père d’un côté et de la bru avec la belle-mère.

            Dans certaines parties du sud du Tchad, l’interdiction ne va pas jusqu’à empêcher d’adresser la parole directement à la belle-mère ou au beau-père mais on ne doit s’adresser à eux qu’en les vouvoyant. C’est la seule possibilité où le vouvoiement est attesté dans certaines langues du groupe sara, notamment le ngambaye.

            Cette interdiction s’étend à la nourriture. Le gendre et la bru ne peuvent pas manger avec leurs beaux-parents. Ils doivent s’isoler pour manger.

            Les règles sont encore plus compliquées lorsqu’il y a un deuil. Toutes les femmes liées par des liens matrimoniaux à la famille éplorée ne doivent pas manger de la nourriture dans les lieux du deuil. Elles ont interdiction absolue d’ingurgiter tout condiment ou tout aliment utilisé pour la cuisine pour le deuil.

            Ces interdictions étaient liées, semble-t-il, à l’origine à la prohibition de l’inceste. L’explication de tout cela demanderait plus de temps. Il suffirait par exemple de lire Totem et tabou de Sigmund Freud pour s’en faire une idée.

mardi 21 janvier 2014

Centrafrique : voici le temps de la Transition (par Pascal Djimoguinan)


            En Centrafrique, au lendemain de l’élection de la nouvelle présidente de la transition, le constat est amer. Tout reste à faire dans un pays où tout est au bord du chaos. Après la précipitation pour être candidat, maintenant il faut travailler mais par où commencer ?

            La situation sécuritaire dans le pays est très compliquée. Il est difficile pour les forces de maintien de la paix aussi bien française qu’africaine de savoir sur qui s’appuyer pour remettre de l’ordre. Au début, on pensait qu’il suffisait tout simplement de cantonner les éléments de l’ex séléka. La réalité est autre. L’expérience fait voir que chaque fois que les forces sangaris et Misca arrivent quelque part et qu’elles cantonnent les séléka, les anti-balaka sortent et s’estiment en droit de s’établir à la place des premiers et d’y imposer leur propre ordre. La résolution du problème anti-balaka devient de plus en plus une urgence. Il ne faut plus attendre qu’il atteigne un niveau où on ne pourra plus agir sans trop de dégâts.

            La nouvelle présidente de la transition hérite d’un pays dont l’économie est exsangue. Son premier acte de souveraineté sera paradoxalement de tendre la main pour quémander. Les fonctionnaires n’ont pas touché leurs salaires depuis cinq mois. Comment exiger que des gens qui sortiront des camps de déplacés puissent reprendre le travail sans argent pour manger, s’habiller, se soigner ?

            Il faudra pour la présidente être un bon funambule. Comment parler de la souveraineté d’un pays dont la sécurité est assurée par des forces étrangères dont le nombre ne cesse d’augmenter ? Il lui faudra jouer entre les exigences des centrafricains qui ne lui pardonneront jamais si elle venait à  être faible d'un côté et les exigences de la communauté internationale qui ne lui permettra pas de s’engager dans des aventures incertaines.

            Enfin, la transition a pour rôle de préparer les élections à venir. Or lorsqu’on voit comment près de 6.000 soldats ont de la peine à sécuriser la ville de Bangui, on se demande comment cela pourra se faire sur 622 984 km² afin que des élections devraient avoir lieu d’ici décembre 2014. Tout le monde sait que la Misca finira pas devenir une force des Nations-Unies mais les échéances pourront-elles être respectées ?

            Le temps de la transition sera un temps d’incertitude. Il faudra s’y préparer pour ne pas être surpris. Peut-être que la présidente de transition pourra user de son charisme de femme pour changer cette société centrafricaine en mutation. Née à N'Djamena, de père camerounais et de mère centrafricaine, elle fait partie de l'avenir de la sous-région. Par sa personne, elle annonce sans doute ce que sera l'Afrique centrale de demain!

lundi 20 janvier 2014

Centrafrique: le président de transition est une femme (par Pascal Djimoguinan)


            Les parlementaires centrafricains ont eu le courage de le faire ! Ils ont élu comme président de la transition  Catherine Samba-Panza, la maire de Bangui. Cette femme qui vient d’être élue est juriste de formation. Elle a étudié le droit en France avant de s’engager dans la politique. Elle a obtenu 75 voix face à son challenger Désiré Kolingba qui a obtenu 53 suffrages.

            Cette femme de 60 ans qui vient d’être élue est mère de 3 enfants dont 2 vivent en France. Elle avait réussi après ses études, à ouvrir une société de courtage en assurance. Cette expérience de chef d’entreprise qui lui a servi pendant les six mois  où elle était maire de Bangui lui servira certainement dans ce travail difficile qu’elle va commencer.

            Est-elle ambitieuse ? Au mois de juillet dernier (le 8 juillet 2013), elle affirmait au journal La Croix : « Je n’ai pas de visées politiques, assure-t-elle. Je quitterai mon poste le jour où des élections municipales seront organisées. » On pourra dire qu’elle a tenu parole puisqu’elle a quitté son poste de maire pour… être Présidente de la transition, chef de l’Etat centrafricaine.

            Cette femme est convaincue que les femmes ont un rôle important à jouer dans la vie de son pays et à des postes de responsabilité. Elle n’a pas hésité à dire « Je me suis toujours battu pour la participation des femmes à des postes de direction, précise-t-elle. Un refus aurait été incohérent de ma part. »

            Après toute la haine qui a divisé le Centrafrique, peut-être fallait-il une femme avec un cœur de mère pour réconcilier les centrafricains. Après son élection, elle a lancé un vibrant appel à tous ceux qui détiennent des armes de les déposer.

            La tâche sera difficile mais cela ne suffira pas à décourager Catherine Samba-Panza. Elle est une chance que le pays doit saisir. Que tous les machos lui laissent la possibilité de rendre la stabilité au pays. Bonne chance Catherine Samba-Panza !

Tchad : la femme dans la culture traditionnelle (par Pascal Djimoguinan)


            Souvent, lorsque l’on parle du rôle de la femme dans la culture traditionnelle au Tchad, on ne relève que les aspects négatifs. Loin de tout manichéisme, nous voulons relever ici quelques aspects positifs qui sont souvent occultés. Nous prendrons comme point d’appui les cultures traditionnelles du sud du Tchad que nous connaissons mieux. Nous serions heureux si nous recevions les contributions d’autres parties du Tchad.

            Dans la culture traditionnelle du groupe sara, toute la formation de la jeune fille se passe auprès de sa maman. Elle est toujours avec elle et tout se fait par un mimétisme propre aux petits enfants. Avec sa mère, la petite fille évolue dans la galaxie féminine, une sorte de gynécée. Cela est d’autant plus favorisé par le fait aussi bien pour les repas que pour les cérémonies, les groupes des hommes et ceux des femmes ne se mélangent jamais. Nos esprits modernes interprètera d’emblée cela comme un désir d’oppression des femmes par les hommes mais en réalité, cela relève beaucoup plus du désir de protection de l’intimité de chaque groupe.

            La protection de l’intimité de la femme est très subtile et cela peut facilement entraînée une mauvaise interprétation par toute personne étrangère à la culture. Il n’est pas rare d’entendre dire que chez les sara, les hommes laissent toutes les tâches ménagères aux femmes qui sont exploitées. En réalité, c’est toute une anthropologie qui est ici en jeu. Les ustensiles de cuisine (pots de cuisson, marmites, calebasses, cuvettes…) font partie de l’intimité de la femme. Un homme ne peut pas les toucher en désordre, sans avoir au préalable reçu une autorisation. Entrer dans la cuisine d’une femme et commencer à utiliser les ustensiles est considéré comme toucher à l’intimité de la femme. Cela peut aller jusqu’au divorce. Le fait que les ustensiles fassent partie de l’intimité de la femme se voit dans la cérémonie de mariage où une place spéciale est fait à la cérémonie d’installation de la femme chez son mari (nous y reviendrons ultérieurement).

            La liberté d’expression de la femme dans la culture traditionnelle sara est plus grande que celle dont disposent aujourd’hui les femmes. Dans la tradition, la femme a le droit de s’exprimer dans les chansons. Le moindre écart de conduite des hommes est mis en chanson et cela peut passer de village en village sans que l’on puisse l’arrêter. Les hommes vivent dans la hantise de devenir les sujets d’une chanson et cela suffit pour les maintenir dans la bonne conduite. Nous ne nous arrêtons pas sur les confidences et les conseils sur l’oreiller car cela est universel.

            Il est vrai que pour le mariage, les parents l’avis des parents est important dans le groupe sara, en général, c’est la jeune fille qui choisit parmi ses différents prétendants celui qu’elle aimerait épouser. Des règles bien précises encadrent la polygamie. Même si un homme peut prendre d’autres femmes plus jeunes, la première femme a un privilège qu’on ne peut lui ôter. Lors de la répartition des fruits de la récolte, c’est la première femme qui procède au partage entre les différentes épouses. Elle dispose également d’un droit de veto lors de certaines décisions importantes.

            Pour finir, il faut relever le cas bien à part de femmes à poigne, artistes chanteuses lors des funérailles. Certaines ont un statut à part. En plus de pouvoir par la poésie de leurs paroles toucher les cœurs, elles sont capables de désarmer des hommes lors de ce geste de grands guerriers qui consiste à ce que deux personnes, armées de couteaux de jet, se saluent en frappant les couteaux de jet les uns contre les autres.

            Il faut aujourd’hui travailler à ce que les femmes tchadiennes retrouvent cette liberté de parole et d’action dans la vie de tous les jours. A cet effet, il faudrait que l’enseignement cesse d’être l’écoute et le respect serviles de la voix des ancêtres morts mais plutôt l’écoute et le respect de la voix vivante des ancêtres.

dimanche 19 janvier 2014

Centrafrique : les huit candidats retenus (par Pascal Djimoguinan)


            Le Conseil national de transition avait reçu 24 dossiers qui avaient été déposés pour l’élection du président de la Transition. Après examen, 8 noms ont été retenus pour l’élection qui est prévue pour le lundi 20 janvier 2014. Qui sont les 8 personnes retenus ?

La liste des huit candidats retenus

Numéro 1 : Ngombe Kette Jean Barkes

Numéro 2 : Kolingba Zanga Bilal Désiré

Numéro 3 : Kozimongo Régina

Numéro 4 : Mbrenga Takama Maxime Faustin

Numéro 5 : Samba-Panza Catherine

Numéro 6 : Patasse Ngakoutou Sylvain Eugène

Numéro 7 : Nakombo Emile Gros Raymond

Numéro 8 : Nali Mamadou Nestor

            Ces candidats ne sont pas tous des inconnus de la vie politique centrafricaine. Ces parmi eux que sortira le prochain président de la Transition. S’agira-t-il d’une femme ? Il y en a deux sur la liste. Est-ce le fils d’un ancien président ? Il y en a également deux sur la liste. Les 135 membres de l’Assemblée nationale voteront et nous diront qui d’après eux est le plus digne à prendre les rênes du pouvoir pour gérer le temps de transition.

samedi 18 janvier 2014

Centrafrique : faut-il craindre la culpabilité du survivant (par Pascal Djimoguinan)


            La culpabilité du survivant est définie comme un syndrome qui est vécu par des personnes ayant échappé à la mort alors que d’autres sont morts. Le problème que se pose alors le survivant revient sous la forme languissante d’une question qui fait souffrir : « d’autres que moi et que je connaissais sont morts, j’aurais pu mourir aussi mais je suis toujours là. » Le survivant développe alors le sentiment d’avoir trahi ; il naît en lui une culpabilité qui peut générer soit une dépression, soit des idées de persécution.

            La culpabilité du survivant est peut-être plus facile à cerner lorsque cela ne concerne qu’une seule personne ou un petit groupe de personnes après un accident ou une prise d’otages.

            Le problème en Centrafrique, c’est que la chose se passe au niveau de tout un territoire. C’est tout le pays qui est en train de vivre une expérience traumatisante où certains ont connu une mort violente, très souvent dans des conditions atroces et cela devant des témoins. D’autres n’ont pu échapper à la mort que par des concours de circonstances qu’on pourrait dire miraculeux.

            Pour le moment, c’est encore l’instinct de conservation qui est le plus fort ; on fait tout pour se maintenir en vie. Les gens sont encore dans les camps de déplacés plus ou moins sécurisés. Les conditions de vie y sont austères mais il y a plus de chance de rester en vie.

            Cependant, la vie va très vite rattraper toutes ces personnes. Le réveil sera dur. Comment tout ce monde va accepter le fait d’avoir échappé à la mort ? Les réponses seront diverses. Certains vont entrer dans toutes les formes de dépression. Les chapelles des différentes religions, les guérisseurs traditionnels et les psys auront du pain sur la planche. D’autres, croiront sortir de cette culpabilité maladive grâce à la vengeance. Il faut donc s’attendre à ce que les meurtres continuent encore longtemps après l’arrêt du conflit. Il faudra sans doute passer par l’étape du bouc émissaire qui expiera la culpabilité de tous.

            La sagesse consiste à commencer à créer des conditions pour aider toute cette population qui échappe à la mort à affronter la dure réalité de survivre à ce conflit qui a emporté tant de personnes, des parents, des amis, des collègues.

vendredi 17 janvier 2014

Centrafrique : 17 critères pour être Président de transition (par Pascal Djimoguinan)


            Depuis quelques jours, les membres du Conseil national de transition de Centrafrique (l’équivalent du parlement) se préparent à élire un nouveau président de transition. Ils ne veulent plus retomber dans les travers de leurs prédécesseurs ; pour cela ils ont trouvé 17 critères que doivent remplir les candidats. C’est vraiment la recherche de la perle rare.

CRITERES D’ELIGIBILITE

 

1.      Etre de Nationalité Centrafricaine

2.      Etre âgé(e) de 35 ans au moins.

3.      Avoir une propriété bâtie en République Centrafricaine

4.      Jouir de tous ses droits civiques et d’une bonne moralité

5.      Etre compétent, intègre, crédible, rigoureux, capable d’impulser une dynamique de réconciliation nationale, doté d’un leadership participatif et justifier d’une expérience dans les hautes fonctions politiques, publiques ou privées,

6.      N’avoir pas été privé de son droit à l’éligibilité par décision de justice,

7.      N’avoir pas été condamné à une peine afflictive ou infamante,

8.      N’avoir pas été condamné à une peine d’emprisonnement pour vols, escroquerie, abus de confiance, détournement de deniers publics, faux et usage de faux, corruption et trafic d’influence, infraction aux lois sur les mœurs et stupéfiants, infractions économiques, douanières et fiscales

9.      N’avoir pas été condamné par contumace,

10.  N’avoir pas été un failli non réhabilité dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux centrafricains, soit par un jugement rendu à l’étranger mais exécutoire en République Centrafricaine,

11.  Ne pas être un majeur incapable ou une personne sous curatelle,

12.  N’avoir pas été Chef d’Etat de Transition, Premier Ministre Chef du Gouvernement de transition, membre du Gouvernement de transition, membre du Cabinet du Chef d’Etat de Transition, membre du Cabinet du Chef du Gouvernement de transition, à compter du 17 janvier 2013

13.  Ne pas être membre du Bureau du Conseil National de Transition, membre du Conseil National de Transition, membre de la Cour Constitutionnelle de transition, membre du Haut Conseil de Communication de Transition, membre de l’Autorité Nationale des Elections, leader d’un parti politique,  magistrat en fonction, membre des forces de défense et de sécurité,

14.  N’avoir pas été membre d’une Milice ou d’une rébellion armée durant les 20 dernières années,

15.    N’avoir pas été impliqué dans la mauvaise gestion d’un département ministériel, d’une administration, d’un office ou d’une entreprise publique en République centrafricaine.

16.  Etre en règle avec l’administration fiscale de la République Centrafricaine.

17.  Déposer sur le compte du trésor public une caution d’un montant de deux millions francs CFA, non remboursable pour ceux dont la candidature est retenue.

 

 

Pièces du dossier à fournir

 

1.      Déclaration de candidature

2.      Profession de foi

3.      Curriculum vitae

4.      Acte de naissance légalisé

5.      Certificat de Nationalité

6.      Certificat médical datant de moins de trois mois

7.      Casier judiciaire, bulletin n° 3, datant de moins de trois mois

8.      Titre de propriété bâtie

9.      Original de la quittance de la caution

Afrique : Eloge de la subversion (par Pascal Djimoguinan)


            David Diop s’interrogeait déjà dans son poème Afrique mon Afrique : « Est-ce donc toi ce dos qui se courbe et se couche sous le poids de l’humilité, ce dos tremblant à zébrures rouges, qui dit oui au fouet sur les routes de midi. » Si cette interrogation partait de la situation des esclaves, pouvons-nous dire aujourd’hui, plus de cinquante après les indépendances qu’elle n’est plus d’actualité ?

            Ce dos qui se courbe… Oui, c’est la chose la mieux partagée en Afrique et par toutes les générations. Tous parlent et encouragent le respect des anciens. En soi, cela n’est pas mal mais à s’y arrêter pour scruter ce principe, ne comporte-t-il pas un effet pervers ? Le respect des anciens doit-il empêcher l’expression de positions personnelle ?

            Nous trouvons ici un grand défi pour l’Afrique. Il faut comprendre qu’il est bien possible d’avoir son propre point de vue et que cela ne va pas contre la cohésion. D’ailleurs, de quelle cohésion parle-t-on souvent ? Ne s’agit-il pas tout simplement le maintien de l’ordre établi ?

            Cela a toujours été ainsi et il ne faut pas mettre le désordre. Voilà le type de pensée qui tue l’Afrique. A tous les niveaux de la vie en Afrique, on a peur de la subversion, créatrice du « désordre ». Nous avons ici un manque de la conscience historique. Il faut introduire la nouveauté dans la vie, n’en déplaise aux gardiens du temple. Seule l’introduction du désordre permet de secouer le cocotier. Il faut qu’un fait nouveau vienne perturber le présent pour que se mette en place un avenir dont les contours ne seront plus tracés d’avance.

            En politique, l’acception de la subversion fera que l’idée de l’ancien ne passera plus uniquement parce qu’il est ancien. Son idée n’engage que lui et ne pourra tenir que si elle résiste à la contradiction. Des africains n’osent pas militer dans des partis qui expriment les courants d’idées qui sont les leurs, tout simplement pour ne pas se retrouver en porte-à-faux avec un ancien de leur groupe ethnique.

            Le choc des idées doit avoir lieu par-delà les groupes ethniques, régionales et même religieuses. Les critères de regroupement doivent être celles des idées. La confrontation des idées doit mener le monde. Le consensus n’est possible que dans la rencontre d’idées contradictoires.

            Il ne faut pas avoir peur de dire non ! Souvent, l’idée se répand en Afrique que dire non est impoli. Voici venir des temps nouveaux où le non doit être encouragé. Ne pas seulement dire non pour non mais il faut pouvoir le dire quand, en conscience, on estime qu’il faut le dire pour changer les choses.

            Africains, osez dire non ! Oser introduire la contestation partout. Il faut de la subversion partout. Il faut que le débat retrouve sa place dans la vie publique. On ne doit pas avoir peur de ramer à contre-courant. C’est à ce prix que nous comprendrons la suite du poème de David Diop : Alors gravement une voix me répondit : Fils impétueux cet arbre robuste et jeune, Cet arbre là-bas, Splendidement seul au milieu des fleurs, Blanches et fanées, C`est I`Afrique ton Afrique qui repousse, Qui repousse patiemment obstinément, Et dont les fruits ont peu à peu, L’amère saveur de la liberté.