samedi 29 mai 2021

Non, le Tchad n'est pas un conte de fée. (par Pascal Djimoguinan)

         De nombreux tchadiens sont endormis, attendant comme une délivrance, le réveil avec quelques miettes pour tromper leur faim. A ceux-là, j’ose dire que le Tchad n’est pas un conte de fée.

            Non, le Tchad n’est pas un conte de fée, où il suffit d’attendre une arrivée magique qui changera tout par des incantations magiques. Ce n’est ni le monde de la « dame au bois dormant », ni de « Blanche Neige et les sept nains », ni d’ailleurs celui de « Cendrillon ». Sans doute est-ce un même temps le temps de décoloniser les esprits pour créer une mémoire collective plus tropicalisée.

            Non, le Tchad n’est pas un conte de fée. Cela suffit, ce langage « d’eux » d’un côté et de « nous » de l’autre côté. Il s’agit désormais d’être des partenaires égaux dans l’élaboration des idéaux de la Nation. Il n’est plus côté, la masse travailleuse, appelée complaisamment « Laoukoura » et de l’autre, celle qui jouit des fruits du travail.

            S’il te plaît, dessine-moi le Tchad. Je ne veux plus de ce Tchad qui ressemble étrangement à un fantôme sorti du roman du camerounais Eza Beto avec un Tanga Nord et un Tanga Sud[1]. Non, ce n’est pas de cette caricature que je veux, représentant un Tchad du Nord avec des nantis, disposant de tous les pouvoirs et de toutes les richesses, et d’un Tchad du Sud avec des zombis, tendant la main pour ramasser les miettes que laisse tomber avec condescendance.

            Voici venu le temps de redresser la tête, non pour revendiquer, mais pour exiger justice et équité. Nous sommes tous tchadiens et notre fierté est de partager ensemble un même pays. Que le mérite soit valorisé, et que le travail bien fait soit récompensé. Pour cela il faut sortir de l’organisation du Tchad en maffia, menée par un parrain à qui tout est permis.

            Non, le Tchad n’est pas un conte de fée. C’est un pays réel et la dure réalité doit être affrontée par tous pour qu’ensemble, ses habitants pour goûter au fruit de leur ouvrage. Oui, peuple tchadien, debout et à l’ouvrage. N’est-ce pas que ta liberté naitra de ton courage ? Qu’est-ce que cela signifie ? Sans doute que tu ne dois pas attendre comme une grâce le réveil de la botte[2].

            Non, le Tchad n’est pas un conte de fée. Mais toi tchadien, as-tu ta fierté ? Es-tu capable d’exiger ton droit ? Es-tu capable de travailler à ce que ton pays sorte de la médiocrité ? Es-tu capable d’exiger que ton pays soit un pays de droit, régi par des textes fondamentaux qui ne doivent pas être foulés au pied ? Es-tu capable d’exiger que soit banni à jamais de ton quotidien l’expression « katkat sakit » ?

            Non, le Tchad n’est pas un conte de fée, mais un pays d’hommes et de femmes capables d’exiger et de vivre leurs droits.



[1][1] Eza Boto, Ville cruelle, Présence africaine, 1954

[2] Paul Niger, ,Je n’aime pas cette Afrique

lundi 10 mai 2021

Tchad : cartes sur table (par Pascal Djimoguinan)

             Au Tchad, nous avons mal de vivre ensemble ! il nous faut faire face à ce problème ensemble afin de trouver une solution pérenne. Nous n’avons jamais voulu passer à l’électrochoc qui révélerait nos pensées les plus secrètes, et nous montrerait là où cela fait le plus mal.

            Nous avons toujours voulu passer par la méthode douce, cherchant des remèdes de surface car nous savons qu’une psychologie des profondeurs ferait remonter ces secrets de familles que personnes ne veut entendre.

            Notre péché originel est que nous sommes soit du Nord, soit du Sud avant d’être tchadien. Il ne s’agit pas là d’une distinction géographique. Il s’agit plutôt d’une nébuleuse idéologique qui se trouve à la base de toute réflexion et de tout agir sociopolitique. Nous avons ici affaire à une donnée anthropologique inhérente à la tchaditude et qu’il faudra éradiquer.

            Notre vérité dépend donc de cette donnée qui nous colle à la peau et nous n’arrivons pas à prendre assez de distance pour décider librement. Faudra-t-il imaginer un rêve comme celui de Martin Luther King pour penser un Tchad où les enfants d’aujourd’hui pourront vivre ensemble sans penser à leurs origines, qu’ils soient du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, un Tchad où ils décideront de leur vivre ensemble sans tenir compte des clivages religieux, sociaux, économiques.

            Pour arriver à ce Tchad auquel nous rêvons tous, il nous faut faire un travail en profondeur pour extirper le soupçon qui se trouve à la base de toutes nos entreprises. Nous devons nous rendre compte que la vérité n’existe pas déjà toute faite et qu’elle appartient à un camp qui doit la monnayer aux autres.

            Il y a un très long chemin que nous devons tous faire ensemble pour construire ensemble cette solution dont nous sommes orphelins. Mais sur ce chemin, nous devons jouer cartes sur table et ne pas faire économie de certaines questions incontournables et quelquefois pernicieuses.

            Quel est le contentieux qui a créé cet imaginaire collectif que nous appelons Nord et Sud ?

            Nous savons qu’il y a des revendications qui ont donné naissance au Frolinat. Il y a eu dès le départ des malentendus qui n’ont jamais été élucidés (est-ce par pudeur ou par intérêt ?).

            Le Frolinat a été aux affaires pendant plusieurs décennies. A-t-il réussi à corriger les erreurs qui ont été à l’origine de sa création ? Sinon, où se situerait l’illusion politique à exorciser ?

            Qu’y a-t-il entre les originaires de la « zone méridionale » et ceux du pays adjaray ? Pourquoi ne se sentent-ils pas un destin commun à construire ensemble ? Il devrait y avoir une collaboration plus franche et plus solidaire entre ces deux groupes et on pourrait même dire que le destin du Tchad en dépend. Quand on y regarde de près, il y a plus de choses qui devraient les unir que des choses qui les séparent.

            Quel contentieux existe entre le Mayo Kebbi (ou les deux Mayo Kebbi) et les autres habitants de la « zone méridionale » ? Il faudrait se poser la question en toute objectivité pour arriver à crever l’abcès une fois pour toute. A quoi doit-on cette méfiance réciproque ? Il faudra donc être capable de se parler les yeux dans les yeux, énoncer les maux qui fâchent et tenter d’y remédier. Quel que soit le contentieux, les torts doivent être partagés et il faudra l’aborder dans un esprit de dialogue constructif. Le Tchad vaut plus que nos petits egos régionaux et nous devrons être prêts à faire des sacrifices pour que quelque chose de solide puisse se construire.

            Nous devons dépasser nos prises de partis partisanes pour arriver à une idée plus transversale du Tchad. Nous avons du pain sur la planche et il n’y a plus de temps à perdre. Construisons ensemble le Tchad de demain.