dimanche 21 décembre 2014

Tchad : Doba - In memoriam (par Pascal Djimoguinan)



            Je voudrais juste rendre un hommage à tous ces jeunes de Doba, dont les troubles socio-politiques avaient arrêté la carrière mais qui ont su, pendant les jours sombres de la guerre civile animer la cité. J’en citerai quelques-uns ; que ceux dont les noms ne figurent pas ici n’y voient pas un affront mais se sentent honorés en leurs pairs. Un devoir de mémoire. La joie d’avoir vécu ensemble, d’avoir partagé bien de choses. Tous ces jeunes, je les revois dans tous les domaines des activités de la ville de Doba : Théâtre, danses, sports etc.
            Je reprends ici quelques vers du poète Birago Diop. Ils expriment le font de ma pensée : Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le
sein de la femme,
Ils sont dans l’enfant qui
vagit
Et dans le
tison qui s’enflamme.
Les morts ne sont pas sous la terre :
Ils sont dans le feu qui
s’éteint,
Ils sont dans les herbes qui pleurent,
Ils sont dans le rocher qui geint,
Ils sont dans la forêt, ils sont dans la demeure,
Les morts ne sont pas morts…
            Dans la litanie des noms que j’égraine, ce sont des visages que je vois, des vies vivantes plus qu’on ne peut l’imaginer. Ces noms sont un échantillon parmi des milliers qui sont partis, qui ne sont plus là, qui sont avec nous. Chacun en les lisant, verra d’autres visages, d’autres noms.
Sur le plan Culturel :
Nadjikoh, Caro, Ritom, Jojo, Mage, Ngarmari, Djim Sakatoumba, Guy Yinga, Djimhounoum, Dénébey
Sur le plan sportif:
Tambaye, Aline, Odjadoum (Jaguar), Ndeyrangar, Dominique (Daman), Poradoumngar, Sanglaou,Roger Ndangmbaye, Mbim, Ndongar Hilaire, Aubin, Ngarteul, Corentin, Djimhoutoungar,
Les jeunes du quartier « mission » :
Ngarndiguim, Gilles, Royaloum, Gondjé Pascal, Ndormadjingar, Camille, Sébastien, Arsène, Sosthène, Néssangoum, Robert, Alain, Hervé, Marie Françoise, Marie Noëlle, Adèle,Etienne, Thomas, Placide, Boné, Brice, Cyrano, Jacob Nékemlaou,
Aux actes des souffles plus forts
Le sort de nos Morts qui ne sont pas morts.
Le lourd pacte qui nous lie à la vie.
La sourde Loi qui nous lie aux actes
Des souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les
rives du Fleuve,
Des souffles qui se
meuvent
Dans le rocher qui geint et dans l’herbe qui pleure
Des souffles qui demeurent
Dans l’ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans l’arbre qui frémit, dans le bois qui gémit
Et dans l’eau qui coule et dans l’eau qui dort,
Des souffles plus forts qui ont pris
Le souffle des morts qui ne sont pas morts,
Des Morts qui ne sont pas partis,
Des Morts qui ne sont plus sous la terre.


samedi 20 décembre 2014

Tchad : la pyrogravure, un art qui se perd (par Pascal Djimoguinan)



            Beaucoup d’étrangers arrivant au Tchad ont l’impression qu’il y a une sorte de monotonie dans le menu que l’on présente à table tous les jours. Souvent, ils ne voient que la boule de mil, de riz ou de pois de terre mais ne se rendent pas compte de toute la richesse qui l’entoure. Il suffit de voir ce qui recouvre la boule pour se rendre compte de toute la richesse artistique lié au repas.
            Pour finir en un mot avec la monotonie que verrait un étranger, il faudrait tout simplement lui expliquer que la boule est comme le pain qui ne manque jamais à table en France sans que cela ne crée une quelconque monotonie. Si la boule est la même, il y a plus d’une centaine de sauces différentes qui l’accompagne et c’est là que se trouve la différence. Une sauce ne revient deux fois dans la semaine que s’il y a une demande spéciale, sinon elle ne reviendra à table que dans deux ou trois semaines. Au Tchad, la monotonie d’’un menu n’est constatée que par la sauce. Une bonne cuisinière saura donc varier les sauces et cela n’est pas très compliqué puisqu’il existe plus d’une centaine de sauces différentes.
            Présenter la nourriture est un art au Tchad. La boule est présentée dans une calebasse ayant préalablement été enduite d’huile. Ce qui lui donne un aspect reluisant.
            Une particularité au Sud du Tchad est que ce ne sont pas les mêmes calebasses qui servent à la boisson et pour la nourriture.
            Les calebasses servant à la boisson ont leur extérieur non travaillé, en ce sens qu’elles sont presque à l’état naturel tandis que leur intérieur est travaillé avec le kaolin local de couleur rouge.
            Les calebasses servant d’ustensiles pour la boule ont leur extérieur travaillé au feu. C’est l’œuvre d’une artiste femme qui avec une dextérité extraordinaire, y trace des figures fort variées et d’une très grande beauté. Ce travail de pyrogravure n’est pas à la portée du premier venu. C’est l’œuvre de véritables artistes reconnues, ayant une très grande habilité chez qui on vient parfois de très loin pour passer des commandes. Comme outil, elles utilisent généralement un poinçon et du feu.
            Malheureusement cet art est en train de disparaître. Comme il ne rapporte pas beaucoup d’argent, très peu de jeunes filles s’y engagent. Cette perte s’accélère car désormais, en ville, les ménagères préfèrent utiliser des « calebasses » en aluminium pour recouvrir la boule. Il semble qu’elles conservent mieux la chaleur elles se conservent plus longtemps car elles ne se cassent pas. Si l’on n’y prend garde, dans les trois années qui viennent, il n’y aura plus de calebasses traditionnelles dans nos cuisines. Bon appétit à tous!




vendredi 19 décembre 2014

Tchad : ENSEIGNEMENT - LCCL le prix d'une prise en charge (par Pascal Djimoguinan)



            Tout le monde sait que l’éducation coûte chère. Cela semble être un truisme. Mais ce qui l’est moins, c’est que si quelque chose coûte cher, il faut quelqu’un pour débourser. Personne ne veut qu’on touche à sa bourse et alors trop de fausses idées circulent sur le prix réel de l’éducation. La vérité est que pour avoir une bonne éducation, il faut être prêt à en payer le prix réel. Telle peut être la réflexion qu’ il faut avoir le courage d’engager à propos du lycée-collège Charles Lwanga (LCCL) de Sarh au Tchad.
            Le succès sur le plan scolaire qu’engrange le LCCL année après année a du mal à occulter les difficultés financières relatives au coût réel de l’établissement. Il fut un temps où plus de 80% des charges financières du collège venait de l’extérieur et on n’a jamais pris réellement le temps de voir comment arriver à l’autofinancement. Tout le monde sait qu’un établissement incapable de l’autofinancement ne peut tenir longtemps. Qu’en est –il donc de cet établissement ? Les chiffres sont très parlants et peuvent nous aider à comprendre le problème.
            La première question, très importante à se poser est de savoir quel est le coût réel du LCCL. Il s’agit des dépenses effectuées au cours d’une année scolaire. Maintenant si ce coût est reparti entre les différents élèves de l’établissement, cela donnera le prix réel.
            Pour l’année scolaire 2013-2014, le nombre d’élèves dans l’établissement était de 1070. En faisant le calcul pour couvrir toutes les dépenses, chaque élève devrait payer 127110 francs CFA. Avec ces frais de scolarité, le LCCL ne ferait aucun bénéfice mais parviendrait à couvrir toutes les dépenses ordinaires effectuées.
            Dans la réalité, l’établissement demande que les élèves paient les frais de scolarité en fonction de de la catégorie sociale des parents. Il existe donc trois catégories :
- 1ère catégorie : 80.000 francs ; 402 élèves sont dans cette catégorie soit 37,57%
- 2ème catégorie : 105.000 francs ; 450 élèves sont dans cette catégorie soit 42,06%
- 3ème catégorie : 130.000 francs ; 208 élèves sont dans cette catégorie soit 20,7%
            En faisant le compte, on se rend compte que les frais de scolarité perçus représentent 78,68% des dépenses de l’établissement. La question qui vient à l’esprit est ceci : D’où viennent les 21,32% restants ?


            Nous voyons que le collège fonctionne sur des déficits qu’il faut arriver à combler. Pour le moment, ce sont les jésuites qui payent le manque à gagner. Cela revient à dire qu'ils payent pour éduquer les jeunes et cela depuis les débuts.
Cette situation ne saurait perdurer car il faut commencer à poser des questions qui fâchent. Comment les parents ne peuvent pas payer la totalité de la scolarité des enfants ? Il faudrait commencer à arriver à cela par un moyen ou un autre. Si cette réforme ne se fait pas rapidement, l’établissement risque de fermer ses portes. Il faut donc que les parents acceptent de payer le coût réel de l’éducation de leurs enfants. C’est une réforme qui doit commencer dans les années qui viennent !

mercredi 17 décembre 2014

Afrique : vers un nouvel humanisme UBUNTU (par Pascal Djimoguinan)



            Le terme Ubuntu est plus connu comme un système d’exploitation libre dans le domaine informatique. Il est aussi connu comme une famille de polices d’écriture. On parle également sur le plan commercial d’Ubuntu Cola qui est un soda d’origine britannique certifié commerce équitable. Mais ne réduire Ubuntu qu’à cela serait le trahir car le concept exprime quelque chose de plus grand. Très connu en Afrique australe, Ubuntu est quasiment ignoré en Afrique francophone. Il est temps de réparer cette injustice.
            Une grande partie de la population africaine est constituée de peuples bantous, ayant quelques traits communs tant sur les plans linguistique, culturel que social. La particularité linguistique de ces peuples et qu’ils ont en commun le radical « ntu » pour exprimer tout ce qui se rapproche du concept « anthropos », homme dans son sens générique en tant qu’il désigne la personne humaine. La particularité des langues bantoues est qu’à ce radical, on joint des préfixes pour exprimer nombre et des concepts de plus en plus englobant ; on peut ainsi avoir muntu, bantu, etc.
            Le mot Ubuntu vient du Zoulou (une tribu bantoue d’Afrique du Sud). Ce concept unit donc à la fois les concepts « d’humanité » et de « fraternité ». En français, on le traduirait d’avantage par le concept « d’humanisme » dans le sens où on place l’homme au-dessus de toutes les autres valeurs. Ainsi, Ubuntu se définit comme « la qualité inhérente au fait d’être une personne parmi d’autres personnes. »  Pour comprendre ce concept, il faut prendre en compte le proverbe zoulou : « Umuntu ngumuntu ngabantu », ce qu’on pourrait rendre par « Je suis parce que nous sommes. » Le concept exprime l’idée que l’individu existe par la communauté qui le constitue et le reconnaît comme tel.
            Le fortune du concept Ubuntu vient du contexte historique de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, lorsque la Commission vérité et réconciliation (1995), menée par monseigneur Desmond Tutu, a tenté par une solution originale de régler des problèmes d’injustice avérée de plusieurs années. C’était mettre en action le « besoin d’ubuntu » énoncé dans la Constitution de 1993.
            Monseigneur Desmond Tutu, auteur d’une théologie ubuntu de la réconciliation, disait justement : « Quelqu’un d’ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi – qui vient de la connaissance qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand – et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués, quand les autres sont torturés ou opprimés. »
            Barak Obama a fait recours au concept dans son fameux discours lors des funérailles de Nelson Mandela le 10 décembre 2013 : « Et enfin, Nelson Mandela comprenait les liens qui unissent l’esprit humain. Il y a un mot en Afrique du Sud – Ubuntu un mot qui incarne le plus grand don de Mandela, celui d’avoir reconnu que nous sommes tous unis par des liens invisibles, que l’humanité repose sur un même fondement, que nous nous réalisons en donnant de nous-mêmes aux autres et en veillant à leurs besoins. Nous ne saurons jamais jusqu’à quel point ce sens était inné, ou bien forgé dans une cellule de prison, sombre et solitaire. Mais nous nous souvenons de ses gestes, grands et petits – comme le jour de son investiture, où il a accueilli ses geôliers en invités d’honneur, le jour encore où il a revêtu le maillot des Springbok à un match de rugby, ou lorsqu’il a transformé le chagrin de sa famille en lançant un appel à la lutte contre le VIH/sida – autant de gestes qui avaient révélé la profondeur de son empathie et de sa compréhension. Non seulement il incarnait l’Ubuntu, mais il avait aussi appris à des millions d’autres à découvrir cette vérité en eux. Il fallut un homme comme Madiba pour libérer non seulement le prisonnier, mais aussi le geôlier ; pour montrer que nous devons faire confiance aux autres afin qu’ils puissent nous rendre la pareille, pour apprendre à tous que la réconciliation ne signifie pas seulement ignorer un passé cruel, mais aussi y faire face en le contrant par l’inclusion, la générosité et la vérité. Madiba changea les lois autant qu’il changea les esprits. »
            Ce qu’on appelle habituellement « La solidarité africaine », une fois conceptualisé, prend les tournures de l’Ubuntu. Plus qu’un concept, Ubuntu exprime toute une vision du monde. C’est une forme d’humanisme qui appelle tous les hommes et toutes les femmes de tous les pays à un changement de comportement et à une posture juste par rapport à tout ce qui est humain. Tout comme l’Ujamaa en Tanzanie, Ubuntu est un humanisme philanthrope. La réponse au libéralisme sauvage qui traverse le monde aujourd’hui viendra sans doute de l’Afrique.