dimanche 31 janvier 2021

Ma̰ā̰ yaá ou ma̰ā̰ ngóy, fable du Tchad (par Pascal Djimoguinan)

             On raconte qu’un jour, un voyageur venant des contrées très éloignées, raconta une histoire fort étrange, qui mérite bien d’entre entendue une fois, entre deux verres de bière, et à voix basse de peur d’un lézard ne l’entende et n’aille la raconter aux enfants.

            Il semble que le voyageur, fort soupçonneux, ne voulait pas se mettre rapidement à table, craignant qu’on ne le prenne pour un quelconque illuminé, perdu dans la cité. Après moult esquives, poussé jusqu’à ses derniers retranchement, le voyageur commença son histoire. Il parlait à voix basse, à voix hachée, mais rapidement comme s’il voulait finir rapidement pour avoir la paix.

            Il raconta que dans une contrée très éloignée, il y avait un village du nom Bétora. A côté de ce village, il y avait le bois sacré où l’on pouvait trouver toute sorte de plantes médicinales. Il y avait cependant dans cette flore, une plante qui attirait toutes les curiosités et qui émerveillait tous ceux qui pouvait entrer dans le bois sacré et la voir. Cette plante était d’une sensibilité tellement élevée qu’elle était proche de l’animal. On sentait en elle une sorte d’intelligence qui se manifestait dans le mouvement de ses branches pour répondre à des questions précises. Elle baissait les branches en signe qu’acquiescement et les remuait de gauche à droite pour exprimer la négation. Elle pouvait par ses mouvements, résoudre des problèmes assez simples d’arithmétique. Certains appelaient cette plante Ma̰ā̰ yaá ; d’autres l’appelaient ma̰ā̰ ngóy

            Un jour, une grande sécheresse survint dans la région. Hommes, bêtes, plantes, nul n’était épargné. Trouver de l’eau était une gageüre. Le bétail était décimé. La bassecour n’était que l’ombre d’elle-même. Il n’y avait plus de coq pour chanter le matin. On n’entendait plus le joyeux chant des femmes pilant le mil le matin. Les plus vaillants abandonnèrent la région, cherchant un lieu plus clément.

            Il y eut pourtant un homme, sans doute plus téméraire que les autres, ou peut-être plus consciencieux de ses devoirs. Il se chargea d’aller chercher de l’eau, dans des endroits éloignés pour entretenir les plantes du bois sacré. Il s’en vint pour les arroser. Dans sa ronde, il arriva à la plante Ma̰ā̰ yaá (ma̰ā̰ ngóy). Il l’arrosa comme les autres plantes. Au moment où  il voulait s’écarter pour arroser les autres plantes, Ma̰ā̰ yaá (ma̰ā̰ ngóy) allongea ses branches et l’enserra dans une étreinte mortelle. La plante qui avait souffert du manque d’eau pendant plusieurs jours, ne voulait pas laisser aller ce qu’elle estimait être une source d’eau. L’étreinte fut si forte que l’homme mourut étranglé. La plante put avoir de l’eau pour quelque temps mais cela ne dura pas. Dans son intelligence élémentaire, la plante n’avait pas su comprendre qu’il fallait accepter de laisser le jardinier s’en aller, faire profiter les autres plantes de son eau. C’est parce qu’il s’en va qu’il peut ramener de l’eau pour les autres fois. Les plantes du bois sacrés moururent de soif car il n’y avait plus personne pour les arroser.

            Vers la fin de l’histoire, la voix du voyageur se confondait au bruit du vent, presque inaudible ; il jetait des regards soupçonneux autour de lui, de peur qu’un enfant traina par là et entendit cette triste histoire qui ne retint pas le nom de la victime du devoir et qu’il ne prenne en rancune l’engagement au service citoyen.

            Dans notre pays le Tchad, il y a des gens qui se comportent comme la plante Ma̰ā̰ yaá (ma̰ā̰ ngóy) qui cherchent à tout attirer à eux sans penser aux autres. Le souci du bien-commun n’est pas leur préoccupation. Si nous ne voulons pas subir le sort du bois commun, si nous voulons être une nation, chacun de nous doit tuer en lui l’esprit de Ma̰ā̰ yaá ou ma̰ā̰ ngóy.