vendredi 30 août 2019

LU POUR VOUS/NIGERIA - Appel des Evêques pour la protection de la population faces aux violences

– « La population est prise entre deux feux : les brimades d’hommes politiques, de militaires et de membres des forces de l’ordre d’une part et de l’autre les violences et les razzias des bergers Fulanis et autres bandits ». C’est ce que dénoncent, dans leur Lettre pastorale, les Evêques de la Province ecclésiastique d’Owerri – capitale de l’Etat d’Imo - dans le sud-est du Nigeria, Province qui comprend, outre l’Archidiocèse métropolitain d’Owerri, les Diocèses suffragants d’Aba, Ahiara, Okigwe, Orlu et Umuahia – capitale de l’Etat d’Abi.
« La population subit actuellement des menaces insupportables de la part de certains de nos responsables politiques et même de la part d’agents de sécurité. La situation s’est aggravée du fait de la prédation de la part de bergers Fulanis et d’autres bandits » peut-on lire dans la Lettre pastorale intitulée « Soyez forts ! N’ayez pas peur ! ».
« Chaque jour, dans l’ensemble de nos Etats, nous entendons des histoires déchirantes d’enlèvements, de viols, de mutilations, d’extorsions, d’accaparement de terrains, de meurtres et de destruction des moyens de subsistance des personnes. Nous continuons à espérer en vain que les fonctionnaires publics élus et les agents de sécurité protègent nos citoyens comme cela est prévu et sanctionné par la Constitution » affirme le document parvenu à l’Agence Fides.
Une autre situation alarmante est constituée par le fort taux de chômage des jeunes qui fait que « de nombreux jeunes cherchent à gagner de l’argent rapidement et sans se faire de scrupules, même au prix de la vie, au lieu de rechercher des travaux créatifs, innovants et rentables ».
Les Evêques exhortent les fidèles à « demeurer fermes dans la foi et dans la confiance en Dieu, qui constituent notre principale source de force » tout en avertissant que « la disposition ouverte et amicale des chrétiens ne doit pas déboucher sur des abus ou donnée pour acquise ». « Le gouvernement nigérian et ses responsables doit respecter son obligation constitutionnelle consistant à protéger et défendre tout citoyen nigérian indépendamment de son appartenance religieuse ou ethnique » sans quoi le sens de l’unité nationale du Nigeria deviendrait insignifiant et inutile. Là où le gouvernement ne parvient pas à défendre et à protéger le peuple, les citoyens seront contraints à se défendre par eux-mêmes ».
La Lettre pastorale exhorte les chrétiens à prier et à demeurer vigilants « à promouvoir la vision chrétienne afin de lutter contre l’idéologie brutale de la haine, de la méchanceté et de la violence ».
Dans ce but, demain, 30 aout, aura lieu dans les Diocèses intéressés une Journée spéciale de prière pour la paix au Nigeria. (L.M.) (Agence Fides 29/08/2019)


mercredi 28 août 2019

LU POUR VOUS/Côte d’Ivoire - Arrestation des meurtriers présumés de la Secrétaire de la Paroisse Sainte Cécile de Vallon de Cocody à Abidjan


« Nous voulons remercier la police criminelle pour les investigations et la rapidité avec laquelle elle a travaillé pour mettre au clair cette affaire et surtout appréhendé les présumés coupables » a déclaré hier, 27 aout, le Père Augustin Obrou, Responsable de la Communication de l’Archidiocèse d’Abidjan, dans le cadre de la conférence de presse convoquée suite à l’arrestation des meurtriers présumés de Faustine N'Guessan Brou, Secrétaire de la Paroisse Sainte Cécile de Vallon de Cocody à Abidjan.
Les faits remontent au 10 aout dernier, lorsque le corps agonisant, frappé à coup de machette, a été retrouvé dans une mare de sang dans son bureau de la Paroisse).
L’horreur du crime a causé de vives émotions au sein de l’église catholique en Côte d’Ivoire qui avait demandé «que la pleine lumière soit faite sur le meurtre de Faustine Brou N’Guessan ». Voici quelques jours, après une enquête attentive, ses présumés assassins dont Anderson Heiman Tchi Niamké et à trois acolytes ont été placés sous mandat de dépôt par le juge d’instruction.
« L’Archidiocèse d’Abidjan salue et félicite la police criminelle pour avoir, en si peu de temps, mis la main sur le présumé assassin de la secrétaire de la paroisse y compris ses trois complices » a affirmé le Père Obrou qui a cependant affirmé être encore dans l’attente des conclusions de l’enquête. « Nous attendons les conclusions. Ce que nous disposons est quelque chose de partiel. Il faut que l’affaire soit jugée et qu’on trouve les vrais coupables de l’assassinat de Faustine Brou.
Pourquoi l’ont-ils fait à Sainte Cécile et non dehors quelque part » laissant entendre que les assassins pourraient avoir agi sur mandat de quelqu’un.
Le Père Obrou a enfin souligné que les mesures de sécurité ont été renforcées dans les Paroisses. (L.M.) (Agence Fides 28/08/2019)




lundi 26 août 2019

Figure libre Tchad : Charack chall (par Pascal Djimoguinan)


            En arabe dialectal du Tchad, « Charack chall » signifie littéralement « pris dans le filet ; le piège a fonctionné. »
            Le contexte est celui des jeunes oiseleurs que nous étions autrefois. Toute personne née hors du Sahel trouverait ce jeu inhumain. Pour tout sahélien, la lutte contre les oiseaux mange-mil est un problème de survie. Dans la faune aviaire sahélienne, cette espèce est un danger permanent pour le céréale et il faut savoir veiller sur les champs surtout pendant la période où les épis se forment. Ainsi se forme-t-il à l’approche de récolte des groupes d’enfants chargés de défendre le mil contre les les oiseaux. L’imagination ici ne manque pas pour trouver des armes : frondes avec les diverses formes (lance-pierres, angourdanes…), glue, pièges de toutes sortes.
            Pour les férus des pièges, il y en a un qui avait une grande côte. C’était un pièges qui se fabriquait en assemblant des bâtonnets avec de l’argile. De forme rectangulaire, parfois carré, les bâtonnets étaient arrangés côte à côte dans le sens de la longueur et de la largeur avec une distance d’environ cinq centimètres entre eux avec l’argile. L’argile qui les maintenant en séchant rendait le piège solide. Sur l’argile, était enfoncé des poils de chevaux qui faisaient un nœud coulant. Ensuite, les pièges étaient déposés à l’écart puis on répandait du son de mil sur les pièges. On se mettait ensuite à l’écart en attendant les oiseaux qui ne tardaient pas à venir picorer. Lorsque les oiseaux était étaient assez nombreux, on courait vers les pièges en agitant les bras. Les mange-mil s’envolaient mais beaucoup étaient pris dans les nœuds coulants. Nous nous écrions alors « Charack chall ! Charack chall ! »
            Il en est ainsi de la vie des peuple. Chacun cherche à éviter que le piège ne se referme sur lui.
            Certains de nos hommes politiques sont de véritables prédateurs. N’ayant aucun sens du devoir, ils courent derrière leurs propres intérêts et n’hésitent pas à exploiter les pauvres et les plus faibles pour s’enrichir sans vergogne. Ils tissent sans le savoir un piège sur eux. Chaque jour, à leur insu ce piège grandit, les enserre de partout. Ils se mêlent les pédales !
            Un jour viendra, peut-être ce soir, peut-être demain, où le peuple exploité pourra crier : « Charack chall ! Charack chall ! »
            Et alors, le Tchad se réveillera. Il sera plus fort que jamais.




jeudi 22 août 2019

Tchad : le pouvoir du roi chef de terre ou grand maître du Ndo (par Joseph Fortier)


            Le Bela des Mbay peut à la rigueur être appelé un grand prêtre. Les gens le présentent comme l’équivalent du Ngar-em-ndogue des Day et du Mbang des Sar. Ce sont les Anciens qui s’emparent de celui que le devin leur a désigné et par force, l’investissent en posant sur sa tête une sorte de couronne de plumes d’engoulevent. C’est lui « le responsable suprême pour que la chance soit au pays ». On ne saurait semer, sans qu’il ait symboliquement distribué les semences ; on ne saurait récolter le mil, sans qu’il en ait reçu les prémices. Des pièces de gibier ou du poisson lui reviennent, sans quoi les activités de pêche ou de chasse seraient infructueuses. Aucune expédition guerrière ne se faisait sans sa bénédiction.
ADLER, dans Vallée du Mandoul, III, p 100.
            Le mbang de Bédaya est lui aussi le responsable suprême de la « chance », dans son domaine. Il a partie liée avec la Terre, par l’intermédiaire des Ancêtres et de son Couteau de jet sacré, pour qu’elle donne des récoltes abondantes. Toute la vie cultuelle à Bédaya culmine au Bəna̰, la fête des Semailles. Quand tous les rites de cette fête, qui s’étalent sur plusieurs mois, sont achevés, « la pluie tombe et le Roi sème. »
            Mais, s’il n’était que cela, le Roi serait un chef de terre parmi beaucoup d’autres, en pays sar. S’il a reçu du Baguirmi, vers 1850, le titre de Mbanḡ (roi-soleil), c’est qu’il avait à cette époque, parmi ses pairs, un prestige exceptionnel à titre de grand Maître de l’initiation. C’est par là qu’il était devenu le symbole de toutes les tribus sar depuis Koumra jusqu’à Kyabé et depuis Djoli jusqu’à Koumogo.
A/ LE POUVOIR DU ROI DANS L’INVESTITURE DES CHEFS DE TERRE
1) L’investiture royale, essai d’unification politique
            Au dire d’observateurs attentifs des sociétés tribales du Moyen-Chari, il y a, dans la royauté sar, un premier essai d’unification politique que n’ont tenté aucun de ses proches voisins, ni les Day, ni les Mbay, ni les Ngam. Pour nous en tenir aux deux premiers et d’abord aux Mbays :
            On rencontre chez eux trois pouvoirs distincts : « le pouvoir politique », exercé par le Mbay-be, à l’origine, chasseur heureux devenu par ses richesses en ivoire et en esclaves, le leader d’un gros village, dont l’influence ne s’étend guère au-delà de l’actuel « canton ».
            A côté de lui, il y a « un officiant de culte agraire » qui préside la fête du Nouvel An, où l’on offre aux ancêtres la bière confectionnée avec le mil nouveau  il donne aussi le signal des semailles  on l’appelle le Nuerakɔlbe. « Celui qui entretient le village. ».
            Enfin, il y a « un spécialiste de l’initiation, c’est Nguékɔrbangndo, « Celui qui trace le carré des intitiés ». Les « Revenants », Dakwoyguə, ceux qui parlent avec la voix des morts, se réunissent, à intervalles irréguliers, pour des danses nocturnes, pendant lesquelles le village est « interdit ». Ce sont des initiés de second degré.
            C’était parmi eux qu’était choisi autrefois leur chef, le « Bəla ». Mais celui-ci ne jouait aucun rôle dans la vie quotidienne : il ne présidait ni les rites agraires, ni l’initiation. Dans sa résidence solitaire, au bord du fleuve, à l’écart du village, il constituait une sorte de « pouvoir occulte » en réserve de la république. Conseiller des chefs politiques en période de crise, il présidait de temps à autre, avec ses représentants dans chaque village, une « Haute Cour de Justice », chargée de châtier les gens indésirables. Il ne possédait aucune des reliques sacrées du chef sar : ni Couteau de jet sacré, ni balafon, ni tambour.
            Même séparation des trois pouvoirs chez les Day de Bouna : on trouve chez eux, un chef politique, le Ngarəmndogə, « chef-d’enclos-palissade »  un officiant du culte agraire, le bodu, chef de lune ou fête, et un chef d’initiation, le bobila, qui possédait un Couteau de jet sacré, Japay.
            A Bédaya, ces trois pouvoirs sont concentrés entre les mains du Roi, et représentés symboliquement dans le rituel d’investiture, par lequel le Roi donne « un village à manger (commander) » à un de ses sujets et en fait le « Possesseur de la Terre », Kɔ́ɓē ou Kɔ́ dɔnang.
            - Le pouvoir politique, celui du Mbang, est signifié par la présence des reliques sacrées, balafon et tambour. Les musiciens du Roi, le balafoniste essentiellement, accompagneront de leur musique toute la cérémonie. Ce pouvoir est encore symbolisé par le Ndoo, « bâton de commandement » qui sera planté plus tard à l’ombre, où le chef intronisé se repose à midi.
            - Le pouvoir initiatique est représenté par le délégué qui intronise au nom du Roi. C’est obligatoirement un mṵṵ tɔl ndo, un prêtre de l’initiation, contre-distingué du mṵṵ kutə, mṵṵ du « tabouret », titre de Cour, intendant, tambourinaire, etc…
            - Enfin, le pouvoir religieux ou cultuel est figuré par le sacrifice de fondation lui-même où l’on immole un bouc, dont les viscères sont enterrés sous des braises, pour qu’elles ne souillent pas le sol.
            Ce sacrifice doit concilier au nouveau chef les « puissances de la terre », car il est avant tout chargé, grâce aux rites agraires, d’assurer à son peuple, santé, fécondité des femmes, fertilité des champs. Il n’exerce le pouvoir politique que par délégation.
2) Description du rite à Bénguébé (8 mai 1972
            Il s’agissait de remplacer Toogue, le chf de terre. Celui-ci étant mort sans enfant, c’est son fils adoptif, un No̰y̰ de caste forgeron qui avait été choisi pour lui succéder par le Conseil de Mṵṵ, présidé par le Ngorgə du lieu. Ce choix avait été notifié au Roi et approuvé par lui : Labegə, le Mṵṵ qui devait l’intronise, avait servi de messager.
            La cérémonie s’est déroulée à la nuit tombée vers 21 heures, un peu à l’écart du village. On avait dressé rapidement une hutte aux cloisons de paille, où le candidat allait passer la nuit sur un lit de baguette de Mbɔr avec un jeune garçon impubère. Devant l’entrée de la hutte, le trou cylindrique, profond d’un mètre, ou tout à l’heure, on enterrera les viscères du bouc sacrifié  on y a allumé un feu de gros rondins. A quelques distance, planté en terre, ndoo, « le bâton de commandement ».
            On tue d’abord le bouc, à coups de massue sur la tête, après l’avoir muselé. Il doit être assommé et non égorgé. C’est Gague, un des mṵṵ de Ngorgə, qui se charche de l’opération, puis, avec laegə, ils le dépècent. Labegə se réserve le foie, partie noble  le contenu de la panse (herbes à demi-digérées) est enfermé dans deux petites marmites placées bouche contre bouche, pour ne pas souiller la terre. On retire les rondins enflammés du trou, on y jette les intestins, on replace les braises par-dessus et on bouche le trou avec de la terre. Il est à peu près certain que le bouc est une victime de substitution. Autrefois, avant 1900, on immolait un esclave pour ce sacrifice d’investiture qui était parfois aussi un sacrifice de fondation de village. C’est ce que raconte la légende de Ngabaja, chef d’un village aujourd’hui disparu, parce que Assede l’avait fait exécuter et qu’il était souillé par le sang.
            Les musiciens, installés sous un gros arbre, à quelques pas de la hutte de paille sont entrés en action, le balafoniste du Roi (un No̰y̰, lui aussi), Ngagosse, improvise une complainte sur son instrument, le tambour de Ngorgue l’accompagne en sourdine.
            Puis, le Mṵṵ Labegə va faire une offrande de boule de mil au « Bâton de commandement », considéré comme un bessi, un objet sacré. Le nouvel élu est assis sur le lit de mbɔr, son compagnon de lit, le jeune garçon est accroupi à ses pieds. Le mṵṵ laisse tomber trois petites boules entre les mains jointes mais outre ouvertes du candidat  le jeune garçon les reçoit dans ses paumes ouvertes. Le nouvel élu mangera le reste de la boule, après que le mṵṵ en aura déposé quelques pincées sur le « Bâton de commandement ». Le jeune garçon va dormir sur le lit de mbɔr, le nouveau chef sur une natte à ses pieds. La veillée se prolonge encore quelque temps, puis tous les assistants rentrent chez eux et tout retombe dans le silence.
3) Importance de cette investiture
            Le Mbang-Day est seul dans tout le pays sar à donner « un village à commander » non seulement à des chefs de moindre importance, mais à ce qu’on peut appeler ses « grands vassaux », comme le Ngassade, le Mbang-Sabguelé, le Mbang-Diéy, et à ne le recevoir de personne, « puisqu’il est simplement proclamé Roi par le Conseil des mṵṵ.
            Il est le seul, pour qui on ne fait pas le sacrifice de fondation, avec le bouc étouffé lors de son intronisation. Même pour les grands chefs qui ne sont pas investis par lui, Ngar-Koumra, Ngorgue Hori, Mbang-Koutou, on fera ce sacrifice.
            Il est au-dessus de tous les chefs de terre qu’il investit. Même si, avant son élection, il a dû être investi comme chef de terre, dans l’un des cinq villages, parmi lesquels, on peut choir un Roi, il n’est plus désormais lié à un terroir par la médiation des ancêtres et des morts qui l’habitent, et auprès desquels il fait fonction d’intercesseur.
            Son pouvoir vient d’en haut et il est bel et bien Roi sans partage.
            B/ LE ROI ET SES VOISINS
            Le Mbang Ngaral, actuellement régnant, affirme qu’il est le suzerain de quatre grands chefs qui résident aux extrémités de l’aire sar, dans la mouvance ou zone d’influence de Bédaya.
- Le Mbang Diéy, à l’ouest, au canton de Koumra
- Le Mbang Sanguelé, au nord-est, au canton de Djoli
- Le Mbang Béssouma et le Ngaague Séwé, au canton de Koumogo.
            Pour mieux vérifier ces liens de dépendance, nous élargirons un peu le cercle et nous examinerons, dans l’ordre chronologigue toutes les chefferies qui, au 19ème sicècle se sont rattachées à Bédaya ou, au contraire, se sont séparées d’elle, tout en gardant certains liens rituels avec le Mbang-Day.
1) Entre 1820 et 1840, la Chefferie de Koumra se développe et prend du lustre
            SAKENA, le premier Ngar-Koumra, originaire de Béssada et petit-fils par sa grand-mère maternelle d’un mbang Bégué, chef de terre des environs.
            Il est l’ancêtre des trois Maisons de Béssada, de Koumra et de Sanguelé. C’est lui, qui au dire d’Alina, son arrière-petit-fils (mort en 1970), se fit reconnaître le titre de Ngar-Koumra, par le sultan Abd-el-Kader de Massénia, lors de sa campagne de 1854. Dès lors, il noue, comme son fils Guirdi et son petit-fils Béaloum, une fructueuse alliance avec les Baguirmiens.
            Les Sar no̰, ou Sar de l’Ouest, Koumra, Bégué, Matekaga, Béssada, ont un cycle de fête à part : ils célèbrent leur fête du Nouvel An, le Na̰ Bege, au mois de janvier et ils ont tous refusé d’obéir au Mbang-Day, bien qu’ils pratiquent l’initiation sar, sous son contrôle.
2) Fondation de la Maison de Sanguelé (vers 1850)
            Les fils puînés de Sakena, le premier Ngar-Koumra fondent la chefferie de Sanguelé, dont ils deviennent les Mbang. Malgré ces liens d’origine avec la famille des chefs de Koumra et de Béssada, les chefs de Sanguelé vont nouer presque immédiatement des liens rituels avec Bédaya.
            Ils font, en particulier, comme le Mbang-Day, alliance avec les No̰y̰-forgerons. Koute, le premier Mbang-Sanguelé a une épouse No̰y̰ qui sera la mère de Kir-kya, l’arrière-grand-père du forgeron royal de Bédaya.
            Le Mbang Sangelé est intronisé avec le concours de Bédaya  dès que la nouvelle du décès de l’ancien chef lui est annoncée, le Mbang-Day envoie à Sanguelé Ngué-Béssi, le gardien du Miya̰-bo, avec son balafoniste. Le nouvel élu, désigné par les mṵ̰ṵ du lieu, passe trois jours et trois nuits de réclusion hors du village. Pendant la dernière, le mṵṵ,Gotebé qui officie et qui est un No̰y̰ procède au sacrifice du bouc, exactement comme à Bédaya. Le forgeron du Roi vient aussi pour faire les anneaux de cheville en cuivre.
            Pour la fête du Nouvel An, le Na̰ sar, le Couteau de jet sacré (qui est dit « mâle », à la différence de celui de Bédaya) est tiré de la case du mbang et présenté à la lune nouvelle à l’ouest, où la lune vient d’apparaître, puis aux trois autres points cardinaux par le mbang lui-même, en présence de deux autres muṵ seulement, avec les vœux rituels contre les épidémies, pour la fécondité des femmes et la fertilité des champs.
            Puis, le mbang et son ngué-béssi vont bénir tour à tour le Couteau de jet sacré, en crachant dessus des grains de petit-mil grillés et à demi-mâchés, comme on le fait à Bédaya, la veille de la fête des semailles, lors des rites privés de Do-Kowo.
            Cependant, malgré ces liens rituels étroits, l’initiation est présidée par les mṵṵ du lieu, dans le petit-village de Hi-Hi, sans que le Mbang-Day envoie un mṵṵ, ni son balafoniste.
3) Nga-nda-kinja, ancêtre des chefs de terre sar de Koumogo, vers 1840
            « Nga-nda-kinja, fils cadet de Mbatoumgue chassé de Bédaya parce qu’il a voulu prendre l’héritage de ses frères, vient s’établir à Bade-bo (lieu-dit au nord de l’actuel Koumogo) près de mbang-kelé, grand chef Ngam, qui résidait à cet endroit. Il lui achète la terre, c’est-à-dire le droit de s’installer, contre un cheval et les dix kul (monnaie de fer) qui représentait le prix d’un esclave. Nguera-Koum, son troisième fils, fonde par la suite le village de Kemogue et reçoit le titre de Nga-Kemogue. Dono̰, (le nom veut dire « force, violence » et lui a été donné au Baguirmi, ou il a été élevé) son arrière-petit-fils, engagé dans l’armée française, après la victoire de Kousseri et la mort de Rabèh, revient à Koumago, village d’origine de ses oncles maternelles. L’administration militaire le reconnaît comme le premier chef de canton ;  il est le père du chef actuel, Nandimangar » (récit fait par Nga-ngayinga en 1972, à Maurice Ricôme).
            L’installation des Sar, dans la région fut pacifique d’après la légende, mais elle fut suivie de coups de mains, de guérillas contre les Ngam, qu’on repousse toujours plus à l’est. La fondation de Bé-binga est typique de cette expansion par des chasseurs audacieux : « Noujingar, venu de Koumra avait trouvé un bon terrain de chasse dans la forêt de Koumago  ayant vu aussi que la terre était bonne à cultiver, il va trouver Nga-nda-kinja et lui demande s’il peut s’y établir à son tour. « J’ai dû donner beaucoup de choses pour acheter cette terre, lui répond l’autre ; si tu veux de cette terre la moitié, il faut me donner au moins un cheval » et c’est ainsi que Noujingar devin le premier def de Ma-rɔ (je vais à la bataille) et qu’il en chassa les occupants, les Ngam de Maro, et donna au village un nouveau nom Bebinga, le « Village du renversement ». Bé-binga a aussi ses forgerons-No̰y̰.
            D’autres fils de Nga-nda-kinja fondèrent encore d’autres villages sar, en particulier Kassinda, visité par Maistre en 1892. Ces chefs restèrent pauvres : ils se contentaient d’envoyer un bouc au Mbang-Day, en signe d’obédience pour la fête des semailles, le Na-ɓəna et célébraient le Na sar, chez eux.
            Finalement, le seul lien vivant avec Bédaya, ce sont les deux centres d’initiation, Mormoto (près de Békamba-ngam), et plus au nord, Moundar, sis tous deux entre la Moula, affluent du Bahr ko, et le Bahr Sara. Ces deux villages possèdent encore un chef de terre investi par Bédaya, Mṵṵ-gue à Moundar et Ngabosgue à Mormoto : ils ont tous deux un mṵṵ chargé de l’initiation ;  mais le Mbang-Day leur envoie un autre mṵṵ qui contrôle les premiers rites.
4) Fondadtion de Séwé et Béssouma au canton Koumogo, vers 1880
            Ces deux villages se trouvaient jadis entre Bédaya et Ndila. Mais, sous le règne du sultan errant de Massénia, Mamat Abou Sékkine, ces deux villages émigrèrent en masse de l’autre côté du Bahr Ko, par crainte d’être emmenés comme esclaves. En effet, le Ngar-Koumra Béaloum vendait aux Barguirmiens même les Sar des villages voisins. Comme les Sar de Bédaya étaient déjà nombreux à s’être installés dans la région, ne Ngaague Séwé et le mbang-Béssoumague devinrent tout naturellement les vassaux (padja) du Mbang-Day et furent intronisés par lui. Le mbang Béssouma possédait jadis un Couteau de jet dont la courbe supérieure portait en dehors « sept dents » comme celui du mbang Bégué ; à l’occasion d’une visite à Bédaya, on lui lui retira discrètement et on lui remit à la place, un Couteau en F, conforme à la tradition locale.
5) Vers 1884, installation des Sar dans 7 villages du canton Balimba
            Lors de la dernière razzia de Mamat Abou-Sekkine, le Ngorgue Kindé, de Ngakédjé accorde sept villages autour de Bémouli pour y faire observer sa « coutume ». C’est l’origine du Too-bémoul, prêtre de l’initiation et du Nga-moul chef de terre intronisé par Bédaya. Il est probable que la fondation de Semay est plus ancienne : des pêcheurs No̰y̰, venus de Bédaya sont venus s’y installer sans prévenir le Roi  celui-ci nomma un Nga-semay sar pour les surveiller et par la suite quand le centre d’intitiation de Bémouli fut créé le chef des No̰y̰ du lieu prit le titre de mbang-semay, et joua pendant le Ndo le même rôle que le Mbang-jonde à Bédaya.
6) Note sur les Sar de l’ouest : Ngar-Koumra et Mbang-Bégué
            Les deux familles sont étroitement liées dès l’origine, par des alliances matrimoniales ; le berceau de la famille est Ngaboulo, petit village près de Koumra.
            Koumra se trouve sur « la route des invasions ». Depuis  que le « Katourli » représentant du Baguirmi est installé à Goundi (1854), avec un escadron de cavalerie, l’influence de Massénia est donc très accentuée.
            Au lieu qu’à Bédaya, tous les pouvoir sont concentrés dans les mains du Mbang, ici il y a « division du travail » : le Ngar-Koumra est spécialisé dans la fonction guérrière  allié officiel du Baguirmi, en échange des esclaves qu’il livre à Massénia, il reçoit des fusils et des chevaux.
            Le Mbang de Bégué ne s’occupe lui que des fonctions tiruelles et religieuses. A noter, cependant, que le Nar-Koumra, (intronisé avec le sacrifice du bouc, mais sans intervention d’un délégué de Bédaya) reçoit, au contraire un mṵṵ du Mbang-Day, pour le Ndo, qui exécute les premiers rites, de concert avec les mṵṵ du lieu.
            Mbang-Bégué et Mbang-Day. Par bien des traits, les rituels observés sont identiques. Mêmes interdits, le mbang-Bégué mange seul, il ne doit pas toucher la terre. Il est enterré nu, sur une couche de charbon de bois et recouvert de la même atière, afins que, vif ou mort, son corps ne touche jamais le sol. Il a un Couteau de jet sacré (mḭya̰ bo) auquel on offre de la nourriture et de la boisson. Enfin, dernier détail et non le moindre, il investit des chefs de terre, il leur donne « un village à manger », suivant le même rituel que le Mbang-Day : un an auparavant, un messager vient apporter au candidat choisi par les mṵṵ du village, un « bâton de commandement » qui s’appelle ici « torô » ; le candidat peut refuser l’honneur qui lui est fait ; mais s’il accepte, le rituel d’investiture se déroulera comme nous l’avons décrit.
            Finalement, le seul point qui les distingue est l’initiation : celle du mbang-Bégué se réduit à un ou deux villages, puisque la majorité des Sar de Koumra pratiquent un Ndo, contrôlé par Bédaya.
            Mbang-Bégué et Mbang-Dokwo : influence du Mbang-Pon 
            Certains détails du rituel Bégué faisaient penser à une influence musulmane par l’intermédiaire du Mbang-Pon, chef des Ndam, et musulman lui-même car il est un très ancien vassal du Baguirmi (17ème siècle).
            Dokwo se trouve près de Matekaga, à 10 kms au nord de Bégué. Avant leur intronisation, les deux futurs mbang font tous deux huit jours de retraite en brousse (celui de Bégué, sur la terre de Ngaboulo) exactement comme le Mbang du Baguirmi. Mais, les quatre village de Koli, Ngatoli, Moussoumounda et Matekaga, participent à l’élection du Mbang Dokwo, ce qui est le signe qu’ils dépendaient autrefois de sa juridiction comme chef de terre : par la suite le mbang Bégué devenu plus puissant à cause de son alliance avec le Ngar-Koumra aura fait du mbang-Dokwo son padja (vassal). Autre argument en faveur d’une supériorité du mbang-Dokwo, le Na-bégué, la fête du Nouvel An des Sar de l’ouest, se célèbre à Matekaga, et c’est le mbang-Dokwo qui la préside.
            Enfin, tous les deux possèdent un Couteau de jet sacré « à sept dents » sur la face externe de la courbure, forme inusitée dans le domaine de Bédaya et ils reçoivent tous les deux, après leur investiture le fouet rituel à lanières en peau d’hippopotame (Ndey-da) ; et c’est le Mbang-Fon chef des Ndam, vassal du Baguirmi qui le leur envoie.
C CONCLUSION SUR LES RAPPORTS DU MANG-DAY AVEC SES VOISINS
            Tous pratiquent en gros le même culte et célèbrent les mêmes fêtes, mais ils jouissent d’une large autonomie.
1) Divergence des rituels
            Pour le rituel, il y a une frontière qui passe à l’ouest de Béssada et qui sépare les Sar-No̰ de ceux de Bédaya.
            Comme nous venons de le voir, les Sar de Bégué et de Koumra ont un Couteau de jet à « sept dents » qui vient peut-être des Ndam du Mbang. En tout cas, on ne dit jamais, chez les Sar de Koumra que le Miy̰ā̰-bo, le Couteau de jet sacré ait été apporté du ciel par Sou le héros civilisateur des Sara.
            Le rituel des fêtes est différent. A Béssada et dans les trois cantons de Djoli, Balimba et Koumogo, en particulier chez le Mbang Sanguelé et le Ngorgué Hori, le Mḭy̰ā-bo, la relique sarée qui vient de Sou, par l’intermédiaire du Mbang-Day, est montrée à la lune, mais en secret, la veille du Na Sar, qui est partout la grande fête de l’année. A ngakédjé comme à Sanguelé, il y a une participation active des No̰y̰-forgerons.
2) Les liens d’obédience avec Bédaya sont très minces
            Ils se réduisent, la plupart du temps à l’envoi d’un Mṵṵ, prêtre de l’initiation et du balafoniste du roi, pour introniser les grands chefs de terre, dont nous vous avons parlé : Mbang-Diéy, Mbang-Sanguelé, Mbang-Béssoumague et Ngaague Séwa.
            Le Na-Bena, la grande fête du Roi, pour les semailles, devait être le grand rassemblement du ban et de l’arrière-ban des paja ou vassaux du Roi. En fait, à l’heure actuelle, en dehors de Nga-Sade, qui est toujours là et qui participe traditionnellement à la course des chevaux, et de Muugue, le chef de terre de Moundar, personne n’y vient de l’extérieur, sauf les chef de terre du canton de Bédaya, le Ngaague Békégné, le Ngorgue de Bénguébé et ses mṵṵ, le Ngako et son Ngombang. Le Ngorgue Hori se contente d’envoyer en cadeau un panier de petit mil blanc, le Ngaague Séwa lui, vient chercher à Bédaya « le sel et le poisson » pour célébrer la fête chez lui.
            En fait, le seul vrai lien d’unité entre tous ces chefs de terre, tous jaloux de leur particularité et de leur autonomie, c’est le Ndo qui regroupe périodiquement, par classes d’âge, tous les jeunes sar de Koumra, Béssada, Bémouli et Koumogo dans la célébration d’une même « coutume » et la manducation d’un même repas initiatique sous la direction d’un mṵṵ envoyé par le Roi de Bédaya.
            La colonisation, en privant le Roi et les autres chefs de terre de la dîme coutumière sur les récoltes, les produits de la pêche et de la chasse, en fera « des parents pauvres » au profit des chefs de canton qui perçoivent l’impôt et que, de ce fait encore, c’est l’initiation qui reste la seule source de prestige incontesté du Mbang Day.
Joseph FORTIER, Histoire du pays Sara, Sar du Moyen-Chari
Centre d’Etudes Linguistiques, Sarh – Tchad, 1982




samedi 10 août 2019

Tchad : 11 août 1960 – 11 août 2019 (par Pascal Djimoguinan)



            Ce jeudi 11 août 1960, le Tchad accède à l’indépendance. Tous les espoirs étaient permis. Le Pays s’ouvre vers un avenir radieux avec une nation à construire. Mais ce dimanche 11 août 2019, quels sont les constats ?
            Le simple constat est que l’immense puzzle qu’est le Tchad tient vaille que vaille 59 ans plus tard. Est-ce un miracle ?
            Comment cette population hétéroclite a-t-elle pu tenir ensemble ? Y a-t-il eu une vision commune de la chose publique à construire ?
            Trop longtemps, la nation n’est restée que dans l’ordre de l’irréel alors que chacun pensait beaucoup plus sa région, son ethnie, son clan. Le Tchad a connu une constante, celle d’un apartheid qui ne disait pas son nom. Et chacun s’y complaisait en rejetant la faute sur les autres.
            C’était sans doute normal car l’insécurité ambiante amenait chacun à se reposer sur son groupe ethnique ou sur sa région. Au Tchad, la géographie était fonction du politique. Les termes Nord, zone méridionale, l’Ouest, l’Est étaient plus que des projets politiques.
            En ce 59ème anniversaire de l’accession à l’indépendance du Tchad, les défis sont encore plus grands qu’à l’indépendance. Si les tchadiens ont pu tenir jusque-là en jouant aux équilibristes, cela ne peut continuer plus longtemps. Nous devons devenir une nation ou disparaitre, balayés par le vent de l’histoire.
            Ils doivent se lever, des hommes et des femmes nouveaux, libres de tout clivage, mettant en avant l’intérêt de la nation. Que tout intérêt mesquin disparaisse. Que le devoir devienne le maître mot.
            Où pourrions-nous trouver ces hommes et ces femmes nouveaux, prêts à construire cette ruine de nos intérêts égoïstes.
            Je regarde cet avenir et j’attends que se lèvent des hommes et des femmes nouveaux, tenant en main l’avenir du pays et dont le regard se porte vers l’avenir.
            Bonne fête de l’indépendance à tous les tchadiens et à toutes les tchadiennes !