dimanche 27 novembre 2022

Tchad : 28 novembre - la paix : De la simple célébration à la praxis (par Pascal Djimoguinan)

 Il est heureux qu’au Tchad, la journée du 28 novembre, jour de la proclamation de la République, ait été retenue depuis quelques années pour marquer un effort vers la paix : c’est la Célébration de la Journée de Prière pour la cohabitation pacifique et la concorde nationale.

            Il faut cependant s’arrêter un moment pour se demander ce que représente ce que l’on célèbre, pour ne pas courir le risque de galvauder que ce qui serait devenu une « métaphore éteinte », n’ayant aucun rapport avec la réalité.

            L’initiative était bonne. Chaque année, à cette date, les confessions religieuses se réunissent pour une prière œcuménique autour du président de la République à N’Djamena et dans les provinces, autour du gouverneur, du préfet ou du sous-préfet.

            Les origines de cette prière remontent très loin dans le temps. Déjà au temps du premier président de la République, monsieur Ngarta Tombalbaye, les festivités de  la journée du 28 novembre se sont transformées en une journée de prière et de méditation pour la paix au Tchad. Cela a connu une petite éclipse après lui. Quelques années plus tard, sur les initiatives de monseigneur Matthias Ngarteri, cette journée était consacrée à la prière pour la cohabitation pacifique et la concorde nationale.

            Année après année, la célébration de cette journée est entrée dans les mœurs sans qu’on ait vraiment pris le temps de faire une évaluation du chemin parcouru. Le réveil risque d’être brutal.

            Des événements récents exigent un droit d’éventaire :

- La répression sanglante des manifestations du 20 octobre nous interpelle. Qu’avons fait de notre projet de paix et de cohabitation pacifique ?

- Un rapport de l’ONU est très parlant à ce sujet : « En 2022, le bilan des tensions communautaires au Tchad indique une courbe ascendante par rapport à l’année dernière avec plus de 528 morts à la date du 9 octobre 2022 contre plus de 400 en 2021Selon le dernier décompte, au moins 36 cas de violences communautaires ont été rapportés dans le pays. Le Sud enregistre 56% des conflits communautaires (20 au Sud, 5 à l’Est, 5 au Lac, 5 au Centre et 1 au Nord), avec une forte proportion (90%) pour la gestion des ressources naturelles (conflits agriculteurs-éleveurs)[1]. »

            Une question taraude : Qu’a-t-on pris l’habitude de célébrer les 28 novembre au Tchad ? Les conflits entre éleveurs et agriculteurs vont en s’amplifiant. Les tensions communautaires sont exacerbées. Le vivre-ensemble n’est plus qu’un leurre

On a cru qu’il s’agissait simplement de prononcer des incantations magiques et de se croiser les bras, et la paix se ferait toute seule.

Il est normal que des religieux se réunissent pour prier pour la paix. Il est normal que les hommes politiques s’associent à cette prière. Mais jusque-là, les hommes politiques n’ont pas encore fait leur travail.

Il s’agit pour eux de passer à la praxis. Mettre en œuvre des activités et des comportements qui, dans le concret de l’existence, mettre en place la paix.

Il faut que les politiques prennent leurs rôles au sérieux car la paix est une culture et un comportement. Comment encourager cela ?

Les conflits éleveurs/agriculteurs ont lieu parce que des bœufs entre dans les champs pour les dévaster. IL faut commencer par là. Ce n’est pas sorcier. Il faut réinstaurer les couloirs de transhumance et interdire que des bœufs entrent dans les champs.

Prendre le temps de réfléchir sur l’élevage au Tchad. Est-on obligé de reproduire à l’infini le schéma de l’élevage ancestral ? La modernisation doit également toucher ce domaine. Pourquoi ne pas encourager le développement des ranchs ?

Si l’Etat est celui qui a le monopole de la violence (selon le mot d’Éric Weil), il doit mieux réguler la détention d’armes de guerre. Il n’est pas normal que des particuliers détiennent des armes. Ce n’est pas non plus normal qu’un militaire, hors de son service dispose d’armes de guerre. Il en va de la crédibilité de l’Etat pour que les armes de guerre ne se retrouvent pas dans la nature.

Il y aura beaucoup d’autres mesures à prendre mais nous avons déjà ici un début de solution.

Si les religieux font leur devoir dans la célébration de la Journée de Prière pour la cohabitation pacifique et la concorde nationale, l’Etat a également son devoir qu’il ne peut éviter sans risque de démission.

A la célébration, il faut ajouter la praxis pour que le Tchad puisse vivre en paix.

lundi 21 novembre 2022

LU POUR VOUS/ Lettre de l’Archevêque de N’Djamena sur la journée du 28 Novembre

 ARCHEVECHE DE N’DJAMENA

 

                                                                                   N’Djamena le 19 novembre 2022

ADN N° 132/22

Objet : Célébration de la journée de Prière pour la cohabitation pacifique

         et la concorde nationale.

 

A

TOUTES LES PAROISSES, VICARIATS, INSTITUTIONS

ET

ORGANISATIONS DE L’ARCHIDIOCESE DE N’DJAMENA

 

De commun accord avec les autres évêques de la CET, nous avons décidé d’observer la journée du 28 novembre 2022 comme une journée de réflexion et de prière dans toutes nos paroisses et vicariats.

Pour l’archidiocèse de N’Djamena, je demande à toutes les paroisses de célébrer l’Eucharistie de ce jour pour la PAIX AU TCHAD. Que cette eucharistie soit l’occasion de réfléchir devant Dieu sur « les souffrances actuelles du Tchad et leurs causes » et de supplier le Seigneur de nous prendre en pitié pour notre incapacité de nous accepter et de gérer ensemble notre pays. Je demande à tous les curés de soigner cette liturgie et de lui donner la forme et la durée convenables puisque la journée est fériée.

J’encourage toutes les initiatives allant dans le sens d’un approfondissement spirituel de cette journée et la possibilité de trouver un temps de partage ou de convivialité avec les familles éprouvées ou avec nos frères et sœurs des confessions religieuses différentes.

Je ne recommande aucun rassemblement, mouvement de groupes ou organisation en dehors des espaces paroissiaux. Que le désire de la paix dans nos cœurs, dans nos familles, dans la société et dans le pays soit au centre de nos prières et de nos initiatives.

Que le Seigneur vous bénisse.

 

                                                           + DJITANGAR Goethé Edmond

                                               Archevêque métropolitain de N’Djamena




mercredi 16 novembre 2022

Figure libre : Paroles et actes prophétiques, quelles suites ? (Par Pascal Djimoguinan)

             La grande question qui se pose à la société civile, notamment à l’Eglise est de savoir ce qu’il faut fait dans les cas d’injustice, de répression et de manquement grave aux droits humains. Si les réactions de la société civile semblent plus évidentes, il n’en est pas de même pour l’église, dont les actions ne doivent pas être prises pour partisanes. Comment donc, pour l’Eglise, ne pas se taire devant des situations d’injustice sans s’affilier aux partis politiques ?

            Une chose est claire : l’Eglise doit être prophétique et pour cela, en aucune façon tremper dans l’injustice, la corruption, la répression. Elle doit toujours être du côté des opprimés, des faibles et ne pas tolérer qu’ils soient exploités. Cependant il faut reconnaitre que la relation entre la « communauté civile » et la « communauté civile[1] » n’est pas aisée.

            Si l’Eglise doit poser des actions prophétiques, et elle doit le faire, comment faire pour que les choses ne se diluent pas et ne restent qu’au niveau des actions prophétiques ?

            Nous avons ici une question très importante qui mérite qu’on s’y arrête. Quelle est la suite à donner aux prises de position de l’Eglise, pour éviter qu’elles ne soient stériles ?

            Il faut avant tout sortir du schéma classique où les responsables doivent prendre la parole et les fidèles ne se cantonnent que dans le rôle d’apprécier les discours et d’attendre que les changements tombent du ciel comme la manne. Dès lors une prise de conscience est nécessaire. Chacun doit savoir qu’il doit mettre la main à la pâte pour que la construction d’un Etat de droit se réalise.

            Il faudra donc une formation des consciences. Nous retrouvons ici le rôle essentiel de l’éducation dans une société démocratique. Les consciences doivent se former à ne pas accepter l’inacceptable.

            La société doit connaître ses droits et être prêt à les revendiquer. Il ne faut pas accepter l’injustice sous prétexte que c’est la « volonté de Dieu ». La société doit donc, avec une conscience éclairée, être prête à des actions citoyennes pour revendiquer le droit et la justice.

            Un piège que le pouvoir utilise à bon escient est d’acheter des consciences, de retourner quelques personnes pour faire échouer des actions qui commencent à porter du fruit.

            Il faut arriver à créer une conscience commune afin de créer une solidarité qui puisse servir de rempart aux achats des consciences.

            Le pouvoir dispose des moyens économiques dont il n’hésite pas à user. Dès qu’il y a la moindre action, l’Etat menace de ne pas payer les salaires. C’est là où le bat blesse. Comment contourner cela. La réflexion doit également s’engager à ce niveau.

            Si une société prend l’habitude de ne penser qu’avec son ventre, tout réflexion deviendra pour elle superflue, et elle ne sera qu’une société d’esclaves. Il faut former les consciences afin que des prises de positions prophétiques soient suivies d’actions citoyennes. C’est à se prix qu’une société pourra barrer la route à toute dictature qui veut s’imposer à elle. Peut-être que la route est encore longue, mais plus tôt on la prendre, mieux cela sera !




[1] Pour utiliser des expressions de Karl Barth, Communauté chrétienne et communauté civile, Labor et Fides, Genève, 1958.



samedi 12 novembre 2022

TCHAD : Vers un changement de paradigme social ? (par Pascal Djimoguinan)



            Depuis les indépendances, le Tchad est en gestation sur le plan sociétal. Comment passer d’une organisation traditionnelle et rurale à une vie urbaine. Il suffit d’examiner la vie sociale pour voir comment il y a une oscillation entre la ville et le village.

            Pendant la colonisation et aux indépendances, dans la constitution des villes dites « modernes », les populations n’avaient pour images que celles de leurs villages qu’ils venaient de quitter. Alors, il fallait tout simplement reconstituer l’univers du village dans la ville.

            Dans cette reconstitution du village, les quartiers se peuplaient selon les affinités ethniques et culturelles. Ainsi à Fort-Lamy (puis N’Djamena), on pouvait avoir dans sa partie sud, les quartiers Sara Moursal, Nonsané, Dembé, Kamnda, etc ; dans la partie nord de la ville, on a Char abayin, Klemat, Mardjan daffack, Ambassana, Djambal Barh, etc…

            En même temps que les populations se regroupaient par affinité, les besoins de la vie moderne les rattrapaient tous dans le centre moderne de la ville où il y avait les bureaux de l’administration ainsi que le quartier administratif. Petits fonctionnaires et domestiques sortaient de leurs quartiers « indigènes » le matin pour aller travailler au centre de la ville ; mais, le soir, tout le monde se retrouvait dans son milieu indigène où on ne pouvait éprouver aucune nostalgie puisque tout était calqué sur le village.

            Ainsi, les funérailles, les mariages et les différentes festivités étaient célébrés de la même façon que dans les villages. L’homme Tchadien se revêtait le matin de sa veste moderne pour se rendre dans le quartier administratif mais dès l’après-midi, il retrouvait sa peau naturelle dans son milieu en regagnant son quartier.

            Une manière particulière de socialiser au village, était de se retrouver en groupe devant des calebasses de boissons locales. Au village, cela se faisait les jours de marché, aux célébrations des funérailles et des récoltes. Autrement, les hommes se retrouvaient sous les arbres du village où ils passaient le temps ensemble.

            Avec la vie moderne, il y aura un glissement qui se fera. Comme les exigences du travail étaient telles que le repos n’avait lieu que pendant le week-end, la population des villes, ne pouvant plus se regrouper sous les arbres « pour passer le temps », a pris l’habitude de se regrouper, soit dans les cabarets, soit dans les bars, selon les moyens financiers dont on disposait.

            La question qui se pose, et cela concerne les différentes villes du Tchad, est de savoir si cette manière de « passer le temps » est constructive, aussi bien sur le plan intellectuel que sur le plan économique.

            Ne faut-il pas un changement de paradigme dans nos villes ? Comment créer des plateformes de réflexions et d’actions, autres que les débits de boissons ? Il s’agit désormais de devenir des acteurs du développement à tout point de vue. Le défi se situe à ce niveau et la réflexion est ouverte.




samedi 5 novembre 2022

Tchad les mongos, une société patrilinéaire (par Pascal Djimoguinan)

             Au Tchad, les mongos, comme toutes mes autres ethnies du grand groupe Sara, sont une société patrilinéaire (i.e., la filiation est basée sur un type d’organisation sociale où l’ascendance paternelle prime). Nous allons voir ici quelques traits qui, de prime abord, sont imperceptibles mais qui en réalité gèrent toute la société.

            Les affaires les plus importantes sont gérées dans cette société, par le clan (il s’agit ici d’un groupe de personnes unies par un lien de parenté du côté paternel).

            Comment connaître les personnes du même clan ? Le premier point important à retenir ici est ce qui est appelé en mongo « Gəĺ kāgə̄ yo », littéralement traduit par sous l’arbre de la mort. En effet, lorsque dans un village il y a un décès, la place où doit être exposé le corps et où l’on doit se recueillir est régi par une loi tacite connue de tous. Ainsi, chaque clan à son arbre sous lequel sont organisées les funérailles de ses membres. Il peut arriver que les lieux se multiplient si le clan connait une grande multiplication de ses membres.

            Ce lieu des funérailles est le même pour les hommes aussi bien que les femmes. Bien que le mariage soit exogamique et que les femmes se retrouvent dans des villages quelquefois très éloignés, à leur mort, leur corps doit être ramené au village et le lieu de recueillement est leur « Gəĺ kāgə̄ yo ». Elles seront inhumées par leurs frères et non par leur mari.

            Dans les relations entre cousins et frères, ce qui joue est justement cette appartenance au clan. Il faut d’abord noter que les termes d’oncles et de tantes en français sont très équivoques. Chez les mongo, on utilise les termes d’oncle uniquement pour désigner les parents du côté maternel. Du côté paternel, on appelle indistinctement frères et les cousins du papa « pères ». Le terme de tantes par contre est réservé aux femmes du côté paternel. Les sœurs et cousines de la maman sont des « mères ». Ainsi quand les cousins sont parallèles, c’est-à-dire dont les parents sont de même sexe, ils utilisent la même appellation pour les parents (pères ou mères). Par contre, quand les cousins sont croisés (c’est-à-dire que les parents sont de sexe opposé), l’appellation n’est pas la même pour tous (Ce sont les oncles et les tantes).

            Entre les cousins parallèles du côté paternel, c’est-à-dire ceux ayant le même « Gəĺ kāgə̄ yo », la relation est une concurrence qui frise la rivalité. Il n’en est pas de même avec les cousins parallèles du côté maternel. Etant tous enfants des mères, les relations sont plus chargées de convivialité.

            On peut facilement comprendre que l’on est mieux traité dans le village maternel que dans le village paternel. C’est parce qu’il n’y a pas cette rivalité et n’étant pas du même « Gəĺ kāgə̄ yo » que les cousins du village maternel, on n’est pas impliqué dans les affaires de succession et d’héritages.

            La compréhension de ses relations peuvent aider à mieux comprendre les rapports que les mongo entretiennent entre eux.

jeudi 3 novembre 2022

TCHAD : Sahelanthropus tchadensis, un être paradoxal ? (par Pascal Djimoguinan)

             Est-il permis de s’étonner au Tchad, sans que cela ne soit un délit ? La liberté individuelle est devenue dans ce pays une denrée rare, puisqu’étant en dehors de l’ordre constitutionnel, seule la loi du plus fort impose son rythme et ses vues aux autres qui ne sont alors considérés que comme des exécutants de seconde zone.

            Comment en est-on arrivé à ce qu’un gouvernement, d’ailleurs assez composite, d’anciens opposants aussi bien politiques que militaires, puisse se poser en gardien du temple, capable de pogroms et de nuits des longs couteaux pour se maintenir au pouvoir.

            La simple rationalité humaine ne pourrait donner réponse à cette interrogation.

            Pourrait-on arriver à la conclusion qu’être au pouvoir ou dans l’opposition au Tchad, ne serait qu’une simple question de vestes à changer au gré des circonstances ?

            Jusqu’à une date récente, le comportement politique de l’actuel Premier ministre, bien qu’insaisissable, laissant planer le bénéfice du doute sur son attitude démocratique. Le fait qu’il ait été parmi les premiers à créer un hebdomadaire libre et son passé de journaliste ont toujours plaidé en sa faveur. Mais depuis le 20 octobre 2022, il n’y a plus de doute. Oser défendre l’impensable, parce qu’on est chef de gouvernement est intolérable.

            C’est incroyable de voir des hommes, longtemps connus comme des opposants, épris de liberté et de démocratie, défendre la paix des cimetières. Sentinelles de la refondation, ils veulent un Tchad où chaque citoyen devrait se comporter comme une tombe. Leur idéal est une République des Zombies dont le seul « acte citoyen » serait d’applaudir à tout vent.

            Le pire dans cette situation, c’est qu’il ne s’agit encore que d’un moyen. La fin étant de créer une situation pour maintenir au pouvoir l’actuel chef de la junte. L’actuel Premier ministre n’est de ce fait qu’un mal nécessaire pour le pouvoir, afin d’atteindre ses tristes fins.

            Tous les moyens sont mis à contribution : arrestations ou plutôt enlèvements, déportation, exécutions sommaires, répressions aveugles. Nous assistons impuissants à une fascisation que le monde libre tolère pour des intérêts égoïstes.

            Il est encore temps d’arrêter tout cela, bientôt il sera trop tard. Que les hommes politiques tchadiens sortent de leur torpeur et voient la réalité telle qu’elle est. Le Tchad ne mérite pas leur comportement.

Réveillez vous, citoyens tchadiens ! Réveillez vous, hommes politiques tchadiens ! Réveillez vous, hommes et femmes de bonne volonté ! Réveillez vous, démocrates de tout pays ! Arrêtons la descente en enfer du Tchad. Ne laissons pas la démocratie se noyer dans le Lac Tchad !