samedi 26 décembre 2020

Les devinettes en mongo (par Pascal Djimoguinan et alii)

(Pour aider à la lecture : La différence entre ə et ɪ est pertinente ; un mot peut changer complètement de sens si l’on remplace l’un par l’autre. Ainsi Kugə est différent de kugɪ car le premier signifie fétiches alors que le second signifie pincer, ou encore Kunjə́ signifie le poulet alors que kunjɪ́ veut dire vapeurs, émanations.)

Chez les mongo de Doba, comme chez les autres peoples du monde, la sagesse des ancêtres est recueillie sous formes de contes, de fables, de proverbes et aussi de devinettes.

Les devinettes permettent, en jouant de la métaphore et de métonymie, de rassembler dans une formule lapidaire tout un message qu’il faut décoder. Dans les nuits, au clair de la lune, assis devant le feu, les mongo s’en donnent à cœur joie aux devinettes. Si jamais, on tenait à faire les devinettes en plein jour, il fallait se plier à un rituel bien connu. On devait enlever quelques cils pour les placer entre le gros orteil et le doigt du pied qui le suit. La séance peut alors commencer. Celui qui propose une devinette, se voit attribuer une ville dans le cas où personne ne trouve la clé de l’énigme. Il peut alors donner le sens de sa devinette. Nous proposons ici quelques devinettes mongo. Nous donnons d’abord la transcription en mongo, puis la traduction en français quand cela est possible, avant d’en donner la clé.

1) Bísɪ kɪ́r bḭī bər : Le chien qui a le pelage du phacochère. Glissade (lo nditə)

2) Dɔ ngán nasárjē kər̄ yim : Les cheveux des enfants blancs sont roux Les fourmis gendarmes (Toyīdjē)

3) Dumjē ndɔ́ti ɓē dɔ̄ kḭ way : les musulmans déménagent pour partir. Momordique, margose, (Momordica charantia) (Kounjə́ dɔ ndɔgɪ)

4) Ká kúndū ɓā ɓēmōló ə nje mətɪ oō aĺ : quand le balafon résonne à bémolo, le boiteux n’entend pas. Glissade (lo nditə)

5) Kéléng kel ngiā : L’huile (ubū)

6) Kérḛ́ng kérḛ́ng na bilō : dring, dring, vélo. Attention au vélo

7) Kiyə̄ lə ngar ijə ta ngar : Le couteau du chef blesse la bouche du cher La canne à sucre ou le puisoir (kádə̄, Kádɔw̄)

8) Kó̰ bīy̰ə̰̄ ndān ngōn̄ taā gāng kulə̄ : La chèvre est en gestation avant de casser la corde. Noix de karité (yəbə́, sɔ̄y̰ō̰)

 9) Kɔ̰́ bīy̰ə̰̄ ndān taā tī kulə̄ : La chèvre est en gestation avant de casser la corde. Noix de karité (yəbə́, sɔ̄y̰ō̰)

10) Kɔ́kí kɔ́kí gajɪ batɪ̄ : koki koki un agneau Les seins (mba)

11) Kɔrɔrɔ gə́l jó man tɪ̄ , ou yururu gə́l jo man tɪ̄ : rouler sous la jarre d’eau. Coussinet pour porter l’eau ou bien l’œuf (Ngə̄ ; kɔw) 

12) Lə̰́ng lə́ng ngōn kūnə̄ : leng leng un petit kapokier. Une canne à sucre (kádə̄wāl)

13) Mur̄ nṵng lə ndúr daā ūbɪ̄ nal̄ dɔ-é aĺ : La boule pour accueillir le prétendant qui est le hérisson ne manque pas d’huile. Quand on va déféquer, il y a toujours l’urine qui vient. (Sḭ sə yədɪ́man).

 14) né ləm̄ a̰ walē no̰ō̰ tájī wáka : J’ai quelque chose en brousse qui t’insulte avec la main. Les feuilles du manioc (mbī ngali)

15) Né ləm̄ m-ɔ̄w kə̄ ɓē tə́l walé, m-ɔ̄w kə̄ walē tə́l kə̄ ɓeē : j’ai quelque chose, lorsque je vais vers la brousse, elle est tournée vers le village, quand je rentre au village, elle est tournée vers la brousse. La houe, la hache, le couteau de jet (Kɔsə, kūngə̄, miy̰ə̰̄)

16) Ngábasájē a̰y̰ī ná̰a̰ nal : Mes jeunes hommes sonnent le cor. Les piquets de la palissade (Kāgɪ̄ ndogɪ̄)

17) Ngámandɪjē ləm̄ ndāmī kə́y bar tə́ : Mes demoiselles dansent dans le bar. La bouillie pour préparer la boule qui boue. (sə kə́ ndīr)

18) Nga nō̰ bḛ́ usə nga nō̰ kérim. Le cabri qui mange les haricots (bīy̰ə̰ usə munjɪ)

19) Nga nō̰ bḛ́ usə nga ndɔ̄b ré. Le cabri qui mange les arachides (biy̰ə̄ usə kabrī)

20) Ngér ngér sīngə̄ lə ngō mandɪ : La palissade de la jeune fille est bien alignée. Les dents dans la bouche (Nganḡ dō)

21) Ngon mandə ləm̄ a̰ no̰ō̰ gūbrū kəmé kāare : Ma jeune fille n’a qu’un œil. Une aiguille (líbri)

22) Ngon mbá̰ ləm kélḛ́ng kélḛ́ng ɓe yā̰ā̰ ində ndə́ý tō yā. Mon petit éleveur nomade est tout petit mais il chicotte très fort. Le scorpion (jínə̄)

23) Ngōn̄ síndə lem̄ ndām dɔ duɓɪ tɪ́ : La calebasse sur l’eau pour boire (káman̄)

24) Ráí ráí ngon keē lə gorjē. Rai rai le petit  des gor. Les fruits noirs (Vitex doniana) Mūȳ̰ɪ̰̄ 

25) Rigɪm ndíl kə́ mbangá : Plante, Asparagus Africanus (Gə́rgə́ndɪ̄)

26) Rutɪ dɔ kāgə̄ bolé : Finit dans le bois. Les œufs de la pintade (kɔw ta̰njɪ)

27) sílə̄ sɔ́ to ta ngɔ tə́ : quatre pièces au bout du bois : baguette servant de papier hygiénique traditionnel (sḭ kə́ ta kāgə̄ tə́)

28) ta ndo̰ ləm̄ tə́l kə̄ walē : Ma langue est tournée vers la brousse. Le couteau de jet accroché à l’épaule (miy̰ə̰̄)

29) Tsūk né ná̰ nú nā̰á̰n : Herbes à cordes (girɪ́mgaál, mbandane)

30) wāláng sa kāgə̄ tə́ : Le tambour qui annonce la mort (Kɔdə yo)

31) Yḛ́m yḛ́m mbī mātɪ̄ : fin, fin les feuilles du néré ((Parkia africana). Les cils et les sourcils (bəl̄ kəm)

32) Yim gidɪ mbō tə́ : Arbuste épineux à fruits jaunes (Ximenia americana) Jím̄kītɪ̄

33) Yipɪ rə́bə́ ndamá̰ : Le résidu du mil germé pour la boisson (y̰ḛ sōtē)

34) To nańg gɔ́l nje ɓo : Par terre, il trompe l’affamé. Les coques d’arachides (ngɔ́yí kabrī)

(De la plateforme de Békondjo. Ont collaboré à la collecte des devinettes, Prosper Allatara, Adelph moialbeye Asngar Ndigdjim Pendjengar, Sadé Ngarastam, Kadidja Ngarastam, Geneviève Madjipi, Anselme Achta, Lucien Malengar, Béleunan maoulengar Madjiadoum, Pascal Djimoguinan)

mercredi 16 décembre 2020

Tchad : un exemple d’expression idiomatique en mongo (par Pascal Djimoguinan)

 

Pour les élèves francophones au Tchad, il a fallu attendre d’être en classe de 6ème dans le secondaire pour apprendre l’existence des expressions idiomatiques ; alors pour beaucoup, le terme idiomatique renvoie à l’anglais alors que chaque langue possède ses propres formules idiomatiques.

            Wilkipedia nous introduit bien dans ce qu’est une expression idiomatique ou un idiotisme : Un idiotisme ou expression idiomatique est une construction ou une locution particulière à une langue, qui porte un sens par son tout et non par chacun des mots qui la composent. Il peut s'agir de constructions grammaticales ou, le plus souvent, d'expressions imagées ou métaphoriques. Ainsi, chaque langue, dans un endroit donné, à son parler propre dont la traduction dans une autre langue demandera plus de vivacité d’esprit et de finesse pour éviter des bourdes.

            Il y a donc dans la longue des expressions que l’on ne peut traduire mot à mot dans une autre langue sinon on se retrouverait dans quelque chose d’incompréhensible.

            Prenons le verbe njíbə̄ en mongo qui signifie sucer dans le sens de vouloir profiter des tout derniers goûts qu’on ne veut perdre. Cela peut être le cas d’un os qu’on peut sucer jusqu’au bout. On dira donc Njíbə sīngə̄ qui signifie sucer un os. Pour quelqu’un qui suce le reste d’un sirop et du yaourt dans un sachet on utilisera donc on mongo le verbe njíbə̄. On dira donc njíbə̄ man̄ masə̄, njíbə̄ mba.

            Njíbə̄ signifie donc sucer et il n’y a pas de problème de traduction à ce niveau. Cependant il y a un cas où l’on pourrait tomber dans le piège de la traduction et faire un non-sens. Il s’agit de l’expression njíbə̄ kadə. La logique voudrait que l’on traduise cette expression par « sucer le soleil » mais loin s’en faut ; il s’agit d’un non-sens élémentaire qui pourrait faire pouffer de rire un enfant mongo de 7 ans.

            L’expression njíbə̄ kadə signifie tout simplement se chauffer au soleil. Comment cela ? C’est le propre du génie de la langue et on ne peut dire pourquoi c’est comme ça. L’hypothèse qu’on pourrait énoncer est peut-être de l’ordre de la métaphore. Peut-être que de la même façon qu’on éprouve le plaisir à sucer une denrée rare, peut-être de la même façon on éprouve le plaisir par temps de grande fraîcheur à goûter la chaleur des rayons du soleil.

            Il y a un village dans la banlieue de Doba, Bémbeudoubé, où les habitants sont connus pour le plaisir qu’ils prennent à la saison froide de se chauffer au soleil le matin. Peut-être pourra-t-on trouver chez eux l’origine de cette expression idiomatique mongo.

            Pour finir, je vous conseillerai cependant de ne pas rester trop longtemps au soleil comme les lézards car vous pourriez vous déshydrater.




lundi 14 décembre 2020

Démission et nomination du Vicaire apostolique de Mongo (Tchad)

Le Saint-Père a accepté la démission de la pastorale du Vicariat apostolique de Mongo (Tchad), présentée par S.E. Monseigneur Henri Coudray, SJ.

            Le Saint-Père a nommé le Père Philippe Abbo Chen, membre de l’Institut Séculier Notre-Dame de Vie, actuellement Vicaire Délégué de Mongo, comme Vicaire Apostolique du même Vicariat.

Curriculum vitae :

Monseigneur Abbo Chen est né le 10 mai 1962 à Dadouar, Mongo. Après avoir terminé ses études secondaires, il entre au Grand Séminaire Saint Luc de Bakara à N’Djamena, pour l’année préparatoire et pour les études ecclésiastiques en philosophie et théologie. Il a été ordonné prêtre le 17 mai 1997.

            Après son ordination sacerdotale, il entre à l’institut séculier de Notre-Dame de Vie en 2001, où il prononce ses vœux solennels le 14 août 2009.

            Il a occupé les fonctions suivantes : Vicaire de paroisse (1997-1999), curé de la paroisse de Marjan-Daffak et chef de la pastorale des vocations (1999-2001) ; novice à l’Institut séculier de Notre-Dame de Vie (2001-2002) ; Pasteur de Biktine (2003-2010) ; Directeur spirituel et économe du Grand Séminaire de Philosophie Saint-Mbaga Tuzinde de Sarh (2010-2014). Vicaire général et pasteur de Biktine (2014-2019). Année de désert prévue par l’Institut séculier de Notre-Dame de Vie, à Venasque en France (2019-2020).

mercredi 9 décembre 2020

LU POUR VOUS/ Qu’est-ce que l’attente messianique dans l’Ancien Testament? (Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican)

Chaque année, le temps de l’Avent -celui de l’attente par excellence- permet de se préparer à la naissance du Christ-Emmanuel, le fils de Dieu fait chair dans le sein de la Vierge Marie, Sauveur annoncé par les prophètes. Mais justement, que nous disent les Saintes Écritures de ce “messie” de Dieu qui restaurera le droit et la paix en Israël? Que nous révèlent-elles de sa mission? Décryptage avec le père David Neuhaus (professeur à l’Institut pontifical biblique de Jérusalem, supérieur des jésuites de Terre Sainte et ancien vicaire patriarcal pour les catholiques de langue hébraïque.)


Quelle est l'origine du mot "Messie", quand apparaît-il pour la première fois dans les Écritures et dans quel contexte?

Le mot “messie” est dérivé de l’hébreu “mashiah”. En grec, il se traduit par “Christos”, qui signifie “celui qui est oint”. Les chrétiens sont souvent surpris d’apprendre que ce mot n’apparaît qu’une cinquantaine de fois dans l’intégralité de l’Ancien Testament, et ne se réfère presque jamais à un sauveur ou à un rédempteur.

Dans l’Ancien Testament et la vie du peuple d’Israël, “messie” se voit plutôt relié à trois figures distinctes. Nous le rencontrons pour la première fois dans le Lévitique, au chapitre 4, où il désigne le prêtre (Lv 4 :3.5.16.17). Dans ce chapitre, l’on trouve en effet la description du rôle du prêtre: il est celui qui offre le sacrifice d’expiation pour le pardon des péchés. Dans les livres historiques, le titre de “messie”, celui qui reçoit l’onction, est conféré au roi. Enfin, dans le livre des psaumes, où le mot apparaît à plusieurs reprises, il fait presque toujours référence à un roi. Beaucoup de psaumes dits “royaux” aspirent à un roi juste, qui régnera selon la volonté de Dieu et apportera ainsi la justice et la paix.

Lors de leur consécration, les prêtres comme les rois sont oints d'huile, ce faisant, ils deviennent des chefs institués: le prêtre dans le Temple et le roi dans le royaume. Nous avons un troisième personnage, également appelé messie, mais qui a reçu un autre type d’onction, une onction de Dieu, non pas avec de l’huile, mais plutôt avec l’Esprit-Saint: le prophète. Il existe cependant un prophète qui a été oint avec de l’huile et il s’agit d’Élisée (1 Rois 19, 16).

Ce n’est que dans les derniers livres de l’Ancien Testament, et spécialement dans celui de Daniel, que le mot “messie” commence à désigner le sauveur de la fin des Temps (Daniel 9, 25-26). Ce livre a été écrit à un moment de crise profonde, alors que les souverains hellénistiques qui dominaient la Palestine voulaient imposer la culture grecque et que certains Juifs voyaient dans ces pratiques une tentative d’annihilation de la spécificité juive. Ceux qui s’opposaient à ces politiques d’hellénisation étaient persécutés. Et cela a donné naissance à un nouveau type de pensée religieuse dans le judaïsme: l’apocalypse, selon laquelle la seule voie de salut possible face aux circonstances dramatiques de l’époque réside dans une intervention divine directe, en l’occurrence l’envoi d’un messie qui sauverait l’humanité d’un monde en déliquescence.

Le messianisme, soit l'attente d'un homme providentiel qui apportera la paix et le bonheur, est-il propre au judaïsme?

La figure du messie comme sauveur de la fin des Temps constitue en effet un développement tardif dans le judaïsme et même marginal dans la littérature juive ancienne; elle n’est ainsi pas incluse dans le canon catholique de l’Ancien Testament.

Ce n'est qu'au milieu du IIe siècle avant J.-C. qu’un profil plus complet se dessine pour cette figure qui annonce la fin des temps, le jour du jugement et l'inauguration du Royaume de Dieu. Des études récentes insistent sur le fait que l'attente d'un messie n'était pas aussi centrale pour le judaïsme à l'époque de Jésus qu'on le croit généralement. Ce qui était répandu, cependant, c'était la croyance que Dieu finirait par remporter la victoire contre les forces des ténèbres et du mal qui troublent le monde depuis la chute et l'expulsion du jardin d’Eden. Les prophètes avaient appelé le peuple à revenir à Dieu, à abandonner les voies du mal qui conduisaient inéluctablement au malheur et à la destruction. Ils avaient averti le peuple que la dévastation approchait, mais ils le consolaient aussi en lui rappelant que Dieu est fidèle, qu'Il rétablirait la royauté (essentiellement Dieu en tant que roi) et que cela restaurerait l'harmonie. L'attente était plus celle de “temps messianiques” que d’un “messie”, bien que des auteurs bibliques aient associé l’avènement de ce royaume à la venue d’un roi davidique.

Sur la base de ce qu’en disent les prophètes et les psaumes, quel portrait peut-on dresser de cet “Envoyé de Dieu”? Quels sont les symboles qui s’y rattachent?

Il est important de noter qu’il n’est pas question de messie dans les écrits prophétiques d’Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et ceux des douze prophètes mineurs. En réalité, le mot n’est utilisé que deux fois en hébreu dans les livres prophétiques (hormis Daniel): une fois en Isaïe (45,1) lorsqu’il désigne le roi de Perse, Cyrus, qui a permis aux exilés de Babylone de retourner à Jérusalem, et une fois dans le livre d’Habaquq (3, 13), où il se réfère ou au roi davidique ou au peuple lui-même.

Dans cette littérature, il y a certainement le rêve de restaurer le monde par le biais d'un retour à Dieu.

Dans la dernière partie des écrits prophétiques, c’est-à-dire les douze livres des prophètes dits mineurs, le thème dominant est “le jour du Seigneur”. On s'attend à ce que Dieu vienne gouverner la terre à la fin des temps. Pour les prophètes, une partie de la vision de la fin des temps était centrée sur un roi qui se conformerait à la volonté de Dieu, un nouveau David qui guiderait le peuple et le ferait revenir dans le droit chemin. Mais plus que la personne d’un roi oint (messie), c’est ce que nous pourrions appeler un temps “messianique” qui est décrit en détails: un temps de paix et de justice, un temps de restauration de l'harmonie de la création. Cela est également vrai pour les psaumes qui décrivent le royaume à venir.

Deux courants émergent: le messianisme royal (fils de David) et messianisme sacerdotal (fils d’Aaron). Est-ce à dire que deux messies sont attendus?

Le prêtre et le roi sont les deux personnages oints de l'Ancien Testament. Mais lorsqu’on analyse la Bible d'un point de vue historique, on constate que, jusqu'en 587, date de la destruction de Jérusalem et du Temple, la figure prééminente était celle du roi, dont David et Salomon (tous deux appelés les oints) sont les figures archétypales.

Or, après le retour d'exil de Perse (540-333), la monarchie n'a pas été restaurée. L'espace public était sous la domination perse, mais une grande autonomie religieuse était accordée aux Juifs ; l'espace de cette autonomie se trouvait dans le Temple, où le prêtre présidait. Cela a donné lieu à des discussions sur les deux messies, un messie davidique (royal) et un messie aaronite (sacerdotal). Les premières indications à ce sujet se trouvent dans le livre de l'Ecclésiaste (datant de la première partie du deuxième siècle avant J.-C. et écrit par le grand sage Siracide). Beaucoup plus tard, la pensée rabbinique juive a ensuite développé cette vision de deux messies différents, mais celle-ci n'est pas claire dans les écrits qui ont précédé la naissance de Jésus.

De quelle manière Jésus a-t-il correspondu aux espérances messianiques? Peut-on dire qu'il les accomplies et transcendées à la fois?

Dans le Nouveau Testament, Jésus correspond à l'espérance d'un roi davidique, un oint, qui apporte avec lui le royaume tant attendu, mais il est stupéfiant de constater que ce sont sa croix et sa couronne d’épines qui font office de trône.

Il correspond à l’espérance d’un prêtre efficace qui offre un sacrifice d’expiation, mais il est stupéfiant de voir que son sacrifice n’est pas celui du sang d’un animal mais sa propre vie et son propre sang.

Il correspond à l’espérance d’un nouveau prophète, comme Moïse et les prophètes d’autrefois, et pourtant il est stupéfiant de voir que ceux qui l’écoutent réalisent qu’il n’est pas seulement la prophétie elle-même mais qu’il est uni à celui qui inspire la prophétie, Dieu le Père.

Les chrétiens reconnaissent en Jésus le messie car il réunit tout cela en sa personne et incarne la fidélité de Dieu à ses propres promesses. Jésus sera écrit dans le langage même de ses promesses, il n’est donc pas étonnant que nous soyons capables de l’identifier entre les lignes de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Quelle est, pour vous, la (ou les) figure(s) vétéro-testamentaire(s) qui préfigure Jésus de manière particulièrement prégnante?

Le lecteur chrétien attentif est appelé à réfléchir sur quatre grandes figures de la vie du peuple d'Israël telles que représentées dans l'Ancien Testament : le prêtre, le roi, le sage et le prophète. Il est significatif que la forme chrétienne de l'Ancien Testament soit en effet divisée en quatre parties, chacune d’elle se concentrant sur l'une de ces figures.

Dans les cinq livres de la Loi (Pentateuque), la figure centrale est le prêtre, qui cherche à réaliser le commandement central: «Soyez saints comme je suis saint» (Lévitique 19,2).

Dans les Livres historiques, la figure centrale est le roi, qui est censé représenter la domination du seul et unique roi d'Israël, Dieu, en étudiant la Loi jour et nuit et en gouvernant par elle.

Dans les Livres de la Sagesse, la figure centrale est le sage, qui réfléchit sur la création et, à travers elle, est capable de contempler Dieu et le royaume de Dieu dans les banalités de la vie quotidienne (comme le fait Jésus dans les paraboles).

Enfin, dans les Livres prophétiques, le prophète rappelle la vocation primordiale d'être l’enfant d'un Père qui cherche à rassembler tous ses enfants et à les ramener à la maison, en montrant comment nous faisons obstacle à ce désir de Dieu et comment Dieu reste néanmoins fidèle. Ces quatre figures sont devenues de manière collective ce que beaucoup de chrétiens veulent dire quand ils parlent du messie.

mardi 1 décembre 2020

Message de l'avent de l'archevêque de Bangui

 MESSAGE DE L’AVENT 2020 A LA COMMUNAUTE CHRETIENNE, AUX HOMMES ET FEMMES DE BONNE VOLONTE

Frères et sœurs,

 Et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté,

Le temps de l’Avent, nous fait entrer dans une préparation intensive à célébrer la venue du Fils de Dieu parmi nous. Dieu vient en visite chez nous pour se faire notre hôte intérieur.

 Ce temps de l’Avent portera notre relation avec Dieu et les hommes. Dieu ne change pas, mais les hommes changent dans leur situation personnelle et plus encore dans leur situation mondiale, nationale et ecclésiale. C’est dans cette dynamique que nous sommes orientés vers notre Messie, Celui que les prophètes ont annoncé, qui viendra manifester sa sollicitude pour nous.

L’Avent 2020 à une particularité pour nous dans notre pays en général et en particulier dans notre archidiocèse. La particularité comporte ce moment décisif de la préparation spirituelle pour vivre Noël dans le contexte du Covid-19 et des élections couplées dans notre pays. Ceci convoque notre position de chrétien et le sens de notre responsabilité et de notre devoir de citoyen.

Pour ce faire, nous vous proposons la démarche suivante : un regard liturgique sur le temps de l’Avent, et à une implication pastorale.

I.              UN REGARD LITURGIQUE DU TEMPS DE L’AVENT

 Temps de l’Attente Joyeuse Chers frères et sœurs, le temps de l’Avent nous prépare à accueillir joyeusement la Lumière qui vient. Nous constatons que plusieurs semblent oublier l'aspect spirituel de cette fête alors que c’est l'incroyable mystère qui s’actualise. le Fils de Dieu s’incarne pour sauver l’humanité, non pas dans un acte passager, mais Jésus continue à naître et sans cesse renaître dans notre vie et au cœur de notre monde.

La liturgie de l’Avent nous invite à veiller, à nous tenir prêts, à nous convertir pour accueillir Celui qui vient. C’est dans les textes et les prières liturgiques que nous expérimentons la joie, car l’Incarnation du Fils de Dieu nous apporte la réconciliation, la paix et la joie du salut : « Tu le vois, Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie d’un si grand mystère : pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau». Cf. prière du troisième dimanche de l’Avent. Aussi l’Avent vient-il nous redire qu’il faut consentir à l’attente, à interroger nos besoins humains pour laisser plus d’espace à Dieu. Il nous invite à raviver notre  désir d’aller au-delà de la routine du quotidien et accéder ainsi au cœur de nous-mêmes, là où nous trouvons Dieu.

L’Avent est un temps de vigilance et d’attente joyeuse, centré sur la personne de Jésus que nous nous préparons à accueillir. Cette attente est aussi un moment d’espérance et de certitude : le Seigneur est venu, il viendra dans notre monde et dans notre vie. Notre vigilance est celle d’un cœur qui aime, d’un cœur dont l’amour souhaite ardemment la venue de Celui qui vient s’inscrire dans notre humanité.

 Nous avons tous l'expérience de l'attente : attendre une personne en retard, une lettre est importante pour nous. L'attente n'est pas seulement passive mais aussi elle est bien active. Dans le verbe « attendre », il y a le mot « tendre », avec son élan, son mouvement, son dynamisme. À notre attente de Dieu, répond l'attente de Dieu sur nous.

Temps de la Visite et de l’Accueil

 La visite de Dieu était très attendue. Les Psaumes (Ps 65, 10 ; Ps 17, 3) expriment une demande instante. Plusieurs personnages des évangiles proclament que Dieu a entendu cette prière et qu’il visite son peuple par Jésus, dès l’annonce de Jean baptiste. Ainsi, Zacharie s’écrie : « Béni soit le Seigneur, parce qu’il a visité son peuple », et plus loin : « l’astre venu de l’Orient (ou : le soleil levant) nous a visités » (Lc 1, 68 et 78). A Naïn, lorsque Jésus relève un mort, le fils unique d’une veuve, la foule s’écrie : « Dieu a visité son peuple » (Lc 7, 16). Mais au terme de sa montée à Jérusalem, Jésus a reproché à cette ville de n’avoir pas reconnu « le temps de sa visite » (Lc 19, 41ss). Marthe et Marie, au contraire, chacune à sa façon, ont reçu cette visite avec joie et empressement. (Lc 10, 38-42). Il en fut de même pour Elisabeth, qui accueillit Marie, en s’écriant : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi » (Lc 1, 43). Ce temps de préparation est un temps de rencontre dans un accueil réciproque qui s’opère entre Dieu et nous en son Fils notre Sauveur. Nous accueillons la visite de Dieu.

L'Avent signifie vraiment "La Venue" de la Lumière en nous, ainsi nous devons être prêts à accueillir le Don que Dieu veut déposer en nos cœurs.

 L’Avent est un temps d’accueil qui se traduit de façon visible : en initiatives, en gestes concrets, en temps donné, en attention personnelle, en rupture aussi avec certaines conventions. Jésus a fait de l'accueil un signe fort indissociablement lié à l'annonce de la bonne nouvelle pour tous.

L’accueil fait partie de la tradition biblique et s’ouvre à l’hospitalité. Nous avons l’exemple de l’accueil d’Abraham à Mambré. « Trois hommes étaient debout près de lui. Il courut à leur rencontre… et se prosterna » (Gn 18, 2-5). Tous les prophètes insistent sur l’importance de l’hospitalité : « N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? » (Is 58, 7).

Jésus dans les évangiles est celui qui fait de l’accueil et de l’hospitalité. «Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !», disent les scribes et les pharisiens au début du chap.15 de Luc. «Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les pécheurs et les publicains ?» L'hospitalité que pratique Jésus est un accueil sans discrimination des malades, bien-portants, prostituées et publicains, scribes et chefs de synagogues.

 Le prologue de Jean nous dit : «Il est venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas accueilli. Mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu.» (Jean 1, 11-12).

 Et Saint Paul invite souvent à l’hospitalité comme le Christ le ferait :  « Accueillez-vous donc les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis » (Rm 15, 7) ou selon la lettre aux Hébreux : « N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges » (Heb 13, 2).

 Vivre le temps de l’Avent avec des figures bibliques

Chers frères et sœurs, la liturgie de l’Avent nous fait entendre les annonces directes de la venue du Messie à travers les trois figures : d’Isaïe, Jean-Baptiste et Marie.

La figure d’Isaïe, par ses oracles, porte la voix de l’espérance d’un peuple qui a su attendre au long des siècles la réalisation des promesses de Dieu et la joie messianique. L’Avent n’a pas qu’une seule visée et le prophète Isaïe (Is 40, 1-5. 9-11) n’ouvre qu’une fenêtre, celle de l’attente eschatologique où de manière définitive « la gloire sera la demeure » de toutes les nations.

Isaïe (Isaïe 11, 1-10) nous fait aussi le portrait d’un nouveau type de société où la corruption et le mal ne sont pas tolérés ; une société où règne l’équité, la justice, la paix et la prospérité. Ceci n’est pas un rêve utopique, mais une réalité chrétienne saisie avec espoir. Nous prions pour cela chaque fois que nous disons dans la prière du Seigneur, « que ton règne vienne » (Mt 6, 10).

La figure de Jean-Baptiste nous fait entrer dans une attente plus actuelle. Une attente qui se nourrit de conversion, de changement intérieur comme mouvement d’accueil de Celui qui vient « Mt 3, 1-12). Jean Baptiste est présenté comme la figure du « petit » auquel il convient de ressembler pour être en mesure de reconnaître le passage du Christ. Il est aussi celui dont le désir est pur, vif et brûlant comme le désert qu’il traverse sans autre préoccupation que celle d’annoncer celui dont il pressent la présence et devant qui il s’efface. L’attente selon JeanBaptiste s’apparente à un travail sur soi, une ouverture à l’Esprit Saint, un élargissement du désir de la présence de Dieu.

La figure de Marie conjugue en elle l’espérance de tout Israël et l’attente du Messie. Elle s’offre pour donner corps à la promesse et s’efface aussitôt pour l’offrir au monde.

Dans l’évangile de St Luc, Jésus parle de ce qu’on peut appeler la béatitude de Marie : « Or comme il disait cela, une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : « Heureuse celle qui t’a porté et allaité ! » Mais lui, il dit : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent ! » (Lc 11, 27-28). L’attitude de Marie est de garder et de méditer la Parole de Dieu dans son cœur. (Cf. Luc 2, 19).

Le vrai bonheur, la vraie joie de Marie, c’est qu’elle écoute la Parole de Dieu et la garde, comme tous sont appelés à le faire. Elle vit en elle l’accomplissement de la promesse faite au peuple d’Israël et désormais à tous les peuples.

 La liturgie du temps de l’Avent exalte l’attitude de foi et d’humilité de Marie qui adhère totalement et avec empressement au plan de salut de Dieu. Elle met en évidence la présence de Marie dans les événements de grâce qui précédent la naissance du Sauveur.

II.            UNE IMPLICATION SPIRITUELLE ET PASTORALE

Chers frères et sœurs, voici une démarche pour le temps de l’Avent à vivre seul(e), en famille ou dans les mouvements, fraternités, et groupes de prière et au final comme communauté paroissiale. En d’autres termes, apprendre à s’offrir du temps pour soi avec Dieu au cœur de notre société.

Ecouter la Parole de Dieu

Comment se préparer à la venue du Fils de Dieu sans se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu ? Celui que nous attendons, c’est le Verbe, la Parole qui s’est faite chair. Pour vivre ce temps de l’Avent, l’attitude requise est celle  que le prophète Isaïe nous enseigne : « …Il éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j’écoute comme un disciple » (Is 50, 4).

Les textes bibliques annoncent la venue du Seigneur. Ils nous demandent d’être éveillés, d’engager tous nos sens et spécialement les sens intérieurs, afin que nous puissions voir ce que le Seigneur fait et comment il provoque l’accomplissement de ses promesses.

 Prier avec les préfaces et oraisons

L’aspect eschatologique des textes liturgiques de ce temps de l’Avent, oriente l’Église vers la venue glorieuse du Christ. C’est ce que nous retrouvons dans la première préface du temps de l’Avent : « Car il est déjà venu, en prenant la condition des hommes, pour accomplir l’éternel dessein de ton amour et nous ouvrir le chemin du salut, il viendra de nouveau revêtu de sa gloire, afin que nous possédions dans la pleine lumière les biens que tu nous as promis et que nous attendons en veillant dans la foi. » Et comme préparation immédiate à la fête de Noël, la deuxième préface du temps de l’Avent, nous introduit dans l’accomplissement des promesses divines: « Il est celui que tous les prophètes avaient chanté, celui que la Vierge attendait avec amour, celui dont Jean Baptiste a proclamé la venue et révélé la présence au milieu des hommes. C’est lui qui nous donne la joie d’entrer déjà dans le mystère de Noël, pour qu’il nous trouve, quand il reviendra, vigilants dans la prière et remplis d’allégresse. »

 Entrer dans l’Avent, c’est discerner plusieurs voix

 La réalité actuelle de notre pays est marquée par plusieurs voix. A l’approche des élections, chrétiens, musulmans et adeptes de la religion traditionnelle seront convoqués à être à l’écoute de plusieurs voix qui vont retentir. Mais d’une manière concrète, l’écoute de la Parole de Dieu, nous donnera la capacité de discerner entre les différentes voix, de savoir reconnaître celles qui apportent le bonheur, le bien-être, dans le choix des candidats, pour l’intérêt du peuple centrafricain.

Il y a toujours un moment de jugement et de décision. Nous ne pouvons rester neutres en présence du Christ. Il nous demande de choisir, et c’est pourquoi nous avons besoin de la grâce pour juger sagement les choses de la terre et de tenir fermement aux choses du ciel.

 Les voix et gestes sont à nos portes : sel, argent, tee-shirts sont distribués. Ils viendront chez nous avec des belles paroles et des promesses. N’oublions pas que nos choix sont déterminants pour des leaders qui porteront nos attentes. Alors pour nous ce temps qui est délicat, nous  sommes invités à nous tenir prêts, et être des veilleurs qui scrutent les signes des temps, pour ne pas nous faire piéger.

 Dans la lettre pastorale des Evêques de Centrafrique « FAIS SORTIR MON PEUPLE » du dimanche 6 septembre 2020, à l’occasion des élections couplées, le numéro 47 nous met en garde contre certaines attitudes négatives qui manqueraient au respect des autres : « La campagne électorale ne vous offre pas l’occasion d’insulter, ni de menacer vos adversaires politiques, ni de faire pression sur les instances de gouvernance électorale (ANE, Cour Constitutionnelle), ni de faire des promesses irréalisables. Nous encourageons les débats contradictoires pour permettre aux électeurs de mieux connaître vos programmes en vue de se décider en toute connaissance de cause ».

Appel pressant aux agents pastoraux à la vigilance

 Le temps de l’Avent sera mouvementé par les campagnes électorales de différents candidats, et certains d’entre eux seront tentés de se rapprocher de vous les agents pastoraux, sollicitant vos tribunes pour passer leurs messages. Dans le même esprit des évêques de Centrafrique, vous recommande ceci : « En invitant et en formant les fidèles à la conscience civique, nous vous recommandons de rester discrets sur vos choix et vos préférences politiques. –Evitez  que les lieux de culte ne deviennent des tribunes pour les campagnes électorales diffusant des messages politiques partisanes car « il est écrit : Ma maison sera appelée maison de prière » (Mt 21, 13) ; - Appeler les fidèles à être chrétiens dans leur vote » Cf. Dans la lettre pastorale des Evêques de Centrafrique « FAIS SORTIR MON PEUPLE » du dimanche 6 septembre 2020, à l’occasion des élections couplées, n° 67.

 Entrer dans l’Avent, c’est affronter le monde des ténèbres

Notre monde est caractérisé aussi par les ténèbres de la violence, de la haine, du tribalisme qui tentent d’en prendre le contrôle. Il n’est pas facile d’accueillir dans ces circonstances Jésus Lumière. Pourtant, c’est précisément au moment de grandes ténèbres qu’il nous faut de la lumière, car l’Avent nous prépare à accueillir la Lumière qui vient. C’est le chemin de conversion !

Temps de conversion

 Nous désirons que la Lumière rayonne! Mais pour cela, nous savons qu'il nous faut changer de vie. Face à la pandémie du covid-19, nous sommes invités à revoir notre manière de vivre, aidés par les recommandations de la diocésaine (mesures barrières obligatoires: port des masques, lavage des mains et distanciation physique). Ainsi, la Lumière cachée au fond de nous pourra jaillir  autour de nous! Sur le chemin de la conversion, la prière, l'écoute de la Parole de Dieu, l'accueil et la vie communautaire paroissiale peuvent nous aider.

Temps d'espérance

Nous croyons en un monde nouveau. Nous savons que cet avenir passe par l'homme: Le Tout Autre attend de nous que nous devenions des semeurs de lumière, de paix, de pardon, de joie, d'amour, de tendresse, à l'exemple de Jésus.

 Oui, nous l’espérons fortement, malgré les ténèbres sur la terre, la Lumière va rayonner sur le monde!

Chers frères et sœurs, l’Avent nous invite à choisir et à nous mettre en route sur une nouvelle voie, celle du Seigneur. Pour préparer Noël avec tout son cœur, nous vous proposons trois espaces : un espace biblique, c’est pour découvrir des graines de la Parole de Dieu ; un espace de méditation qui permet de nourrir la réflexion et la prière et un espace de témoignage, pour rendre plus visible les différents fruits de notre expérience de l’écoute de la Parole de Dieu.

 Le temps de l'Avent est un temps d'attente, de préparation, d'accueil, de méditation, de prière, de conversions et d'espérance...Temps d'attente qui dit notre confiance, notre  fidélité mais aussi notre désir de Dieu en nous et autour de nous.

 Dans l’Avent, Dieu nous donne le temps de nous renouveler et d’établir de nouveau les valeurs vraies et durables qui informent et gouvernent nos vies. (cf. Mt 24, 37- 44)

Marie, notre Mère et Notre Dame de l’Oubangui, prends-nous par la main, et montres-nous le chemin de la venue véritable de ton Fils.

 Donné à Bangui, le 29 novembre 2020, 1er  dimanche de l’Avent

S. Em Dieudonné Cardinal NZAPALAINGA, C.S.Sp

Archevêque Métropolitain de Bangui

mercredi 4 novembre 2020

La foule réfléchit-elle ? (par Pascal Djimoguinan)

             Il m’a été donné d’apprendre pendant le week-end un proverbe ngambaye qui en dit long sur la manière dont certains voudraient mener les affaires dans les plus hautes sphères de l’Etat. Notre réflexion portera sur les inférences possibles que l’on peut faire de ce proverbe : Bula ojə mbə́ : Le grand nombre produit l’idiot.

            Une première leçon à tirer est que ce n’est pas parce qu’on est les plus nombreux à partager une idée qu’elle est juste et vraie.

            Si le grand nombre menait à la vérité, les moutons auraient toujours raison.

            Le fait d’être dans une majorité quelconque n’interdit pas la réflexion. Or, il se trouve que sous nos yeux, il suffit qu’une personne soit dans une soi-disant majorité pour qu’elle démissionne de toute réflexion et se livre bras et pieds liés à la pensée d’autres.

            Elles sont nombreuses, les personnes qui laissent leur cerveau se scléroser et se laissent uniquement guider par les traditions, les pensées sur mesure, les gourous.

            Il est si difficile de penser par soi-même. C’est une entreprise tellement risquée que beaucoup ne s’y engagent pas. Pourquoi réfléchir si d’autres peuvent le faire à notre place. En fait c’est une attitude quasi suicidaire que de ne pas faire usage de sa faculté de penser.

            Celui qui refuse de penser par soi-même ne doit pas s’étonner lorsque les conséquences de sa démission commencent à tomber sur lui.

            Etre formateur, c’est enseigner aux autres de ne pas dépendre de nous mais à être capables de prendre des initiatives, à oser interroger l’avenir et à être vraiment libre. Il faut avoir le courage de ne jamais se présenter en gourou. Pour cela, il faut commencer par ne pas avoir un égo surdimensionné.

            Il est plus facile d’élever des moutons que de former des humains. A chacun de s’engager sur ce chemin de la formation humaine.

            La foule a souvent l’esprit grégaire, c’est pourquoi il faut toujours être capable d’autonomie, même quand on fait partie d’un groupe, même quand on est dans la majorité.

            Soyons humain. Bula ojə mbə́. 




lundi 2 novembre 2020

TCHAD : Forum National Inclusif, interrogations d’un candide naïf (par Pascal Djimoguinan)

            Qu’il me soit permis de me poser des questions, moi un pauvre citoyen naïf. Je sais que de grandes assises se tiennent pour l’avenir du pays mais je n’y comprends pas grand-chose. Je vais d’interrogation en interrogation sans que des éléments de réponses ne viennent me chatouiller l’esprit.

            Un forum national inclusif, le deuxième vient de se ternir à N’Djamena du 29 au 30 octobre (ajourné au 31). Il semble que bien de choses, très importantes pour le pays, ont été débattues, retenues, pour que notre pays aille mieux. Je ne savais pas que notre pays allait mal. A qui la faute, si notre pays ne va pas mieux ? Sans doute est-ce la faute au citoyen Lambda…

            Quand je regarde les dates, cela me rappelle que les échéances des élections présidentielles ne sont plus qu’à six mois. Naïvement, je me demande si à six mois des élections présidentielles, on peut décider des choses qui engagent la vie de la Nation, dont certaines touchent la Constitution du pays. Si notre pays est démocratique et que les élections sont censées être libres et ouvertes, a-t-on vraiment le droit d’agir ainsi ? Le président nouvellement élu ne serait pas capable d’un politique qui lui soit propre.

            Il parait que le drapeau national pose problème. Depuis l’indépendance, nous aurions porté ce problème et c’est maintenant que nous devrions y apporter une solution. Mais personnellement je ne vois pas où se trouve le problème (posez la question à la Roumanie et à Andorre, s’ils sont gênés d’avoir les mêmes couleurs que nous). Je me rappelle un certain Mobutu qui a changé le drapeau de son pays ; après lui, les anciennes couleurs sont revenues.

            Il parait qu’il n’y aura plus de liberté d’expression. Celui qui sera pris en flagrant délit de lèse-majesté, sera déchu de sa nationalité. Peut-être que l’Etat tchadien s’arrangera à lui trouver une autre nationalité car je ne sais pas les textes internationaux autorisent qu’un homme soit sans nationalité… La proscription est-elle permise par nos textes ?

            J’ai appris que les forums doivent revenir tous les deux ans. Je ne sais pas si tous les deux ans, on doit tripatouiller la Constitution du Tchad. Mais qu’est-ce qui nous prend, mes chers compatriotes ? Sommes-nous si instables que même les textes qui légifèrent notre pays ne peuvent tenir. Sommes-nous un Etat girouette, qui bouge au grès du vent ?

            Et pendant ce temps, qu’est-ce qui se passe dans le pays ? La paupérisation de la couche la plus vulnérable de la population s’accentue, l’éducation va à vau-l’eau, le népotisme prend une ampleur inégalée, la corruption est à son comble, l’électricité est un luxe, la tension entre les différentes communautés est exacerbée, la prévarication est érigée en vertu.

            Je ne suis qu’un naïf citoyen. Peut-être que d’autres ont des réponses très claires. Moi, je suis perdu dans tout cela. Que Dieu sauve le Tchad.




 

vendredi 16 octobre 2020

TCHAD : Proverbes mongo, des repères pour penser (par Pascal Djimoguinan)

             De nos jours, les proverbes africains ont mauvaise presse. Beaucoup s’imaginent que ces connaissances immémoriales inscrites dans des formes bien stylées sont des obstacles à la réflexion. D’autres s’imaginent que les proverbes sont les marques d’un temps révolu et qu’ils n’ont plus rien à nous dire aujourd’hui. Cependant faudrait-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? N’avons-nous plus rien à apprendre des proverbes. L’expérience du passé sert de point d’appui pour l’homme d’aujourd’hui pour se projeter vers l’avenir. Ceux qui savent écouter les proverbes d’autant sauront mieux interpréter les signes d’avenir que ceux qui s’y ferment. Nous reprenons ici quelques proverbes en mongo pour vous faire goûter leur saveur et la profondeur de la sagesse qui s’y trouve.

1- ɓətə̄ kə́ ɓi usə mṵnjə aĺ : Le singe qui dort ne mange pas le haricot.

            Celui qui ne fournit pas d’effort n’aura pas de quoi manger. Il faut travailler pour subvenir à ses besoins.

2- Kádé má̰ngá, dɔé bɔẃ : Les tiges sont à la berge et les épis sont chez les pêcheurs

            C’est le partage qui fait vivre la société. Si le cultivateur fait pousser le céréale, il a besoin de pêcheurs pour avoir le poisson pour sa sauce. Le pêcheur a également besoin du travail du cultivateur.

3- Nje wō̰nḡ ə aĺ : L’homme coléreux ne grossit pas.

            Dans la vie, il faut savoir mettre de l’eau dans son vin. Il faut quelquefois savoir faire des concessions et avoir le sens du compromis.

4- ɓə́y ɓə́y túgə̄ kāgə̄ ɓə̄ ɓə́y ɓə́y ijə múndə̄ aĺ : Qui remet à demain trouvera malheur en chemin.

            A force de remettre à plus tard ce qu’on peut faire aujourd’hui, on laisse passer les opportunités.

5- Nəl̄ taí-tə́ indəī ndə̰nḡ tə́ : Si tu trouves que c’est trop succulent, tu vas attraper l’indigestion.

            Il ne faut pas abuser de bonnes choses.

6- Man̄ ndi tósə̄ kárē kárē ɓá tə́l man̄ bā ulə. Goutte après goutte, l’eau de la pluie devient un torrent tumultueux.

            La persévérance et le travail permettent de réaliser les grands œuvres.

7- D-ídə̄m m-ō aĺ a̰y̰ə̰̄ man̄ y̰anā̰. Celui qui dit qu’il n’écoute pas les conseils finira en fugitif qui ne pourra se désaltérer que de l’eau recueillie sur les feuilles des arbres sauvages.

            Tout être humain a besoin des conseils de ses semblables, quelle que soit son intelligence.

8- Kədə̄ oō bole kuté ɓá usə né kɔn para : L’éléphant connaît l’épaisseur de son anus, aussi peut-il se nourrir d’épine.

            Avant de s’engager dans une entreprise, il faut s’assurer qu’on a assez de ressources pour la mener jusqu’au bout.

9- Yvəĺ kə́ ta ɓā əmə ta go̰y̰é tə́. L’oiseau bavard est gras au niveau de son postérieur (car il ne bouge pas)

            Il ne suffit pas de bavarder, il faut joindre les œuvres à la parole.

10- Kow̄ sā tə́ nāl̄ magə̄ aĺ. Celui qui va consulter les devins et marabouts finira par être possédé par les esprits.

              Qui cherche trouve

11- Mēkó̰ ləí tō kūlə síndə̄, ngōbɔbí tō pal. Ton frère du coté maternel est une rêne tandis que ton frère du côté paternel est un naja (serpent)

            Il y a plus de confiance et de solidarité entre les frères et cousins du côté maternel qu’entre ceux du côté paternel.

12- Naál ndje ndúɓə dāa uwə ndje kɔdə̄. Quand le projectile rate celui qui s’occupe du soufflet, il atteint celui qui forge.

            Il y a une solidarité entre les associés.

13- ɓal oō kulə̄ míndə̄ madé tə́ da kogə̄ né aĺ. Quand le bouc voit la corde au coup de son compère, il ne se moque pas de lui.

            Il ne faut pas se moquer des malheurs de ses semblables car chacun a son tour chez le coiffeur.

14- Ndɔ̄ ndām lə mbə́ dá kɔde mbutə dɔé tə́. Le jour de la danse de l’idiot, le tambour crève.

            Le malchanceux connaît toujours des déboires.

15- Né ɔdə man̄ ɓá man̄ lə́n̄g. Pour que l’eau clapote, il faut qu’elle soit touchée.

            Il n’y a jamais d’effets sans causes.

16- Pər oy dá d-úlə jī mbə́ tə́. Quand la torche est éteinte, on la remet à l’idiot.

            Quand une chose n’a plus de valeur, on la remet au miséreux.

17- Ó̰ mur̄ na̰ā̰ tə́ sə ngōn dáā a ndə̰y̰ḭ̄ kadə̄ ɔ̄wī tawa tə́ na̰ā̰ tə́. Si tu manges en compagnie d’un gamin, il te proposera que vous alliez ensemble aux toilettes.

            Dans toute relation, il faut savoir garder ses distances.

18- Kində kadə ɓole ɓá to koō ndi nō̰ kūnjə̄. C’est en tapotant le poulailler qu’on peut entendre les poulets

            La fortune sourit aux audacieux. Il faut savoir interroger la vie.

19- Mulə uwə kó̰ kūnjə́ lə nje ndoō. Le matou attrape la poule du pauvre.

            Le malheur ne s’abat que sur le pauvre.

20- Sḭ lə dow̄ kə boý ətə aĺ. Le pet de l’homme fort ne sent pas.

            La raison du plus fort est toujours la meilleure.




jeudi 8 octobre 2020

Un clin d’œil à la littérature africaine, Amos TUTUOLA (par Pascal Djimoguinan)

 

                       En souvenir de mes années du secondaire, je voudrais revisiter une page de la littérature africaine en relisant Amos Tutuola, un écrivain nigérian ( né le 20 juin 1920 et mort le 8 juin 1997). Je n’ai jamais cessé d’être impressionné par son ouvrage « The palmwine drinkard ». On y retrouve toute la spontanéité  et toute la vivacité de la narration africaine. La page que nous avons choisie de retranscrire n’a rien à envier au cycle de Merlin l’enchanteur.

            Je me rendis dans un village aux environs de cette huitième ville, où par bonheur je rencontrai un esprit-magicien en train de faire étalage de son pouvoir magique devant le principal chef du village. Je voulus entrer en compétition avec lui et montrer moi aussi de quoi j’étais capable aux chefs qui étaient rassemblés là. Je changeai le jour en nuit et tout devin aussitôt sombre ; je dis à mon rival de faire revenir le jour sous sa forme habituelle, mais il n’y parvint pas. Après cela, je le changeai en chien et il se mit à aboyer aux trousses de tous ces gens ; et, comme mon pouvoir s’avérait visiblement plus fort que le sien, le chef et tous les habitants offrirent à moi seul tous les cadeaux qui auraient dû être partagés entre nous deux. Je lui rendis ensuite sa forme usuelle d’esprit. Je fis un paquet de tous les cadeaux et, sans en offrir un seul à mon rival, je me remis en marche vers la huitième ville.

            A environ un mille du village, je vis venir cet esprit-magicien à ma rencontre. Il me demanda de partager les cadeaux avec lui, mais je refusai. Il se changea aussitôt en un serpent venimeux et chercha à me mordre, mais alors je fis appel à mon tour à mon pouvoir magique et, me transformant en un long bâton, je me mis à le frapper à coups répétés. Roué de coups et se sentant près à mourir, il fut bien forcé de quitter sa forme de serpent et se changea en un feu qui réduisit le bâton en cendres et commença à me brûler moi aussi. Sans hésiter, je me changeai en pluie et l’éteignis d’un seul coup. Mais il avait la rapidité prompte et il prit le dessus un fois de plus, se muant en un puits profond au fond duquel je me trouvai tout à coup à ma grande surprise. En un instant le puits fut rempli jusqu’au bord. Je compris qu’il voulait remettre le couvercle et me laisser mourir prisonnier dans le puis, aussi je pris la forme d’un poisson et remontant à la surface, je m’apprêtais à bondir hors de l’eau. Au même moment, il se changea en crocodile et, sautant dans l’eau, se mit en devoir de me dévorer. Mais avant qu’il ait pu m’atteindre, j’étais devenu un oiseau, et transformant tout le tas des cadeaux en une seule pomme de palmier, je saisis celle-ci dans mon bec en m’envolant tout droit vers la huitième ville. Sans plus attendre, mon rival prit la forme d’un grand faucon et s’élança à ma poursuite.

(Un ivrogne dans la brousse, trad. de Raymond Queneau, Editions Gallimard, Paris)

 

 



vendredi 18 septembre 2020

Tchad : Sou et le placenta [CONTE Mongo] (par Pascal Djimoguinan)

 Ndɔ̄ kárē ɓe dá, dené kárē ojə ngōn̄ tɔ, kɔy tɔ. Ngōn̄ lé oy dá, kɔy lé ɓa na̰y̰. I dené lé ún kɔy lé ōté ɔ̄w̄ siē ɓēé ngāā na̰. Ndɔ̄ kárē dá, ī dené lé ɔ́tə̄ ōwū walé ngaā īndə̄ kɔy lé ɓa ta yībə tə́ ləí. Su rē ingə koy lé, dəjé ne kadə̄ n-ádə̄ ne yībə̄ lé na̰y̰ə̄ səyē aĺ wa. Ī kɔy lé āl ísə̄ gidə sú tə́ lé. Sú a̰y̰ə yībə̄ lé asé ngaā dá, idə kɔy lé pane : úr nang ngaā ne m’ísə m-ɔ̄w kété. Kɔy le mbātə́ kur nang. Ī sú ī tə́l á̰á sə kɔy lé gidi tə́ tánāá sə mbu lə bɔɔ̄ nasə bíń, mbíng adə̄ kó̰ kɔy lé reē uwé. ɓay giné ɓay dɔé.

 

Sou et le placenta :

Il était une fois, une femme qui accoucha d’un bébé et du placenta. Le bébé mourut mais le placenta survécu. Toi la femme-là tu l’amènes chez toi. Un jour, toi la femme-là, tu partis en brousse en laissant le placenta ventre ta boisson. Sou vint trouver le placenta et lui demanda et qu’il lui donne la boisson afin qu’il boive un peu avec lui. Toi le placenta, tu enfourches Sou. Sou but à satiété et alors dit au placenta : « descends maintenant car je dois continuer ma route. Le placenta refusa de descendre. Toi Sou, tu es obligé de rester avec le placenta, accroché à toi comme la sacoche de l’antilope-cheval jusqu’à ce que la mère du placenta revienne. C’est le commencement et la fin du conte.