lundi 30 juin 2014

Lettre des évêques de Centrafrique

Par les temps qui courent, la moindre information sur la Centrafrique est intéressante. Nous reproduisons ici la lettre des évêques de la Centrafrique aux hommes et aux femmes de bonne volonté.


 


 MESSAGE DES EVEQUES AUX CHRETIENS, AUX HOMMES ET AUX FEMMES


DE BONNE VOLONTE


« Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21, 1).


Le livre de l’Apocalypse en tant que littérature de crise et des opprimés, interprète les évènements de notre monde à la lumière de la présence active et transformatrice de Dieu dans l’histoire. Il annonce la victoire du Christ sur les puissances du mal et les forces démoniaques. Cette victoire permet d’avoir un regard lucide sur le passé, le présent et de percevoir la réalisation d’un futur merveilleux. Ainsi donc, saint Jean se projette avec optimisme et annonce le renouvellement de toute chose : « Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21,1). L’ordre nouveau trouve sa pleine réalisation dans « la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle » (Ap 21, 2). Cet ordre nouveau est établi par le Dieu de la vie qui essuiera toute larme de ceux et celles qu’il a adoptés en son Fils Jésus Christ comme ses propres enfants.


A la manière de ceux qui ont fait l’expérience de cette grande sollicitude de Dieu, le peuple centrafricain ne peut pas fuir devant son histoire douloureuse, ni opter pour le status quo. En dépit des nombreuses tribulations auxquelles il a été soumis lors de cette crise militaro-politique qui affecte le pays depuis plus d’un an, le peuple peut encore espérer en la victoire finale du projet de Dieu et l’anéantissement de toute oppression. Cette espérance eschatologique nous engage au service de la paix par la conversion de notre regard et de notre coeur. Au nom de notre foi qui fait de nous des enfants de Dieu dans l’Eglise et des citoyens de notre nation, chacun a le devoir de relever le défi de construire une Centrafrique nouvelle, plus digne, plus unie et plus prospère. Que faisons-nous donc à cet effet ?


Nous, Pasteurs de l’Eglise de Dieu en Centrafrique, sommes réunis l’année dernière en Assemblée Plénière dans le contexte de la crise militaro-politique que traverse notre pays depuis le déclenchement de la rébellion initiée par l’ex-coalition seleka le 10 décembre 2012. Nous avons dénoncé les méfaits dévastateurs de cette crise dans le double message que nous avons adressé au Président de la transition1 et au Peuple centrafricain2. L’ampleur de la crise a


1 Conférence des Evêques de Centrafrique, Message des Evêques de Centrafrique au Chef de l’Etat, CECA, 20 juin 2013. 2


 


2 Conférence des Evêques de Centrafrique, Message des Evêques de Centrafrique aux chrétiens et aux hommes de bonne volonté : Rendons compte de notre foi (1 P 3, 15), CECA, 23 juin 2013.


été phénoménale et ses conséquences énormes. Elle n’a épargné aucun aspect de la Nation au point que le constat était celui du « jamais vu… ». Un an plus tard, où en sommes-nous ? Que sont devenues les différentes propositions de sortie de crise ?


I. SITUATION PRESENTE


 


Une certaine évolution a été constatée par rapport à la situation politico-militaire en République centrafricaine.


1. Un nouveau départ


 


Le laxisme manifesté par le président de transition et son gouvernement, les odieuses exactions commises par l’ex-coalition seleka et les nombreuses violations des droits de l’homme ont induit la montée en puissance des anti-balaka, improprement présentés comme milice chrétienne par de nombreux medias étrangers. Le pays est tombé dans une spirale de violences, de représailles et de contre-représailles. C’est la loi de la jungle où le plus fort s’impose par les armes. L’incapacité affichée par les responsables de la transition à gérer la crise a conduit la communauté internationale à les contraindre à la démission entérinée lors du sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) sur la crise centrafricaine tenu le 9 janvier 2014 à N’Djamena. Madame Catherine Samba Panza a été alors élue par les membres du Conseil National de Transition (CNT) pour présider au destin du pays et mener à terme la transition. Une nouvelle page s’est tournée dans cette lugubre histoire où l’avenir du peuple centrafricain s’écrivait dans le sang innocent de ses enfants. Les Centrafricaines et les Centrafricains se sont mis à espérer une prise en compte intégrale de cette crise en vue de sa résolution pacifique et harmonieuse. Malheureusement l’espoir tarde à se matérialiser au profit de cette population en très grandes souffrances.


2. La mobilisation de la communauté internationale


 


La mobilisation en faveur de la résolution de la crise a gagné en ampleur. Les résolutions 2121, 2127 et 2149 du Conseil de Sécurité des Nations Unies ont respectivement transformé la Force multinationale de l’Afrique centrale (FOMAC) en Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), permis le déploiement des forces françaises de l’Opération Sangaris en appui à la MISCA et le passage du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA) à la Mission intégrée multidimensionnelle des Nations Unies pour la stabilité en République centrafricaine (MINUSCA). Nous saluons l’engagement de l’Union Européenne (UE) à travers le déploiement de l’Eufor-RCA aux côtés du peuple centrafricain meurtri par une crise qui n’a cessé de faire des victimes innocentes. L’implication de cette force européenne pour la sécurisation de l’aéroport Bangui-M’Poko et les quartiers de Bangui s’inscrit dans une dynamique de pacification nécessaire à la cohésion sociale et au vivre ensemble. Par ailleurs nous constatons avec bonheur le retour des humanitaires et leur redéploiement à l’intérieur du pays. Cette présence contribue à la mise en confiance de la population abandonnée à elle-même. Toutefois nous condamnons avec fermeté les exactions et les crimes à l’égard du personnel humanitaire.


II. DEFIS A LA RELEVE ET A LA RECONSTRUCTION DE LA NATION


 


L’aspiration au bonheur, à la paix et à la cohésion sociale soutient la population centrafricaine dans la pire des crises de son histoire. Néanmoins, en dépit des efforts fournis par les différents protagonistes, force est malheureusement de constater que le parcours reste jonché d’obstacles. Ces défis couvrent un large spectre.


1. Insécurité


 


Les tueries de masse ont certes diminué à Bangui, mais la République centrafricaine est loin de retrouver sa quiétude d’antan. L’insécurité a encore droit de cité. La loi appartient aux détenteurs illégaux d’armes et aux groupes armés, en l’occurrence les ex-seleka, les anti-balaka, des groupes autonomes des auto-défenses, des archers de la commune d’élevage, Ourou-Djafoun de Bambari et l’armée de résistance du Seigneur (LRA). Le pays ressemble à une grande prison à ciel ouvert. Telle est la douloureuse expérience des entrepreneuses populations de Kouango, Bakala, Grimari, Bambari, Kabo, Batangafo, Kaga Bandoro, Ndélé, Kembè, Abba, Bohong, Boda… qui ne peuvent plus vaquer librement à leurs occupations champêtres. En effet elles sont prises à partie par les peulhs, les mbarara, les archers, les seleka, les anti-balaka ainsi que des LRA qui écument la campagne en semant la mort. De manière générale, les Centrafricaines et les Centrafricains se sentent traqués comme des bêtes de somme. Ces violences insensées ne sont pas l’apanage d’une seule communauté ou d’un seul groupe. Tuer, incendier des maisons voire des villages entiers, traquer des gens en brousse deviennent désormais des actes anodins et sans poursuite judiciaire. La vie humaine ne semble plus avoir de prix.


2. Impunité


 


Face à la recrudescence des actes abominables et criminels, la déliquescence de l’Etat consacre un régime fondé sur l’impunité et compromet la garantie des droits fondamentaux inhérents à chaque citoyen. Il n’est donc pas étonnant que chacun veut prendre la loi entre ses mains et se faire justice. Comment se fait-il que des groupes armés illégaux (anti-balaka et ex-seleka) orchestrent en toute impunité des parodies de justice en vue de vouer à une mort infâme de paisibles citoyens sous prétexte qu’ils sont des sorciers ou à cause de leur supposée affiliation soit aux anti-balaka soit aux ex-seleka ? Comment rendre compte du fait que des brigands, des criminels et des bandits de grand chemin qui ont le sang du peuple centrafricain sur la main, de surcroît connus et identifiés, jouissent toujours de leur liberté de nuisance sans être inquiétés ?


3. Menaces visant le personnel pastoral


 


En dehors des actes de vandalisme perpétrés contre les institutions ecclésiales et de profanation à l’endroit de nos églises, nous condamnons avec la plus grande fermeté les innombrables attaques orientées contre le personnel pastoral. Il s’agit notamment des menaces physiques contre les prêtres de Ndélé, de Mala et de Bozoum, la tentative d’enlèvement du curé de Kèmbè, l’enlèvement, la séquestration, les tortures et la tentative d’assassinat de l’évêque de Bossangoa en compagnie de trois de ses prêtres, l’abominable et cruel assassinat de l’abbé Christ Forman WILIBONA du diocèse de Bossangoa, la torture psychologique imposée aux prêtres et aux religieuses de Dékoa. Les paroisses de Bokaranga et de Ngaoundaye ont été directement attaquées, mitraillées et pillées. Les Pères et les soeurs ont dû fuir la mission sous des menaces pour dormir quelques jours en brousse. Le récent massacre lâche et insensé perpétré contre les déplacés du site de la paroisse Notre Dame de Fatima, durant lequel l’abbé Paul-Emile NZALE a été abattu, prolonge ainsi la longue liste des victimes de cette folie meurtrière. A ces faits s’ajoutent des crimes odieux perpétrés contre les pasteurs de l’Association des Eglises Evangéliques en Centrafrique.


4. Institutions de l’Etat en panne


 


Les anomalies et les dysfonctionnements susmentionnés révèlent au grand jour les limites d’un Etat en panne et dont les institutions tournent au ralenti.


a. Précarité et insécurité alimentaire


 


Le quotidien du peuple centrafricain est devenu précaire. L’on se demande de quoi le lendemain sera fait. Beaucoup de concitoyens ont perdu non seulement leurs biens, mais aussi leurs moyens de subsistance. Leurs maisons ont été saccagées. Ils sont contraints à l’errance, vivant pour certains en brousse comme des animaux ou encore dans des camps de fortune. En dépit d’une certaine amélioration, la situation reste préoccupante. Le mouvement des populations indique 542.400 personnes déplacées internes (PDI) en RCA dont 117.400 sur 43 sites à Bangui, 101.731 réfugiés centrafricains au Cameroun depuis décembre 2013 et 2.5 millions de personnes ayant besoin d’une assistance3. Cette situation de nomadisme liée à l’insécurité dans l’arrière-pays empêche la reprise effective des activités champêtres et fait planer un risque grandissant d’insécurité alimentaire.


3 OCHA, République centrafricaine (RCA) : Rapport de situation N° 30, Bangui, juin 2014 sur www.unocha.org


b. Risque d’une éducation de luxe pour certains privilégiés


 


Le droit à l’éducation est fondamental. Nous encourageons donc les initiatives et saluons les efforts déployés par le ministère de l’éducation nationale et les partenaires associés en vue d’assurer aux enfants une scolarité normale. Néanmoins force est de constater qu’une large portion du territoire national échappe totalement au contrôle de l’Etat et par conséquent le programme élaboré par le ministère de tutelle ne touche qu’une infime partie des élèves. L’éducation risque de devenir, dans de telles circonstances, un luxe réservé uniquement à certains privilégiés. Que faisons-nous de la majorité des enfants qui n’ont accès ni à l’école, ni à un enseignant, et qui sont par ailleurs privés de toute condition adéquate d’apprentissage et d’instruction ? L’avenir d’une nation se construit sur la formation intellectuelle et socioprofessionnelle de ses enfants. Quel choix faisons-nous donc pour la République centrafricaine alors que les autres nations se donnent les moyens humains pour leur développement socioéconomique ?


 


c. Précarité sanitaire


 


L’impact de cette crise militaro-politique continue à se faire sentir sur la santé de la population centrafricaine. L’accès aux soins de santé est rendu particulièrement difficile à cause de la mobilité incessante des populations et la grandissante insécurité qui les a contraintes à trouver refuge en brousse. Soumis aux intempéries, à l’insalubrité, au manque de soins de santé, beaucoup de nos frères et soeurs meurent dans l’indifférence complète. L’avenir de notre pays ne se construira pas sur la tombe des innocents.


d. Economie exsangue


 


La sécurisation du corridor Bangui-Garamboulaye dans l’ouest a permis l’approvisionnement du pays à partir du Cameroun. Mais des régions entières de l’est et du nord-est demeurent coupées du pays. La circulation des personnes et des biens reste compromise à cause des bandes armées. Cette reprise d’activités économiques a favorisé une petite rentrée de recettes. Toutefois l’essentiel des taxes échappe encore aux régies financières de l’Etat et profite aux groupes armés ex-seleka et anti-balaka. Les prix ont flambé sur nos marchés et le panier de la ménagère s’en ressent durement. Pour son fonctionnement et la mise en place de son projet de développement, de reconstruction et de relance de l’économie, l’Etat dépend de la solidarité internationale. Beaucoup de promesses lui ont été faites, mais les dons tardent à se concrétiser.


e. Exploitation illégale des ressources minières et forestières


 


Nous déplorions la mise à sac de nos ressources minières et l’exploitation illégale de nos forêts. Le braconnage fut légitimé en compensation de l’effort de guerre. Par ailleurs les chefs de guerre se sont répartis les zones minières que chacun exploite à son avantage et dans l’intérêt de la cause partisane qu’ils défendent. Les ressources minières illégalement exploitées servent ainsi au financement de la rébellion et à la déstabilisation du pays.


f. Partition du pays en deux


 


Certains membres de l’ex-coalition seleka ont annoncé publiquement la partition du pays. La tenue de la convention par les ex-seleka à Ndélé et la mise en place d’un état-major ont laissé les Centrafricains pantois. Peut-on avoir deux états-majors dans un même pays ? Que se cache derrière cette décision ? Pourquoi les gendarmes déployés à Bambari ne sont pas acceptés ? Barthélémy BOGANDA a laissé un pays uni. Nous pensons que la solution à notre problème passera par l’acceptation de l’autre. Dans l’unité, nous découvrirons la richesse de nos différences. Aux chrétiens, nous rappelons la parole du Christ : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi afin que le monde croit que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21).


III. POUR UNE SORTIE DE CRISE


 


Les défis sont certes réels, mais la sortie de crise reste à la portée du peuple centrafricain avec l’appui de la communauté internationale.


1. Désarmement


 


Face aux nombreuses exactions commises sur les populations civiles et la capacité de nuisance des groupes armés ex-seleka, anti-balaka et LRA, quelle application faisons-nous des différentes résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui déterminent le cadre juridique de l’intervention des forces internationales en Centrafrique ? Le désarmement n’est pas négociable. Il rentre dans l’application de ces résolutions. Nous en demandons donc la stricte observation et condamnons les différentes interprétations qui nous éloignent de l’esprit des résolutions et les rendent par conséquent inefficaces. Toutefois, avant la mise en place d’un programme rigoureux de Désarmement Démobilisation Réinsertion et Rapatriement des mercenaires (DDRR) au profit des combattants de la seleka et des anti-balaka, il est urgent de procéder sans complaisance au désarmement de toute personne en possession illégale d’armes de guerre. Les groupes incontrôlés de la seleka et des anti-balaka doivent être neutralisés ; il en va de même pour les archers et les groupes d’auto-défenses autonomes. En effet, le désarment constitue une clé majeure dans la désescalade des tensions et dans le processus de résolution de la crise. Frères et soeurs, il est de notre devoir de soutenir les efforts qui sont déployés en ce sens et d’être des acteurs de paix en désarmant non seulement nos mains, mais surtout nos esprits et nos coeurs.


2. Réhabilitation des forces armées centrafricaines (FACA)


 


Que dire de cette situation ubuesque où la sécurité et la protection des citoyens sont laissées à la merci des groupes armés (ex-seleka, anti-balaka et LRA) qui sont supposés faire l’objet d’un désarmement sans condition ? Alors que certains établissent des structures militaires parallèles (états-majors des armées, de la gendarmerie et de la police), empêchent les gendarmes et les policiers en poste dans les régions sous leur contrôle à assurer leur mission de sécurité et occupent indûment les administrations, il se pose un véritable problème quant à la souveraineté de notre pays qui manque d’armée. Jusqu’à quand allons-nous reposer le destin de tout un peuple entre les mains des forces étrangères ? Partout ailleurs pour de pareilles missions de paix, les forces internationales viennent en appui aux forces nationales. Pourquoi serait-il différent en ce qui concerne la Centrafrique ? Loin de suivre des fossoyeurs de la nation, animés par des intérêts égoïstes et sordides, il conviendrait de procéder promptement à la juste Réforme du secteur de sécurité (RSS), au Désarmement, Démobilisation, Réinsertion des combattants centrafricains et Rapatriement des mercenaires (DDRR) et enfin de ne ménager aucun effort pour réhabiliter, dans les plus brefs délais, les Forces armées centrafricaines (FACA) et les doter de moyens adéquats pour leur mission.


3. Rétablissement de l’autorité de l’Etat


 


Le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’étendue du territoire se fera nécessairement par le redéploiement de l’administration et par la lutte effrénée contre l’impunité. En effet pour des raisons flagrantes d’insécurité, beaucoup d’endroits sont aujourd’hui abandonnés à la merci des groupes armés qui font la loi à leur guise et convenance.


4. Cohésion sociale


 


La crise qui mine la Centrafrique, depuis plus d’un an, est un phénomène complexe dont les causes sont multiples et très profondes. Or pour des raisons inavouées, un subtil déplacement sémantique a été opéré du terrain militaro-politique au religieux. Instrumentaliser l’antagonisme religieux semble davantage porteur de l’exacerbation de la haine et des tensions intercommunautaires. Conscients de ce grand danger, les responsables religieux se sont mobilisés pour dénoncer une telle manipulation qui continue à faire des victimes innocentes. L’initiative de la plateforme s’inscrit dans cette perspective. Ce n’est que par notre engagement pour la cohésion sociale que nous triompherons de cette crise. Il est de notre devoir de consolider les acquis du vivre-ensemble dans le respect mutuel et la vérité. Nous en appelons aux hommes et femmes de bonne volonté, épris de cohésion sociale, à s’impliquer davantage dans les initiatives prises par la plateforme interreligieuse en faveur du vivre-ensemble.


5. Dialogue


 


Traditionnellement l’arbre à palabre était une institution qui servait de régulateur social et permettait à nos ancêtres de régler leurs différends. La communauté se retrouvait dans le seul souci de sauver la cohésion sociale en faisant la vérité sur les blessures. Dans cette perspective, le dialogue est donc un exercice exigeant qui met l’accent sur la parole, demande l’art de l’écoute et de la remise en question. Il convient que chacun se demande aujourd’hui : pourquoi les nombreux débats et dialogues politiques et sociaux organisés au niveau national peinent à produire les résultats escomptés ? Tout n’est pas dans le verbiage qu’on débite, mais davantage dans le coeur. Se parler en vérité sans faire de petits calculs, tel est ce à quoi chacun est exhorté en conscience.


6. Paix


 


La paix est le premier don que le Ressuscité a fait à ses disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix (Jn 14, 27a) ». En tant que croyants, nous en sommes les porteurs et les témoins dans le monde et auprès de nos frères et soeurs. La paix véritable est davantage une thérapie qui nous guérit de nos blessures, de la haine et de l’esprit de vengeance qui nous enferment et nous tiennent prisonniers. Dans les malheurs qui accablent notre peuple, continuons ensemble à promouvoir la culture de la paix dans la justice et la vérité : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5,9) ».


7. Pardon et réconciliation par la justice et la réparation (Africae Munus 155)


 


Le pardon manifeste la miséricorde et la magnanimité de Dieu à l’égard des pécheurs que nous sommes. S’ouvrir à l’amour de Dieu qui nous réconcilie avec nous-mêmes et avec nos frères et soeurs est la voie royale pour nous réaliser pleinement à l’image et à la ressemblance de notre Père céleste qui nous fait marcher dans sa lumière. Le pardon libère des ressentiments, de la haine et de la vengeance qui mènent à la mort. Dans le contexte de la crise et de la méfiance qui nous affectent aujourd’hui, pardonner c’est se donner la chance de regarder l’avenir avec optimisme. Ce processus trouvera un terreau fertile dans le cadre d’une justice transitionnelle qui permettra aux victimes et à leurs bourreaux d’engager dans la vérité les démarches en vue de la réconciliation et de créer par conséquent des espaces pour la cohésion sociale.


Certes, les blessures saignent encore, les souvenirs de ce que nous avons endurés sont encore frais. Mais, il faut oser s’ouvrir à l’action de l’Esprit Saint qui est capable de nouer les relations brisées. Car, comme le témoigne le Saint Père, le Pape François, dans son Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium au numéro 178 : « L’Esprit Saint possède une imagination infinie, précisément de l’Esprit divin, qui sait dénouer les noeuds même les plus complexes et les plus inextricables de l’histoire humaine ».


IV. CONFIANCE, TEMOIGNONS AUJOURD’HUI DE L’AMOUR DE DIEU


 


L’Evangile fait de nous les témoins et les hérauts de la Bonne Nouvelle. La Bonne Nouvelle alimente notre espérance. Mais la construction d’une Centrafrique nouvelle ne se fera pas sans nous. Nous sommes appelés à devenir « le sel de la terre et la lumière du monde » (Mt 5,13a.14a). Aussi sommes-nous des facteurs de transformation au sein de notre Eglise et de notre pays. Nous avons donc un rôle actif à jouer auprès de nos frères et soeurs pour la consolidation de la paix et la cohésion sociale. Déjà, au plus fort de la crise, nous avons su témoigner de notre attachement au Christ et à l’homme. Dans la détresse et le désespoir, alors que Dieu semblait absent, une plus grande piété paradoxalement a vu le jour chez nombre d’entre nous. Nous nous sommes davantage tournés vers la prière et la confiance au seigneur. Lorsque les villages brulaient et que les coups de feu mettaient sur le chemin de l’exil des milliers de nos frères et soeurs, nous avions été encore très nombreux à offrir notre hospitalité, partageant ainsi notre pauvreté avec ceux qui n’avaient plus rien. Nous nous sommes protégés les uns les autres sans prendre en considération la région, l’ethnie et la religion.


Témoigner de l’amour de Dieu aujourd’hui en ce temps de crise et de tensions intercommunautaires, c’est porter le message de tolérance, de réconciliation, du dialogue dans le respect mutuel, la vérité et la justice (cf. Africae Munus 163). Nous manifesterons la maturité de notre foi et notre sens de responsabilité chrétienne en devenant les garants de nos frères et sœurs  et en créant, au niveau de nos régions, villes et communautés, des organes permanents de dialogue intercommunautaire à l’exemple de la plateforme interreligieuse. Ceci exige de la part de tout un chacun une grande disponibilité à l’écoute de la Parole de Dieu en vue de se laisser transformer par celle-ci. C’est une démarche de foi que nous nous proposons pour la sortie de crise.


Chers frères et soeurs, c’est encore possible de nous en sortir. Nous ne sommes pas seuls. Le Christ ressuscité et glorieux, source profonde de notre espérance est toujours avec nous. Jamais son aide ne nous manquera. Avec le Pape François, nous croyons ceci : « Là où tout semble être mort, de partout, les germes de la résurrection réapparaissent… Il est vrai que souvent Dieu semble ne pas exister : nous constatons que l’injustice, la méchanceté, l’indifférence et la cruauté ne diminuent pas. Pourtant, il est aussi certain que dans l’obscurité commence toujours à germer quelques chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit »4.


4 Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, n° 276.


« Esprit Saint, fais de nous des artisans de paix.


La paix qui est amour et justice, vérité et dignité, respect et unité.


Que cette paix soit dans notre coeur, dans nos paroles et dans nos actions ».


Fait à la CECA, le 28 juin 2014


S. E. Mgr Dieudonné NZAPALAINGA Cssp


Archevêque Métropolitain de Bangui


Président de la Conférence Episcopale Centrafricaine


S. E. Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA SMA


Evêque de Bossangoa


Vice-Président de la Conférence Episcopale Centrafricaine


S. E. Mgr Perin GUERRINO Mccj


Evêque de M’Baïki


S. E. Mgr Edouard MATHOS


Evêque de Bambari


S. E. Mgr Albert VANBUEL


Evêque de Kaga-Bandoro


S. E. Mgr Juan José AGUIRRE MUNOZ, Mccj


Evêque de Bangassou


S. E. Mgr Armando GIANNI Ofm


Evêque de Bouar


S. E. Mgr Cyr Nestor YAPAUPA


Evêque d’Alindao


S. E. Mgr Dennis Kofi AGBENYADZI SMA


Evêque de Berbérati


Mgr Thaddeus KUSY


Evêque coadjuteur nommé de Kaga-Bandoro

vendredi 27 juin 2014

Villes du Tchad, royaumes des chèvres (par Pascal Djimoguinan)



            Au Tchad, les villes ont connu un essor tellement rapide qu’elles oscillent entre la ruralité et l’état de villes modernes. Cela ne va pas sans contradictions, quelquefois assez cocasses d’ailleurs. Il faut cependant, peut-être garder la bonne humeur et tirer parti de ces paysages bucoliques que cela présente.
            Dans toutes les villes du Tchad, les habitudes des villages sont restées avec une ténacité à toute épreuve. Aussi dès que la saison des pluies approche, on voit partout, dans les concessions et tout autour, pousser des champs de maïs et des buttes de patates. Si cela permet à la ménagère de compléter son panier, cela amène les municipalités à s’arracher les cheveux. En effet, les tiges de maïs dans une univers urbain peuvent présenter un danger public parce qu’elles réduisent la visibilité des chauffeurs et des motocyclistes en même temps qu’elles fournissent aux malfrats des lieux privilégiés pour les guet-apens. Malgré les interdictions répétées, année après année, les citadins continuent de planter ; sans doute le fibre de paysans veut bien se montrer et la fierté consiste à inviter des amis partager le maïs les patates ou les légumes que l’on a planté soi-même.
            Il y a une autre habitude villageoise qui perdure dans les villes du Tchad et qui vient s’opposer à la vibre d’agriculteurs des citadins. C’est l’élevage des chèvres et des moutons. Il est courant de voir un peu partout mais plus particulièrement sur les routes, des chèvres se promener. Elles sont laissées errer en toute liberté, cherchant leur nourriture là où elle se trouve.
            Ce chèvres, pendant la saison des pluies, n’hésitent pas à entrer dans les champs de fortune que les citadins essaient d’entretenir. Beaucoup de litiges naissent donc de la gestion des caprins et de l’entretien des champs en pleine ville. Cela provoque quelquefois des bagarres et finit dans les arrondissements et dans les commissariats.
            Un conseil, toujours donné, jamais suivi est d’attacher les chèvres pendant la saison des pluies pour éviter qu’elles ne détruisent les champs. Principe connu de tous mais jamais mis en pratique. Les plus scrupuleux commencent par attacher leurs animaux au début de la saison des pluies mais deux ou trois semaines plus tard, las des soins que cela demande, laissent les animaux reprendre leur liberté.
            Il faudra que petit à petit, les citadins découvrent l’avantage qu’il y aurait à avoir une ferme en dehors de la ville. Cela permettrait d’avoir des champs et de faire de l’élevage sans que cela ne nuise au développement des villes qui respecteront les règles de l’urbanité et de l’urbanisme moderne.



jeudi 26 juin 2014

Tchad : fonds d'entretien routier (par Pascal Djimoguinan)



            Comme dans beaucoup de domaines, le Tchad est en train de connaître un développement extraordinaire de ses réseaux routiers. Avec le bitumage des voies principales, le trafic connait un grand essor. Il est aujourd’hui plus facile, en tout temps de partir de N’Djamena pour arriver quelques heures à peine après à Mongo, Abéché, ou Bongor, Moundou Doba, Sarh. Cela était une pure utopie il y a à peine 10 ans. Les souvenirs s’estompent vite et on ne retient plus que les imperfections résiduelles dans le réseau routier.
            Si ce développement du réseau routier est extraordinaire, il reste encore à l’étendre jusqu’à certaines villes qui pourraient être les greniers du Tchad. En ce sens, c’est avec beaucoup d’impatience que sont attendues les extensions vers Kyabé, Am-Timan, Maro… Les travaux sont déjà en marche pour l’extension vers Kyabé et maintenant, on n’a plus besoin de bac d’Helibongo ; un pont tout neuf permet de passer de Sarh vers Kyabé.
            Nous osons croire que tout le travail est fait avec un grand sérieux, quand nous voyons qu’à peu près à tous les 100kms, il y a un poste de péage routier pour récolter des fonds nécessaires à l’entretien des routes. Il n’y a rien à dire à cela si cela permet effectivement à entretenir les routes. Nous attendons que les différents journalistes d’investigation du paysage médiatique tchadien puissent nous informer de l’usage des fonds ainsi récoltés.
            Il faut aussi savoir que tout le réseau routier constitue une vitrine du Tchad et est fréquenté par une multitude d’expatriés qui garderont sans doute de cela l’image du Tchad. Ainsi, il faut mettre du sérieux, même dans les détails.
            Une anecdote qui pourrait être un grain de sable dans la machine bien huilée. A l’entrée de Sarh, plus précisément à Manda, un nouveau poste de péage routier est en train d’être mis en place. Les tableaux sont déjà prêts depuis plusieurs mois. On peut y lire « FONS D’ENTRETIEN ROUTIER ». Tous les passants lisent depuis des lustres cette annonce qui n’a pas de sens en français. Ce n’est qu’une coquille, me diriez-vous ; tout le monde comprendra qu’il s’agit de « fonds d’entretien » et non de « fons d’entretien ». D’accord mais le mal est fait. Cela peut faire rire bien de personnes de passage et sans doute c’est ce qui sera retenu du Tchad. Comment un travail fait avec sérieux peut laisser passer de telles négligences si longtemps. Une telle légèreté peut-elle être admise à ce niveau? Nous espérons que cette négligence ne se retrouve pas dans tous les travaux de bitumage et d’entretien de la route.


vendredi 20 juin 2014

20 juin, journée mondiale des réfugiés (par Pascal Djimoguinan)



            Chaque année, le nombre de réfugiés dans le monde ne fait que monter. A la fin de l’année 2013, leur nombre a augmenté de 1 million cinq cent mille (16,7 millions en 2013). On parlait de l’Afghanistan, de la Syrie et de la Somalie. Le chiffre de 2014 sera sidérant car se sont ajoutés les conflits du Mali, de la République centrafricaine. L’Afrique pour une fois n’est pas avare dans les chiffres et se trouve dans le peloton de tête en nombre de réfugiés et de déplacés. Le palmarès revient à la Somalie, suivie par le Soudan et la République démocratique du Congo. Pour l’accueil,  c’est le Kenya qui est le premier pays africain avec plus de 500.000 réfugiés suivi du Tchad qui ploie sous le poids des réfugiés venant du Soudan et de la Centrafrique.
            Il faut dire que ce phénomène a donné lieu à la multiplication des ONG avec des humanitaires à tour de bras. Il est fort louable que des hommes et des institutions se mettent au secours des plus pauvres et des plus démunis. Cela honore sans doute notre humanité.
            Il est cependant une question qu’il faut désormais se poser avec courage. De quoi sera fait demain ? Les humanitaires apparaissent de plus en plus comme le bras gauche et tous ceux qui provoquent ces conflits qui déplacent toutes ces populations.
            Pourquoi les conflits en font qu’augmenter et le nombre de réfugiés et de déplacés de croitre d’une manière exponentielle ? Pourquoi n’est-ce pas le nombre d’armes vendues dans le monde qui diminue ? Pourquoi le nombre d’humanitaire ne fait-il que croître ?
            Et si on se demandait sérieusement qui sont les vrais marchands d’armes dans le monde ? La cours pénale internationale poursuit les chefs d’Etats qui ont favorisé les conflits dans leur pays et qui ont contribué à la mort des civils ; quand pourront comparaître les chefs d’Etat des pays qui vendent les armes dans le monde ? Il ne faut pas qu’il y ait deux poids, deux mesures. Il suffit de couper le mal à sa racine. Mais cela ne sera qu’un rêve car malgré la crise économique mondiale, le seul commerce qui marche le mieux est celui des armes ; il y a des milliards en jeu.
            Pour que le nombre de réfugiés diminue, il faut que le nombre d’armes vendues dans le monde diminue.