samedi 29 novembre 2014

Tchad : les gors de Doba (par Pascal Djimoguinan)



(Cheminant avec Joseph Brahim SEID1, nous sommes sous ses charmes quand il nous raconte l’histoire de l’origine des Gor, ce peuple du Logone Oriental ; nous découvrons ainsi le sens du nom qu’il se donne. On gagne toujours à relire Au Tchad sous les étoiles, ce chef d’œuvre de la littérature écrite tchadienne. L’histoire de Bodo éclairera bien de personnes sur la résistance des partisans pendant les années noires de la dictature au Tchad.)
LE VAGAGOND
            Au-delà de la Ville de Moundou, nom qui signifie « la paille », ce qui veut dire « boundou » en langue ngambaye, à dix lieues à la ronde se trouve Doba, capitale des pays où vivent dans un concert harmonieux les M’Baye, les Gor, les Madjingaye, les Dayes, les Kabas, les Goulayes et tous les Saras du Tchad. Mais à quelques kilomètres de Doba, dans un paysage paradisiaque, vivent particulièrement les Saras Gor. Bodo est leur capitale. Une grande forêt s’y trouve. C’est là que la vie a fait sa première apparition dans le monde. Nos ancêtres dorment encore sur ce coin de terre. Cette forêt formait une enceinte infranchissable. Tout homme pouvait y pénétrer, certes, mais jamais au plus grand jamais, il ne pouvait en sortir que s’il était Sara Gor. C’était une forêt pleine dans sa force ; les arbres et les herbes suivaient d’autres herbes et d’autres étendues herbeuses. Lorsque le vent soufflait, tout craquait, tout s’agitait, tout répandait dans la nature mille et une senteurs. La forêt de Bodo devenait menaçante, féconde dans sa masse et variée dans son sein. Les bêtes aussi bien que les plantes y pullulaient. Les antilopes, les girafes, les gazelles filaient çà et là ; les éléphants, les lions et les panthères surgissaient dans tous les coins. Dans l’air planaient toutes sortes d’oiseaux. On y voyait l’épervier, le vautour, le corbeau, le toucan, la grue couronnée… C’est dans cette forêt à la fois impénétrable, redoutable et enchanteresse que le mot « gor » a fait son apparition dans le langage sara. Il veut dire simplement « encerclé, isolé ». Et cela est vrai, car les habitants du pays gor, séparés des autres saras, se sont forgés dans la solitude un langage dont les mots échappent à la langue sara en général. C’est encore dans ce pays mystérieux et béni que remonte l’histoire des Saras Gor. On affirme en effet qu’ils croyaient leur race autochtone, c’est-à-dire née dans le pays même. Ils se disaient d’un ancêtre commun dont on n’a jamais su le nom. Cependant, il paraît certain, aussi certain qu’il y a de la certitude, que le successeur de cet ancêtre fur Ngardinga. Après lui il y eut M’Bainakoum, Baitokon, Assede, Mitta, Millaro et Doualet dont l’épopée grandiose ne cesse encore de hanter les esprits. Ennuyé de vivre constamment dans le cercle fermé que constituait la forêt de Bodo, Millaro décida un jour de prendre sa liberté. Il était un homme dont la souplesse était aussi inquiétante que la force. Il avait une stature imposante, des bras énormes. Il était à la fois énergique, plein de force et de courage. Toutes ces qualités incitèrent d’autres hommes du pays à se joindre à lui. Millaro abandonna la forêt de Bodo et s’’aventura en d’autres lieux, suivi de ceux qui avaient foi en lui. A cette époque, il n’y avait ni sentiers, ni pistes, ni routes, mais Millaro ne s’en inquiéta guère. Il commanda à tous ceux qui le suivaient d’abattre la savane. C’est ainsi que tout le monde put passer. La fatigue était telle que Millaro donna l’ordre à ses suivants de s’arrêter en pleine brousse. Le lieu était peu approprié à entretenir et à vivifier la culture et l’éducation de la race ; tout le monde obéit cependant. Personne ne sait aujourd’hui situer cet emplacement, mais le fait est là que plusieurs décades après, son fils Doualet a dû quitter cet emplacement pour s’aventurer encore plus avant dans la vaste nature. Il fonda Doba au bord d’un cours d’eau dont les torrents frais et écumeux rugissaient en cataractes, ouvrant ainsi les horizons nouveaux au Saras Gor. Les héritiers de Doualet ont aujourd’hui pour noms M’Bailao, Mamadou Eloi. Mails leur ancêtre fut Millaro et Millaro signifie « Celui qui a ouvert la route » c’est-à-dire le Guerrier vagabond.
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1 Brahim SEID Joseph, Au Tchad sous les étoiles, Le vagabond, Présence africaine, Paris, 1962, pp. 87-90.

vendredi 28 novembre 2014

Tchad : l’âge d’or ou le récit des origines (par Pascal Djimoguinan)



(Que signifie « Sao » ? Que veut dire Tchad ? Autant de question que se posent bien de jeunes sans savoir à qui se référer. Les mythes d’origine sont souvent un essai de réponse à des questions existentielles. Ici, Joseph Brahim Seid1, dans Au Tchad sous les étoiles, en explorant les richesses de la tradition orale nous emmène, avec Alifa et sa tribu, à l’âge d’or et nous donne un sens possible des noms que nous cherchons à comprendre)
            A une époque très lointaine, si lointaine que nul parmi nous ne peut en compter les lunes, un cataclysme providentiel bouleversa la terre. La terre était pleine de violence parce que les hommes avaient acquis, comme chacun sait, pour leur malheur et celui de toute leur descendance, la connaissance du mal. Dieu regarda la terre et voici qu’elle était corrompue !
            Alors, les cieux grondèrent sans discontinuer et l’Eternel laissa tomber sur toute chose une horrible pluie de feu. Tout fut consumé. Seule, une tribu, la tribu d’Alifa, à l’abri sans nul dout de l’immense main de l’Eternel, fut alors Epargnée.
            La tribu d’Alifan fuyait dans l’épouvante : l’ombre de la miséricorde la protégeait et guidait ses pas chancelants. Elle fuyait sans repos ni sommeil, mais Alifa et tous les siens, sans répit, chantaient la gloire du Très-Haut :
            Seigneur, Seigneur
            Source de toute vie,
            Tu es Créateur, mais incréé,
            Hier comme aujourd’hui,
            Dans la paix comme dans l’adversité,
            Tu es l’inébranlable pilier
            Où nous venons prendre appui.
            Dans la foi et l’espérance,
            Accorde-nous une mort belle et sereine…
            A leur approche, les fleuves et les mers elles-mêmes écartaient leurs eaux tumultueuses. La tribu fuyait toujours, sans boire ni manger, mais Alifa et tous les siens chantaient constamment la gloire du Seigneur ; les collines, les plus hautes montagnes elles-mêmes, rentraient à leur approche, au sein de la terre maternelle. Au fur et à mesure que la tribu avait passé, tout, en arrière, s’effondrait, comme englouti à jamais dans quelque gouffre béant et insondable.
            Un soir pourtant, les cieux, soudain, cessèrent de gronder, le feu aussitôt cessa de se répandre et le sol, peu à peu, redevint ferme sous les pieds. La tribu découvrit à l’heure calme et recueillie du crépuscule les rives verdoyantes d’un grand lac. Elle s’arrêta soudain et contempla un spectacle unique : de la surface même de l’eau paisible s’échappaient de petites boules incandescentes qui montaient vers les cieux et illuminaient toute la nature alentour.
            Longtemps, longtemps, Alifa et tous les siens, émerveillés, chantèrent la louange de l’Eternel, si longtemps que chacun fut inconsciemment plongé en un sommeil profond, paisible et réparateur.
            Le lendemain, au réveil, la surprise fut à son comble quand fut aperçue sur les eaux du grand lac, une immense pirogue, laquelle portait un géant qui pêchait avec la seule aide de ses mains. Parfois, comme en jouant, il saisissait un hippopotame par les oreilles et le laissait, délicatement mais avec force éclaboussures, retomber dans l’eau.
            A la vue de la tribu en prière, il saisit un énorme poisson et, avec la même facilité qu’un enfant jetant une pierre, il l’expédia sur la rive. Alifa et les siens se penchèrent sur le poisson et louèrent longuement l’Eternel. Quand ils se redressèrent, le géant avait disparu. Alors e pour la première fois depuis des jours et des jours, chacun pu rassasier sa faim.
            Le même soir, le géant revint vers eux et, avec la même et étonnante habilité, leur lança de grandes jarres de miel délicatement parfumé. Le lendemain, il revint encore jusqu’à la berge avec d’autres jarres pleines de lait frais et invita Alifa à le suivre. Confiant dans les voies de Dieu protecteur, celui-ci prit place aux côtés du géant, dans l’immense embarcation. La pirogue évolua rapide et disparut au loin bien que le géant n’utilisât pour rames que ses deux grandes mains.
            Sur l’autre rive du grand lac, le chef de la tribu découvrit une cité dont les cases étaient immenses et nombreuses. Quand ils débarquèrent, Alifa vit dans les rues avoisinantes des enfants, hauts comme des palmiers, partager leurs jeux avec des lions, des panthères, des rhinocéros… D’énormes reptiles aux yeux verts phosphorescents se faufiler autour de leurs membres, jouant avec eux une mystérieuse partie de cache-cache.
            Sur des arbres démesurés, aux frondaisons épaisses, des myriades d’oiseaux chantaient en volant çà et là. L’air vibrait de leur suave musique.
            Pays béni entre tous ! là, bêtes et gens vivaient dans la plus parfaite entente. Le mal n’était point connu. La bonté animait tous les cœurs. L’innocence se reflétait dans tous les yeux et nul parmi eux n’en avait conscience. Le travail était vénéré. La force, l’habileté, l’intelligence ou le génie, tout ce que l’homme possédait en naissant comme un don reçu de Dieu, était intégralement utilisé pour le bien de tous : ici, pour déraciner les arbres de la forêt qui bientôt feraient place à des champs fertiles ; là, pour dévier le cours des fleuves afin d’irriguer les plantations ; ailleurs, pour saisir la foudre du ciel ou les derniers rayons du soleil couchant afin d’illuminer les mur de la cité. Et cela partout, en tout temps et en tous lieux, pour mieux glorifier l’Eternel.
            Dans ce merveilleux pays, Alifa fut reçu avec une grande courtoisie. Tout le peuple aussitôt se rassembla, désirant connaître d’où il venait, qui il était et ce qu’il savait. Alors, Alifa raconta simplement l’histoire de sa tribu et chanta la gloire du Très-Haut :
            Seigneur, Seigneur,
 Source de toute vie,
 Tu es Créateur, mais incréé.
 Hier, comme aujourd’hui,
Dans la paix comme dans l’adversité,
Tu es l’inébranlable pilier
Où nous venons nous appuyer.
Dans la foi et l’espérance,
Accorde-nous une mort belle et sereine…
Le soir venu, quand Alifa demanda à rejoindre sa tribu, les géants le retirent et firent chercher les siens. Dans un geste majestueux, ils leur offrirent l’hospitalité. Ce fut-là désormais leur nouvelle patrie. Des relations de plus en plus intimes se nouèrent avec le peuple des géants. Or, il advint quelque temps plus tard qu’un prince du peuple ami épousa une fille de la tribu d’Alifa et l’enfant mâle né de cette union fut l’ancêtre du peuple Kotoko. On l’appela Sao, ce qui veut dire concorde, amour de tous les hommes.
Et le grand lac, que la tribu d’Alifa découvrit un soir à l’heure calme et recueillie du crépuscule, fut nommé Tchad, ce qui veut dire pays d’abondance, de bonheur et d’amour réciproque.
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1 Brahim Seid Joseph, Au Tchad sous les étoiles, Le Tchad, pays d’abondance, de bonheur et d’amour, Présence Africaine, Paris, 1962, pp 13-18


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jeudi 27 novembre 2014

Tchad : la nation à l'ombre de DJINGUE (par Pascal Djimoguinan)



            (Le Tchad, il est vrai, peine à se constituer en nation ; dans ses soubresauts, il a besoin d’un mythe fondateur, capable de l’amener à se transcender pour atteindre son unité. Ce mythe n’est pas très loin. Tous les anciens le connaissent ; il suffit tout simplement de le faire connaître. Brahim Seid l’a raconté dans son livre Au Tchad sous les étoiles,[i]  « DJINGUE ou la sagaie de famille ». Nous reprenons ici le mythe en espérant que le premier écrivain tchadien va continuer sa contribution à la construction de la nation tchadienne.)
DJINGUE ou la sagaie de famille
            Il y avait de cela très, très longtemps ! Dans un grand royaume du Lac Tchad, deux tribus sœurs se disputaient un droit de regard sur une vieille sagaie de famille appelée « Djingué », sagaie qui était vouée à la divinité et au culte de leurs ancêtres communs.
            Une véritable guerre intestine allait jeter les deux groupes l’un contre l’autre. Ces événements n’étaient pas pour inspirer confiance aux jeunes gens du pays qu’on voulait armer de part et d’autre pour une lutte fratricide. Aussi se réunirent-ils pour aller trouver les représentants de leurs tribus respectives, afin que ces derniers renonçassent à leurs querelles. Ils réussirent dans leur démarche. Mais, ne voulant pas se contenter d’une trêve éphémère, ils s’entendirent pour faire disparaître la sagaie, cet objet de perpétuelle discorde.
            Un soir donc, douze jeunes gens, tous plus hardis les uns que les autres, s’emparèrent de l’arme et l’emportèrent au loin. Ils s’en allèrent par monts et par vaux à travers la brousse. Leur randonnée dura soixante-dix-sept jours et soixante-dix-sept nuit au cours desquels ils eurent à lutter bravement contre la nature, les animaux féroces et les habitants des pays qu’ils traversaient.
            Mais, protégés par l’influx bénéfique de la divinité et la force des ancêtres défunts, les douze jeunes gens avaient bousculé les obstacles, surpris et vaincu la résistance des peuplades qui s’opposaient à leur marche en avant. Ils avaient pénétré partout à main armée, sans aucune volonté de conquête. Ce qu’ils désiraient, c’était une très vaste étendue de terre à découvrir. Or, un soir, ils arrivèrent au milieu d’une vallée fertile inhabitée. Là, leur guide s’arrêta, et dit « Restons ici, prenons possession de ce territoire, bâtissons nos cases, faisons de cet endroit un lieu vénérable qui servira à rallier nos tribus à leur commune origine, à les souder désormais entre elles ».
            Ayant ainsi parlé, il planta la sagaie à l’ombre d’un tamarinier et s’occupa immédiatement à ériger une case non loin de là. Ses autres camarades en firent autant. Il y eut d’abord un modeste village qui, plus tard, au cours des siècles, devint un grand pays prospère et heureux dont la renommée s’étendit à des milliers de kilomètres à la ronde.
            C’est ainsi que fut fondée la capitale du Baguirmi, « Massenya » où toutes les races du Bas et du Moyen-Chari trouvent leurs origines les plus lointaines.
            Les douze jeunes gens qui avaient fait ce pays s’appelaient : Dokko, l’ancêtre des Sokoro, Birni Desse, Lubat Ko, Dukoat (surnommé Irro) Dobleni, Diongou Djougueldou, Niougounidoualla, Gougoum-Darko, Gougoum-Bida, Niougo-Kouboudga, Maguerba et Ngolgargue.
            Ils fondèrent douze tribus qui se ramifièrent en plusieurs branches parmi lesquelles on rencontre encore aujourd’hui les Sokoros, les Baguirmiens, les Kengha, les Bouas, les Bilalas, les Koukas, les Goulas, les Sarouas et tous les Saras : M’Baye, Dai, N’Gama, N’Gambaye…
            Et Djingué, cette vieille sagaie de famille qui fut à l’origine de cette floraison de races existe encore et jouit toujours d’un grand prestige. Elle constitue le ciment de l’union dans la grande paix de Dieu et des hommes.
            C’est pourquoi un adage Kengha définit exactement les rapports de ces divers groupements entre eux : « Les gens de Massenya sont comme nous-même, les gens du Fittri, du Lac Irro et les Saras sont nos frères ».




[i] Brahim SEID Joseph, Au Tchad sous les étoiles, Présence Africaine, Paris, 1962, pp. 19-22

mercredi 26 novembre 2014

Tchad : A Sarh au jour le jour, le carburant (par Pascal Djimoguinan)



            S’il est une faculté chez l’homme qu’il faut apprécier chez l’être humain, c’est la facilité avec laquelle il s’adapte aux différentes situations qui se présente à lui. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir comment l’homo sarien (s’il est possible d’appeler ainsi le sarhois) s’est adapté à la carence du carburant dans sa ville.
            Au début de la pénurie du carburant, tous les sarhois ont trouvé la situation insupportable. Cela a même abouti à une grève des professeurs et des élèves qui a amené à la fermeture des établissements pendant une semaine. Puis la vie a repris et les choses sont redevenues normales.
            On ne voit plus les points de ventes d’essence sur les routes. Les usagers vous diront qu’ils ont leur technique pour s’approvisionner en essence dans les quartiers de la ville. Le néophyte ne pourra jamais trouver de l’essence dans les quartiers.
            Un fait nouveau cependant est qu’à la station-service Total, situé à l’entrée du grand marché de Sarh, il y a toujours des longues filles de motos et de voitures en train d’attendre d’être servies.
            Les queues sont tellement longues qu’il faut être courageux pour oser aller acheter de l’essence. Combien de temps faut-il attendre avant d’être servi ? Seuls les plus courageux pourront vous le dire.
            Ce qui est étonnant est que la pénurie perdure et que rien n’indique qu’elle prendra fin bientôt. Finalement, comment les autorités envisagent-elles finir avec ce problème d’utilité publique ? Nulle ne le sait.
            Les citoyens continuent d’attendre. Tant que ce problème ne sera pas résolu, la vie normale ne reprendra pas à Sarh. Quand on pense que les fêtes de fin d’année s’approchent, on se demande si le pic de la pénurie n’est pas en aval. Si tel est le cas, le pire est encore à venir !