lundi 29 février 2016

Tchad : Lettre à mon candidat (par Pascal Djimoguinan)

            Le dimanche 10 avril 2016 est la date retenue pour le premier tour des élections présidentielles au Tchad. Ce jour, chacun, en faisant son devoir de citoyen, décidera dans l’intimité de l’isoloir, face à sa conscience, l’avenir du pays. Pour ma part, c’est sans préjugés ni parti pris que je vais vers ces élections.
            Ma conscience a cependant besoin d’être éclairé pour que mon acte soit vraiment libre. Pour cela, mon candidat sera celui qui pourra donner des réponses satisfaisantes à quelques questions qui me viennent tout le temps à l’esprit.
Cher Candidat,
            Tu voudrais être le prochain président de la République du Tchad. Voudrais-tu, s’il te plaît, me dire comment tu pourras résoudre ces petits problèmes pour toi, mais qui m’empoisonnent la vie à moi ?
            Tu as vu comment les sociétés industrielles avait déguerpi des populations au sud du pays, moyennant quelquefois fois quelques piecettes insignifiantes, pour occuper leurs terrains ? Tu as aussi vu comment, toujours dans le sud du pays, quelques personnes fortunées sont venues acheter les terrains des plus pauvres dans les villes (Bébédjia, Doba, Koumra, Sarh…), les envoyant ainsi dans les périphéries et de plus en plus hors de la ville ? Quelle politique de protection envisages-tu à l’endroit des plus pauvres ? Quelle sera ta politique foncière ?
            Tu as certainement entendu parler de ces problèmes récurrents entre éleveurs et agriculteurs. Tu sais sans doute comment est-ce que ce problème est toujours « résolu ». Comment penses-tu traiter ce problème quand tu seras président ? Tu as d’un côté un peuple qui ne vit que de la terre, de sa terre. De l’autre, tu as un peuple qui vit au grès des transhumances. Penses-tu que le temps n’est pas venu de donner un nouvel élan à l’élevage ? Quelle solution penses-tu apporter ?
            Tu vois comment le contribuable tchadien préfère envoyer ses enfants étudier à l’étranger. Quel est donc le problème de l’Université tchadienne ? Pourquoi la licence tchadienne prend-elle autant d’années qu’un master 2 dans d’autres pays ? Quel est le diagnostic de l’enseignement supérieur au Tchad ? Cher candidat, dis-moi, pour me rassurer, ce que tu comptes faire ?
            Tu connais la ville de Sarh où j’habite ? Il paraît que c’est la troisième ville du Tchad. Cette ville n’a pas de morgue digne de ce nom. Plusieurs corps qui ont été conservés quelques jours avant l’inhumation se sont retrouvés dans un état de décomposition très avancé. Certains préfèrent transférer les corps à Doba en attendant les obsèques. Je suis sûr que ce problème ne t’intéresse pas beaucoup mais moi, il me tient à cœur. Que me proposes-tu comme solution quand tu seras président ?
            Sache que la gestion de l’électricité à Sarh est un grand problème. Nous voulons avoir de l’électricité comme tout le monde. Nous payons nos factures d’électricité mais c’est l’obscurité que nous avons en retour. Quelle solution penses-tu nous apporter ?

            Il y a encore beaucoup d’autres questions que j’aimerais te poser mais faute de temps, je ne te soumets que celles-là. J’attends ta réponse. Je me suis déjà inscrit pour le vote ; je t’attends ... dans l’isoloir. 

vendredi 26 février 2016

LU POUR VOUS/EPUBLIQUE CENTRAFRICAINE - Témoignage de l’Evêque de Bangassou sur la situation actuelle

 « Finalement, nous avons un nouveau Président. Au-delà de la personne qui recouvre cette charge, ce qui est important est que nous avons un nouveau Président, dont nous espérons qu’il aide le pays à sortir du ravin dans lequel nous nous sommes enfoncés voici trois ans » déclare à l’Agence Fides S.Exc. Mgr Juan José Aguirre Muños, Evêque de Bangassou, en commentant l’élection au second tour de Faustin Archange Touadéra à la présidence de la République centrafricaine. L’élection devrait ouvrir la voie à la normalisation de la situation dans le pays après le chaos créé par l’affrontement entre la rébellion Seleka – qui fut la cause de la chute du Président François Bozizé en 2012 – et les milices antibalakas.
« La situation politique nous offre une grande espérance parce que nous voyons la lumière au bout du tunnel mais ici, dans la zone de Bangassou, nous vivons toujours sous la menace de la LRA, le groupe de guérilla d’origine ougandaise qui sévit ici depuis des années en provenance du Soudan du Sud et de République démocratique du Congo et attaque les villages du Diocèse » déclare Mgr Aguirre.
« On compte au moins 10 groupes de la LRA qui saccagent les villages, détruisent les greniers et contraignent les jeunes à porter les marchandises volées. Dans certains cas, les jeunes restent 5 à 10 jours entre les mains de la LRA et nombre d’entre eux ne revient plus » ajoute l’Evêque.
Mgr Aguirre a rencontré avant hier un jeune qui, après 4 années de captivité, est parvenu à échapper aux mains de ses bourreaux de la LRA. « Ce jeune, Alain, m’a raconté qu’il avait été enlevé dans un village des environs de Mbre avec son épouse, ses enfants, sa mère et la famille de son frère. En 4 années de captivité, il n’a rien su de ce qui s’était passé entre temps en Centrafrique. Il ne connaissait ni la Seleka, ni les milices anti-balakas » raconte l’Evêque.
« Les conditions de vie dans les rangs des esclaves de la LRA sont insupportables. La mère d’Alain était contrainte à porter dans la forêt de 20 à 30 Kg de provisions sur la tête. Après 8 heures de chemin, elle est tombée et a été achevée à coups de machette. L’épouse d’Alain a subi des violences de la part de l’un des chefs de la LRA et est tombée enceinte. Elle est morte d’une hémorragie interne au cinquième mois de grossesse parce qu’elle aussi était obligée de jouer le rôle de porteuse. Au moment de sa fuite, Alain a perdu contact avec ses enfants et la famille de son frère ».

« Il ne s’agit là que de l’une des nombreuses histoires des esclaves de la LRA, lesquels sont traités comme des bêtes par leurs bourreaux. C’est une souffrance que nous ne pouvons pas imaginer » conclut Mgr Aguirre. (L.M.) (Agence Fides 25/02/2016)

mardi 23 février 2016

LU POUR VOUS/OUGANDA - Commentaires d’un éminent juriste après la victoire du Président sortant aux élections présidentielles

« Même une élection volée ne constitue pas une excuse pour la violence » : tel est l’appel lancé par Julia Sebutinde, magistrat de la Cour internationale de Justice, après que le Président sortant, Yoweri Museveni, ait été déclaré vainqueur des élections ayant eu lieu en Ouganda la semaine passée. Selon la Commission électorale, Yoweri Museveni a obtenu 60,8% des voix contre 35,4% à son principal rival, Kizza Besigye.
Ce dernier, arrêté et relâché plusieurs fois au cours de la campagne électorale et durant les opérations de vote, a demandé une vérification internationale des résultats des élections, selon lui grevés de graves irrégularités
Selon Julia Sebutinde, avant de recourir à une instance judiciaire internationale, il faut passer par la justice ougandaise. « Nous voudrions voir les perdants résoudre les questions dans les cours de justice domestiques » a déclaré Julia Sebutinde, qui a lancé un appel afin que le système judiciaire local « résolve rapidement les disputes de manière impartiale et satisfaisante ». Seulement après leur éventuel échec, il sera possible d’affirmer que « nous avons fait tout notre possible pour résoudre la question de manière pacifique ».

Les observateurs électoraux internationaux ont affirmé que les élections manquent d’une transparence suffisante pour être considérées comme véritablement correctes. A Kampala, selon des nouvelles parvenues à l’Agence Fides, aucun incident important ne s’est produit, même si la situation demeure tendue. (L.M.) (Agence Fides 23/02/2016

lundi 22 février 2016

Tchad, les origines de Damala (par Pascal Djimoguinan)

            A la sortie de Doba (Logone Oriental), il y a un village, non loin de Bessama, qui porte le nom de Damala,  Voici comment les sagas racontent son origine.
            L’histoire commence aux temps où les blancs n’étaient pas encore arrivés. C’était aux temps où les grands guerriers n’hésitaient pas à s’engager seuls ou par groupes dans des aventures périlleuses qui les emmenaient bien loin de leurs villages. Ils étaient capables d’exploits qui traversaient le temps et qu’on racontait aux enfants de génération en génération.
            Il y avait, non loin de l’actuel Bédjondo, le village de Ndjaan. Ce village était connu de partout car c’était de là que venait les « hommes lions », ces redoutables chasseurs guerriers avec qui tout le monde voulait faire alliance.
            Le chef de ce village s’appelait Maïbé. Il avait un fils, très brave, qui était un guerrier et un chasseur accomplit. Il s’appelait Dokaré. Tout le monde l’appelait en lui adjoignant le nom de son père : Dokaré leu Maïbé.
            A la recherche d’aventures, Dokaré leu Maïbé quitta son village Ndjaan et alla s’établir très loin, en pleine brousse. Il vivait de la chasse. Chaque jour, il s’adonnait à son activité favorite, la chasse ; il tuait donc des buffles, des antilopes, de biches, des gazelles. Il prenait bien les parties les plus charnues qu’il fumait tandis que les carcasses, il les amassait dans un coin bien précis.
            Un jour des femmes allant à la cueillette, tombèrent sur ce garde-manger. Elles se servirent et apportèrent de la bonne viande chez elles au village. Elles prirent l’habitude de passer par ce coin et trouvaient toujours des restes de viande.
            Un jour, Dokaré leu Maïbé se décida à leur faire un cadeau, parce que depuis toujours, comme un bon chasseur, il pouvait voir les femmes venir se servir sans se faire voir lui-même. Il tua donc un buffle et sans rien lui retirer, vint le mettre là où il avait l’habitude de laisser les carcasses. Lorsque les femmes arrivèrent et qu’ils virent toute cette masse de viande, elles retournèrent au village appeler les hommes pour les aider à dépiécer le buffle. Pendant que les hommes étaient au travail, Dokaré le Maïba, s’approcha et engagea la conversation. Les hommes lui dirent qu’ils étaient en train de couper de la viande que les femmes avaient trouvée en allant à la cueillette. Dokaré leur expliquait que c’était lui qui laissait les restes de la viande que les femmes prenaient et qu’aujourd’hui, il avait décidé de leur donner un buffle entier. Une fois leur travail terminé et que les femmes avaient rapporté la viande au village, les hommes demandèrent d’aller voir l’endroit où résidait Dokaré leu Maïbé.
            L’endroit leur plut. C’étaient les habitants de Ndounambo. Ils demandèrent de venir s’installer avec Dokaré leu Maïbé. Le village prit le nom de Damala (Danmala) c’est-à-dire la viande des vautours parce qu’auparavant, c’était les vautours qui signalaient qu’il y avait de la viande à cet endroit.

            S’il vous arrive de quitter Doba pour Koumra, aussitôt après avoir traversé le village de Bessama, avant d’arriver au péage de Békondjo 2, vous trouverez le village de Damala. Arrêtez vous y un instant. Vous sentirez la présence de ces grands animaux qui peuplèrent autrefois cet endroit. Si vous avez de la chance, vous apercevrez entre deux manguiers, Dokaré leu Maïbo, l’homme lion qui vous regarde et qui assure votre protection.

samedi 20 février 2016

Tchad : Et si l'affaire Zouhoura était une patate chaude (par Pascal Djimoguinan)

            Depuis quelque temps, le microcosme tchadien est en ébullition à cause de l’affaire Zouhoura. Une affaire qui somme toute, semblait anodine puisque semblable à tant d’autres, a pris une allure très politique au point de devenir une patate chaude que chacun cherche à refiler rapidement à d’autres
            Le 8 février, une jeune fille, une tchadienne de 16 du nom de Zouhoura, a été violée par cinq hommes. Ceux-ci ont pris le temps de filmer leur crime et de le poster sur les réseaux sociaux, sûrs de l’impunité dont ils jouissent.
            Les jeunes hommes, fils de hauts dignitaires du régime en place , avaient pris l’habitude de violer des jeunes filles et de filmer leurs crimes. Ils les postaient par la suite sur les réseaux sociaux. Ils utilisaient le chantage pour obtenir le silence de leurs victimes.
            Dans le cas d’espèce, celui de Zouhoura, quelque chose n’a pas tourné rond. La jeune fille n’a pas cédé à la menace. Elle a révélé l’agression à sa famille. Dans un premier temps, la famille a porté plainte mais l’affaire a été très vite étouffée.
            En représailles, les agresseurs vont mettre en ligne la vidéo de Zouhoura nue et en larmes. Ce fut là une erreur fatale. La réaction ne se fit pas attendre. Dès le lundi 15 février, des centaines de manifestants se rassemblent à N’Djamena et exigent la justice Pour Zouhoura et toutes les autres. La police charge et il y aura un mort, un jeune de 17 ans ; selon le procureur général, "les éléments des forces de l'ordre mis en cause dans l'affaire seront mis aux arrêts et traduits devant les tribunaux".
            Les agresseurs seront finalement arrêtés mais l’affaire a pris des ampleurs titanesques. Le président Deby va réagir en « tant que chef de famille » et dira son écœurement en promettant que la justice sera rendue.
            La colère gronde partout au Tchad ; comme tous les jeunes du monde entier, ceux du Tchad n’acceptent pas l’injustice. Ils réclament justice. De ville en ville, des manifestations s’organisent
            Au lieu de mettre de l’eau dans son vin, le nouveau gouvernement choisit la manière forte. Le ministre de l’Intérieur ne veut pas voir la spontanéité dans les diverses manifestations. Pour lui, il y aurait manipulation : « Nous sommes sûrs, nous sommes convaincus que ces élèves-étudiants sont instrumentalisés par des groupes, je ne les appellerais même pas des politiciens, par des politicards au petit pied qui jettent les enfants dans la rue. Ce n'est pas normal ! Je dis que le festival du désordre est terminé ! »
            Loin de calmer le jeu, cela semble jeter dans l’arêne l’opposition politique et la société civile. Personne ne peut prédire ce que sera demain. Les réseaux téléphoniques et sociaux sont fortement perturbés sur l’ensemble du territoire.

            Le gouvernement gagnerait à ne pas se tenir uniquement à des réactions circonstanciées mais à prendre des initiatives favorables à la paix et à l’Etat de droit. Il faudra laisser la justice aller au bout de ses investigations.


vendredi 19 février 2016

LU POUR VOUS/EGYPTE : Funérailles de l’ancien Secrétaire général de l’ONU célébrées par le Patriarche copte orthodoxe

Boutros Boutros Ghali a été « un homme fidèle à sa nation » qui « a défendu la paix dans tous les rôles qu’il a joué ». C’est en ces termes que le Patriarche copte orthodoxe, Tawadros II, a rendu hommage à la figure de l’homme politique et du diplomate égyptien, décédé à l’âge de 93 ans le 16 février dernier, au cours des obsèques qu’il a célébré le jeudi 18 février en la Cathédrale copte orthodoxe du Caire. De foi chrétienne copte, Boutros Ghali a été, de 1992 à 1996, le premier Secrétaire général de l’ONU né en Afrique. Sa confirmation à la tête de l’organisme en vue d’un second mandat avait été rendue impossible à cause du veto des Etats-Unis.
Avant les obsèques chrétiennes célébrées dans la Cathédrale, un tribut civil et militaire à la figure du disparu a eu lieu dans la zone d’une mosquée de la périphérie du Caire en présence du Patriarche Tawadros II, du Président égyptien, Adel Fattah al Sisi, et du cheikh Ahmed al Tayyeb, grand imam de l’Université al-Azhar. Le cercueil de Boutros Ghali, enveloppé dans le drapeau égyptien, a ensuite été transporté à la Cathédrale. Aux funérailles, ont participé également un grand nombre de diplomates égyptiens, africains et européens.

Ces jours derniers, le Pape François avait, lui aussi, envoyé à l’actuel Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, un télégramme dans lequel il présentait ses condoléances suite à la disparition de Boutros Ghali et rendait hommage à sa vie, dépensée « dans le généreux service de son pays et de la communauté internationale ». (GV) (Agence Fides 19/02/2016

mardi 16 février 2016

Reflets sur Senghor, poète noir (Fabien Eboussi Boulaga)

(Nous choisissons de réproduire ici un article très peu connu du professeur Eboussi Boulaga, paru en mai 1960 dans le n° 123 de la revue Faits et Idées)
            Le silence, dont s’envahissent les « volcans de la négritude », nous laisse assez de recueillement, pour apprécier à sa juste valeur la littérature africaine de ces dernières années. Elle ne se réduit pas à une éruption de rancœurs  et à une aigre cacophonie. Les teintes voilées, le chant modulé et tendre de Senghor, nous éloignent de la revendication et du ressentiment, sans se départir d’exprimer la même émotion de l’homme noir, bousculé et asservi, mais épris de liberté et de fraternel amour.
            C’est progressivement que Léopold Sédar Senghor a prêté sa riche voix aux profondes aspirations et aux sentiments de la masse africaine. Qui oserait dire que la poésie fut sa langue naturelle ? Ce Sénégalais a dû se « forger une bouche vaste et retentissante », en se pliant à la rigueur de la formation universitaire, en enseignant dans plusieurs lycées français, loin de sa terre natale, élisant domicile en « douce France ».
            Mais a-t-il vraiment espéré un impossible « passage en ligne », en plongeant si profondément ses racines dans le sol étranger ? « Un juif, blanc parmi les blancs, peut nier qu’il soit juif, se déclarant un homme parmi les hommes. Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre, ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore ; il est noir. Aussi est-il acculé à l’authenticité », (Sartre, Orphée noir). Devenu grand conducteur des peuples (il est actuellement président de l’Assemblée fédérale du Mali), Senghor avouait naguère au congrès de Cotonou du P.R.A., quel était son désarroi culturel, proche de la panique, avant qu’il n’accédât à la « situation », en assumant sa condition tissée d’une chair donnée et héritière d’un passé inaliénable. Peut-on affirmer que la conversion ait été totale ? En tout cas, la métamorphose ne s’est point opérée brutalement. Nulle part elle n’aboutit à une désassimilation complète des schèmes européens. Elle reste irrémédiablement divisée, sans se dégorger des thèmes individualistes de la poésie française, pour parvenir à l’unité prophétique d’un Césaire. Mais son œuvre se pétrit de négritude. Essayons de suivre cette transformation.
            L’exil de son corps dans cette Europe blanche a jeté le poète dans le dur cercle de la solitude, celle « retentissante des grandes cités », où il côtoie les hommes, ses « semblables au visage de pierre ». C’est en vivant sa solitude qu’il rejoindra les siens, par la nostalgie et la tendre évocation de son Joal natal !
                        J’ai choisi ma demeure près des remparts rebâtis
                        de ma mémoire à la hauteur des remparts
                         me souvenant de Joal l’Ombreuse, du visage
                        de la terre de mon sang
            Les eaux claires de cette poésie du souvenir, où se mirent les paysages et les scènes d’une Afrique transfigurée, éblouissante et le visage d’êtres aimés, sourdent du « Royaume d’enfance », qui frémit de la joie des danses et des fêtes, rythmées par le tam-tam et la rhapsodie des griots.
                        Je me rappelle les fastes du couchant… Et les
                        processions et les palmes et les arcs de triomphe.
                        Je me rappelle la danse des filles nubiles. »
            Ainsi le pouls de l’Afrique bat-il déjà dans le premier recueil de Senghor, « Chants d’Ombre », où bien des images et des couleurs sont puisées au répertoire et à la palette de la nature africaine. La facture des poèmes est encore hésitante. Certains, tel celui qui décrit le jour des morts enneigé, rendent un son artificiel, et de discrètes réminiscences affleurent parfois, pour nous rappeler la culture de l’Agrégé de l’université, ayant assimilé les poètes français, de Villon aux Surréalistes. Mais déjà se perçoit un accent personnel, et les canons d’une nouvelle esthétique se dessinent, comme dans ce ravissant tableau :
                        Femme nue, femme noire
                        Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme
                        qui est beauté… Fruit mûr à la chair ferme
                        sombres extases de vin noir…

            Il faudra l’ouragan de la guerre pour arracher du poète « feuilles et parole futiles » de la confession personnelle et de l’innocente évocation nostalgique. Le combat l’introduira aux mystères douloureux de l’Afrique et le rendra comptable de ses frères, que l’histoire a meurtris et broyés. Cette investiture, que lui confèrent les événements, lui fait esquisser un art poétique plus adapté à son objet :
                        J’ai choisi le verset des fleuves… l’assonance
                        Des plaines et des rivières,
                        Choisi la trémulsion des balafongs…
                        J’ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan.
            « Hosties noires » est la fleur lyrique née de la terre humide de sueur et de sang nègres. Le poète y devient une voix dont le diapason – et non le timbre – a changé. La page bruit désormais au souffle de la libération proche et le poète s’y prépare en se gardant pur :
                        « Qu’ils m’accordent les génies protecteurs,
                        que mon sang ne s’affadisse pas comme assimilé,
                        comme un civilisé ».
            Le coude à coude de la bataille, face à la mort qui tout nivelle, lui a fait rencontrer la liberté dont le cri « a traversé l’Afrique de part en part comme une épée longue et sûre dans l’avilissement de ses reins ». Qu’importe l’obsédante présence de la mort, l’espoir brille à l’horizon :
                        « La mort nous attend peut-être sur la colline ;
                        la vie pousse sur la mort dans le soleil chantant ».
            Seul le poids du mépris est intolérable, le pain amer de l’humiliation dont fut nourri l’homme noir :
                        « L’Europe m’a broyé.
                        Mère, je suis un soldat humilié qu’on nourrit de gros mil »
            Le sacrifice des soldats sénégalais n’a pas ébranlé la citadelle de mépris élevée par ceux qui firent d’eux « les dogues noirs de l’empire » :
                        « On fleurit les tombes, on réchauffe le soldat inconnu,
                        Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme »
            Et voici que cette route d’amertume réveille des courbatures et fait saigner d’anciennes blessures, ineffaçables stigmates de l’esclavage et de la traite. Quelques paysages de cette époque de cauchemar circulent dans ces poèmes, scandés de mots de feu et de sang :
                        « Et leurs boulets ont traversé les ruines d’empires
                        vastes comme le jour clair…
                        Les mains blanches qui flagellèrent les esclaves,
                        qui vous flagellèrent ».
            Le spectacle qu’ils déploient est celui de la désolation et de la mort :
                        « Et ils m’ont fait une vieillesse solitaire
                        parmi la forêt de mes nuits et la savane de mes jours.
                        Et, de ma Mésopotamie, de mon Congo,
                        ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc ».
            Pourtant ces immenses terres d’affliction ne se referment pas sur elles-mêmes. Le pardon et l’oubli les ouvrent à l’espérance. Les « Hosties noires » s’achèvent par les clairs et augustes accord d’une Prière de paix :
                        « Seigneur Jésus, à la fin de ce livre que je t’offre
                        comme un Ciboire de souffrances…
                        Au pied de mon Afrique crucifiée depuis quatre cents ans
                        et pourtant respirante,
                        laisse-moi Te dire, Seigneur, sa prière de paix et de pardon ».
            La souffrance, ainsi offerte et acceptée, d’un cœur pieux, permet tout espoir : le sang noir qui « ablue » est aussi semence, puisqu’il est sang de martyrs
                        « Ce sang n’est pas de l’eau tépide, il arrose, épais,
                        notre espoir, qui fleurira au crépuscule ».
            En quoi s’épanouira cette mystérieuse graine et quel est ce crépuscule d’eschatologie, vers lequel se tend le regard du poète ? Ce miracle tellement attendu est néanmoins une conquête. Il s’agit de ressusciter le Royaume de l’Enfance et de la Nuit :
                        « Ma tâche est de reconquérir le lointain des terres
                        qui bornaient l’Empire du sang,
                        …les perles extrêmes de votre sang jusqu’au fond
                        des océans glacés ».
            Cet univers, composé de rêve et de réalité, qui rendra le nègre à sa vérité et à sa noblesse, est celui des « Chants pour Naëtt » et des « Ethiopiques ». Le style s’est négrifié : les poèmes sont moulés aux genres littéraires de l’Afrique. Des indications nous préviennent que leur lecture peut s’accompagner d’instruments tells que le tam-tam, le balafong ou le khalam, et l’abondance des mots et de réalités d’Afrique a imposé de clore les « Chants pour Naëtt » par un lexique. Le poète s’est mis à l’école de l’Afrique noire, qui revit dans ses rites, ses sacrifices vespéraux :
                        « Le poulet blanc est tombé sur le flanc,
                        le lait d’innocence s’est troublé sur les tombes ».
dans ses fêtes, ses contes et ses masques :
                        « Je ressuscite la théorie des servantes sur la rosée
            .et les grandes calebasses de lait, calmes sur le rythme
                        des hanches balancées… »
            Le langage devient dense, hermétique même, ou parfois s’échevèle comme en un poème surréaliste. C’est qu’un univers métaphysique est désormais sous-jacent, un monde de surréalité où règne « l’image-analogie », qui « présuppose et manifeste un univers hiérarchisé des forces vitales ». Dans ce Cosmos, où glissent d’invisibles présences, tout s’anime et s’assimile à un mâle ou à une femelle :
                        « Oho ! Congo couchée dans ton lit de forêts ;
                        Reine de l’Afrique domptée, car tu es femme… ».
            Le rythme y joue un rôle éminent. Parce qu’elle est rythmée, la parole se mue en Verbe créateur qui accorde les êtres et ouvre « aux divins secrets ». Dès lors le tam-tam, par sa monotonie incantatoire, devient instrument sacré et sa transe nous dépossède de notre étroite individualité pour nous rendre poreux aux forces essentielles, en un abandon amoureux :
                        « Et comme une femme, l’abandonnement ravi à la grande
                        force cosmique qui meut les montes chantants ».
            Car le terme ultime où tend cette mystique est l’Amour où nous initie le Verbe fait Image et Rythme :
                        « Et pourquoi vivre si l’on ne danse l’Autre ?
                        Car comment vivre sinon dans l’Autre, au fil de l’Autre… ».

            Tels est l’aboutissement de ce pèlerinage aux fontaines ancestrales que la nostalgie et la douleur ont fait entreprendre au poète. Il s’y est désaltéré aux sources de jouvence et de vie, de ce monde de communion et de mystère : « En vérité nous sommes comme des lamantins qui selon le mythe africain, vont boire à la source, comme jadis lorsqu’ils étaient quadrupèdes ou hommes ».

lundi 15 février 2016

Tchad/ Sarh : Incivisme et code de la route (par Pascal Djimoguinan)

            S’il se trouve une personne qui doute de l’incivisme dans la ville de Sarh, il lui suffit de sortir et d’emprunter les routes bitumées ; elle rentrerait chez elle écœurée de tout ce qu’elle aurait vu.
            Le propos n’est pas de faire la guerre aux conducteurs de mototaxis. Il est question de revoir l’organisation de tout le système du transport public dans la ville.
            Le système routier de la ville de Sarh a connu un essor depuis quelques années grâce au bitumage de ses rues. Si cela permet d’éviter la boue pendant la saison des pluies, le plaisir ne s’arrête que là. Les usagers de ces voies publiques sont d’un incivisme notoire.
            Il y a deux routes qui sont à double-voie. Il s’agit de la route qui va de l’entrée de la ville en venant de Koumra, jusqu’à la Coton-Tchad et de la route venant de Kyabé, de la NSTT (Nouvelle Société Textile du Tchad) jusqu’au rond-point Nargay.
            Il est difficile de rouler sur la double voie parce que les motos, les bicyclettes et les piétons trouvent un malin plaisir à aller à contre-voie (dans le sens interdit), du côté de la bande gauche ordinairement réservée aux véhicules plus rapides. Il est pour certains plus aisé de prendre le sens interdit plutôt que d’aller quelques mètres plus loin pour trouver l’espace qui leur permettrait d’emprunter la route dans le bon sens. Quelques automobilistes trouvent aussi leur plaisir à ce jeu dangereux.
            Alors que la route est devenue un vrai parcours du combattant pour tout usager qui veut suivre la norme, la police y est étrangement absente. Malgré le fait que les accidents soient courants, aucune mesure n’est prise.
            Il est à se demander si les routes ont été bitumées sans avoir pris le temps de préparé la population.

            Il faudrait que la police s’engage à régler la circulation, particulièrement sur les voies à double sens jusqu’à ce que la population prenne des bonnes habitudes. On éviterait ainsi des pertes inutiles de vies humaines.

jeudi 11 février 2016

LU POUR VOUS/Centrafrique : L’Evêque de Bangassou dénonce les exactions de la LRA

« Depuis le début de cette année, mon Diocèse se trouve continuellement sous les attaques de la LRA et personne n’en parle » dénonce à l’Agence Fides S.Exc. Mgr Juan José Aguirre Munos, Evêque de Bangassou, dans le sud-est de la République centrafricaine. L’armée de résistance du Seigneur (LRA) est un groupe de guérilla d’origine ougandaise qui sévit dans la zone depuis des années mais qui, au cours de ces dernières semaines, a intensifié ses attaques contre les civils.
« Depuis plus d’un mois, nous sommes assaillis de partout. La LRA a attaqué plus de six villages de la zone. Ici, à Bangassou, nous avons accueilli de nombreux évacués qui ont fui de la zone de Niakari (à 15 Km de Bangassou NDR), où le Diocèse a un lieu de pèlerinage. A Niakari, la semaine passée, la LRA a frappé et enlevé les habitants. Voici trois jours, je me suis rendu à Bakouma, où, le 21 janvier, la mission locale avait été saccagée (voir Fides 25/01/2016) et j’ai porté avec moi les deux religieuses et le séminariste qui oeuvraient sur place. Le groupe de la LRA qui a saccagé la mission de Bakouma a presque sûrement bénéficié de la complicité d’un groupe de la Seleka, l’ancienne rébellion centrafricaine. Pendant plus de deux heures, les religieuses et le séminariste sont demeurés à la merci d’une quinzaine d’hommes armés » indique Mgr Aguirre. « Ce qui m’a fait le plus mal est que l’on ne parle pas de ce qui se passe à Bangassou mais l’on rapporte des nouvelles telles que celle de l’arrestation de l’un des chefs de la LRA, Okot Odek, qui a été capturé loin de Bangassou, dans le nord du pays » souligne l’Evêque. « Okot Odek est un jeune qui avait été enlevé par la LRA pour devenir ensuite un chef criminel de ce groupe. Mais d’autres chefs de la LRA demeurent actifs et continuent à nous tourmenter » conclu Mgr Aguirre.

Selon des nouvelles de presse, Okot Odek a été capturé par le Front Populaire pour la Renaissance de Centrafrique (FPRC), une faction scissionniste de la Seleka qui l’a ensuite remis aux forces américaines envoyées en Centrafrique pour lutter contre la LRA. (L.M.) (Agence Fides 10/02/2016)

lundi 1 février 2016

LU POUR VOUS/NIGERIA - Témoignage de l’Evêque de Maiduguri après l’assaut et le massacre perpétrés dans le village de Dalori

 « Il s’agit d’un défi lancé à l’armée du Nigeria » déclare à l’Agence Fides S.Exc. Mgr Oliver Dashe Doeme, Evêque de Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno, dans le nord du Nigeria, dans les environs de laquelle se trouve le village de Dalori, attaqué le 30 janvier par les intégristes islamiques de Boko Haram.

« En frappant un village situé à seulement 4 Km de Maiguguri, où a son siège le quartier général des opérations contre Boko Haram, la secte islamiste a voulu démontrer que, malgré les forts coups infligés par nos militaires, elle est encore capable d’agir dans les environs de Maiduguri, qui est le lieu qui l’a vu naître » affirme Mgr Doeme. « A Dalori, aucune force de sécurité n’était présente au moment de l’attaque, menée avec une extrême brutalité. Les hommes de Boko Haram ont tué un grand nombre de personnes – au moins 86 selon les sources officielles NDR – brûlant la majeure partie des habitations alors que deux terroristes suicides se sont fait exploser en deux lieux du village » indique l’Evêque. « L’attaque a duré quatre heures, bien que le village ne se trouve qu’à 4 Km du quartier général des forces anti Boko Haram » souligne Mgr Doeme, qui ajoute : « Je pense que Boko Haram profite du manque de coordination entre les forces qui devraient la combattre. En outre, notre armée a des difficultés à entrer dans la forêt de Sambisa, où se trouvent les principales bases de la secte islamique. Tant que ces bases ne seront pas prises, les membres de Boko Haram pourront attaquer à leur guise dans différentes zones du nord du Nigeria ». « Le problème est que nos militaires ne sont pas bien équipés pour cette mission. J’ai recueilli des plaintes de certaines militaires, qui ne disposent pas d’armes pour combattre efficacement contre Boko Haram. Des efforts plus importants doivent être faits par tous » conclut l’Evêque. (L.M.) (Agence Fides 01/02/2016)