mercredi 26 septembre 2018

Sou et les croyances chez les Saras au Tchad


Pour mieux connaître un peuple, il faut connaître ses racines. Pour cela, il faut connaître sa mythologie, sa cosmogonie et sa cosmologie. Pour les peuples Sara, connaître leur génie civilisateur et leurs croyances permet de mieux saisir leur réalité. Nous reprenons ici une introduction faite par le père Joseph Fortier, un jésuite, dans son livre Le mythe et les contes de Sou en pays Mbaï-Moissala, Classiques africaines, 1967, pp 21-22.
            Au niveau des grands dieux, tous [les Sara] connaissent un esprit bienfaisant, créateur des hommes, parfois dieu de l’orage et de la pluie ; toutefois, chez les Ngambaye, ce dieu, pourtant connu, s’efface devant Sou, le héros civilisateur. Il est nommé Lúɓā ou Lúə̄ chez les Mbay  « Nə́ɓā » chez les Madjingaye et les Ngama ; « Núɓā kindā » chez les Kaba de Kyabé, qui soulignent ainsi son rôle créateur : Núɓā kindā  « il façonne et il pose ». Partout, c’est un seul et même dieu, très vite assimilé à Allah des musulmans, ou à celui des chrétiens.
            A Lúə-Núɓā, dans tout le Moyen-Chari, est associé « Kadə », dont le nom signifie « soleil » et qui donne la fertilité aux champs mais surtout la fécondité aux femmes. Les Madjingaye disent « mbang » pour désigner dans la vie quotidienne le soleil visible et réservent le mot « kadə » pour l’usage cultuel  les Kaba disent « Kadja ». On ne rend pas de culte à « Lúə̄ », car il est toujours bienfaisant, mais on rend un culte à « Kadə », car il intervient dans l’activité des hommes et peur leur nuire, si on ne l’honore pas.
            A un niveau inférieur, « Sou » est le premier ancêtre, le héros civilisateur, qui a apporté aux Sara les semences, les outils, les armes, le feu et le secret de l’initiation. C’est un personnage ambigu : souvent, il a gâté ou détruit l’œuvre de Lúə-Nəɓā. En dehors du Mythe, dans les contes, il apparait comme un farceur, un « trickster ».
            Nous ne parlerons pas ici des génies à forme animale, ou logeant dans les arbres ; particulièrement nombreux chez les Ngambaye, leur importance et leur rôle varient d’une tribu à l’autre.
            Au niveau du culte familial, on trouve partout :
a) Le culte des mânes : « Úma » chez les Ngambaye, « Má » chez les Mbay «  Ɓádə̄ » chez les Madjingaye et les Ngama. Après le grand sacrifice de levée de deuil, chez les Mbay, on dresse, en dehors du village, une hutte en branchages pour les morts, kújə́ má de gə̄. Chaque année, dans l’enclos familial, au mois de janvier, on fait une offrande de boule de mil et de poisson, accompagné d’une prière pour les morts  mais on n’élève pas d’autel permanent, à la différence des Madjingaye.
b) Le culte des jumeaux : Ndungajē (Ngambaye)  Ndingā gə̄ (May, Madjingay et Ngama)  Nunga (Kaba de Kyabé). Seul les Mbay de Moissala pratiquent ce culte indifféremment à la naissance de tous leurs enfants, jumeaux ou non.

samedi 8 septembre 2018

LU POUR VOUS/Qui est l’évêque ? Les réponses du pape François


Se méfier de la mondanité et fuir le cléricalisme
Qui est l’évêque ? Le pape a répondu à cette question en recevant une centaine d’évêques en territoire de mission, ce 8 septembre 2018, au Vatican. Il a particulièrement appelé les évêques à se garder de la mondanité, de l’arrivisme, et à fuir le cléricalisme.
Les jeunes évêques de l’audience, venus de 34 nations de quatre continents, participaient à un séminaire promu par la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, du 3 au 15 septembre, à Rome.
L’évêque, a expliqué le pape, est un homme de prière, un homme de l’annonce et un homme de communion. Il a recommandé notamment une prière employant le « franc-parler » avec Dieu et tournée vers le Christ : « Il est facile de porter une croix sur la poitrine, mais le Seigneur nous demande d’en porter une bien plus lourde sur les épaules et dans son cœur : il nous demande de partager sa croix », a-t-il souligné.
Le pape a aussi plaidé pour une attention particulière envers les familles, les séminaristes, les jeunes et les plus pauvres. L’évêque, a-t-il assuré, « ne se complaît pas dans le confort, il n’aime pas la vie tranquille et il n’épargne pas ses énergies, ni ne se prend pour un prince, il se prodigue pour les autres, en s’abandonnant à la fidélité de Dieu ».
Et de conclure : « Méfiez-vous, je vous en prie, de la tiédeur qui conduit à la médiocrité et à l’acédie, ce “démon de midi”… Méfiez-vous de la tranquillité qui esquive le sacrifice ; de la précipitation pastorale qui conduit à l’intolérance ; de l’abondance de biens qui défigure l’Evangile. N’oubliez pas que le diable entre par les poches ! Je vous souhaite au contraire la sainte inquiétude pour l’Evangile, la seule inquiétude qui donne la paix. »

Discours du pape François
Chers frères, bonjour !
Je suis heureux de vous rencontrer à l’occasion de votre séminaire de formation. Avec vous je salue les communautés qui vous sont confiées : les prêtres, les religieux et les religieuses, les catéchistes et les fidèles laïcs. Je suis reconnaissant au cardinal Filoni pour les paroles qu’il m’a adressées et je remercie aussi Mgr Rugambwa et Mgr Dal Toso.
Qui est l’évêque ? Interrogeons-nous sur notre identité de pasteurs pour en avoir davantage conscience, tout en sachant qu’il n’existe pas de modèle-standard identique dans tous les lieux. Le ministère de l’évêque donne le vertige, tant est grand le ministère qu’il porte en lui. Grâce à l’effusion de l’Esprit-Saint, l’évêque est configuré au Christ Pasteur et Prêtre. C’est-à-dire qu’il est appelé à avoir les traits du Pasteur et à faire sien le cœur du sacerdoce, qui est l’offrande de sa vie. Donc il ne vit pas pour soi, mais tendu vers le don de sa vie aux brebis, en particulier aux plus faibles en en danger. C’est pourquoi l’évêque nourrit une vraie compassion pour les foules de frères qui sont comme des brebis sans berger (cf. Mc 6,34) et pour tous ceux qui de diverses façons sont mis à l’écart. Je vous demande d’avoir des gestes et des paroles de réconfort spécial pour tous ceux qui expérimentent la marginalisation et la dégradation ; plus que d’autres, ils ont besoin de sentir la prédilection du Seigneur, dont vous êtes les mains prévenantes.
Qui est l’évêque ? Je voudrais esquisser avec vous trois traits essentiels : c’est un homme de prière, c’est un homme de l’annonce et c’est un homme de communion.
Homme de prière. L’évêque est successeur des Apôtres et comme les Apôtres il est appelé par Jésus à demeurer avec Lui. (cf. Mc 3,14). Là il trouve sa force et sa confiance. Devant le tabernacle il apprend à se confier au Seigneur. Ainsi grandit en lui la conscience que la nuit aussi, quand il dort, ou le jour, dans la fatigue et la sueur du champ qu’il cultive, le grain mûrit (cf. Mc 4,26-29). La prière n’est pas pour l’évêque dévotion, mais nécessité ; pas un engagement parmi d’autres, mais un ministère indispensable d’intercession : il doit porter chaque jour devant Dieu les personnes et les situations. Comme Moïse, il tend les mains vers le ciel en faveur de son peuple (cf. Ex 17,8-13) et il est capable d’insister auprès du Seigneur (cf. Ex 33,11-14), de négocier avec le Seigneur, comme Abraham. La parrhésie de la prière. Une prière sans franc-parler n’est pas prière. C’est le Pasteur qui prie ! Quelqu’un qui a le courage de discuter avec Dieu pour son troupeau. Actif dans la prière, il partage la passion et la croix de son Seigneur. Jamais satisfait, il cherche constamment à s’assimiler à Lui, en chemin pour devenir, comme Jésus, victime et autel pour le salut de son peuple. Et cela ne vient pas du fait de connaître beaucoup de choses, mais du fait de connaître une seule chose chaque jour dans la prière : « Jésus Christ, et Jésus crucifié » (1 Cor 2,2). Parce qu’il est facile de porter une croix sur la poitrine, mais le Seigneur nous demande d’en porter une bien plus lourde sur les épaules et dans son cœur : il nous demande de partager sa croix. Pierre, quand il expliqua aux fidèles ce que devaient faire les diacres récemment créés, ajoute – et cela vaut aussi pour nous, évêques : “La prière et l’annonce de la Parole”. A la première place, la prière J’aime poser la question à chaque évêque : “Combien de fois par jour prie-tu ?”.
Homme de l’annonce. Successeur des Apôtres, l’évêque ressent comme le sien le mandat que Jésus leur donna : « Allez et proclamez l’Evangile » (Mc 16,15). “Allez”: l’Evangile ne s’annonce pas assis, mais en chemin. L’évêque ne vit pas dans un bureau, comme un administrateur d’entreprise, mais parmi les gens, sur les routes du monde, comme Jésus. Il apporte le Seigneur là où il n’est pas connu, là où il est défiguré et persécuté. Et en sortant de lui, il se retrouve lui-même. Il ne se complaît pas dans le confort, il n’aime pas la vie tranquille et il n’épargne pas ses énergies, ni ne se prend pour un prince, il se prodigue pour les autres, en s’abandonnant à la fidélité de Dieu. S’il cherchait des points d’appui et des sécurités mondaines, il ne serait pas un véritable apôtre de l’Evangile.
Et quel est le style de l’annonce ? Témoigner avec humilité l’amour de Dieu, comme l’a fait Jésus, qui s’est humilié par amour. L’annonce de l’Evangile subit les tentations du pouvoir, de la satisfaction, du retour d’image, de la mondanité. La mondanité. Gardez-vous de la mondanité. Il y a toujours le risque de faire plus attention à la forme qu’au fond, de se transformer en acteurs plus qu’en témoins, de diluer la Parole du salut en proposant un Evangile sans Jésus crucifié et ressuscité. Mais vous êtes appelés à être des mémoires vivantes du Seigneur, pour rappeler à l’Eglise qu’annoncer signifie donner la vie, sans demi-mesure, prêts également à accepter le sacrifice total de soi.
Et troisièmement, homme de communion. L’évêque ne peut pas avoir tous les dons, l’ensemble des charismes – certains croient les avoir, les pauvres ! – mais il est appelé à avoir le charisme de l’ensemble, c’est-à-dire à garder unis, à cimenter la communion. L’Eglise a besoin d’union, non pas de solistes hors du chœur ou de guerriers de batailles personnelles. Le Pasteur rassemble : évêque pour ses fidèles, il est chrétien avec ses fidèles. Il ne fait pas les Unes des journaux, il ne cherche pas l’approbation du monde, il n’est pas intéressé par protéger son bon nom, mais il aime tisser la communion en s’impliquant en première ligne et en agissant de façon humble. Il ne souffre pas de manque de protagonisme, mais il vit enraciné dans son territoire, en repoussant la tentation de s’éloigner souvent du diocèse – la tentation des “évêques d’aéroport” – et en fuyant la recherche de gloire personnelle.
Il ne se lasse pas d’écouter. Il ne se base pas sur des projets faits sur un bureau mais il se laisse interpeller par la voix de l’Esprit, qui aimer parler à travers la foi des simples. Il devient tout un avec son peuple et d’abord avec ses prêtres, toujours disponible à recevoir et à encourager ses prêtres. Il promeut par l’exemple, plus que par les paroles, une sincère fraternité sacerdotale, en montrant aux prêtres que l’on est Pasteur pour le troupeau, et non pour des raisons de prestige ou de carrière, ce qui est si laid. Ne soyez pas arrivistes, s’il vous plaît, ni ambitieux : paissez le troupeau de Dieu « non pas comme patrons des personnes qui vous sont confiées, mais en vous faisant modèle du troupeau » (1 Pt 5,3).
Et puis, chers frères, fuyez le cléricalisme, « façon anomale de comprendre l’autorité dans l’Eglise, très commune dans de nombreuses communautés dans lesquelles se sont vérifiés des comportements d’abus de pouvoir, de conscience et sexuels ». Le cléricalisme – corrompt la communion, en tant qu’il « engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme. » (Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018). Par conséquent ne vous sentez pas seigneurs du troupeau – vous n’êtes pas les maîtres du troupeau – même si d’autres le font ou si certains usages du lieu le favorisent. Que le peuple de Dieu, pour lequel vous avez été ordonnés, vous sente pères, pas patrons ; pères prévenants : personne ne doit avoir envers vous d’attitudes de sujétion. A ce stade de l’histoire, l’on voit s’accentuer à divers endroits certaines tendances de “leaderisme”. Se montrer des hommes forts, qui gardent leurs distances et commandent les autres, pourrait sembler pratique et intéressant, mais ce n’est pas évangélique. Cela fait des ravages souvent irréparables dans le troupeau, pour lequel le Christ a donné sa vie avec amour, en s’abaissant et en s’anéantissant. Soyez donc des hommes pauvres de biens et riches en relations, jamais durs et grincheux, mais affables, patients, simples et ouverts.
Je voudrais aussi vous demander d’avoir à cœur, en particulier, certaines réalités :
Les familles. Bien que pénalisées par une culture qui transmet la logique du provisoire et privilégie les droits individuels, elles restent les premières cellules de chaque société et les premières Eglises, parce qu’Eglises domestiques. Promouvez des parcours de préparation au mariage et d’accompagnement pour les familles, ce seront des graines qui donneront du fruit en leur temps. Défendez la vie juste conçue comme celle de la personne âgée, soutenez les parents et les grands-parents dans leur mission.
Les séminaires. Ce sont les viviers de demain. Soyez pour eux un foyer. Vérifiez attentivement qu’ils soient guidés par des hommes de Dieu, par des éducateurs capables et matures, qui avec l’aide des meilleures sciences humaines,  garantissent la formation de profils humains sains, ouverts, authentiques, sincères. Donnez la priorité au discernement vocationnel pour aider les jeunes à reconnaître la voix de Dieu parmi celles qui retentissent dans leurs oreilles et dans leurs cœurs.
Les jeunes, donc, auxquels le Synode imminent sera dédié. Mettons-nous à l’écoute, laissons-nous provoquer par eux, accueillons leurs désirs, leurs doutes, leurs critiques, et leurs crises. Ils sont l’avenir de l’Eglise, ils sont l’avenir de la société : un monde meilleur dépend d’eux. Même quand ils semblent infectés par le virus du consumérisme et de l’hédonisme, ne les mettons jamais en quarantaine ; cherchons-les, écoutons leur cœur qui supplie vie et qui implore liberté. Offrons-leur l’Evangile avec courage.
Les pauvres. Les aimer signifie lutter contre toutes les pauvretés, spirituelles et matérielles. Consacrez du temps et de l’énergie aux plus nécessiteux, sans crainte de vous salir les mains. Comme apôtres de la charité, rejoignez les périphéries humaines et existentielles de vos diocèses.
Enfin, chers frères,  méfiez-vous, je vous en prie, de la tiédeur qui conduit à la médiocrité et à l’acédie, ce “démon de midi” (sic). Méfiez-vous de cela. Méfiez-vous de la tranquillité qui esquive le sacrifice ; de la précipitation pastorale qui conduit à l’intolérance ; de l’abondance de biens qui défigure l’Evangile. N’oubliez pas que le diable entre par les poches ! Je vous souhaite au contraire la sainte inquiétude pour l’Evangile, la seule inquiétude qui donne la paix. Je vous remercie pour votre écoute et je vous bénis, dans la joie de vous avoir comme les plus chers d’entre les frères. Et je vous demande, s’il vous plaît, de ne pas oublier de prier et de faire prier pour moi. Merci.
Traduction de Zenit, Anne Kurian