samedi 31 mai 2014

Tchad : Agent de l'Etat ou de l'ethnie (par Pascal Djimoguinan)


            Il est un fait au Tchad qui, au début, faisait sourire certaines personnes, puis avec le temps, a fini par agacer plus d’un pour tomber dans une indifférence complice de tous. Il s’agit en fait d’un comportement antirépublicain et anti citoyen, dangereux pour ne nation en construction comme le Tchad. Ce fait consiste en ce que lorsqu’une personne est nommée dans un poste important de l’Etat, les membres de son groupe ethnique fassent passer un communiqué à la radio nationale pour remercier le chef de l’Etat d’avoir nommé un de leur fils à ce poste de responsabilité. Normalement la République ne devrait pas cautionner de tels faits et cela pour plusieurs raisons.

            Ce qui se passe fait penser aux systèmes féodaux de gouvernement où la famille ou la dynastie régnante se doit de s’associer à d’autres familles et créer une alliance assez forte pour imposer sa domination. Ici, le pouvoir ne vient pas du peuple mais de la force, obtenu grâce à une gestion judicieuse des rivalités avec différentes familles puissantes, différentes cités… Nous retrouvons cela également chez les chefs de cantons du Tchad qui prennent habituellement une femme dans chacun de village de leur circonscription pour créer des alliances qui raffermissent leur autorité.

            La République ne doit pas salarier les communautés ethniques, sinon c’est la porte ouverte à la gabegie et le népotisme.

            En poussant la réflexion plus loin, il serait possible de démanteler la stratégie qui se trouve à la base de cette pratique. A quels critères obéit-on dans la nomination des agents de l’Etat ?

            Normalement, c’est la compétence qui devrait être mise en avant. C’est un citoyen qui est désigné pour être un commis de l’Etat. Il doit être performant dans son poste.

            Or les communiqués radiodiffusés nous font penser le contraire. Ils laissent à penser que c’est pour remercier telle ou telle communauté ethnique que seraient certaines personnes à des postes importants. Si tel était le cas, la compétence ne serait pas recherchée. En plus, l’agent en fonction ne serait plus redevable à l’Etat mais uniquement à sa communauté qui l’a propulsé à cette place. Il lui faudra donc rendre l’ascenseur au sein de sa communauté ethnique dont il devient d’emblée l’otage.

            Ainsi, petit à petit, on ne s’avance vers la construction d’une nation mais plutôt à la constitution d’agrégations d’intérêts ethniques prêtes à se disloquer pour se reformer plus loin autour du meilleur enchérisseur.

            La République devrait désormais interdire que ces communiqués « anti citoyens » passent à la radio nationale puisqu’ils encouragent des pratiques d’un autre âge et portent en eux des germes de dislocation de la nation. Aux postes de l’’Etat, ne sont nommés que des citoyens au service de l’Etat !

mercredi 28 mai 2014

France : pays des droits de l’Homme ? (par Pascal Djimoguinan)


            Les dernières élections en France montrent un net progrès de l’extrême-droite. Les partis républicains sont en recul. Est-ce un signe de ras le bol des français contre les partis politiques traditionnels ou est-ce parce que les français seraient devenus tout simplement xénophobes ?

            Quelles que soient les causes de la victoire du FN et de sa montée dans le paysage politique français, il y a lieu à s’inquiéter. Ce sont des français qui sont allés aux urnes et qui ont donné leurs voix au parti de Marine le Pen.

            Rien ne vient du hasard car les sondages prédisaient déjà la victoire du FN. Il serait faux de dire que les français ont voté Marine Le Pen mais qu’ils ne sont pas attachés à ses idées.

            Il faut se demander pourquoi les idées de Marine Le Pen attirent tant les français ? Face à la crise que connaît la France et l’échec du gouvernement socialiste de François Hollande de la résorber, il y a forcément un repli identitaire qui se fait. Le coupable est tout trouvé, c’est l’Europe qui enfonce la France dans la crise et vole le travail des français. Tous les partis traditionnels sont le cheval de Troie que l’Europe utilise pour mettre la France à genoux.

            Face à cette analyse simpliste mais qui attire les populations, les partis traditionnels ne brillent que par leur médiocrité. Les socialistes, au lieu de s’’attaquer aux problèmes qui inquiètent les français veulent se transformer en professeurs : « les gens n’ont pas compris, nous gardons le cap, c’est la faute à ceux qui étaient au pouvoir avant nous ». Et pendant ce temps, le président Hollande dégringole dans les sondages en battant tous les records de la Ve  République. « Tout va très bien madame la marquise, tout va très bien, tout va très bien ! »

            Et la droite ? Elle n’est pas en meilleure posture. Entre la guerre des chefs et les affaires l’aiguille balance ! Le ver est dans le fruit. C’est l’auto sabordage. La machine à perdre est en marche.

            Les lendemains sont inquiétants. Aucune politique valable n’est mise en place par les partis républicains. Les idées de Marine Le Pen se banalisent. Tout le monde les trouve normal. Faut-il continuer à surfer sur tout cela ? Les étrangers vivant en France ont raison de s’inquiéter. Quel sera leur avenir ?

            Il faut se croiser les doigts en attendant les prochaines élections. Il faut aussi espérer que les partis républicains vont se réveiller et mettront en place une vraie politique qui répondra aux besoins des français.

            En attendant, la patrie des Droits de l’homme est en train de couler. Où sont les partisans ?

« Amis entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine.

Amis entends-tu le cri sourd des pays qu’on enchaîne.

Ohé partisan ouvrier et paysans, c’est l’alarme

Ce soir l’ennemi connaitra le prix du sang et des larmes

            Montez de la mine, descendez des collines, camarades,

Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades,

Ohé, les tueurs, à vos armes et couteaux, tirez vite,

Ohé saboteur, attention à ton fardeau, dynamite…

            C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères

La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère

Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves

Ici, nous, vois-tu, nous on marche, nous on tue ou crève.

            Ici, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait, quand il passe

Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place,

Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur nos routes

Chantez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute…

            Ami, entends-tu les cris sourd du pays qu’on enchaîne

Ami entends-tu le vol noir du corbeau sur la plaine

mercredi 21 mai 2014

Afrique : Et si Boko Haram s’imposait… (par Pascal Djimoguinan)


            Depuis quelques temps, les informations qui viennent du Nigéria font froid au dos. La secte islamiste Boko Haram sévit : attentats terroristes sanglants, enlèvement de plus d’une centaine de jeunes filles dans l’intention de les vendre au meilleur enchérisseur ou de les marier de force. Les Etats frontaliers sont aux abois. Quelle attitude adopter ?

            Faut-il imaginer un instant que la secte parviennent à ses fins ? Que se passerait-il alors?

            Imaginons que la secte Boko Haram parvienne à s’emparer des régions du nord du Nigéria. Les écoles seraient automatiquement supprimées. Il faut à tout prix interdire l’enseignement occidental. Ne seront permis que des écoles coraniques. Les hôpitaux qui rappellent l’occident seront fermés. Pour toute maladie, il suffira de voir le marabout du quartier. Les enfants ne seront plus vaccinés car c’est une stratégie de l’Occident pour stériliser l’Afrique. Il y aura alors une remontée de la poliomyélite et de la méningite, d’abord dans le nord du Nigéria puis dans toutes les régions voisines. Cela ne sera interprété que comme le destin. La charia sera imposée dans la région et le prosélytisme va se développer. Le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Benin ne tarderont pas à être contaminés. Cela se fera dans la violence terroriste aveugle.

            On pourrait continuer mais il vaut mieux se réveiller et mieux prendre la mesure des choses. Comment arrêter cette menace Boko Haram avant qu’il ne soit trop tard. Comment peut-on interdire l’enseignement et l’éducation ? Comment peut-on faire l’apologie de l’obscurantisme ? Tous les intellectuels devraient prendre position. L’esprit humain ne peut s’enfermer dans les ténèbres de l’ignorance. Un nouvel humanisme doit peut-être naître mais il n’est pas question d’abandonner l’éducation et la culture !

samedi 17 mai 2014

Afrique : A quand la fin des indépendances? (par Pascal Djimoguinan)


            On se souvient de cette boutade rapportée par le professeur Jean-Paul Ngoupendé, parlant de paysans en Centrafrique qui, mécontents du sort qui leur était réservé, demandaient quand prendraient fin les indépendances. Si cela portait au début au sourire, il faut dire que cela devient maintenant un rire jaune. Que reste-t-il encore des indépendances africaines aujourd’hui ? Faut-il les jauger à l’aune du développement économique ou à celle de la sécurité ? Si l’économie était autrefois la brèche qui permettait à l’Occident de diriger l’Afrique, aujourd’hui c’est l’insécurité chronique qui règne en Afrique qui sort de cheval de Troie pour faire perdre au vieux continent son autonomie, jugez-en !

            En janvier 2013, pour arrêter la horde des djihadistes d’AQMI dans leur marche victorieuse vers Bamako, la France a dû intervenir militairement (pour mettre en œuvre la résolution 2085 du conseil de sécurité des Nations-Unies) en envoyant un contingent de soldats. Pendant ce temps, les africains passaient leur temps à discuter de l’opportunité d’une intervention au Mali ; il y avait plus de réunion que de réelle volonté d’intervenir concrètement. Dans la foulée de son intervention, la France a imposé des élections qui se sont déroulées dans un délai relativement court.

            En Centrafrique, lorsque les Nations-Unies votent leur résolution le jeudi 5 décembre par la résolution 2127 (qui autorise le déploiement de la mission internationale, le France intervint dans un pays qui se débattait depuis plusieurs mois dans une guerre civile qui se passait loin des medias. Dans la foulée, la France organisa un mini-sommet à l’Elisée sur la Centrafrique où sont convoqués divers chefs d’Etat africains. Le cœur de l’Afrique s’est déplacé à Paris où désormais les décisions les plus importantes sont prises au vu au su de tout le monde. Par la suite, la France en profitera pour réorganiser ses forces en Afrique avec le prétexte de la sécurité dans le Sahel. Il ne se trouve désormais plus personne pour protester. Le silence est éloquent : l’Afrique ne peut se passer du parrain français pour assurer sa défense.

            Le 17 mai 2014, le président Hollande convoque à l’Elysée les présidents du Nigéria, du Cameroun, Du Benin, du Tchad et du Niger pour un sommet sur la sécurité sur le Nigéria et pour voir comment contrer Boko Haram, cette secte islamiste qui sévit dans la région. Si l’Afrique francophone avait perdu son autonomie sur le plan sécuritaire depuis très longtemps, ce dernier sommet marque un tournant ; désormais l’Afrique anglophone, par le biais du Nigéria vient de signer son entrée dans la françafrique sécuritaire. Il n’y a plus de fierté. A l’impossible, nul n’est tenu.

            On ne peut plus demander quand viendra la fin des indépendances ; nous y sommes déjà. Nous sommes en train de vivre une nouvelle ère où les décisions les plus importantes pour l’Afrique se prennent ouvertement en Occident. Nous avons peut-être mérité cela puisque nous sommes incapables d’assurer notre propre sécurité. Nous avons préféré capables de bâillonner les peuples plutôt que celle qui pouvaient assurer sa sécurité. Nous ne nous sommes jamais occupé de la circulation des armes et exigé que les embargos soient respectés.

            Quelle Afrique allons-nous léguer à la prochaine génération ? Incapables de la développer sur le plan économique, nous sommes en train de resserrer les dernières entraves qui feront de l’Afrique un continent sans autonomie, et cela, peut-être avec bonne conscience, tout simplement parce que nous ne sommes pas conscients. Pauvre Afrique !

mercredi 14 mai 2014

Tchad RCA : Je t'aime moi non plus (par Pascal Djimoguinan)




            Lors de ses tournées au début du mois de mai dans les zones où le Tchad et la Centrafrique partagent les mêmes frontières, le chef de l’Etat du Tchad a décidé de la fermeture des frontières du côté tchadien. Cette décision vient confirmer d’autres mesures qui ont été prises tout au long de l’année écoulée. Cela n’augure rien de bon et il faut se demander dans quel sens évoluera la relation entre les deux pays.

            Dans le Salamat, le président a déclaré alors qu’il était dans la sous-préfecture de Daha : « Vous êtes à moins de 20m de la frontière avec la RCA. Sachez dès aujourd’hui que notre frontière avec ce pays est hermétiquement fermée. » A Roro dans le Lac Iro, il a exhorté les éleveurs peuls et arabes détenant les armes guerre à les remettre aux autorités compétentes sous peine de poursuite judiciaire ». Plus menaçant, il a déclaré que « Les anti-balaka, Djaraguina, Séléka, Djandjawids et les bandits de tous acabits seront désormais traités et neutralisés ». Il faut se demander s’il ne faut pas s’inquiéter de la dernière menace lorsque le président dit que « dorénavant le Tchad usera de son droit de poursuite pour traquer, ces hors la loi. »

            Le Tchad qui était très engagé au sein des forces internationales en RCA en était venu à décider du retrait de son contingent fort de 850 hommes de ce pays à la suite d’accusations répétées de partialité et de collusion avec l’ex Séléka.

            Le ton du discours du Tchad envers la RCA est en train de monter et il faut sérieusement se demander quelle sera la prochaine étape de la crise. Le droit de poursuite dont parle le chef de l’Etat se traduira-t-il par une incursion en Centrafrique ? La situation centrafricaine n’est-elle pas déjà assez compliquée avec les différents groupes armés qui y sévissent ?

            Pour revenir à la fermeture de la frontière avec la RCA, si elle est vraiment effective, il faudrait que cela ne concerne que les hommes armés qui vont commettre des forfaits de l’autre côté. Mais la question est de savoir si cette décision sera vraiment productive quand on sait que la Centrafrique manque de tout en ce moment et qu’elle a besoin de différents marchandises pour sa survie (Essence, arachides, haricot, oignons, ail, etc.)

            Les décisions devraient être prises en concertation avec le gouvernement de transition centrafricain. On comprend que le Tchad cherche par tous les moyens à éviter que le conflit centrafricain ait des incidences sur son territoire mais la panacée n’est pas dans la fuite en avant. Il vaut mieux, en accord avec les différents partenaires, voir ce qui serait profitable au Tchad et à la Centrafrique. Il faut être d’une large ouverture d’esprit et d’une grande transparence pour traiter ce problème. Espérons que la sagesse guidera le Tchad dans les mois à venir et que la dernière solution ne sera pas d’étrangler la RCA.

samedi 10 mai 2014

Lu pour vous/ ONU : l'urgence d'une mobilisation éthique mondiale

Un idéal commun de fraternité et de solidarité (texte intégral)
Pape François
ROME, 9 mai 2014 (Zenit.org) - Le pape François invite l’Organisation des Nations Unies à une « véritable mobilisation éthique mondiale qui, au-delà des différences de credo ou d’opinion politique, répande et mette en oeuvre un idéal commun de fraternité et de solidarité, spécialement envers les plus pauvres et ceux qui sont exclus ». Il diagnostique l'urgence de "résultats immédiats".
Le pape a en effet reçu ce vendredi 9 mai, à 11h, dans la Salle du Consistoire du palais apostolique du Vatican, des membres de l’ONU guidés par le Secrétaire général, Ban Ki-moon, plus précisément les membres du Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination (CCS) réunis à Rome pour leur « rencontre semestrielle de coordination stratégique ».
C’était la première fois que le pape François s’adressait ainsi à l’Organisation des Nations Unies. Il a cité les interventions de ses saints prédécesseurs Jean XXIII et Jean-Paul II en disant : « Ils sont source d’inspiration pour nous, par leur passion pour le développement intégral de la personne humaine et pour la compréhension entre les peuples, mise en évidence à travers les nombreuses visites de Jean-Paul II aux Organisations de Rome et ses voyages à New York, Genève, Vienne, Nairobi et à La Haye. »
Alors qu’ "une partie importante de l’humanité continue d’être exclue des bénéfices du progrès", le pape propose l'exemple évangélique de Zachée comme illustrant "l’esprit qui devrait être à l’origine et au terme de toute action politique et économique".
A.B.
Discours du pape François aux dirigeants de l'ONU
Monsieur le secrétaire général,
Mesdames et Messieurs,
J’ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue, Monsieur le secrétaire général et vous autres, hauts dirigeants des organismes, des fonds et des programmes de l’ONU et des organisations spécialisées, réunis à Rome pour votre rencontre semestrielle de coordination stratégique du « Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination ».
Il est significatif que cette rencontre se tienne quelques jours après la canonisation solennelle de mes prédécesseurs, les papes saint Jean XXIII et saint Jean-Paul II. Ils sont source d’inspiration pour nous, par leur passion pour le développement intégral de la personne humaine et pour la compréhension entre les peuples, mise en évidence à travers les nombreuses visites de Jean-Paul II aux Organisations de Rome et ses voyages à New York, Genève, Vienne, Nairobi et à La Haye.
Merci, Monsieur le secrétaire général, pour les paroles cordiales que vous m’avez adressées en introduction. Merci à vous tous, qui êtes les principaux responsables du système international, pour les grands efforts accomplis en faveur de la paix mondiale, du respect de la dignité humaine, de la protection de la personne, en particulier des plus pauvres et des plus faibles, et d’un développement économique et social harmonieux.
Les résultats des Objectifs de développement du millénaire, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la diminution de la pauvreté extrême, représentent une confirmation de la validité du travail de coordination de ce Conseil des chefs de secrétariat. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le fait que les peuples méritent et espèrent des fruits encore meilleurs. C’est le propre de la fonction de direction de ne jamais se satisfaire des résultats acquis, mais de s’engager chaque fois davantage, parce que ce qui a été obtenu ne se consolide que si l’on cherche à obtenir ce qui manque encore.
Dans le cas de l’organisation politique et économique mondiale, ce qui manque encore est considérable, étant donné qu’une partie importante de l’humanité continue d’être exclue des bénéfices du progrès et, de fait, est reléguée au statut d’êtres humains de seconde catégorie.
Les futurs Objectifs de développement durable devraient donc être formulés avec générosité et courage, afin qu’ils parviennent effectivement à avoir une incidence sur les causes structurelles de la pauvreté et de la faim, à obtenir des résultats substantiels en faveur de la protection de l’environnement, à garantir à tou un travail décent et à offrir une protection adéquate à la famille, élément essentiel de tout développement économique et social durable. Il s’agit, en particulier, de relever le défi de toutes les formes d’injustice, en s’opposant à l’ « économie de l’exclusion », à la « culture du rebut » et à la « culture de la mort » qui, malheureusement, pourraient devenir une mentalité passivement acceptée.
C’est pour cette raison que je voudrais vous rappeler, à vous qui représentez les instances les plus hautes de la coopération mondiale, un épisode d’il y a environ 2000 ans, raconté dans l’Évangile de saint Luc[1] : il s’agit de la rencontre de Jésus-Christ avec le riche publicain, Zachée qui, lorsque sa conscience a été réveillée par le regard de Jésus, a pris la décision radicale de partager et de faire justice. Voilà l’esprit qui devrait être à l’origine et au terme de toute action politique et économique. Le regard, souvent sans voix, de cette partie de l’humanité rejetée, laissée derrière nous, doit remuer la conscience des acteurs  politiques et économiques et les conduire à faire des choix généreux et courageux, qui aient des résultats immédiats, comme cette décision de Zachée.
Cet esprit de solidarité et de partage guide-t-il toutes nos pensées et toutes nos actions ? Aujourd’hui, en particulier, la conscience de la dignité de tous nos frères, dont la vie est sacrée et inviolable depuis sa conception jusqu’à son terme naturel, doit nous amener à partager, avec une totale gratuité, les biens que la providence a mis entre nos mains, que ce soit des richesses matérielles ou des œuvres de l’intelligence et de l’esprit, et à restituer généreusement et en abondance ce que nous avons pu injustement refuser aux autres.
L’épisode de Jésus-Christ et Zachée nous enseigne que la promotion d’une ouverture généreuse, efficace et concrète aux besoins des autres doit toujours être au-dessus des systèmes et des théories économiques et sociales. Jésus ne demande pas à Zachée de changer de travail, ni de mettre en accusation son activité commerciale ; il le conduit seulement à tout mettre, librement mais immédiatement et sans discuter, au service des hommes. Tout cela me permet d’affirmer, à la suite de mes prédécesseurs[2], qu’un progrès économique et social équitable ne peut s'obtenir qu’en alliant les capacités scientifiques et techniques et un engagement de solidarité constant, accompagné d’une gratuité généreuse et désintéressée à tous les niveaux.
Par conséquent, contribueront à ce développement l’action internationale, qui s’efforce d’obtenir un développement humain intégral en faveur de tous les habitants de la planète, comme la légitime redistribution des biens économiques par l’État et l’indispensable collaboration de l’activité économique privée et de la société civile.
Tout en vous encourageant à poursuivre votre travail de coordination des activités des organismes internationaux, qui est un service rendu à tous les hommes, je vous invite à promouvoir en même temps une véritable mobilisation éthique mondiale qui, au-delà des différences de credo ou d’opinion politique, répande et mette en oeuvre un idéal commun de fraternité et de solidarité, spécialement envers les plus pauvres et ceux qui sont exclus.
J’invoque l’aide divine pour le travail de votre Conseil et je demande une bénédiction spéciale de Dieu pour vous, Monsieur le secrétaire général, pour tous les présidents, les directeurs et les secrétaires généraux ici réunis et pour tout le personnel des Nations-Unies et des autres agences et organisations internationales, ainsi que leurs familles.
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
[1] Cf. Luc 19, 1-10.
[2] Cf. Benoît XVI, Caritas in veritate, 6, 24-40 etc. ; saint Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, 42-43 et Centesimus annus, 43.

vendredi 9 mai 2014

Nouvel ordre mondial : faut-il donner sa langue au chat ? (par Pascal Djimoguinan)


            Il est impossible de nos jours de se retrouver dans la politique internationale. C’est à se demander s’il y a encore des repères. Autrefois, on parlait de légitimité, de l’Etat et de la souveraineté. Aujourd’hui, tout cela semble être jeté aux oubliettes. Quelques Etats semblent s’être transformés en arbitres infaillibles, pouvant seuls décider ce que tout le monde doit accepter. Parcourons quelques cas.

            Il n’y a pas longtemps, tous les Etats occidentaux faisaient la cour à Kadhafi, jusqu’à ce que certains d’entre eux aient décidé qu’il n’est plus fréquentable. Nous avons vu comment ces Etats se sont transformés en « communauté internationale », livrant Kadhafi à la vindicte populaire. Tant pis si l’après Kadhafi est un chaos.

            En Syrie, ces mêmes Etats ont décidé que l’Etat n’est pas souverain. La souveraineté a été attribuée à la rebellion qu’on a formée, armée et qu’on essaie de maintenir vaille que vaille. Tant pis si des intégristes islamistes ont pion-sur-rue. Ce qui intéresse la « communauté internationale », ce n’est pas l’avenir de la Syrie mais le départ de son actuel président. N’est-ce pas qu’on ne fait pas des omelettes sans casser les œufs ? En dehors de la vieille Europe et de l’Outre Atlantique, la souveraine est un vain mot. L’insurrection est à encourager.

            Le cas le plus emblématique est celui de l’Ukraine. Qui pourrait vraiment expliquer ce qui s’y passe ? D’abord il y a eu des manifestations pro-européennes. La « communauté internationale » les a soutenues jusqu’à la fuite du président légitime. Il est remplacé par une autre équipe et chose curieuse, le fameux qualificatif « d’autoproclamé » n’a jamais été attribué à ceux qui ont pris le pouvoir. En réaction, la Crimée organise des manifestations contre ceux qui ont pris le pouvoir. La « communauté internationale » est contre. Lorsque les manifestants de la Crimée prennent le pouvoir, ils sont qualifiés « d’autoproclamés ».

            La « communauté internationale » avait encouragé les manifestations en Ukraine. Les ukrainiens se trouvent du bon côté. Lorsque les prorusses manifestent, la Russie est trainée dans la boue. Deux poids, deux mesures.

            Maintenant, il faut attendre pour voir comment la partialité de la « communauté internationale » mène le monde. Il ne faut surtout pas se trouver du mauvais côté. L’ordre du monde est établi par la « communauté internationale ».

lundi 5 mai 2014

Tchad : construction d'une nation dans le quotidien (par Pascal Djimoguinan)


            Aussi paradoxale que cela puisse paraître à certain qui scrutent plutôt les indices de la macro-économie et les sphères de la haute politique, on peut affirmer que la nation tchadienne est en train de se former vaille que vaille et qu’il y a lieu à adopter un optimisme (non pas beat mais réaliste) face à l’avenir.

            Il est vrai qu’à bien de niveau, les indicateurs traditionnels sont au rouge quand il s’agit de parler de cohésion sociale et de la construction nationale au Tchad. Il s’agit ici de sortir des paradigmes habituels qui ne correspondent plus à la réalité pour en créer de nouveau. Nous oublions souvent que nous sommes dans le postmodernisme et qu’il n’y a plus de canons auxquels il faut rester collé. Notre chance est qu’il faut tout le temps inventer et créer. La nation tchadienne est, en ce sens, à inventer, à créer par la nouvelle génération.

            La chance du pays repose justement sur les épaules de cette nouvelle génération qui est à plus d’un titre différente de l’ancienne.

            L’ancienne génération était assez timorée, et ses différents membres vivaient dans un complexe mortifère. L’ethnie était collée à leur peau et personne n’osait entreprendre ce qui, d’une manière plus ou moins tacite, était l’apanage d’une région ou d’un clan.

            Les jeunes d’aujourd’hui au Tchad ne se gênent plus et ne se laissent plus enfermer dans ce carcan. Il est étonnant de voir avec quelle liberté ils s’expriment, sans peur d’appartenir à une sous classe. Ils ont réussi à se libérer de tout cela.

            Le signe le plus frappant est celui du mariage. Jusque il y a encore dix ans, il était rare que les mariages se fassent en dehors des différentes ethnies ou des différentes tribus. Aujourd’hui, les parents de l’ancienne génération avalent leur langue de travers car leurs progénitures ne les suivent plus dans les critères fortement ethnicisés du mariage. Autrefois, le groupe sara restait dans son aire géographique, la Mayo Kebbi ne sortait pas de son fief ; il en était de même des régions de l’Est et du Nord du pays. Il n’en est plus question car il y a un brassage effectif de la population qui se fait. Les jeunes sars ou les ngambayes n’hésitent plus à prendre femme ou mari chez les massas, les toupouris, les kims et chez les moundangs. Les gouranes, les kanembous ou les zaghawas n’hésitent plus à prendre des femmes au Sud du Tchad.

            Ce que la politique n’a jamais réussi à faire est en train de se réaliser sous la poussée de la nouvelle génération. La nation tchadienne est en train de naître à partir du bas, c’est-à-dire d’où on ne l’attendait pas.

            Les vingt prochaines années seront décisives dans la constitution de cette nation. C’est un devoir citoyen que d’encourager ces mariages même si l’on est de l’ancienne génération. Il faut reconnaître que la société est en mutation et qu’il ne sert à rien de vouloir arrêter le train en marche.