lundi 13 mai 2013

Les langues africaines peuvent être un terreau pour la réflexion (par Pascal Djimoguinan)


La danse des mots ou encore les sapeurs de la langue sont des émissions radiophoniques bien truculentes qui sont bien suivies. Une langue, si elle est ciselée par les hommes avec beaucoup de dextérité, elle découpe quant à elle le monde avec une certaine poésie qui ne manque pas de charme. Ainsi, pour comprendre un peuple, il faut comprendre sa langue. Il suffit de voir comment le monde est exprimé dans les langues africaines. Les traductions académiques laissent souvent s’échapper le génie de ces langues. Nous allons en donner quelques exemples en parlant des langues sara du sud du Tchad. N’importe quel locuteur d’une langue de l’Afrique subsaharienne s’y retrouvera.

Je me rappelle notre amusement lorsque nous étions jeunes, d’entendre parler français les anciens combattants qui traduisait directement de leur langue maternelle sans tenir compte de la syntaxe. Ainsi l’un d’eux disait à ses amis : « Coupez-moi la bouche dans le ventre du marché » ; pour tout locuteur cela ne posait pas de problème et signifiait tout simplement que celui qui parlait demande aux autres de le rejoindre en prenant un raccourci qui traverse le marché.

Les langues sara découpent le monde comme un grand corps dont les différentes parties sont les membres et organes. Pour comprendre cela, prenons l’exemple d’une case. Pour la décrire, il compare au corps humain. Ainsi la tête de la case est son toit, la poitrine les murs, le ventre l’intérieur, le dos signifie derrière la maison et par extension les toilettes.

Cette compréhension s’étend aux meubles. Tout mobilier en hauteur a une tête. On pose quelque chose sur la tête de la table, on s’assoie sur la tête d’une chaise, on dort sur la tête du lit. Par contre tout ce qui est plat où à même le sol a un ventre. On dort donc dans le ventre d’une natte. On hésite entre s’assoir sur la tête d’un fauteuil ou dans son ventre.

Une personne peut être sur la poitrine d’un arbre (ce qui signifie être à côté d’un arbre) ou sur la tête d’un arbre (monté dans un arbre). Ce n’est pas la même chose d’être dans le ventre d’un véhicule que d’être sur la tête du véhicule. Dans le premier cas, c’est être dans la cabine ou dans une voiture fermée alors que dans le deuxième cas, cela signifie être assis derrière un camion.

Le mot ciel est traduit par dara, don ran, do ra ; cela pourrait se traduire par la tête de ra ou au-dessus de ra (beaucoup y voit le dieu Ra égyptien mais cela est une autre histoire)

Enfin, « gouverner » est traduit par un mot assez rare qui ne revient que pour désigner trois autres choses (kon).

- Dans un premier cas, ce verbe est utilisé pour dire manger la boule (nourriture de base). On ne l’utilise pas pour dire manger quand il s’agit de dire manger d’autres choses.

- Dans un deuxième cas, il est utilisé pour dire brûler. C’est pour exprimer l’action du feu sur tout ce qu’il rencontre.

- Enfin, le verbe est utilisé pour la famine. Habituellement, pour parler la faim normale, on utilise un autre verbe. Dès qu’on utilise le verbe « kon » associé à la faim, pour exprimer une situation d’urgence, due à la sècheresse ou à de mauvaises récoltes.

Est-ce par simple homophonie (et dans ce cas cela ne serait pas fortuit) le même mot est utilisé pour signifier la souffrance.

Il faudra alors peut-être inventer un autre mot pour exprimer l’idée de gouverner dans un Etat moderne et le rendre plus proche de la bonne gouvernance.

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