mercredi 12 août 2015

La saison des pluies à Sarh (par Pascal Djimoguinan)



            Il est étonnant de voir que dans la ville de Sarh, on ne retient que les aléas du climat, particulièrement la saison des pluies ; c’est à croire que le climat n’a que son côté désagréable et que la saison des pluies est à éviter. Cette conception des choses fait qu’on passe souvent à côté des merveilles de la réalité.
            Lorsque l’on accepte de supporter les petites épines, on peut contempler les belles roses. Bien sûr, la saison des pluies apporte son lot de désagréments. Il faut cependant savoir voir toute la vie qui grouille pendant ces moments.
            On constate facilement le retard des pluies et leur irrégularité et cela fait que l’on ne constate même plus que la vie est en train de naître tout autour. Tout reverdit et les effets néfastes de la grande chaleur sur la nature disparaissent.
            Il suffit de s’arrêter sur son chemin et prendre la peine de prendre les sentiers qui longent les routes. On sera surpris de se retrouver en plein village. Des champs à perte vue. Ici, du gombo, là de l’oseille, plus loin des citrouilles…
            Il suffit de quelques mètres pour se transformer en paysan. Il suffit tout simplement d’enlever ses lunettes de citadin endurci, d’ouvrir les yeux pour assister au miracle.





lundi 10 août 2015

Ô Mort, quand tu nous tiens (par Pascal Djimoguinan)



            Les anthropologues nous ont appris que ce qui différencie les humains de leurs congénères animaux, c’est le respect aux morts et tout le rite qui l’entoure. Depuis la nuit des temps, l’homme a accordé aux funérailles une très grande importance. Cependant, nous sommes en droit de nous interroger si au Tchad, nous ne sommes pas en train d’assister à un changement de paradigme parce que toute la simplicité et le respect est en train de faire place à un mercantilisme effréné et à une démonstration abusive de richesse avec des dépenses exagérées ?
            La célébration de la mort au Tchad a pris ces dernières années une allure inquiétante. Il ne s’agit plus de recueillement pour faire mémoire du disparu mais étalage de tout ce que la famille peut avoir comme richesse, au risque de s’endetter.
            Alors que très peu de personnes n’interviennent pour l’hospitalisation et l’achat des médicaments pendant la maladie, le décès provoque une folie généralisée.
            Autrefois, les obsèques du défunt se faisait dans les jours qui suivaient le décès. Aujourd’hui, il est de bon ton de laisser passer au minimum une semaine (en conservant le corps à la morgue) avant de procéder à l’enterrement. Pendant ce temps, les membres de la famille se réunissent chez l’un d’eux pour le deuil.
            Ce temps d’attente qui s’allonge d’année en année, vide les bureaux car les personnes éprouvées, tant qu’elles n’auront pas enterré leur parent, ne vont pas au travail. Les dossiers peuvent s’empiler sur les tables, on verra cela plus tard.
            Dans les lieux de recueillement, il faut bien nourrir chaque jour le monde qui se réunit. Il faut que la nourriture soit abondante pour éviter d’éventuelles critiques qui ne manqueront pas. Il faut donc prévoir un bon budget pour cela.
            Les membres de la famille du défunt les plus proches doivent songer à acheter des uniformes pour l’enterrement. On a pris l’habitude de l’appeler « d’honneur » (cela vient des filles d’honneur qui, lors des mariages, s’habillent d’une manière spéciale).
            Dès la veille de l’enterrement, il faut penser à la chapelle ardente. Il y a des agences de location des bâches et des meubles pour construire ce lui où le mort sera exposé. Chacun cherche à louer les meilleures chapelles ardentes. Il faut épater la galerie, tant pis pour le portefeuille.
            Autrefois, au fur et à mesure que les gens arrivaient au lieu du deuil, ils allaient voir le corps du défunt. Maintenant, tout est organisé, ritualisé. On attend le moment de la visite du corps. Alors, un long défilé passe pour regarder pour la dernière fois le corps. C’est le moment de toutes les exubérances, surtout du côté des femmes ; il y en a qui perdent connaissance (toujours les mêmes) et qu’il faut transporter. Cela fait partie du décor.
            Une fois que la cérémonie a eu lieu, on peut maintenant procéder à la levée du corps et aller au cimetière pour l’enterrement.

samedi 1 août 2015

Le mongo est-il une langue pauvre ? (par Pascal Djimoguinan)



            Il est courant d’entendre dire que les langues africaines sont des langues pauvres car elles ne peuvent pas conceptualiser et ont très peu de mots. Malheureusement il y a des africains qui s’engouffrent dans cette brèche ouverte par les scientistes du XIXème  siècle qui étaient en quête de théorie capable de légitimer la colonisation. Suivant cette théorie de langue pauvre, le mongo,  (langue du groupe sara) devrait disparaître dans les oubliettes car seules les langues occidentales seraient capables de fournir l’outil nécessaire à la communication aujourd’hui.
            Ce que l’on oublie souvent dans ce genre de débat est que le rôle d’une langue est de permettre la communication. Dès qu’une langue permet cette communication, on ne peut plus dire qu’elle est pauvre. Or il y a plusieurs milliers de personnes qui communiquent en mongo et rien n’indique que cette communication passe mal.
            Une seconde chose est que ce qu’on appelle pauvreté d’’une langue n’est en fait que le fait de sortir une langue de son contexte (du milieu où elle est utilisée) pour la mettre dans un nouveau milieu. Il ne faut pas oublier que toute langue vivante s’adapte et emprunte des nouveaux mots pour exprimer des réalités tout à fait nouvelles. L’exemple du français est bien parlant puisqu’il a emprunté des mots dans les langues qui ont été en contact avec lui (latin, grec, anglais, etc)
            L’illusion de la pauvreté des langues africaines vient du fait qu’on a l’impression que les langues européennes sont plus riches parce qu’elles ont plusieurs mots pour nuancer, préciser une réalité. Une langue peut avoir plusieurs mots pour nuancer une réalité liée au à un contexte socioculturel précis. Prenons un simple exemple en mongo pour montrer l’inanité de cette idéologie de langue pauvre.
            Pour exprimer l’action d’une femme en train de travailler au mortier avec son pilon, le français n’a qu’un seul verbe, piler pour exprimer là où le moment a plusieurs nuances :
- « Soueu » exprime piler mais en ce sens que l’on est en train d’enlever les grains de mil de l’épi.
- « Seub », piler dans le sens d’enlever le son du mil
- « kindeu kid », piler dans le sens de nettoyer le reste de son du mil déjà pilé.
- « Kour », piler dans le sens d’écraser le mil pour faire de la farine
- « neut », piler la semoule de mil en y ajoutant un peu d’eau
- ‘ « Ngueu », c’’est piler le mil pour faire directement la farine, sans avoir au préalable enlevé le son.
            On traduirait invariablement toutes ces actions en français par le verbe piler sans savoir qu’il y a des nuances très importantes pour ceux qui utilisent le mil. Il ne viendrait pour autant pas dans l’esprit d’un mongo de tirer la conclusion que le français serait une langue pauvre.