vendredi 16 octobre 2020

TCHAD : Proverbes mongo, des repères pour penser (par Pascal Djimoguinan)

             De nos jours, les proverbes africains ont mauvaise presse. Beaucoup s’imaginent que ces connaissances immémoriales inscrites dans des formes bien stylées sont des obstacles à la réflexion. D’autres s’imaginent que les proverbes sont les marques d’un temps révolu et qu’ils n’ont plus rien à nous dire aujourd’hui. Cependant faudrait-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? N’avons-nous plus rien à apprendre des proverbes. L’expérience du passé sert de point d’appui pour l’homme d’aujourd’hui pour se projeter vers l’avenir. Ceux qui savent écouter les proverbes d’autant sauront mieux interpréter les signes d’avenir que ceux qui s’y ferment. Nous reprenons ici quelques proverbes en mongo pour vous faire goûter leur saveur et la profondeur de la sagesse qui s’y trouve.

1- ɓətə̄ kə́ ɓi usə mṵnjə aĺ : Le singe qui dort ne mange pas le haricot.

            Celui qui ne fournit pas d’effort n’aura pas de quoi manger. Il faut travailler pour subvenir à ses besoins.

2- Kádé má̰ngá, dɔé bɔẃ : Les tiges sont à la berge et les épis sont chez les pêcheurs

            C’est le partage qui fait vivre la société. Si le cultivateur fait pousser le céréale, il a besoin de pêcheurs pour avoir le poisson pour sa sauce. Le pêcheur a également besoin du travail du cultivateur.

3- Nje wō̰nḡ ə aĺ : L’homme coléreux ne grossit pas.

            Dans la vie, il faut savoir mettre de l’eau dans son vin. Il faut quelquefois savoir faire des concessions et avoir le sens du compromis.

4- ɓə́y ɓə́y túgə̄ kāgə̄ ɓə̄ ɓə́y ɓə́y ijə múndə̄ aĺ : Qui remet à demain trouvera malheur en chemin.

            A force de remettre à plus tard ce qu’on peut faire aujourd’hui, on laisse passer les opportunités.

5- Nəl̄ taí-tə́ indəī ndə̰nḡ tə́ : Si tu trouves que c’est trop succulent, tu vas attraper l’indigestion.

            Il ne faut pas abuser de bonnes choses.

6- Man̄ ndi tósə̄ kárē kárē ɓá tə́l man̄ bā ulə. Goutte après goutte, l’eau de la pluie devient un torrent tumultueux.

            La persévérance et le travail permettent de réaliser les grands œuvres.

7- D-ídə̄m m-ō aĺ a̰y̰ə̰̄ man̄ y̰anā̰. Celui qui dit qu’il n’écoute pas les conseils finira en fugitif qui ne pourra se désaltérer que de l’eau recueillie sur les feuilles des arbres sauvages.

            Tout être humain a besoin des conseils de ses semblables, quelle que soit son intelligence.

8- Kədə̄ oō bole kuté ɓá usə né kɔn para : L’éléphant connaît l’épaisseur de son anus, aussi peut-il se nourrir d’épine.

            Avant de s’engager dans une entreprise, il faut s’assurer qu’on a assez de ressources pour la mener jusqu’au bout.

9- Yvəĺ kə́ ta ɓā əmə ta go̰y̰é tə́. L’oiseau bavard est gras au niveau de son postérieur (car il ne bouge pas)

            Il ne suffit pas de bavarder, il faut joindre les œuvres à la parole.

10- Kow̄ sā tə́ nāl̄ magə̄ aĺ. Celui qui va consulter les devins et marabouts finira par être possédé par les esprits.

              Qui cherche trouve

11- Mēkó̰ ləí tō kūlə síndə̄, ngōbɔbí tō pal. Ton frère du coté maternel est une rêne tandis que ton frère du côté paternel est un naja (serpent)

            Il y a plus de confiance et de solidarité entre les frères et cousins du côté maternel qu’entre ceux du côté paternel.

12- Naál ndje ndúɓə dāa uwə ndje kɔdə̄. Quand le projectile rate celui qui s’occupe du soufflet, il atteint celui qui forge.

            Il y a une solidarité entre les associés.

13- ɓal oō kulə̄ míndə̄ madé tə́ da kogə̄ né aĺ. Quand le bouc voit la corde au coup de son compère, il ne se moque pas de lui.

            Il ne faut pas se moquer des malheurs de ses semblables car chacun a son tour chez le coiffeur.

14- Ndɔ̄ ndām lə mbə́ dá kɔde mbutə dɔé tə́. Le jour de la danse de l’idiot, le tambour crève.

            Le malchanceux connaît toujours des déboires.

15- Né ɔdə man̄ ɓá man̄ lə́n̄g. Pour que l’eau clapote, il faut qu’elle soit touchée.

            Il n’y a jamais d’effets sans causes.

16- Pər oy dá d-úlə jī mbə́ tə́. Quand la torche est éteinte, on la remet à l’idiot.

            Quand une chose n’a plus de valeur, on la remet au miséreux.

17- Ó̰ mur̄ na̰ā̰ tə́ sə ngōn dáā a ndə̰y̰ḭ̄ kadə̄ ɔ̄wī tawa tə́ na̰ā̰ tə́. Si tu manges en compagnie d’un gamin, il te proposera que vous alliez ensemble aux toilettes.

            Dans toute relation, il faut savoir garder ses distances.

18- Kində kadə ɓole ɓá to koō ndi nō̰ kūnjə̄. C’est en tapotant le poulailler qu’on peut entendre les poulets

            La fortune sourit aux audacieux. Il faut savoir interroger la vie.

19- Mulə uwə kó̰ kūnjə́ lə nje ndoō. Le matou attrape la poule du pauvre.

            Le malheur ne s’abat que sur le pauvre.

20- Sḭ lə dow̄ kə boý ətə aĺ. Le pet de l’homme fort ne sent pas.

            La raison du plus fort est toujours la meilleure.




jeudi 8 octobre 2020

Un clin d’œil à la littérature africaine, Amos TUTUOLA (par Pascal Djimoguinan)

 

                       En souvenir de mes années du secondaire, je voudrais revisiter une page de la littérature africaine en relisant Amos Tutuola, un écrivain nigérian ( né le 20 juin 1920 et mort le 8 juin 1997). Je n’ai jamais cessé d’être impressionné par son ouvrage « The palmwine drinkard ». On y retrouve toute la spontanéité  et toute la vivacité de la narration africaine. La page que nous avons choisie de retranscrire n’a rien à envier au cycle de Merlin l’enchanteur.

            Je me rendis dans un village aux environs de cette huitième ville, où par bonheur je rencontrai un esprit-magicien en train de faire étalage de son pouvoir magique devant le principal chef du village. Je voulus entrer en compétition avec lui et montrer moi aussi de quoi j’étais capable aux chefs qui étaient rassemblés là. Je changeai le jour en nuit et tout devin aussitôt sombre ; je dis à mon rival de faire revenir le jour sous sa forme habituelle, mais il n’y parvint pas. Après cela, je le changeai en chien et il se mit à aboyer aux trousses de tous ces gens ; et, comme mon pouvoir s’avérait visiblement plus fort que le sien, le chef et tous les habitants offrirent à moi seul tous les cadeaux qui auraient dû être partagés entre nous deux. Je lui rendis ensuite sa forme usuelle d’esprit. Je fis un paquet de tous les cadeaux et, sans en offrir un seul à mon rival, je me remis en marche vers la huitième ville.

            A environ un mille du village, je vis venir cet esprit-magicien à ma rencontre. Il me demanda de partager les cadeaux avec lui, mais je refusai. Il se changea aussitôt en un serpent venimeux et chercha à me mordre, mais alors je fis appel à mon tour à mon pouvoir magique et, me transformant en un long bâton, je me mis à le frapper à coups répétés. Roué de coups et se sentant près à mourir, il fut bien forcé de quitter sa forme de serpent et se changea en un feu qui réduisit le bâton en cendres et commença à me brûler moi aussi. Sans hésiter, je me changeai en pluie et l’éteignis d’un seul coup. Mais il avait la rapidité prompte et il prit le dessus un fois de plus, se muant en un puits profond au fond duquel je me trouvai tout à coup à ma grande surprise. En un instant le puits fut rempli jusqu’au bord. Je compris qu’il voulait remettre le couvercle et me laisser mourir prisonnier dans le puis, aussi je pris la forme d’un poisson et remontant à la surface, je m’apprêtais à bondir hors de l’eau. Au même moment, il se changea en crocodile et, sautant dans l’eau, se mit en devoir de me dévorer. Mais avant qu’il ait pu m’atteindre, j’étais devenu un oiseau, et transformant tout le tas des cadeaux en une seule pomme de palmier, je saisis celle-ci dans mon bec en m’envolant tout droit vers la huitième ville. Sans plus attendre, mon rival prit la forme d’un grand faucon et s’élança à ma poursuite.

(Un ivrogne dans la brousse, trad. de Raymond Queneau, Editions Gallimard, Paris)