dimanche 27 septembre 2015

La renaissance de l'Etat colonial (par Pascal Djimoguinan)



Qu’il nous soit permis de faire recours à Jean-Paul Sartres dans Les mains sales : « Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars ! Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien, reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi, j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. »
            La politique au XXIème fait sienne cette citation de Hoederer. Elle n’est faite ni par la fakir ni par les moines. Elle a ainsi tendance à oublier sa propre racine, sa source. Si la politique ne se réduit pas à la morale, elle ne peut s’en passer. Sinon on arriverait à la pire des injustices.
            La politique a toujours pris soin de définir la souveraineté des peuples et leurs droits. Le XIXème siècle avait remis cela en cause et l’on a vu le colonialisme triompher. Certains Etats se sont octroyé les droits de régenter d’autres États et de proclamer les bienfaits de la colonisation. Il s’agit en fait, pour ces États de vouloir étendre leur souveraineté sur d’autres territoires situés en dehors de leurs frontières nationales.
            On a cru cette époque révolue et que les droits des peuples à l’autodétermination étaient enfin reconnus. La réalité est malheureusement autre. Lorsqu’on regarde vers le Proche et le Moyen-Orient, on se rend compte qu’il y a une régression dans la politique internationale. Il suffit de voir l’Irak et la Syrie.
            Le cas de la Syrie dépasse les entendements. Il y a des États occidentaux qui s’octroient la légitimité de décider qui a le droit de faire quoi en Syrie et qui n’en a pas le droit. On voudrait que toute légitimité en Syrie se décide à Paris. Les capitales occidentales s’enferment dans un autisme qui fait le jeu des intégristes. Il est impossible aux occidentaux de se rendre compte que l’aggravation de la situation en Syrie découle de leur politique sans vision. Paris a-t-elle la légitimité de décider que l’avenir de la Syrie doit se construire sans Bachar al Assad ? N’est-ce pas qu’en France, même la question des votes des étrangers est taboue ?
            Il faut se ressaisir et faire jouer la politique internationale traditionnelle. Combattre les intégristes de l’EI, puis négocier avec Bachar avec les moyens habituels de la diplomatie. Toute la politique adoptée jusqu’ici et qui va à l’encontre de la politique antérieure du monde arabe est improductive et fait avancer les intégristes.
            ‘Si les politiciens étaient moins aveuglés par leurs ambitions, ils verraient combien il est impossible qu’aucun établissement, quel qu’il soit, puisse marcher selon l’esprit de son institution, s’il n’est dirigé selon la loi du devoir ; ils sentiraient que le plus grand ressort de l’’autorité publique est dans le cœur des citoyens et que rien ne peut suppléer aux mœurs pour le maintien du gouvernement. Non seulement il n’y a que des gens de bien qui sachent administrer des lois, mais il n’y a dans le fond que des honnêtes gens qui sachent leur obéir. » (Jean-Jacques Rousseau)



vendredi 25 septembre 2015

Burkina, les leçons d'un putsch finalement pas si bête (par Pascal Djimoguinan)



            Mais quelle mouche a piqué les militaires du régiment de sécurité présidentielle (RSP) du Burkina avec à leur tête le général Gilbert Diendéré en ce mois de septembre 2015 ?
            Alors qu’une transition était en cours et que des élections étaient en vue, les militaires de la garde prétorienne de l’ancien président Blaise Compaoré avaient choisi de passer par un putsch pour tout balayer et remettre un militaire au pouvoir. Ils étaient les seuls par ailleurs à ne pas se rendre compte qu’ils allaient à contre sens de l’histoire. C’est l’image d’un chauffeur au volant d’une voiture sur une autoroute mais avec cette particularité qu’il roule dans le sens inverse de la circulation. On peut s’imaginer le danger qu’il représente pour les autres usagers de la route.
            Un adage a beaucoup eu de succès dans les medias sociaux pendant le putsch : « C’est le coup d’Etat le plus bête du monde ».
            Contre mauvaise fortune il faut faire bon cœur. Ce putsch ne devait pas avoir lieu mais les faits sont têtus. Il faut donc en savoir tirer une leçon pour l’avenir. Tous les militaires doivent savoir que le temps des coups d’Etat est fini. Il faut laisser la place à la parole libérée.
            Les burkinabè ont su défendre leur liberté. Nous tirons notre chapeau aux militaires burkinabè qui n’ont pas voulu suivre la division présidentielle dans son errement.
            Le général Gilbert Diendéré a eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître avoir fait une bêtise et de l’avoir affirmé après son entretien avec Yayi Boni et Mahamadou Issoufou. Ce qu’il a dit devrait être affiché dans tous les académies militaires en Afrique :
            « Pour moi, le putsch est terminé, et on n’en parle plus,. Je déplore dans un premier temps les différentes victimes - parce qu’il y a eu quand même des victimes, il y a eu des blessés -, ça c’est mon très grand regret. Il y a eu des dégâts matériels. C’est un très grand regret pour moi. Je crois que nous avons tiré les leçons pour l’avenir… Le plus gros tort a été de faire ce putsch, parce qu’aujourd’hui, lorsque l’on parle de démocratie, on ne peut pas se permettre des actions de ce genre. Enfin, cela s’est passé. Nous avons su que le peuple n’était pas favorable à cela, c’est pour cela que nous avons tout simplement abandonné. »



vendredi 11 septembre 2015

Mon rival, mon semblable. Afrique d’hier et aujourd’hui (par Pascal Djimoguinan)



            Autrefois, en pays Sara, il n’était pas donné à tout le monde d’épouser une femme qui était déjà dans les liens matrimoniaux avec un autre homme. Les histoires de rivalité s’arrangeaient dans le sang qui, seul était capable de laver les affronts de ce genre.
            Masngar avait eu l’outrecuidance d’épouser Madyon, une femme qui était déjà mariée et qui, ayant eu des problèmes avec son mari, avait regagné son village. La femme avait eu, de son premier mariage, un enfant qui était resté avec son père.
            Après quelque temps dans son nouveau foyer avec son Masngar, Madyon, appris le décès de son enfant resté dans le village de son ancien mari. Elle décida donc d’aller assister aux funérailles de son enfant.
            Masngar réunit les siens pour l’accompagner aux funérailles du fils de sa femme et de son rival. Il lui fut vivement déconseillé de s’y rendre car la famille du rival pourrait prendre cela comme une provocation. Toute la famille refusa donc d’accompagner Masngar.
            Masngar se trouvait devant un dilemme. S’il ne se rend pas aux funérailles, Madyon pourrait ne plus revenir car il n’a pas été capable de la soutenir pendant le deuil de son fils ; s’il s’y rend, il pourrait y trouver la mort car son rival ou ses proches pourraient le défier dans un combat singulier.
            Masngar, après réflexion, fit égorger un cabri. Il se fit préparer un bon repas qui prit le temps de manger, puis pris la peau de la bête qu’il enroula, prit son fourreau de couteaux de jet et une sagaie et se rendit au village où il y avait les funérailles du garçon.
            Arrivé au lieu du deuil, Masngar choisit un arbre non loin de l’endroit où le corps était exposé et s’assied ; il attendit un temps relativement long puis se leva, prit la peau de bête qu’il avait apporté. Il laissa sur place son fourreau de couteaux de jet et sa sagaie et alla vers le corps désarmé. Après avoir regardé le cadavre, il déposa la peau de bête à côté du corps puis regagna sa place sous l’arbre, attendant l’heure de l’enterrement. Ce qui agaçait Masngar, c’est qu’il avait oublié de prendre du tabac avec lui. Il avait une forte envie de fumer.
            Il vit que dans un groupe d’hommes, quelqu’un était en train de fumer. Il se leva, laissa ses armes sur place et alla vers le fumeur. Il a toujours existé une très grande solidarité entre les fumeurs. L’autre lui passa sa pipe. Il put ainsi tirée quelques bouffées, puis remit la pipe au propriétaire et repartit s’asseoir.
            Bientôt un groupe d’hommes s’approcha de Masngar. Il vit que son rival était parmi eux. Il hésita entre se lever pour se mettre en garde et attendre tranquillement assis ; il opta pour la seconde solution. Le groupe s’approcha de lui. Son rival vint s’asseoir en face de lui et le salua en disant : « Tu as accepté de venir enterrer avec moi mon enfant ; désormais je te considère comme un frère, plus comme un rival. Merci pour ce geste que tu as posé, tu es un grand homme ! » Tout le groupe salua Masngar. Parmi eux, il y avait encore un fumeur. Masngar lui demanda sa pipe et tira avec plaisir quelques bouffées avant de la lui remettre.
            Masngar attendit la fin de l’enterrement avant de rentrer chez lui, assuré que sa femme allait rentrer à la fin du deuil.