vendredi 10 janvier 2014

Tchad : l'origine de la chefferie de Maibombaye (par Pascal Djimoguinan)


            Maïbombaye est le chef-lieu d’un canton au nord de Doba dans le Logone Oriental au Tchad. Ce canton regroupe une bonne quinzaine de villages et est entouré des cantons de Kara, de Mongo et de Nassian. Il fait partie des cantons mongos qui constituent en grande partie le département de la Pendé.

L’histoire de la chefferie de Maïbombaye ne commence pas dans ce chef de lieu du Canton. A en croire les anciens, l’histoire commence loin, de l’autre côté du fleuve qui se trouve à Doba. Il s’agit beaucoup plus de saga.

            Il y avait une fois, loin, très loin, derrière le fleuve de Doba, un village qui porte le nom de Bédia. Vous trouverez bien ce fleuve si, en partant de Doba, vous traversez le fleuve et que vous alliez vers Donia. Dans ce village, Le chef avait deux fils, très vaillants, l’aîné et son frère cadet. Ce chef était convaincu que sa succession n’allait pas poser de problème, surtout qu’il avait déjà atteint un certain âge. Il savait surtout que le conseil des anciens allait respecter sa préférence car il voyait bien qui des deux pouvait lui succéder à sa mort.

            C’est donc avec cette assurance qu’il s’éteignit un soir, rejoignant paisiblement ses ancêtres avec la conscience d’avoir accompli sa mission sur la terre.

            Ce que cet homme ne savait pas, c’est que le conseil des anciens n’était pas d’accord avec son choix. Cependant, en hommes avisés, les anciens voulaient sauver les apparences.

            Comment donner le droit de succession au frère cadet sans que cela n’apparaisse comme une injustice ? Après le temps des funérailles, les anciens tinrent conseil et décidèrent que celui des deux frères qui succèdera à son père, c’est celui qui sortira vainqueur de l’épreuve qui leur sera proposée.

            L’épreuve consistera en ceci : tous les deux candidats seront à cheval. Ils auront à quitter la place centrale du village au galop, aller jusqu’à un arbre qui se trouve à une certaine distance, revenir et avec un  des couteaux de jet se trouvant dans le fourreau, abattre la chèvre qui est attachée sur la place publique.

            Les deux fils du chef acceptèrent de bon cœur car ils étaient tous les deux de bons cavaliers et très adroits dans l’utilisation des couteaux de jet. L’aîné était convaincu de sa future victoire car il savait qu’il était le meilleur.

            Le jour de l’épreuve, les deux frères arrivèrent sur la place du village noire de monde. Ils étaient tous les deux jeunes et très beaux sur leurs chevaux ; c’était des princes à l’allure altière.  Il faisait une atmosphère de fête. Les gens s’étaient parés de leurs plus belles parures. Les femmes avaient leurs plus belles tresses et leurs perles de fête. Les joueurs de tam-tams et de balafons animaient cette assemblée.

            Le représentant du conseil des anciens se leva et un silence se fit. On pourrait presque couper ce silence au couteau. Les deux concurrents se placèrent dans la position de départ et on remit à chacun d’eux un fourreau avec des couteaux de jet. Le tambour donna le signal ; les deux s’élancèrent. On les vit s’éloigner du village puis disparaître au loin. Tout le monde retint son souffle. Des yeux, chacun essayait de percer dans l’horizon le premier qui reviendrait après avoir atteint l’arbre où se trouvaient des témoins qui pourront attester de la régularité de l’épreuve. Soudain, on vit apparaître au loin un point. C’est l’un des deux fils du chef qui revenait. Très vite, on reconnut Mbaylem (c’était le nom du fils aîné). Il s’approcha rapidement de la place centrale, de la chèvre et tenta de retirer un couteau de jet du fourreau. Il ne réussit pas du premier coup. Il refit un second passage mais en vain. Le frère cadet qui était arrivé entretemps, réussit du premier coup à abattre la chèvre. Tout le monde l’acclama. Le conseil des anciens le proclama rapidement chef du village. Il avait gagné son titre à la régulière. La fortune lui avait souri.

            Mbaylem se retrouva tout seul. Il était tout malheureux de sa maladresse, ne comprenant pas comment, par deux fois, il n’avait pas réussi à sortir son couteau de jet du fourreau. Instinctivement, il reprit son fourreau et essaya de sortir un couteau de jet. Il sentit une résistance. Il essaya de voir de plus près. Il se rendit compte qu’on avait rempli son fourreau de sable. C’était impossible dans ces conditions de retirer un couteau de jet du fourreau. Il comprit que le conseil des anciens n’avait pas voulu de lui comme chef. Les dés avaient été pipés. Les sages avaient fait leur choix en donnant l’impression qu’il s’agissait d’un jugement de Dieu.

            Mbaylem entra dans une grande colère. Il décida de quitter le village. Il partit très tôt le matin. Une de ses sœurs décida de le suivre dans son aventure. Ils traversèrent le fleuve et s’enfoncèrent dans la brousse, allant tout droit devant eux. Ils marchèrent longtemps, longtemps, longtemps. Vers le milieu de l’après-midi, ils s’arrêtèrent en pleine brousse pour une pause. Ils s’assirent sous un arbre pendant que la sœur faisait une cuisine improvisée.

            On vit soudain une meute de chiens aboyant, à la poursuite d’une biche. Ils ne tardèrent pas à l’arrêter. Des hommes arrivèrent pour achever la biche mais une discussion s’éleva entre eux car chacun estimait que c’était son chien qui avait le premier bondit sur la biche et que la tête de l’animal lui revenait. Mbaylem intervint pour dire que c’était tel chien, de tel pelage, qui avait réussi à arrêter la biche. Tout le monde se mit d’accord. Ils invitèrent donc Mbaylem et sa sœur à rentrer avec eux au village. Mbaylem se plut au village et y demeura. Fort de son expérience de fils de chef, il aidait les villageois de ses conseils, prit une part active dans les jugements et dans l’organisation du village.

            A la fin, on demanda à Mbaylem de devenir le chef du village car comme prince, il en avait la capacité. Le village prit le nom de Mai-wong-mbay (Je me suis révolté à cause de la chefferie) ; ce nom est devenu Maïbombaye dans la transcription française.

            Jusqu’aujourd’hui, la chefferie de Maïbombaye se fait d’une manière qui peut paraitre bizarre à beaucoup. Le fils aîné, né de la première femme ne succède jamais à son père. C’est toujours le fils de la deuxième ou troisième femme qui devient chef. La cérémonie d’investiture est toujours préparée et dirigée par des envoyés du village Bédia, de l’autre côté du fleuve.

            Mbaylem engendra Telngon, Telngon engendra Ngahalba , Ngahalba engendra Laye, Laye engendra Tadeamngar, Tadeamngar engendra Ngahassoum, Ngahassoum engendra Padjadongar, Padjadongar engendra Ngarhinguem, Ngarhinguem engendra Béleum qui est l’actuel chef de canton de Maïbombaye.

            Si vous voulez des précisions, allez interroger Bélheum, l’actuel chef de Canton de Maïbombaye. Je ne sais pas si ses pères ont eu la sagesse de lui enseigner l’histoire de la dynastie. Généralement ce sont les mères qui ont la sagesse d’apprendre toute l’histoire à leurs enfants !



 
 


1 commentaire:

  1. Benjamin N'djétogoum6 décembre 2014 à 04:51

    Merci P. Pascal pour cette histoire merveilleusement bien écrite. Je l'ai souvent entendu des anciens mais je la trouve très organisée et bien présentée ici. Je souhaite que cela soit publié en un livre pour les générations à venir.

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