mardi 7 janvier 2014

Centrafrique : décryptage d'une image (par Pascal Djimoguinan)


            Une simple image de l’AFP et tout y est dit. On voit plusieurs personnes dans une voiture, en train de quitter la Centrafrique. Cette image est une parmi tant d’autres puisqu’il y a des milliers d’expatriés qui partent du pays, aussi bien en avion que par la route. Il serait intéressant de s’arrêter une minute sur cette image.

            Il est bien difficile de dire la marque de la voiture sur la photo. Cela pourrait bien être une toyota corola mais ce n'est pas important. Ce qui est important, c’est que c’est voiture est vue de derrière. Elle est en train de partir. Il n’y a plus de doute à ce sujet. Les adieux sont faits et la voiture a pris la route. Sur le toit, on aperçoit plusieurs personnes, cinq en tout. On est surpris de la jeunesse de ce  beau monde. Ils sont assis sur des valises et des baluchons, ressemblés sans doute en hâte. Parmi les garçons, une fille est assise. Dans la coffre ouvert, il y cinq enfants. Ils doivent avoir entre 8 et 12 ans. L’un deux sourit, sans doute pour se donner une certaine contenance. Sur les côtés de la voiture, on voit des bidons et des tapis.

            Sur la photo, on ne voit que d’improbables voyageurs. Les passagers qu’on aperçoit ne sont pas à leur place. Ils ont pris place aux endroits qui ne sont pas prévus pour les voyageurs. On les voit là où ils ne devraient pas être ; ils ne voyagent pas car cela n’est pas prévu. Est-ce là le symbole du chamboulement de toute la Centrafrique pendant ce conflit qui la traverse ?

            On ne voit pas ceux qui voyagent réellement, c’est-à-dire ceux qui sont assis à la place réservée aux passagers. Combien sont-ils ? On ne le saura jamais. Y a-t-il vraiment quelqu’un dans la voiture ? Y a-t-il un chauffeur dans la voiture ? Qui dirige cette voiture et qui conduit-il ?

            Ceux qu’on voit regardent tous vers l’arrière. Qu’est-ce que cela exprime ? Leur regard n’exprime pas une grande peur ; cela signifie qu’ils ne sont pas poursuivis pour le moment. Mais on ne peut s’empêcher, en le voyant, de penser à la femme de Lot qui, en sortant de Sodome, ne put s’empêcher de regarder derrière elle et fut transformée en statue de sel. Ils ne savent pas où ils sont obligés d’aller, pourtant ils doivent quitter l’endroit qu’ils connaissent bien. Ces gens semblent perdre leur passé et tendre vers un avenir incertain.


Devant la voiture, on aperçoit quelques personnes en marche. Certaines semblent venir vers la voiture alors que d’autres vont dans le même sens. D’autres sont arrêtés auprès d’un gros porteur se trouvant devant la voiture. Notre voiture fait sans doute partie d’un convoi quittant la Centrafrique. Mais on ne voit pas les passagers du gros porteur. En fait, personne ne voyage, mais tous quittent la Centrafrique. Ce sont des anonymes qui partent.

. Les regards tombent certainement sur le photographe ; pouvons-nous dire qu’il est neutre ? Prendre une photo, c’est déjà d’une certaine manière prendre position, ne serait-ce qu’en se plaçant sur le point de vue de la compassion. Qui est derrière le photographe ? Les miliciens ? Est-ce les forces de maintien de la paix ou simplement les habitants du quartier ? Tous sont plus ou moins acteurs de ce drame qui se déroule. Nous sentons un malaise monter en nous. La photo nous place au milieu de ces différents acteurs. Nous ne pouvons pas nous échapper ; nous prenons déjà part au drame qui se déroule en Centrafrique. Notre seul choix, c’est peut-être de voir où nous nous plaçons: faisons-nous partie des miliciens d’un camp ou de l’autre? Ou bien des forces de maintien de la paix? Ou bien de la population du quartier?
            Voilà l’image de la Centrafrique en ce moment. Il faudrait que très vite, chacun reprenne sa vraie place et d'œuvrer pour que les choses aillent mieux.

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