vendredi 3 janvier 2014

Un cas de la fête des prémices au Sud du Tchad : Bendoh (par Pascal Djimoguinan)


            Je voudrais ici faire un devoir de mémoire. En 1992, j’ai eu un entretien avec un oncle paternel sur l’origine du nom d’un de nos villages du canton Maybombaye, de la préfecture de Doba dans le Sud du Tchad, Bendoh. Cet oncle a rejoint le pays des ancêtres que les mongos appelent « koh ». Il était très connu dans la région : monsieur Sanengar Ambroise. Je reprends ici brièvement l’explication qu’il m’a donnée. Ma mémoire peut faire défaut sur tel ou tel détail, mais l’essentiel est là. D’autres pourraient continuer les recherches en vue de préciser tel ou tel aspect sur lequel je serais passé trop rapidement.

            A l’origine, la plupart des villages de l’actuel canton de Maybombaye avait comme point de ralliement un village. Ce n’était pas une primauté de type administratif ; ce n’était pas un point de commandement ni une primauté par rapport aux autres villages. Ce n’était tout simplement qu’un point de ralliement cultuel, en rapport avec la culture.

            Ce village, ce point de ralliement, ce haut lieu, avait reçu plusieurs noms qui sont encore utilisés aujourd’hui par les natifs. Certains l’appelaient Ndeurdjigui, d’autres Bekolo mais officiellement, tout le monde l’appelle Bendoh.

            Le nom de Bendoh vient du rôle que jouait le village dans la zone. Tous s’entendaient pour célébrer d’une certaine manière les prémisses. C’était une façon de remercier les ancêtres des récoltes dans toute la zone.

            Dans les temps anciens, lorsque les anciens s’entendaient sur un principe, tout le monde le mettait en pratique. Et en ce temps-là, sur toute la relation de l’homme par rapport à la terre et aux cultures, il y avait des règles bien précises qu’il fallait respecter. Une seule personne qui transgresse ces règles pouvait attirer sur les terres une malédiction dont l’expiation ne peut avoir lieu que par des célébrations des chefs de terre. Mais ce n’est pas ce dont nous voulons parler ici.

            Si les semailles se font en suivant une procédure bien déterminée, il est plus intéressant de noter ce qui se fait pour les prémisses. Lorsque les épis de mil sont arrivés à maturité, personne ne prend sur soi de commencer les récoltes. Les anciens dans les différents villages se concertent pour établir un calendrier pour les récoltes. La lune joue un rôle très important dans l’établissement de ce calendrier car c’est toujours la nouvelle lunaison qui annonce les récoltes.

            Tous les villages doivent prélever dans leurs champs des épis de mil qu’ils envoient à Bendoh. Avec ces épis, on prépare la bili-bili, bière locale. Tout le monde sait que la préparation de cette boisson prend trois jours. En même temps que commence la préparation de cette bière à Bendoh, chaque village prépare sa bili-bili avec une partie des prémisses qu’il aura gardée.

            Ce qui est intéressant et qu’il faudra retenir, c’est que si chaque village prépare la bili-bili, personne ne doit la boire avant que certains préalables auront été remplis. Chaque village envoie des représentants à Bendoh. Chacun d’eux recevra une gourde de bili-bili préparée avec les prémisses venant de tous les villages. A leur retour, le contenu de cette gourde sera versé dans la bili-bili du village. Alors la fête pourra commencer. Dans tous les villages, on pourra boire et fêter car c’est la saison des récoltes.

            La fête des prémisses était en même temps la fête de l’unité de tous les villages de la zone. Il fallait s’entendre pour que les récoltes, année après année soient bonnes. Aujourd’hui, il n’y a plus que les vieux qui se rappellent encore ce temps où on célébrait ensemble l’unité. Si cela a disparu, ce sont désormais les marchés hebdomadaires dans les villages qui essaient de jouer ce rôle mais est-ce suffisant ? Ces marchés sont devenus les endroits où se perdent les bonnes habitudes, au point où les villageois disent qu'il ne faut pas mourir un jour de marché sinon il n'y aura personne pour vos funérailles!

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