Le XVIIème est considéré en Europe comme une
période où il y a eu un tournant important, tant dans l’histoire des lettres
que dans celle des sciences de la nature. Le regard que l’Europe porte sur
l’Afrique est plein de condescendance. Jusqu’au XIXème siècle, ce continent ténébreux comme
l’appelait Curt von Morgen (en 1889) n’était pas vu comme capable de produire
quelque chose d’important sur le plan intellectuel. Le philosophe Hegel
(1770-1831) dira même que « ce que
nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique
non-développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se
trouve encore au seuil de l’histoire universelle (La Raison dans
l’histoire).
Pourtant, en Afrique-même, les choses se passent
différemment. Pendant que vivait et pensait en Europe, en pleine lumière celui
qui est considéré comme celui qui donnera naissance à la philosophie moderne,
René Descartes, quelque part en Afrique, vivait et pensait un homme dont la
force pensée est souvent comparée par les philosophes avertis au cartésianisme.
Il s’agit de Zera Yacob (1599–1692).
Zera Yacob est né en 1599 dans une modeste famille
d’Aksoum, ancienne capitale d’Ethiopie. Il fera ses études à l’école
traditionnelle où il apprendra les saintes écritures (dont les psaumes de
David), la poésie et la littérature en Guèze. Assez vite il sera en conflit
avec l’empereur Susenyos qui s’était converti au catholicisme. Il fuira dans la
montagne où il vivra comme un ermite pendant deux ans. Il mettra ce temps à
profit pour développer sa philosophie. Suite à cette expérience, il dira :
« J’ai appris plus seul dans une
grotte que lorsque je vivais au milieu des lettrés. Ce que j’écris ici dans le
livre est très peu de chose mais dans ma grotte, j’ai médité sur beaucoup
d’autres choses de ce genre. »
A la mort de l’empereur, il sortira de son ermitage et
s’établira à Emfraz où il épousera une fille d’une riche famille. Il
considérait que cela ne valait pas la peine de vivre en moine ; il
avançait même que « La loi
chrétienne qui statut la supériorité de la vie monastique sur la vie
matrimoniale est fausse et ne peut venir de Dieu. » Il n’était pas
pour autant en faveur de la polygamie : « La loi de la création, disait-il, commande qu’un homme n’épouse qu’une
femme. »
En 1667, Yacob écrivit son Traité de Zera où il fit une investigation sous la lumière de la raison.
Il y recherche la vérité, en allant plus loin que les opinions populaires
entachées d’intérêts et de la facilité d’accès aux choses qui caractérisent
l’humain. Sa pensée donne une place primordiale à la raison, qui doit être le
tribunal suprême pour le jugement. Sa philosophie comporte une éthique qui suit
le principe de l’harmonie. Ainsi, pour lui, ce qui fait la moralité d’une
action, c’est qu’elle s’accorde ou non avec l’harmonie dans le monde.
Sa philosophie est théiste. Bien que croyant à la divinité
en laquelle il se réfère comme Dieu, Yacob rejeta toutes les formes de
croyances religieuses établies. Il pense que la vérité doit plutôt être
recherchée dans l’observation du monde naturel.
Yacob n’échappera à la tendance du temps de chercher les
preuves de l’existence de Dieu dans sa philosophie. Ainsi, à l’exemple des
premiers grands philosophes chrétiens de l’histoire, il utilisera l’idée de la
cause première dans sa preuve de l’existence de Dieu : « Si je dis que mon père et ma mère m’ont créé,
alors je dois chercher le créateur de mes parents et des parents de mes parents
jusqu’au premier qui ne fut pas créé comme nous mais qui vint au monde d’une
autre manière sans génération. » Pour lui, la connaissance de Dieu ne
dépend pas de notre intellect humain. Nous connaissons Dieu d’une autre
manière : « Notre âme peut
avoir le concept de Dieu et peut le voir mentalement. Dieu n’a pas donné ce
pouvoir pour rien. En le donnant, il donne en même temps la réalité. »
Ce qu’il est important de retenir, c’est que Yacob a
fait sa philosophie la langue locale. Cela signifie qu’il est possible en
Afrique, de faire une philosophie digne de ce nom. Il suffit de s’y mettre.
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