mercredi 8 janvier 2014

Zera Yacob, un philosophe africain du 17ème siècle (par Pascal Djimoguinan)


            Le XVIIème est considéré en Europe comme une période où il y a eu un tournant important, tant dans l’histoire des lettres que dans celle des sciences de la nature. Le regard que l’Europe porte sur l’Afrique est plein de condescendance. Jusqu’au XIXème   siècle, ce continent ténébreux comme l’appelait Curt von Morgen (en 1889) n’était pas vu comme capable de produire quelque chose d’important sur le plan intellectuel. Le philosophe Hegel (1770-1831) dira même que « ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique non-développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle (La Raison dans l’histoire).

            Pourtant, en Afrique-même, les choses se passent différemment. Pendant que vivait et pensait en Europe, en pleine lumière celui qui est considéré comme celui qui donnera naissance à la philosophie moderne, René Descartes, quelque part en Afrique, vivait et pensait un homme dont la force pensée est souvent comparée par les philosophes avertis au cartésianisme. Il s’agit de Zera Yacob (1599–1692).

            Zera Yacob est né en 1599 dans une modeste famille d’Aksoum, ancienne capitale d’Ethiopie. Il fera ses études à l’école traditionnelle où il apprendra les saintes écritures (dont les psaumes de David), la poésie et la littérature en Guèze. Assez vite il sera en conflit avec l’empereur Susenyos qui s’était converti au catholicisme. Il fuira dans la montagne où il vivra comme un ermite pendant deux ans. Il mettra ce temps à profit pour développer sa philosophie. Suite à cette expérience, il dira : « J’ai appris plus seul dans une grotte que lorsque je vivais au milieu des lettrés. Ce que j’écris ici dans le livre est très peu de chose mais dans ma grotte, j’ai médité sur beaucoup d’autres choses de ce genre. »

            A la mort de l’empereur, il sortira de son ermitage et s’établira à Emfraz où il épousera une fille d’une riche famille. Il considérait que cela ne valait pas la peine de vivre en moine ; il avançait même que « La loi chrétienne qui statut la supériorité de la vie monastique sur la vie matrimoniale est fausse et ne peut venir de Dieu. » Il n’était pas pour autant en faveur de la polygamie : « La loi de la création, disait-il, commande qu’un homme n’épouse qu’une femme. »

            En 1667, Yacob écrivit son Traité de Zera où il fit une investigation sous la lumière de la raison. Il y recherche la vérité, en allant plus loin que les opinions populaires entachées d’intérêts et de la facilité d’accès aux choses qui caractérisent l’humain. Sa pensée donne une place primordiale à la raison, qui doit être le tribunal suprême pour le jugement. Sa philosophie comporte une éthique qui suit le principe de l’harmonie. Ainsi, pour lui, ce qui fait la moralité d’une action, c’est qu’elle s’accorde ou non avec l’harmonie dans le monde.

            Sa philosophie est théiste. Bien que croyant à la divinité en laquelle il se réfère comme Dieu, Yacob rejeta toutes les formes de croyances religieuses établies. Il pense que la vérité doit plutôt être recherchée dans l’observation du monde naturel.

            Yacob n’échappera à la tendance du temps de chercher les preuves de l’existence de Dieu dans sa philosophie. Ainsi, à l’exemple des premiers grands philosophes chrétiens de l’histoire, il utilisera l’idée de la cause première dans sa preuve de l’existence de Dieu : « Si je dis que mon père et ma mère m’ont créé, alors je dois chercher le créateur de mes parents et des parents de mes parents jusqu’au premier qui ne fut pas créé comme nous mais qui vint au monde d’une autre manière sans génération. » Pour lui, la connaissance de Dieu ne dépend pas de notre intellect humain. Nous connaissons Dieu d’une autre manière : « Notre âme peut avoir le concept de Dieu et peut le voir mentalement. Dieu n’a pas donné ce pouvoir pour rien. En le donnant, il donne en même temps la réalité. »

            Ce qu’il est important de retenir, c’est que Yacob a fait sa philosophie la langue locale. Cela signifie qu’il est possible en Afrique, de faire une philosophie digne de ce nom. Il suffit de s’y mettre.

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