dimanche 5 janvier 2014

Anomalies dans le bestiaire sara ? (par Pascal Djimoguinan)


            (En commençant, nous voulons préciser que quand nous employons le nom sara, cela regroupe les groupes linguistiques du Sud du Tchad au sein desquels il y a intercompréhension. Cela concerne en gros les ngamas, les sars, les mbays, les goulayes, les mongos, les gors, les ngambayes, les mouroums…)

            Lorsque nous visitons le bestiaire sara, nous nous rendons compte qu’en général, les noms des différents animaux sont les mêmes, en prennant en compte les différentes variantes propres aux différentes dialectes (Le mot dialecte ici n’a pas de sens péjoratif mais exprime les variantes qui existent au sein d’une même langue).

            Cette concordance dans le bestiaire souffre cependant deux exceptions bien étonnantes. Il serait intéressant de s’arrêter un instant sur ces anomalies pour laisser notre esprit s’évader. Pour combler le vide, il faut faire parfois place à la poésie.

            La première anomalie concerne le nom du lion. Il y a en général deux noms dont l’utilisation divise la zone linguistique sara en deux. Le premier nom va du Moyen-Chari jusqu’à une partie du Logone Oriental. Dans cette partie, on utilise le nom « bol » (le’ b’ est implosif et la voyelle ‘o’ ouverte). L’autre nom va de la seconde partie du Logone Oriental au Logone Occidental, en englobant la Tandjilé. C’est le nom « Teubeïn ».

            Il est difficile d’expliquer cette anomalie linguistique. Nous voulons tout simplement relever que le lion est considéré dans toute la zone sara comme un animal noble, « le roi des animaux » comme le disent les enfants. Il y a aussi plusieurs confréries qui se placent sous l’égide du lion ; on retrouve donc un peu partout dans cette zone des « hommes lions ». Il faut cependant noter une exception chez certains ngamas qui appellent le lion « kinan ».

            La seconde anomalie concerne le nom de l’hyène. Ici, nous avons vraiment affaire à un « master of disguise » tant on se trouve devant une profusion de noms. La ligne de partage que révèlent ces différents noms révèle une réalité multiforme. C’est comme si chaque ethnie avait son propre imaginaire à propos de cet animal et chercherait à l’exprimer par un nom particulier. Ainsi, dans la Moyen Chari, le nom pour désigner l’hyène est « bong » (le « b » est implosif). Il est utilisé par les ngamas, les sars et les mbays ; les goulayes utilisent le nom « urgumi » ; les mongos utilisent le nom « bagra » (avec un « b » implosif), les ngambayes et les mouroums utilisent le nom « rigueum ».

            L’hyène est en général considérée comme méchante et bête ; en plus, elle est un charognard, se nourrissant de cadavres. Sa démarche lui confère un air sournois, hypocrite et tricheur. Elle n’a donc pas la sympathie des différentes populations de la zone linguistique sara. La diversité des noms semble indiquer qu’il s’agit d’une réalité  dangereuse, maléfique. Une anecdote amusante dit que dans les confréries des hommes-lions, lorsqu’une personne ne réussit pas son parcours initiatique, elle ne pourra se transformer qu’en hyène et passera son temps à voler les chèvres dans les villages.

            Dans les contes africains, il y a généralement une triade : le lion, l’hyène et le lièvre. Curieusement le lièvre n’entre pas dans les anomalies linguistiques que nous avons relevées dans le groupe sara. Cela fait peut-être une autre anomalie dont l’analyse pourrait nous amener encore plus loin mais cela ne fait pas partie de notre propos aujourd’hui.


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