(En commençant, nous voulons préciser que quand nous
employons le nom sara, cela regroupe les groupes linguistiques du Sud du Tchad au
sein desquels il y a intercompréhension. Cela concerne en gros les ngamas, les
sars, les mbays, les goulayes, les mongos, les gors, les ngambayes, les
mouroums…)
Lorsque nous visitons le bestiaire sara, nous nous
rendons compte qu’en général, les noms des différents animaux sont les mêmes, en
prennant en compte les différentes variantes propres aux différentes dialectes
(Le mot dialecte ici n’a pas de sens péjoratif mais exprime les variantes qui
existent au sein d’une même langue).
Cette concordance dans le bestiaire souffre cependant
deux exceptions bien étonnantes. Il serait intéressant de s’arrêter un instant
sur ces anomalies pour laisser notre esprit s’évader. Pour combler le vide, il
faut faire parfois place à la poésie.
La première anomalie concerne le nom du lion. Il y a en
général deux noms dont l’utilisation divise la zone linguistique sara en deux.
Le premier nom va du Moyen-Chari jusqu’à une partie du Logone Oriental. Dans
cette partie, on utilise le nom « bol » (le’ b’ est implosif et la
voyelle ‘o’ ouverte). L’autre nom va de la seconde partie du Logone Oriental au
Logone Occidental, en englobant la Tandjilé. C’est le nom
« Teubeïn ».
Il est difficile d’expliquer cette anomalie linguistique.
Nous voulons tout simplement relever que le lion est considéré dans toute la
zone sara comme un animal noble, « le roi des animaux » comme le
disent les enfants. Il y a aussi plusieurs confréries qui se placent sous
l’égide du lion ; on retrouve donc un peu partout dans cette zone des
« hommes lions ». Il faut cependant noter une exception chez certains
ngamas qui appellent le lion « kinan ».
La seconde anomalie concerne le nom de l’hyène. Ici, nous
avons vraiment affaire à un « master of disguise » tant on se trouve
devant une profusion de noms. La ligne de partage que révèlent ces différents
noms révèle une réalité multiforme. C’est comme si chaque ethnie avait son
propre imaginaire à propos de cet animal et chercherait à l’exprimer par un nom
particulier. Ainsi, dans la Moyen Chari, le nom pour désigner l’hyène est
« bong » (le « b » est implosif). Il est utilisé par les
ngamas, les sars et les mbays ; les goulayes utilisent le nom
« urgumi » ; les mongos utilisent le nom « bagra »
(avec un « b » implosif), les ngambayes et les mouroums utilisent le
nom « rigueum ».
L’hyène est en général considérée comme méchante et
bête ; en plus, elle est un charognard, se nourrissant de cadavres. Sa
démarche lui confère un air sournois, hypocrite et tricheur. Elle n’a donc pas
la sympathie des différentes populations de la zone linguistique sara. La
diversité des noms semble indiquer qu’il s’agit d’une réalité dangereuse, maléfique. Une anecdote amusante
dit que dans les confréries des hommes-lions, lorsqu’une personne ne réussit
pas son parcours initiatique, elle ne pourra se transformer qu’en hyène et
passera son temps à voler les chèvres dans les villages.
Dans les contes africains, il y a généralement une
triade : le lion, l’hyène et le lièvre. Curieusement le lièvre n’entre pas
dans les anomalies linguistiques que nous avons relevées dans le groupe sara.
Cela fait peut-être une autre anomalie dont l’analyse pourrait nous amener encore
plus loin mais cela ne fait pas partie de notre propos aujourd’hui.
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