Chez tous les peuples la gémellité a toujours été un
phénomène fascinant (mysterium tremedum).
Les jumeaux ont été craints, mis dans sanctuaires, quelquefois éliminés. Ce qui
est pareil effraie. Le sud du Tchad n’a pas échappé à cela. Autrefois,
il y avait un culte des jumeaux. Avec le christianisme, cela a disparu.
Il est donc important de reprendre ici comment cela se faisait chez les Mbays.
Nous reprenons ici l’étude du père Joseph
Fortier dans le mythe et les contes
de Sou en pays Mbaï-Moïssala).
Chez les Mbay (la proportion est de un tiers dans les
villages où l’influence des missions chrétiennes se faisait déjà sentir comme
Dilingala et de deux tiers là où cette influence était nulle comme Dakou), les
chefs de famille élèvent des autels aux jumeaux à l’occasion de la naissance de
tous leurs enfants ; alors qu’ailleurs, on ne le fait que pour des vrais
jumeaux. Il existe deux sortes d’autels aux jumeaux : autel des enfants, à
droite de la porte de la hutte de la mère ; autel de la lignée agnatique,
autour d’un arbre, à proximité du village et que nous appellerons, pour
simplifier, autel des pères.
Ces deux autels comportent toujours deux poteaux pour
chaque personne, avec une entaille transversale, « la bouche » et une
fourche, appelée curieusement le « Sou des Jumeaux », qui sert à
déposer la nourriture contre les poteaux, lors des offrandes annuelles. L’autel
des pères est plus complexe, car il comporte des autels secondaires : Ngorinda, un bâton allongé, posé sur une
fourche, symbolisant l’activité de l’homme ; Kos, tois poteaux ronds, plus gros que ceux des jumeaux,
symbolisant la houe et la culture.
Le culte rendu aux jumeaux consiste essentiellement dans
l’offrande des prémices, quatre fois l’an : prémices du mil rouge, ua, en décembre, après la récolte ;
prémices du sésame, au mois de mars ; de l’huile de karité en juin ;
du mil hâtif, goji, en octobre.
Pourquoi ce culte rendu aux jumeaux mais pour tous les enfants ? C’est,
sans doute, parce que, chez les Mbay, Loa et Sou, le dieu du ciel et le héros
civilisateur, sont considérés comme des jumeaux, souvent même, comme le premier
couple ayant à nouveau donné naissance à des jumeaux.
Pour mieux comprendre comment s’articulent ces divers
éléments – chefs de terre, société des revenants, culte des jumeaux – assistons
chez les bétogə̀ de Brakaba, clan détaché des bat,
à la fête de la récolte en décembre.
C’est le soir, à la nouvelle
lune ; l’apparition du mince croissant a été saluée par un grand vacarme,
les ménagères frappent sur leurs marmites ou sur leurs calebasses pour appeler
les morts. Le nouveau mil a été coupé et laissé en tas dans les champs. Tout
d’un coup, la corne de guib retentit en plein village ; de la brousse, le
chef des revenants répond en criant : yo-ou ! il appelle tous ses
camarades initiés à la danse qui durera toute la nuit.
Le lendemain matin, tous les da-kuoi-gə̀ vont à la chasse, chasse au
feu et au filet, si les grandes herbes n’ont pas encore été brûlées. Ils
rapportent un gibier abondant et varié : biches, antilopes, singes, rats.
Ils consomment sur place une grosse pièce, le reste est expédié chez eux. Vers
trois heures de l’après-midi, ils rentrent, font dansant le tour du village,
puis se rendent au da-gaji, le
terrain sacré. Le Nge-ra-kol-be part
seul vers une hutte en branchages, élevée
à un carrefour, en l’honneur des mânes ; il donne trois coups de
couteau de jet par terre, en se tournant successivement vers les points
cardinaux et en les nommant : orient, couchant, nord et sud ; puis,
il adresse une prière aux morts pour les remercier du mil nouveau qu’ils ont
donnée, et leur demander d’éloigner tout malheur. Les da-kuoi-gə̀ s’approche, jettent des rameaux de verdure sur le lieu
où se tenant l’officiant, et rentrent au village, où commencent ripailles et
beuveries. Le lendemain, on ira ramasser le mil dans les champs. Avant cette
fête, on ne pouvait consommer ni mil, ni moelle sucrée des cannes de
sorgho ; à le faire on risquai de mourir.
Huit ou quinze jours après, dans
chaque famille, sera célébré le culte des jumeaux. Laissons la parole à un Bat de Sakala, l’adjudant Balaï, juge
coutumier à Fort-Archambault (Sarh).
Mes
femmes ont repeint les poteaux des jumeaux avec de l’ocre rouge. Je vais couper
du mil dans mon champ, plein un panier ; je vais chercher du poisson, de
l’oseille, des pépins de bauhinia et parkia : mes femmes préparent dix à
quinze boules de mil. Le premier jour, je fais l’offrande pour mes frères (à
l’autel des pères) ; mes enfants portent les calebasses de nourriture sur
leur tête, ils se mettent à genoux derrière moi. Je prends une fourche dans la
main gauche ; de la main droite, je détache des morceaux de boule que je
poserai sur chaque poteau et je prie ainsi :
« Jumeaux,
je viens vous offrir la boule de mil ; faites que mes os soient bien
forts ; faites de même pour mes enfants, pour mes femmes ; mes frères
qui êtes morts, gardez-moi bien ».
Je mets de la
boule sur les deux pointes de la fourche, et je la pose sur les poteaux ;
même cérémonie pour chaque couple de poteaux ; même chose pour l’autel
ngorinda, pour kos, etc.
Le deuxième
jour, je recommencerai pour l’autel des enfants, et autant de fois qu’il sera
nécessaire, à un jour différent pour chacune de mes femmes. Après la prière, je
partage la boule de mil, j’en donne des morceaux à tous mes enfants, j’en mange
moi-même ; ce qui reste est ramassé par mes femmes qui le consomment. Pour
l’offrande du premier jour, à l’autel des pères, tous mes frères doivent être
là ; en revanche, mes sœurs mariées ne viennent pas.
Bref, c’est le repas
sacrificiel de toute la famille patrilinéaire étendu : ngue-ko-io-kə̀ra-be,
« ceux-qui-mangent-chose-sacrée-ensemble »
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