jeudi 13 mars 2014

Tchad et France : le début d'une histoire. 2ème partie (par Pascal Djimoguinan)


            Emile Gentil venait de terminer son premier voyage sur le Chari et la conclusion qui en sortait était qu’il fallait rapidement agir contre Rabah. La France prit alors la décision d’envoyer au Tchad trois colonnes : l’une par le nord, Mission Saharienne, la deuxième par l’ouest, Mission de l’Afrique Occidentale, et la troisième par le sud, Mission du Congo ou Mission Gentil. Une avant-garde de la colonne Gentil était envoyée en 1899 sous le nom de Mission Bretonnet-Braun.

            Trois grandes batailles marquent la conquête du Tchad par la France. Il convient de revenir sur elles pour voir comment la présence française s’est peu à peu affermie au Tchad.

            La première de ces batailles est connue sous le nom de la bataille de Togbao et eut lieu le 17 juillet 1899. Dès le mois de mois de cette année, les baleinières de la Mission Bretonnet accostèrent sur le Chari, au niveau du village de Kokaga. Il y avait à bord cinq occidentaux : l’administrateur Bretonnet, le Capitaine Braun, le lieutenant Durant-Autier, le maréchal des logis Martin et le soldat Poutet. Ils revenaient avec les 12 guerriers baguirmiens que Gentil avait emmenés en France. Ce furent ces guerriers qui prévinrent Gouarang qui ne tarda pas à venir rencontrer Bretonnet et lui proposa de le guider jusqu’à Kouno. Alors qu’on était sans nouvelles de Rabah jusque-là, on apprit brusquement le 9 juillet qu’il arrivait à Malfaling et qu’il avait installé ses avant-postes à Lafana et à Bousso. Bretonnet se rendit compte qu’il était impossible de défendre Kouno, aussi fit-il évacuer le poste pour se fortifier à Togbao dans le Mont Nyellim à 20km, en amont. Le bataille commença le 17 juillet au matin et finit par un désastre pour les français. Rabah était venu avec 13 bannières et sa cavalerie était appuyée par de nombreux auxiliaires Bornou, banda, kreich, rounga… Tous les français furent tués ainsi que la grande partie des tirailleurs. Seul le sergent sénégalais Samba Sall, fut blessé et fait prisonnier. Il réussit cependant à prendre la poudre d’escampette pour donner l’alerte à Kokaga lors de l’arrivée de la deuxième Mission Gentil.

            La deuxième bataille est celle de Kouno et eut lieu le 27 octobre 1899. Nous avons vu que la Mission Bretonnet-Braun était une avant-garde de la Mission Gentil ou cette colonne qui devait venait du sud par le Congo. Cette Mission arriva par le Chari. Les troupes étaient commandées par le Capitaine Robillot ; il y avait les compagnies Jullien et Lamothe. La compagnie Lamothe resta à Crampel, tandis que Gentil gagna le village de Kokaga où le sergent Samba Sall lui apprit le 15 août 1899 le désastre de Togbao. Pour éviter toute attaque surprise de la part de Rabah, Gentil ordonna au capitaine Robillot de faire débarquer la Compagnie Jullien forte de 120 fusils et de deux canons de 65 mm ; celui-ci commença la construction d’un blockaus et d’un camp entouré de palissade. Cet ouvrage reçu le nom de Fort-Archambault en souvenir du jeune lieutenant Archambault, de la compagnie Jullien, mort de la fièvre à la Sainte-Famille dans le Haut-Oubangui au printemps de 1899. Une fois que le camp fut construit, Gentil alla chercher du renfort à Fort-Crampel et revint le 18 octobre avec le capitaine Lamothe et les 150 hommes de sa compagnie. On décida de prendre l’initiative et de poursuivre Rabah.

            Le 27 octobre, la colonne Gentil (capitaines Jullien, de Cointat, Robillot et Lamothe) attaqua Rabah à Kouno. Le combat fut très violent. Finalement, Rabah fit un repli tactique. Du côté français, le maréchal des logis de Possel était tué et le capitaine Robillot blessé. Du côté de Rabat, Babikir son meilleur chef de bannière était grièvement blessé. Il fut évacué sur Mandjaffa où il mourut. Son corps fut transporté à Karnak Logone où s’étaient repliées les troupes de Rabah.

            La troisième bataille, la plus connue est connue comme la bataille de Kousseri ; elle eut lieu le 22 avril 1900.

            Après le combat de Kouno, Emile Gentil s’était rendu au mois de décembre à Bangui pour rencontrer le commissaire général Lamothe et préparer sa jonction avec les deux autres Missions, à savoir celles de Foureau-Lamy (Sahara) et de Joalland-Meynier (Afrique Occidentale).

            La Mission de l’Afrique Occidentale et la Mission saharienne se rencontrèrent le 18 février 1900 à 9 heures du matin dans le Kanem non loin de Boulfei au marais de Bela-Kabtouna. Le commanda Lay et le lieutenant Joalland étaient sans nouvelles de Gentil. Ils savaient que Rabah se trouvait à Karnak-Logone et que ses troupes gardaient les principaux passages du Chari et du Logone. Ce ne fut que le 2 mars que le commandant Lamy reçut un courrier du capitaine Lamothe de la mission Gentil qui lui annonçait l’arrivée prochaine d’un renfort. C’était la veille de l’attaque de Kousseri, tenu par les troupes de Rabah.

            Le 3 mars la ville de kousseri était prise à 13h30, après un combat acharné de cinq heures. Comme l’armée de Rabah s’était enfui, le commandant Lamy avait donné l’ordre aux lieutenants Rondenay et Oudjari de le poursuivre vers Karnak Logone. Ils la rattrapère au village kotoko de Kebe. Furent tués les chefs de bannière Kabsour, Ahmat Brahim et Faki Ahmat. Faki Ahmat était le grand marabout personnel de Rabah.

            La bataille décisive  de Kousseri eu lieu le 22 avril 1900. Le camp de Rabah se trouvait en brousse à une heure de marche de la ville. Les trois colonnes française l’y attaquèrent à l’aube. A droite, la colonne Joalland, au centre la colonne Gentil, à gauche la colonne Saharienne. Le combat commença à 6h du matin et finit au début de l’après-midi. Le Commandant Lamy et le Capitaine de Cointet y laissèrent la vie. Rabah, légèrement blessé, avait pris la fuite avec quelques-uns de ses guerriers dévoués à sa personne. Le tirailleur Abdoulaye Dialo qui avait été le prisonnier de Rabah le reconnut parmi les fuyards et l’abattit. Il lui trancha la tête qu’il vint montrer au Commandant Lamy étendu mourant sur un brancard. Nous avons la relation de cette scène pathétique dans les « souvenirs du Caporal Menage » recueilli par Paluel Marnont :

            « Tout à coup un tirailleur soudanais qui fut prisonnier de Rabah reconnaît celui-ci parmi les fuyards. D’un bond il le rejoint et l’abat ; puis d’un seul coup il lui tranche la tête.

- Je veux voir le Commandant, dit-il.

            On lui indique la tente où notre chef a été transporté, et le tirailleur lui montre la tête du tyran dont nous venons de débarrasser le pays.

            Le commandant est étendu sur un brancard. Il est très pâle. Une balle lui a fracassé le bras et pénétré dans la poitrine. D’où l’on n’a pas pu l’extraire. Les docteurs Fournial et Heller sont à son chevet tandis qu’on enveloppe le bras de Chambrun dans une peau de bouc faisant gouttière.

            - Je vais mourir, murmure le commandant ; mais je meurs contant puisque Rabah n’est plus. »

             Avec la mort de Rabah commençait pour le Tchad une nouvelle époque. Le pays venait d’être conquis. C’est la période de « pacification » du territoire qui allait commencer.

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