samedi 22 mars 2014

Tchad : Comment Kokaga est devenu Fort-Archambault (par Pascal Djimoguinan)


            Pour comprendre les histoires d’un peuple, il ne faut pas négliger ses contes, légendes et sagas. Dans cet océan, se cachent souvent des pépites qu’il faut trouver. L’histoire de l’actuelle ville de Sarh passe par ce qu’en disent les peuples qui l’ont habitée. Comment le modeste village de Kokaga est devenu la ville de Sarh et comment il a été l’objet de litige entre diverses populations ?

            A l’origine, Kokaga était un village Kaba Démé. Cela a été le cas jusqu’aux environs de 1880 lorsque les Niellim se sont attaqué tour à tour aux Tounia de Ngarkola et aux Démé de Kokaga. Ce sont lors de ces hostilités que les Kaba Démé vont perdre Kokaga. Il faut revenir aux différentes péripéties de cette histoire qui ne manque pas de sel.

            Tout a commencé par un conflit entre les Niellim et les Tounia. Les Niellim de Pra qui dépendaient du Baguirmi guerroyaient contre leurs voisins Boua de Korbol. Ces derniers, grâce à leur chef (Certains parlent de Baboul alors que d’autres disentt que c’était son père Ouagaya), réussirent à donner une raclée mémorable aux Niellim et à les repousser vers le Sud. Conduits par le chef de Pra, Kadi, les Niellim s’installèrent au Nord de Fort-Archambault et pour se venger, ravagèrent le pays Démé et Tounia. Cela va amener le chef Tounia, Nassar Gadje à quitter le village de Ngarkola pour Banda où il demandera asile aux Démé dont le chef Djoko l’accueillit en allié. Jusqu’à sa mort, ce chef Tounia restera au village de Doyaba.

            Très vite le realpolitik va jouer et les alliances vont changer. A la mort de Nassar Gadja, les Niellim feront la paix avec les Tounia, sanctionnée par une alliance de famille où le nouveau chef Tounia, Ngawara, frère de Nassar, épousera la sœur du chef Niellim Kadi. Le torchon ne tardera pas à brûler entre les Niellim et les Démé. Une Zizanie va naître entre les Kaba Démé de l’est (Bohobé, Marabé, Klabada, Marakoua, Tarangara) et ceux de l’ouest (groupe Banda Mahimara). Sans doute sous les intrigues de Ngawara, les Démé de l’est attaquèrent ceux de l’Ouest et Djoko dût prendre la fuite vers Manda où l’affrontement eut lieu. A la suite de ce combat, Djoko abandonna Archambault pour se replier vers Kemdéré où il construisit le nouveau Banda.

            Comme dans toutes les histoires traditionnelles, tout ne finit pas ainsi. Il faut y ajouter un grain de mysticisme pour l’agrémenter. Lorsque Djoko fut défait, furieux mais impuissant, il eut recours aux « armes mystiques ». Il maudit Ngawara en jetant des sorts sur sa personne et sur ses terres. Les récoltes des Tounia devinrent moins abondantes et les pêches ne rapportèrent plus rien. La peur au ventre, le chef Tounia viendra offrir ses excuses à Djoko. Un accord sanctionnera les pourparlers : Ngawara restait à Kokaga mais devait remettre à Djoko, en gage de soumission une pièce de Gabak (Les Niellim disent que le cadeau fut plus important : un cheval blanc, trois esclaves, dix boubous). Toujours est-il que Djoko fut satisfait de l’accord et bénit la terre de Kokaga qui recommença à produire beaucoup de fruits.

            Il est intéressant de noter la version des Tounia qui diffère de celle des Kaba Démé. Selon eux, Lorsque Djoko fut chassé de Banda, il aurait laissé sa femme et trois de ses enfants prisonniers entre les mains de Kadi. Djoko dût demander l’intercession de Ngawara. Le prix de cette médiation serait le village de Kokaga. Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est qu’à la suite de l’incursion des Niellim, le chef de terre d’Archambault ne fut plus Démé, mais Tounia.

            Certains chercheraient sans doute à situer kokaga aujourd’hui. Il faut dire que Kokaga n’existe plus car il a été recouvert par le quartier administratif de Sarh et absorbé de l’autre côté par le quartier Kassaï. Kokaga allait de l’école du centre jusqu’à la concession de Tiran. Ce village subsista jusqu’à1906 et Ngawara y fut encore enterré. L’actuel village de Kokaga qui se trouve entre les Rôniers et Helibongo, n’a de commun avec l’ancien que le nom.

            La disparition de l’ancien Kokaga est provoquée par la fondation de Fort-Archambault. Le premier occidental qui ait séjourné à Kokaga fut Bretonnet car Gentil ne s’y était pas arrêté lors de son premier passage. Bretonnet a établi, en mars 1899, un campement à l’emplacement de l’actuel cimetière européen, juste à l’entrée de Kokaga. C’était l’époque où Gaourang était à Kouno, dans la crainte d’être attaqué par Rabah. C’est en montant vers Kouno que Bretonnet fut tué au massacre de Togbao.

            Le 15 août 1899, Emile Gentil arrive à Kokaga. Apprenant la mort de Bretonnet, il redouta une autre attaque de Rabah ; c’est ainsi qu’il fit construire un camp fortifié à quelques centaines de mètres en aval de Kokaga, à l’endroit où se trouve aujourd’hui le terrain des Travaux Publics. C’est au moins d’octobre, alors que Gentil était allé chercher du renfort à Fort-Crampel, que le Capitaine Jullien fortifia le nouveau poste auquel il donna le nom de son camarade Archambault, mort dans l’Oubangui quelque temps auparavant de la fièvre.

            Les premiers mois d’existence du poste de Fort-Archambault furent marqués par un incident sanglant. Situé entre le village Kokaga appartenant aux Tounia et Gaye appartenant aux Niellim. Il y avait toujours des escarmouches entre ces deux populations avant l’arrivée des occidentaux. Un peu avant la bataille de Kouno, il s’en produisit une autre escarmouche. Le capitaine Jullien intervint avec vigueur et occupa le village Niellim. Gaye prit la fuite et rejoignit l’armée de Rabah, avec lequel il correspondait secrètement.

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