(Que signifie « Sao » ? Que veut dire Tchad ? Autant
de question que se posent bien de jeunes sans savoir à qui se référer. Les
mythes d’origine sont souvent un essai de réponse à des questions
existentielles. Ici, Joseph Brahim Seid1, dans Au Tchad sous les étoiles,
en explorant les richesses de la tradition orale nous emmène, avec Alifa et sa
tribu, à l’âge d’or et nous donne un sens possible des noms que nous cherchons
à comprendre)
A une époque très lointaine, si lointaine que nul parmi
nous ne peut en compter les lunes, un cataclysme providentiel bouleversa la
terre. La terre était pleine de violence parce que les hommes avaient acquis,
comme chacun sait, pour leur malheur et celui de toute leur descendance, la
connaissance du mal. Dieu regarda la terre et voici qu’elle était
corrompue !
Alors, les cieux grondèrent sans discontinuer et
l’Eternel laissa tomber sur toute chose une horrible pluie de feu. Tout fut
consumé. Seule, une tribu, la tribu d’Alifa, à l’abri sans nul dout de
l’immense main de l’Eternel, fut alors Epargnée.
La tribu d’Alifan fuyait dans l’épouvante : l’ombre
de la miséricorde la protégeait et guidait ses pas chancelants. Elle fuyait
sans repos ni sommeil, mais Alifa et tous les siens, sans répit, chantaient la
gloire du Très-Haut :
Seigneur, Seigneur
Source de toute vie,
Tu es Créateur, mais incréé,
Hier comme aujourd’hui,
Dans la paix comme dans l’adversité,
Tu es l’inébranlable pilier
Où nous venons prendre appui.
Dans la foi et l’espérance,
Accorde-nous une mort belle et
sereine…
A leur approche, les fleuves et les mers elles-mêmes
écartaient leurs eaux tumultueuses. La tribu fuyait toujours, sans boire ni
manger, mais Alifa et tous les siens chantaient constamment la gloire du
Seigneur ; les collines, les plus hautes montagnes elles-mêmes, rentraient
à leur approche, au sein de la terre maternelle. Au fur et à mesure que la
tribu avait passé, tout, en arrière, s’effondrait, comme englouti à jamais dans
quelque gouffre béant et insondable.
Un soir pourtant, les cieux, soudain, cessèrent de
gronder, le feu aussitôt cessa de se répandre et le sol, peu à peu, redevint
ferme sous les pieds. La tribu découvrit à l’heure calme et recueillie du
crépuscule les rives verdoyantes d’un grand lac. Elle s’arrêta soudain et
contempla un spectacle unique : de la surface même de l’eau paisible
s’échappaient de petites boules incandescentes qui montaient vers les cieux et
illuminaient toute la nature alentour.
Longtemps, longtemps, Alifa et tous les siens,
émerveillés, chantèrent la louange de l’Eternel, si longtemps que chacun fut
inconsciemment plongé en un sommeil profond, paisible et réparateur.
Le lendemain, au réveil, la surprise fut à son comble
quand fut aperçue sur les eaux du grand lac, une immense pirogue, laquelle
portait un géant qui pêchait avec la seule aide de ses mains. Parfois, comme en
jouant, il saisissait un hippopotame par les oreilles et le laissait,
délicatement mais avec force éclaboussures, retomber dans l’eau.
A la vue de la tribu en prière, il saisit un énorme
poisson et, avec la même facilité qu’un enfant jetant une pierre, il l’expédia
sur la rive. Alifa et les siens se penchèrent sur le poisson et louèrent
longuement l’Eternel. Quand ils se redressèrent, le géant avait disparu. Alors
e pour la première fois depuis des jours et des jours, chacun pu rassasier sa
faim.
Le même soir, le géant revint vers eux et, avec la même
et étonnante habilité, leur lança de grandes jarres de miel délicatement
parfumé. Le lendemain, il revint encore jusqu’à la berge avec d’autres jarres
pleines de lait frais et invita Alifa à le suivre. Confiant dans les voies de
Dieu protecteur, celui-ci prit place aux côtés du géant, dans l’immense
embarcation. La pirogue évolua rapide et disparut au loin bien que le géant
n’utilisât pour rames que ses deux grandes mains.
Sur l’autre rive du grand lac, le chef de la tribu
découvrit une cité dont les cases étaient immenses et nombreuses. Quand ils
débarquèrent, Alifa vit dans les rues avoisinantes des enfants, hauts comme des
palmiers, partager leurs jeux avec des lions, des panthères, des rhinocéros… D’énormes
reptiles aux yeux verts phosphorescents se faufiler autour de leurs membres,
jouant avec eux une mystérieuse partie de cache-cache.
Sur des arbres démesurés, aux frondaisons épaisses, des
myriades d’oiseaux chantaient en volant çà et là. L’air vibrait de leur suave
musique.
Pays béni entre tous ! là, bêtes et gens vivaient
dans la plus parfaite entente. Le mal n’était point connu. La bonté animait
tous les cœurs. L’innocence se reflétait dans tous les yeux et nul parmi eux
n’en avait conscience. Le travail était vénéré. La force, l’habileté, l’intelligence
ou le génie, tout ce que l’homme possédait en naissant comme un don reçu de
Dieu, était intégralement utilisé pour le bien de tous : ici, pour
déraciner les arbres de la forêt qui bientôt feraient place à des champs
fertiles ; là, pour dévier le cours des fleuves afin d’irriguer les
plantations ; ailleurs, pour saisir la foudre du ciel ou les derniers
rayons du soleil couchant afin d’illuminer les mur de la cité. Et cela partout,
en tout temps et en tous lieux, pour mieux glorifier l’Eternel.
Dans ce merveilleux pays, Alifa fut reçu avec une grande
courtoisie. Tout le peuple aussitôt se rassembla, désirant connaître d’où il
venait, qui il était et ce qu’il savait. Alors, Alifa raconta simplement
l’histoire de sa tribu et chanta la gloire du Très-Haut :
Seigneur, Seigneur,
Source de toute vie,
Tu es Créateur, mais incréé.
Hier, comme aujourd’hui,
Dans la paix comme dans l’adversité,
Tu es l’inébranlable pilier
Où nous venons nous appuyer.
Dans la foi et l’espérance,
Accorde-nous une mort belle et sereine…
Le
soir venu, quand Alifa demanda à rejoindre sa tribu, les géants le retirent et
firent chercher les siens. Dans un geste majestueux, ils leur offrirent
l’hospitalité. Ce fut-là désormais leur nouvelle patrie. Des relations de plus
en plus intimes se nouèrent avec le peuple des géants. Or, il advint quelque
temps plus tard qu’un prince du peuple ami épousa une fille de la tribu d’Alifa
et l’enfant mâle né de cette union fut l’ancêtre du peuple Kotoko. On l’appela
Sao, ce qui veut dire concorde, amour de tous les hommes.
Et
le grand lac, que la tribu d’Alifa découvrit un soir à l’heure calme et
recueillie du crépuscule, fut nommé Tchad, ce qui veut dire pays d’abondance,
de bonheur et d’amour réciproque.
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1 Brahim Seid Joseph, Au Tchad sous les étoiles, Le Tchad, pays
d’abondance, de bonheur et d’amour, Présence Africaine, Paris, 1962, pp
13-18
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