samedi 22 novembre 2014

Le lévirat au Tchad, une fatalité ? (par Pascal Djimoguinan)



            Parmi les maux dont les femmes voudraient se débarrasser aujourd’hui, il y en a un qu’elles considèrent particulièrement comme un joug. Il s’agit de la loi du lévirat dont les abus ont tellement déformé l’usage qu’elle est devenue l’expression de la domination mâle sur les femmes. Que faut-il penser de cette loi et y a-t-il moyen de la revoir autrement ?
            Le nom de lévirat vient de cette loi qu’on retrouve dans le livre du Deutéronome, 25,5-10. Il est très intéressant de lire ce passage parce qu’elle est plutôt en faveur de la femme : « Lorsque des frères habitent ensemble et que l’un d’eux meurt sans avoir de fils, la femme du mort ne peut être reprise par un étranger. Son beau-frère s’approchera d’elle et la prendra pour femme. Il remplira envers elle son devoir de beau-frère,  et le premier enfant qu’elle mettra au monde sera regardé comme le fils de celui qui est mort ; ainsi son nom ne disparaîtra pas en Israël. Mais si cet homme refuse de prendre sa belle-sœur, elle ira trouver les anciens à la porte de la ville et elle leur dira : “Mon beau-frère refuse de maintenir vivant en Israël le nom de son frère. Il ne veut pas remplir envers moi son devoir de beau-frère.”  Alors les anciens le convoqueront et lui parleront. Et s’il s’entête à dire : “Je ne veux pas la prendre pour femme !” sa belle-sœur s’avancera vers lui en présence des anciens, elle lui enlèvera du pied sa sandale et lui crachera au visage. Elle dira : “Voilà ce qu’on fait à celui qui n’assure pas une descendance à son frère.”  Dès lors, en Israël, on appellera sa maison : la maison du déchaussé. »
            La mise en pratique de cette loi se retrouve dans le beau livre de Ruth au chapitre 4 où Booz, par le lévirat épousera Ruth avec qui il mettra au monde Obed, le père de Jessé qui donnera naissance au roi David ; il sera ainsi un ancêtre de Jésus.
            La loi du lévirat avait donc pour but d’assurer une descendance au frère décédé et en même temps de protéger la veuve. C’était une obligation pour l’homme. Le lévirat était un devoir pour les hommes et un droit pour les femmes.
            Au Tchad, plus particulièrement au sud du pays, la loi du lévirat avait pour but de prendre soin des enfants du frère mort. Elle permettait de maintenir les enfants sur place et éviter ainsi leur dispersion. Elle devait également assurer la protection de la veuve et éviter qu’elle soit livrée aux appétits du premier passant.
            Cette loi ne concernait pas uniquement les défunts mâles. Lorsqu’une femme meurt en laissant des enfants, la famille de la défunte permettait que le veuf épouse une petite sœur de la morte ou une de ses cousines proche afin de s’occuper des enfants.
            Si à l’origine, l’intention était noble, très vite il y a eu des abus et le lévirat est devenu un moyen d’oppression de la femme au sud du Tchad. La femme n’avait pas son mot à dire et elle devait subir tout ce que les hommes lui imposaient. La loi a ainsi fini par devenir improductif et perdre sa noblesse d’origine.
            Si dans la vie uniquement pastorale d’autrefois, la veuve devait nécessairement épouser un des frères du défunt ou le veuf, nécessairement une des sœurs de la défunte, il faut dire que les conditions d’existence ont changé et cette loi devient désuète. Il faut donc convenir qu’avec les changements socio-économiques que nous connaissons, il soit normal que lois qui ne conviennent plus changent.
            Ce qui doit primer dans chaque société, c’est le bien-être de chacun de ses membres ; la maturité d’une société se mesure à sa capacité de s’adapter aux situations nouvelles et aux mutations qu’elle connait. Acceptons donc que le lévirat ne devrait plus s’imposer.


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