jeudi 27 novembre 2014

Tchad : la nation à l'ombre de DJINGUE (par Pascal Djimoguinan)



            (Le Tchad, il est vrai, peine à se constituer en nation ; dans ses soubresauts, il a besoin d’un mythe fondateur, capable de l’amener à se transcender pour atteindre son unité. Ce mythe n’est pas très loin. Tous les anciens le connaissent ; il suffit tout simplement de le faire connaître. Brahim Seid l’a raconté dans son livre Au Tchad sous les étoiles,[i]  « DJINGUE ou la sagaie de famille ». Nous reprenons ici le mythe en espérant que le premier écrivain tchadien va continuer sa contribution à la construction de la nation tchadienne.)
DJINGUE ou la sagaie de famille
            Il y avait de cela très, très longtemps ! Dans un grand royaume du Lac Tchad, deux tribus sœurs se disputaient un droit de regard sur une vieille sagaie de famille appelée « Djingué », sagaie qui était vouée à la divinité et au culte de leurs ancêtres communs.
            Une véritable guerre intestine allait jeter les deux groupes l’un contre l’autre. Ces événements n’étaient pas pour inspirer confiance aux jeunes gens du pays qu’on voulait armer de part et d’autre pour une lutte fratricide. Aussi se réunirent-ils pour aller trouver les représentants de leurs tribus respectives, afin que ces derniers renonçassent à leurs querelles. Ils réussirent dans leur démarche. Mais, ne voulant pas se contenter d’une trêve éphémère, ils s’entendirent pour faire disparaître la sagaie, cet objet de perpétuelle discorde.
            Un soir donc, douze jeunes gens, tous plus hardis les uns que les autres, s’emparèrent de l’arme et l’emportèrent au loin. Ils s’en allèrent par monts et par vaux à travers la brousse. Leur randonnée dura soixante-dix-sept jours et soixante-dix-sept nuit au cours desquels ils eurent à lutter bravement contre la nature, les animaux féroces et les habitants des pays qu’ils traversaient.
            Mais, protégés par l’influx bénéfique de la divinité et la force des ancêtres défunts, les douze jeunes gens avaient bousculé les obstacles, surpris et vaincu la résistance des peuplades qui s’opposaient à leur marche en avant. Ils avaient pénétré partout à main armée, sans aucune volonté de conquête. Ce qu’ils désiraient, c’était une très vaste étendue de terre à découvrir. Or, un soir, ils arrivèrent au milieu d’une vallée fertile inhabitée. Là, leur guide s’arrêta, et dit « Restons ici, prenons possession de ce territoire, bâtissons nos cases, faisons de cet endroit un lieu vénérable qui servira à rallier nos tribus à leur commune origine, à les souder désormais entre elles ».
            Ayant ainsi parlé, il planta la sagaie à l’ombre d’un tamarinier et s’occupa immédiatement à ériger une case non loin de là. Ses autres camarades en firent autant. Il y eut d’abord un modeste village qui, plus tard, au cours des siècles, devint un grand pays prospère et heureux dont la renommée s’étendit à des milliers de kilomètres à la ronde.
            C’est ainsi que fut fondée la capitale du Baguirmi, « Massenya » où toutes les races du Bas et du Moyen-Chari trouvent leurs origines les plus lointaines.
            Les douze jeunes gens qui avaient fait ce pays s’appelaient : Dokko, l’ancêtre des Sokoro, Birni Desse, Lubat Ko, Dukoat (surnommé Irro) Dobleni, Diongou Djougueldou, Niougounidoualla, Gougoum-Darko, Gougoum-Bida, Niougo-Kouboudga, Maguerba et Ngolgargue.
            Ils fondèrent douze tribus qui se ramifièrent en plusieurs branches parmi lesquelles on rencontre encore aujourd’hui les Sokoros, les Baguirmiens, les Kengha, les Bouas, les Bilalas, les Koukas, les Goulas, les Sarouas et tous les Saras : M’Baye, Dai, N’Gama, N’Gambaye…
            Et Djingué, cette vieille sagaie de famille qui fut à l’origine de cette floraison de races existe encore et jouit toujours d’un grand prestige. Elle constitue le ciment de l’union dans la grande paix de Dieu et des hommes.
            C’est pourquoi un adage Kengha définit exactement les rapports de ces divers groupements entre eux : « Les gens de Massenya sont comme nous-même, les gens du Fittri, du Lac Irro et les Saras sont nos frères ».




[i] Brahim SEID Joseph, Au Tchad sous les étoiles, Présence Africaine, Paris, 1962, pp. 19-22

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