(Le Tchad, il est
vrai, peine à se constituer en nation ; dans ses soubresauts, il a besoin
d’un mythe fondateur, capable de l’amener à se transcender pour atteindre son
unité. Ce mythe n’est pas très loin. Tous les anciens le connaissent ; il
suffit tout simplement de le faire connaître. Brahim Seid l’a raconté dans son
livre Au Tchad sous les étoiles,[i]
« DJINGUE ou la sagaie de famille ». Nous reprenons ici le mythe en
espérant que le premier écrivain tchadien va continuer sa contribution à la
construction de la nation tchadienne.)
DJINGUE ou la sagaie de famille
Il y avait de cela très, très longtemps ! Dans un
grand royaume du Lac Tchad, deux tribus sœurs se disputaient un droit de regard
sur une vieille sagaie de famille appelée « Djingué », sagaie qui
était vouée à la divinité et au culte de leurs ancêtres communs.
Une véritable guerre intestine allait jeter les deux
groupes l’un contre l’autre. Ces événements n’étaient pas pour inspirer
confiance aux jeunes gens du pays qu’on voulait armer de part et d’autre pour
une lutte fratricide. Aussi se réunirent-ils pour aller trouver les
représentants de leurs tribus respectives, afin que ces derniers renonçassent à
leurs querelles. Ils réussirent dans leur démarche. Mais, ne voulant pas se
contenter d’une trêve éphémère, ils s’entendirent pour faire disparaître la
sagaie, cet objet de perpétuelle discorde.
Un soir donc, douze jeunes gens, tous plus hardis les uns
que les autres, s’emparèrent de l’arme et l’emportèrent au loin. Ils s’en
allèrent par monts et par vaux à travers la brousse. Leur randonnée dura soixante-dix-sept
jours et soixante-dix-sept nuit au cours desquels ils eurent à lutter bravement
contre la nature, les animaux féroces et les habitants des pays qu’ils
traversaient.
Mais, protégés par l’influx bénéfique de la divinité et
la force des ancêtres défunts, les douze jeunes gens avaient bousculé les
obstacles, surpris et vaincu la résistance des peuplades qui s’opposaient à
leur marche en avant. Ils avaient pénétré partout à main armée, sans aucune
volonté de conquête. Ce qu’ils désiraient, c’était une très vaste étendue de
terre à découvrir. Or, un soir, ils arrivèrent au milieu d’une vallée fertile
inhabitée. Là, leur guide s’arrêta, et dit « Restons ici, prenons
possession de ce territoire, bâtissons nos cases, faisons de cet endroit un lieu
vénérable qui servira à rallier nos tribus à leur commune origine, à les souder
désormais entre elles ».
Ayant ainsi parlé, il planta la sagaie à l’ombre d’un
tamarinier et s’occupa immédiatement à ériger une case non loin de là. Ses
autres camarades en firent autant. Il y eut d’abord un modeste village qui,
plus tard, au cours des siècles, devint un grand pays prospère et heureux dont
la renommée s’étendit à des milliers de kilomètres à la ronde.
C’est ainsi que fut fondée la capitale du Baguirmi,
« Massenya » où toutes les races du Bas et du Moyen-Chari trouvent
leurs origines les plus lointaines.
Les douze jeunes gens qui avaient fait ce pays
s’appelaient : Dokko, l’ancêtre des Sokoro, Birni Desse, Lubat Ko, Dukoat
(surnommé Irro) Dobleni, Diongou Djougueldou, Niougounidoualla, Gougoum-Darko,
Gougoum-Bida, Niougo-Kouboudga, Maguerba et Ngolgargue.
Ils fondèrent douze tribus qui se ramifièrent en
plusieurs branches parmi lesquelles on rencontre encore aujourd’hui les
Sokoros, les Baguirmiens, les Kengha, les Bouas, les Bilalas, les Koukas, les
Goulas, les Sarouas et tous les Saras : M’Baye, Dai, N’Gama, N’Gambaye…
Et Djingué, cette vieille sagaie de famille qui fut à
l’origine de cette floraison de races existe encore et jouit toujours d’un
grand prestige. Elle constitue le ciment de l’union dans la grande paix de Dieu
et des hommes.
C’est pourquoi un adage Kengha définit exactement les
rapports de ces divers groupements entre eux : « Les gens de Massenya
sont comme nous-même, les gens du Fittri, du Lac Irro et les Saras sont nos
frères ».
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