jeudi 24 avril 2014

Tchad : l'énigme day 2, la guerre de Bouna (par Pascal Djimoguinan)


            Dans notre effort de compréhension des problèmes des Day, nous donnons aujourd’hui écho au texte qui se trouve en annexe dans le fascicule du Joseph Fortier, Histoire du pays Sara, CEL Sarh, Tchad, 1982. Il y est question de la guerre de Bouna (1928-1929).

            A l’origine, c’est une vendetta entre deux clans familiaux, qui s’embrassera en guerre tribale, avec l’appui de l’administration coloniale. Nous suivons ici, pour le détail des événements, le récit de Monsieur Koullo (contes Day, CEL, Sarh, 1981).

            Contexte politique : La guerre de Bouna éclate en janvier 1929. C’est la cinquième année, au Tchad, du recrutement pour le chemin de fer CONGO-OCEAN. Si le Moyen-Chari en a supporté, au Tchad, le poids le plus lourd, d’autres en AEF ont été aussi durement éprouvée que lui. « On a recruté 150.000 travailleurs dans toute l’AEF (entre 1921 et 1934), plus de 10% moururent dans la forêt. Les Gbaya se révoltèrent », écrit Hubert DESCHAMPS. « Il y aura 20.000 morts sur les chantiers » précise Mme COQUERY-VIDROVITCH. Quand le gouverneur Augagneur ouvre le chantier en 1921, ce sont les congolais seuls qui sont recrutés pendant quatre ans. En 1925, Antonetti son successeur, qui a rattaché à l’Oubangui, le Moyen-Chari et le Logone, va recruter des travailleurs dans le sud du Tchad, mais aussi chez les Gbaya. Comme le Moyen-Chari n’avait que 175.000 habitants, au recensement de 1926, il y eut au maximum 43.000 hommes recrutés, le quart de la population totale. Bé-i-so, le principal responsable, envoyait ses recruteurs musulmans, Boua et Niellim, même en pays mbay (Jérôme Ngakoutou, originaire de Satéyan, Kassaï, 1981). Batinda était ngar-em-ndogo, à Béndang, avant d’être nommé chef de canton de Ngalo. Son représentant à Bouna et Bara, Yorade « n’a pas hésité à tirer sur les récalcitrants lors des opération de recrutement (Eydoux, 1955).

            Ceci dit, voyons les événements. En 1928, à Bouna, une femme, nommée Deinyam, devait assister au deuil d’un membre de sa famille à Paris-Kowyo ; Elle passe quatre jours sur la place mortuaire et rentre dans son foyer. A peine rentrée depuis un jour, elle apprend que son oncle maternel vient de mourir à Bara II ; sur le champ, elle décide de partir. Son mari Gbogotam, qui pressent une aventure galante, s’y oppose ; Deinyam passe outre et refuse, avant le départ, de préparer le poulet qu’il lui a offert. Le mari se met à sa poursuite, le rattrape et tente de la frapper ; elle se défend tant et si bien qu’elle battit son mari. Celui-ci lui dit alors : « Je t’ai épousée avec mon argent, tu dois m’obéir. Je t’ai interdit d’aller à Bara, et toi tu me frappes. » C’est alors qu’il décide de tuer sa femme ; il repart armé d’une sagaie et d’un couteau de jet, et par un raccourci, il devance Deinyam et ses amies, se cache au lieu-dit Sabba, et quand elle arrive lui plante sa sagaie dans la poitrine, et l’achève de son couteau de jet.

            Deuxième acte : Ndiya, le frère de la victime jure qu’il n’enterrera pas sa sœur « dans une peau d’animal, mais dans une peau humaine ». Il se rend à DHANGASSE, dans le clan maternel de l’assassin, et tue une des fille de son oncle.

            Troisième acte : Quelques jours plus tard, le garde Nzara est envoyé par le chef de district de Moïssala, pour s’occuper des pirogues de l’administration, à Bara II. Aussitôt Yorade le charge d’arrêter Ndiya. « Il faisait nuit noire. Le garde et ses hommes entrent dans la concession. Plusieurs personnes dormaient sous un abri de paille. Le garde et ses hommes sautèrent sur le plus costaud, le prenant pour Ndiya. En fait, celui-ci était à l’intérieur de sa case ; il sort et à la lueur d’un éclair, il aperçoit le garde ; il prend ses armes, sagaie et bouclier et attend ; à la lueur d’un second éclair, il plante sa sagaie dans le corps de Nzara, qui est grièvement blessé et meurt peu après. Les hommes du garde prennent la fuite. Le fusil de Nzara est pris et caché.

            C’est la récupération de ce fusil qui va déchaîner la guerre. Yorade envoie un messager au chef de district pour annoncer la meurtre du garde. Celui-ci répond aussitôt qu’il tient absolument à ce que le fusil soit retrouvé et expédié à Moïssala, mais il fait observer à Yorade que Nzara n’avait pas été envoyé à Bara II pour arrêter Ndiya et qu’il est lui-même responsable de sa mort. Recherches vaines qui durent plusieurs mois : « Batinda et Tatola font une enquête chacun de leur côté ; Tatola promet le pardon aux gens de Bara II, et finalement c’est à lui qu’on rend le fusil. Batinda furieux va se joindre bientôt aux autorité pour la grande expédition punitive, et Wadna, notre principal informateur à Bouna, se déclare convaincu qu’il était le grand responsable de la guerre et de la déportation qui suivit. » (Adler)

            Nous sommes arrivés au mois de janvier 1929. Alors éclate à Moïssala « une crise d’hystérie collective ». Personne ne semble avoir mis en cause Tatola lui-même ; mais dans son entourage, il y avait un certain nombre de gens qui complotaient contre Bouna et qui rappelèrent à l’administrateur que ce peuple toujours rebelle avait déjà massacré 9 tirailleurs, en 1912, lors de la première guerre du Mandoul. Dès la fin de janvier, on bloque toutes les routes qui mènent à Bouna. Le 14 avril 1929, tous les contingents arrivent vers midi à Bouna : les gardes du chef de district, puis des volontaires de toutes les tribus, mbay, day de Ngalo, ngam de Maro, sar de Koumra, nar de Béboro, pen, goulay, armés de sagaies et de couteaux de jet.

            Les habitants, en nombre inférieur, s’enfuient, abandonnant tous leurs biens. Ils se réfugient dans les marécages, plongés entièrement dans l’eau, comme des grenouilles, et respirant avec des cannes de mil creuses, qui émergent comme le tuyau d’un scaphandre. Certains réussiront à passer à Bangoul, où on les ravitaillera. Les assaillants mettent le feu au village, qui ressemble bientôt à un désert noir de fumée. Les fuyards sont rattrapés à cheval et tués ; les blessés sont achevés ; à chaque cadavre, on coupe une oreille, et on ramasse toutes les oreilles dans un panier, pour les compter et communiquer le nombre au chef de district. Les habitants de Bara II avaient refusé pour la plupart de participer à cette affreuse boucherie, et s’étaient enfuis vers Ndjola II ; leur vilage fut incendié. Certains survivants furent conduits à Bara II, les mains ligotées derrière le dos et tués sous un grand ficus. A Bouna et à Bara II, au milieu des ruines calcinées les cadavres pourrissaient au soleil, dévorés par les charognards ou par les chiens. Quand cette crise de folie fut terminée (fin avril ?) l’administrateur fit déporter les survivants ; à Moïssala, ils fondèrent le village de Maïmbaya, à Maro, le village de Paré-Sara ; un grand nombre s’installèrent à Fort-Archambault, au quartier Baguirmi, dont Gotengar devint le chef. Bouna ne fut reconstruit qu’en 1946. Sans aucun doute l’administration a encouragé l’expédition contre Bouna, mais toutes les ethnies voisines qui y ont participé, ont trouvé là l’occasion d’assouvir leurs rancunes tribales et portent leur part de responsabilité.

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