samedi 5 avril 2014

Comment est mort le commandant Lamy


            Le 22 avril 1900, il y eut le combat décisif des forces françaises contre Rabah à Kousseri. C’était après la jonction des trois colonnes (Missions Foureau-Lamy et Joalland-Meynier). Le commandant Lamy allait y perdre la vie. Un soldat raconte ses souvenirs qu’on peut retrouver dans Les souvenirs du Caporal Menage recueuillis par Paluel Marmont, p 117.

            Il est six heures du matin lorsque les trois colonnes s’ébranlent. Le Commandant Lamy marche avec celle du centre. Nous avançons dans un enchevêtrement inextricable de buissons épineux, dans lesquels il faut, non sans peine, nous creuser un chemin. Aussi allons-nous lentement. Nos voisins progressent-ils plus vite ? Nous ne pouvons le savoir… Toujours est-il que nous sommes en route depuis environ une heure lorsque soudain, sur notre droite, une fusillade éclate. Est-ce seulement une alerte ? Non pas, car le feu continue, de plus en plus nourri, et notre conviction se fait que l’accrochage est maintenant réalisé. Aussi, conformément aux indications du Commandant avant le départ, le capitaine Reibell nous fait-il faire un changement de direction à droite. Puis, au débouché d’un rideau d’arbres, qui jusqu’alors avait dissimulé notre marche, nous nous déployons en tirailleurs. Ma section s’appuie au fleuve pour couper la route à tous ceux qui tenteraient de fuir par ce côté.

            A présent la fusillade est déclenchée sur toutes les faces du camp, et nous avançons sous les balles. Le Lieutenant de Chambrun, à cheval assure la liaison entre le Commandant Lamy et les commandants des trois colonnes. Au tir de l’ennemi, nos fusils répondent ainsi que nos canons. Nous avançons par bonds successifs, dans le tumulte d’une vraie bataille. Il y a quelques blessés déjà. Le soleil est haut et nous commençons à souffrir de la chaleur. Chacun de nous est impatient d’en finir, à hâte d’entendre le clairon sonner la charge…

            Voici, les clairons des sections Metois et Britach viennent de donner le signal. Alors, d’un seul élan, toute la ligne de tirailleurs se précipite. Le Capitaine Reibell est en tête.

            - En avant, crient les officiers.

            - En avant, répètent les hommes.

            C’est l’assaut furieux du camp. Nous arrivons à l’enceinte, la franchissons. De pauvres femmes se jettent à nos pieds en nous suppliant de les épargner. Des prisonniers, certains maintenant d’avoir la vie sauve, nous guident à travers les cases. Mais si l’ennemi recule, il ne songe pas à capituler.

            C’est un corps à corps général, une lutte terrible à la vie et à la mort.

            - Rabah est blessé.

            La nouvelle court de bouche en bouche. Il est blessé, il est vrai. Mais légèrement, et il s’apprête à fuir avec quelques guerriers dévoués à sa personne. Aussitôt des dispositions sont prises pour couper sa retraite. Le Capitaine Reibell s’élance. Mais Rabah fait demi-tour, revient sur nous. Le Commandant Lamy qui se trouve non loin se précipite. Il tombe frappé d’une balle.

            - Le Commandant est blessé.

            En un instant nous connaissons la nouvelle de la blessure de notre Commandant, et nous savons que sa blessure est grave.

            - Le Capitaine de Cointet est tué

            Il se trouvait à côté du commandant Lamy et a eu la carotide tranchée par une balle.

            - Le Lieutenant Chambrun est blessé.

            Une balle a traversé l’avant-bras, et brisé le coude.

            - Le Sergent Rocher est tué.

            - Le tirailleur Djellouk est tué.

            - Le spahis Kadry est tué.

            Ainsi la liste des morts s’allonge. Mais ils ne seront pas tombés en vain. Les guerriers de Rabah maintenant sont en fuite.

            Tout à coup un tirailleur soudanais qui fut prisonnier de Rabah reconnaît celui-ci parmi les fuyards. D’un bond il le rejoint et l’abat ; puis d’un seul coup il lui tranche la tête.

            - Je veux voir le Commandant,  dit-il.

On lui indique la tente où notre chef a été transporté, et le tirailleur lui montre la tête du tyran dont nous venons de débarrasser le pays.

Le Commandant est étendu sur un brancard. Il est très pâle. Une balle lui a fracassé le bras et pénétré dans la poitrine d’où l’on n’a pu l’extraire. Les docteurs Fournial et Haller sont à son chevet tandis qu’on enveloppe le bras de Chambrun dans une peau de bouc faisant gouttière.

- Je vais mourir, murmure le commandant ; mais je meurs content puisque Rabah n’est plus.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire