Le 22 avril 1900, il y eut le combat décisif
des forces françaises contre Rabah à Kousseri. C’était après la jonction des
trois colonnes (Missions Foureau-Lamy et Joalland-Meynier). Le commandant Lamy
allait y perdre la vie. Un soldat raconte ses souvenirs qu’on peut retrouver
dans Les souvenirs du Caporal Menage
recueuillis par Paluel Marmont, p 117.
Il est six heures du matin lorsque les trois colonnes
s’ébranlent. Le Commandant Lamy marche avec celle du centre. Nous avançons dans
un enchevêtrement inextricable de buissons épineux, dans lesquels il faut, non
sans peine, nous creuser un chemin. Aussi allons-nous lentement. Nos voisins
progressent-ils plus vite ? Nous ne pouvons le savoir… Toujours est-il que
nous sommes en route depuis environ une heure lorsque soudain, sur notre
droite, une fusillade éclate. Est-ce seulement une alerte ? Non pas, car
le feu continue, de plus en plus nourri, et notre conviction se fait que
l’accrochage est maintenant réalisé. Aussi, conformément aux indications du
Commandant avant le départ, le capitaine Reibell nous fait-il faire un
changement de direction à droite. Puis, au débouché d’un rideau d’arbres, qui
jusqu’alors avait dissimulé notre marche, nous nous déployons en tirailleurs.
Ma section s’appuie au fleuve pour couper la route à tous ceux qui tenteraient
de fuir par ce côté.
A présent la fusillade est déclenchée sur toutes les
faces du camp, et nous avançons sous les balles. Le Lieutenant de Chambrun, à
cheval assure la liaison entre le Commandant Lamy et les commandants des trois
colonnes. Au tir de l’ennemi, nos fusils répondent ainsi que nos canons. Nous
avançons par bonds successifs, dans le tumulte d’une vraie bataille. Il y a
quelques blessés déjà. Le soleil est haut et nous commençons à souffrir de la
chaleur. Chacun de nous est impatient d’en finir, à hâte d’entendre le clairon
sonner la charge…
Voici, les clairons des sections Metois et Britach
viennent de donner le signal. Alors, d’un seul élan, toute la ligne de
tirailleurs se précipite. Le Capitaine Reibell est en tête.
- En avant, crient les officiers.
- En avant, répètent les hommes.
C’est l’assaut furieux du camp. Nous arrivons à
l’enceinte, la franchissons. De pauvres femmes se jettent à nos pieds en nous
suppliant de les épargner. Des prisonniers, certains maintenant d’avoir la vie
sauve, nous guident à travers les cases. Mais si l’ennemi recule, il ne songe
pas à capituler.
C’est un corps à corps général, une lutte terrible à la
vie et à la mort.
- Rabah est blessé.
La nouvelle court de bouche en bouche. Il est blessé, il
est vrai. Mais légèrement, et il s’apprête à fuir avec quelques guerriers
dévoués à sa personne. Aussitôt des dispositions sont prises pour couper sa
retraite. Le Capitaine Reibell s’élance. Mais Rabah fait demi-tour, revient sur
nous. Le Commandant Lamy qui se trouve non loin se précipite. Il tombe frappé
d’une balle.
- Le Commandant est blessé.
En un instant nous connaissons la nouvelle de la blessure
de notre Commandant, et nous savons que sa blessure est grave.
- Le Capitaine de Cointet est tué
Il se trouvait à côté du commandant Lamy et a eu la
carotide tranchée par une balle.
- Le Lieutenant Chambrun est blessé.
Une balle a traversé l’avant-bras, et brisé le coude.
- Le Sergent Rocher est tué.
- Le tirailleur Djellouk est tué.
- Le spahis Kadry est tué.
Ainsi la liste des morts s’allonge. Mais ils ne seront
pas tombés en vain. Les guerriers de Rabah maintenant sont en fuite.
Tout à coup un tirailleur soudanais qui fut prisonnier de
Rabah reconnaît celui-ci parmi les fuyards. D’un bond il le rejoint et
l’abat ; puis d’un seul coup il lui tranche la tête.
- Je veux voir le Commandant, dit-il.
On
lui indique la tente où notre chef a été transporté, et le tirailleur lui
montre la tête du tyran dont nous venons de débarrasser le pays.
Le
Commandant est étendu sur un brancard. Il est très pâle. Une balle lui a
fracassé le bras et pénétré dans la poitrine d’où l’on n’a pu l’extraire. Les
docteurs Fournial et Haller sont à son chevet tandis qu’on enveloppe le bras de
Chambrun dans une peau de bouc faisant gouttière.
- Je
vais mourir, murmure le commandant ; mais je meurs content puisque Rabah
n’est plus.
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