Dans notre effort de compréhension des problèmes des Day,
nous donnons aujourd’hui écho au texte qui se trouve en annexe dans le
fascicule du Joseph Fortier, Histoire du
pays Sara, CEL Sarh, Tchad, 1982. Il y est question de la guerre de Bouna
(1928-1929).
A l’origine, c’est
une vendetta entre deux clans familiaux, qui s’embrassera en guerre tribale,
avec l’appui de l’administration coloniale. Nous suivons ici, pour le détail
des événements, le récit de Monsieur Koullo (contes Day, CEL, Sarh,
1981).
Contexte politique : La guerre de Bouna
éclate en janvier 1929. C’est la cinquième année, au Tchad, du recrutement pour
le chemin de fer CONGO-OCEAN. Si le Moyen-Chari en a supporté, au Tchad, le
poids le plus lourd, d’autres en AEF ont été aussi durement éprouvée que lui.
« On a recruté 150.000 travailleurs
dans toute l’AEF (entre 1921 et 1934), plus de 10% moururent dans la forêt. Les
Gbaya se révoltèrent », écrit Hubert DESCHAMPS. « Il y aura 20.000 morts sur les chantiers » précise
Mme COQUERY-VIDROVITCH. Quand le gouverneur Augagneur ouvre le chantier en
1921, ce sont les congolais seuls qui sont recrutés pendant quatre ans. En
1925, Antonetti son successeur, qui a rattaché à l’Oubangui, le Moyen-Chari et
le Logone, va recruter des travailleurs dans le sud du Tchad, mais aussi chez
les Gbaya. Comme le Moyen-Chari n’avait que 175.000 habitants, au recensement
de 1926, il y eut au maximum 43.000 hommes recrutés, le quart de la population
totale. Bé-i-so, le principal responsable, envoyait ses recruteurs musulmans,
Boua et Niellim, même en pays mbay (Jérôme Ngakoutou, originaire de Satéyan,
Kassaï, 1981). Batinda était ngar-em-ndogo, à Béndang, avant d’être nommé chef
de canton de Ngalo. Son représentant à Bouna et Bara, Yorade « n’a pas
hésité à tirer sur les récalcitrants lors des opération de recrutement (Eydoux,
1955).
Ceci dit, voyons les événements. En 1928, à Bouna, une
femme, nommée Deinyam, devait assister au deuil d’un membre de sa famille à
Paris-Kowyo ; Elle passe quatre jours sur la place mortuaire et
rentre dans son foyer. A peine rentrée depuis un jour, elle apprend que son
oncle maternel vient de mourir à Bara II ; sur le champ, elle décide de
partir. Son mari Gbogotam, qui pressent une aventure galante, s’y oppose ;
Deinyam passe outre et refuse, avant le départ, de préparer le poulet qu’il lui
a offert. Le mari se met à sa poursuite, le rattrape et tente de la
frapper ; elle se défend tant et si bien qu’elle battit son mari. Celui-ci
lui dit alors : « Je t’ai épousée avec mon argent, tu dois m’obéir.
Je t’ai interdit d’aller à Bara, et toi tu me frappes. » C’est alors qu’il
décide de tuer sa femme ; il repart armé d’une sagaie et d’un couteau de
jet, et par un raccourci, il devance Deinyam et ses amies, se cache au lieu-dit
Sabba, et quand elle arrive lui plante sa sagaie dans la poitrine, et l’achève
de son couteau de jet.
Deuxième acte : Ndiya, le frère de la victime jure
qu’il n’enterrera pas sa sœur « dans une peau d’animal, mais dans une peau
humaine ». Il se rend à DHANGASSE, dans le clan maternel de l’assassin, et
tue une des fille de son oncle.
Troisième acte : Quelques jours plus tard, le garde
Nzara est envoyé par le chef de district de Moïssala, pour s’occuper des
pirogues de l’administration, à Bara II. Aussitôt Yorade le charge d’arrêter
Ndiya. « Il faisait nuit noire. Le garde et ses hommes entrent dans la
concession. Plusieurs personnes dormaient sous un abri de paille. Le garde et
ses hommes sautèrent sur le plus costaud, le prenant pour Ndiya. En fait,
celui-ci était à l’intérieur de sa case ; il sort et à la lueur d’un
éclair, il aperçoit le garde ; il prend ses armes, sagaie et bouclier et
attend ; à la lueur d’un second éclair, il plante sa sagaie dans le corps de
Nzara, qui est grièvement blessé et meurt peu après. Les hommes du garde
prennent la fuite. Le fusil de Nzara est pris et caché.
C’est la récupération de ce fusil qui va déchaîner la
guerre. Yorade envoie un messager au chef de district pour annoncer la meurtre
du garde. Celui-ci répond aussitôt qu’il tient absolument à ce que le fusil
soit retrouvé et expédié à Moïssala, mais il fait observer à Yorade que Nzara
n’avait pas été envoyé à Bara II pour arrêter Ndiya et qu’il est lui-même
responsable de sa mort. Recherches vaines qui durent plusieurs mois :
« Batinda et Tatola font une enquête chacun de leur côté ; Tatola
promet le pardon aux gens de Bara II, et finalement c’est à lui qu’on rend le
fusil. Batinda furieux va se joindre bientôt aux autorité pour la grande
expédition punitive, et Wadna, notre principal informateur à Bouna, se déclare
convaincu qu’il était le grand responsable de la guerre et de la déportation qui
suivit. » (Adler)
Nous sommes arrivés au mois de janvier 1929. Alors éclate
à Moïssala « une crise d’hystérie collective ». Personne ne semble
avoir mis en cause Tatola lui-même ; mais dans son entourage, il y avait
un certain nombre de gens qui complotaient contre Bouna et qui rappelèrent à
l’administrateur que ce peuple toujours rebelle avait déjà massacré 9
tirailleurs, en 1912, lors de la première guerre du Mandoul. Dès la fin de
janvier, on bloque toutes les routes qui mènent à Bouna. Le 14 avril 1929, tous
les contingents arrivent vers midi à Bouna : les gardes du chef de
district, puis des volontaires de toutes les tribus, mbay, day de Ngalo, ngam
de Maro, sar de Koumra, nar de Béboro, pen, goulay, armés de sagaies et de
couteaux de jet.
Les habitants, en nombre inférieur, s’enfuient,
abandonnant tous leurs biens. Ils se réfugient dans les marécages, plongés
entièrement dans l’eau, comme des grenouilles, et respirant avec des cannes de
mil creuses, qui émergent comme le tuyau d’un scaphandre. Certains réussiront à
passer à Bangoul, où on les ravitaillera. Les assaillants mettent le feu au
village, qui ressemble bientôt à un désert noir de fumée. Les fuyards sont
rattrapés à cheval et tués ; les blessés sont achevés ; à chaque
cadavre, on coupe une oreille, et on ramasse toutes les oreilles dans un
panier, pour les compter et communiquer le nombre au chef de district. Les
habitants de Bara II avaient refusé pour la plupart de participer à cette
affreuse boucherie, et s’étaient enfuis vers Ndjola II ; leur vilage fut
incendié. Certains survivants furent conduits à Bara II, les mains ligotées
derrière le dos et tués sous un grand ficus. A Bouna et à Bara II, au milieu
des ruines calcinées les cadavres pourrissaient au soleil, dévorés par les
charognards ou par les chiens. Quand cette crise de folie fut terminée (fin
avril ?) l’administrateur fit déporter les survivants ; à Moïssala,
ils fondèrent le village de Maïmbaya, à Maro, le village de Paré-Sara ; un
grand nombre s’installèrent à Fort-Archambault, au quartier Baguirmi, dont
Gotengar devint le chef. Bouna ne fut reconstruit qu’en 1946. Sans aucun doute
l’administration a encouragé l’expédition contre Bouna, mais toutes les ethnies
voisines qui y ont participé, ont trouvé là l’occasion d’assouvir leurs
rancunes tribales et portent leur part de responsabilité.