N’Djamena est en train de devenir une ville moderne avec
le boum pétrolier que connaît le Tchad. Avec les différents chantiers qui
s’élèvent un peu partout, il y a un grand besoin de main d’œuvre. Cela crée un
appel d’air qui fait débarquer à N’Djamena toutes les catégories de personnes
venant des villages. Toutes ces personnes ne sont pas logées à la même enseigne
car les potentialités ne sont pas les mêmes. Les personnes plus ou moins
spécialisées arrivent à se faire embaucher plus facilement comme aide-maçons,
terrassiers etc… Les autres se retrouvent sur le carreau et doivent se
débrouiller autrement.
Les naufragés de cet exode rural que connaît N’Djamena
sont ceux qu’on appelle ironiquement « les fonctionnaires de la rue
40 » (du nom d’une des rues du quartier nord de N’Djamena). Ils viennent
généralement du sud du pays ; si on dit qu’ils sont généralement des
« magueurs » du nom du village Magueri, ces naufragés viennent en
réalité de nombreux villages du Moyen-Chari et du Logone Oriental.
La plupart des femmes se font engager comme bonnes à
N’Djamena. Leur principale occupation consiste à faire la cuisine, laver les
habits et garder les enfants. Les hommes s’occupent davantage de tâches qui
demandent des efforts physiques. D’autres garçons restent dans les quartiers
sud de la ville où ils s’engagent comme gérants dans les différents bars et
buvettes de la ville.
Qu’est-ce qui draine toute cette foule de villageois vers
N’Djamena ? Pour les filles, c’est le désir de s’acheter des ustensiles de
cuisines. Celles qui rentrent avec toute une panoplie de marmites et de
cuvettes donnent aux autres le désir de venir elles également à N’Djamena pour
s’en acheter.
Cela ne se passe pas sans difficultés. Pour rentrer avec
ces ustensiles, toutes ces femmes doivent vraiment compter sur la chance
pendant leur séjour à N’Djamena :
- Tout d’abord, il faut
avoir eu la chance de tomber sur des patrons honnêtes. En effet, il y a des
gens qui profitent de manière éhontée de la naïveté et de la fragilité de cette
population sans défense. Plusieurs fois, au moment de la paye, certaines
personnes accusent leurs employés de vol et les renvoient ; au pire des
cas, ils les font arrêter pour vol.
- Les « naufragés »,
pour faire des économies se cotisent à plusieurs pour louer. Ils vivent donc à
plusieurs dans des petites chambres dans une très grande promiscuité. Il va
sans dire que beaucoup de filles rentrent au village avec des grossesses
indésirées.
- Si en semaine la plupart
de ces travailleurs passent la journée dans les quartiers nord, les fins de
semaines, plus particulièrement les dimanches, ils se retrouvent ensemble. Ils
essaient tant bien que mal de recréer l’atmosphère du village et cela ne se
passe pas toujours sans bavures. Ils passent le temps à boire dans les
différents cabarets et souvent cela se terminent par des bagarres généralisées
où il y a quelquefois mort d’hommes.
Loin d’être un fait social anodin, il faudrait prendre ce
problème au sérieux car l’avenir du Tchad est plus ou moins engagé. Les
travailleurs viennent de plus en plus jeunes à N’Djamena chercher du travail.
Cela se fait au détriment de leur éducation. Beaucoup arrêtent les études
(primaire ou début du secondaire) pour sombrer au cri des sirènes d’une
richesse éphémère. Il faudrait donc une prise de conscience collective pour
éviter cette hémorragie des forces vives du pays. Les différents chefs de
villages et de cantons devraient être rappelés à l’ordre et leur faire savoir
que l’école devrait être obligatoire pour tous, au moins jusqu’à l’âge de 16
ans.
Il faudrait également que les syndicats prennent au
sérieux ce problème. Les « fonctionnaires de la Rue 40 » ne disposent
d’aucune protection et cela les fragilisent davantage. Il faudrait voir comment
on pourrait les faire bénéficier de certains droits, ce qui les mettrait hors
de la précarité.
Finalement, la question principale consiste à savoir
comment dans une même nation, certains bénéficieraient de la manne pétrolière
au point au ils seraient des princes alors que d’autres, en trimant, n’arrivent
même pas au Smig. Il y a va du devenir de la nation.
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