lundi 24 février 2014

N'Djamena : exode rural d'un nouveau genre (par Pascal Djimoguinan)


            N’Djamena est en train de devenir une ville moderne avec le boum pétrolier que connaît le Tchad. Avec les différents chantiers qui s’élèvent un peu partout, il y a un grand besoin de main d’œuvre. Cela crée un appel d’air qui fait débarquer à N’Djamena toutes les catégories de personnes venant des villages. Toutes ces personnes ne sont pas logées à la même enseigne car les potentialités ne sont pas les mêmes. Les personnes plus ou moins spécialisées arrivent à se faire embaucher plus facilement comme aide-maçons, terrassiers etc… Les autres se retrouvent sur le carreau et doivent se débrouiller autrement.

            Les naufragés de cet exode rural que connaît N’Djamena sont ceux qu’on appelle ironiquement « les fonctionnaires de la rue 40 » (du nom d’une des rues du quartier nord de N’Djamena). Ils viennent généralement du sud du pays ; si on dit qu’ils sont généralement des « magueurs » du nom du village Magueri, ces naufragés viennent en réalité de nombreux villages du Moyen-Chari et du Logone Oriental.

            La plupart des femmes se font engager comme bonnes à N’Djamena. Leur principale occupation consiste à faire la cuisine, laver les habits et garder les enfants. Les hommes s’occupent davantage de tâches qui demandent des efforts physiques. D’autres garçons restent dans les quartiers sud de la ville où ils s’engagent comme gérants dans les différents bars et buvettes de la ville.

            Qu’est-ce qui draine toute cette foule de villageois vers N’Djamena ? Pour les filles, c’est le désir de s’acheter des ustensiles de cuisines. Celles qui rentrent avec toute une panoplie de marmites et de cuvettes donnent aux autres le désir de venir elles également à N’Djamena pour s’en acheter.

            Cela ne se passe pas sans difficultés. Pour rentrer avec ces ustensiles, toutes ces femmes doivent vraiment compter sur la chance pendant leur séjour à N’Djamena :

- Tout d’abord, il faut avoir eu la chance de tomber sur des patrons honnêtes. En effet, il y a des gens qui profitent de manière éhontée de la naïveté et de la fragilité de cette population sans défense. Plusieurs fois, au moment de la paye, certaines personnes accusent leurs employés de vol et les renvoient ; au pire des cas, ils les font arrêter pour vol.

- Les « naufragés », pour faire des économies se cotisent à plusieurs pour louer. Ils vivent donc à plusieurs dans des petites chambres dans une très grande promiscuité. Il va sans dire que beaucoup de filles rentrent au village avec des grossesses indésirées.

- Si en semaine la plupart de ces travailleurs passent la journée dans les quartiers nord, les fins de semaines, plus particulièrement les dimanches, ils se retrouvent ensemble. Ils essaient tant bien que mal de recréer l’atmosphère du village et cela ne se passe pas toujours sans bavures. Ils passent le temps à boire dans les différents cabarets et souvent cela se terminent par des bagarres généralisées où il y a quelquefois mort d’hommes.

            Loin d’être un fait social anodin, il faudrait prendre ce problème au sérieux car l’avenir du Tchad est plus ou moins engagé. Les travailleurs viennent de plus en plus jeunes à N’Djamena chercher du travail. Cela se fait au détriment de leur éducation. Beaucoup arrêtent les études (primaire ou début du secondaire) pour sombrer au cri des sirènes d’une richesse éphémère. Il faudrait donc une prise de conscience collective pour éviter cette hémorragie des forces vives du pays. Les différents chefs de villages et de cantons devraient être rappelés à l’ordre et leur faire savoir que l’école devrait être obligatoire pour tous, au moins jusqu’à l’âge de 16 ans.

            Il faudrait également que les syndicats prennent au sérieux ce problème. Les « fonctionnaires de la Rue 40 » ne disposent d’aucune protection et cela les fragilisent davantage. Il faudrait voir comment on pourrait les faire bénéficier de certains droits, ce qui les mettrait hors de la précarité.

            Finalement, la question principale consiste à savoir comment dans une même nation, certains bénéficieraient de la manne pétrolière au point au ils seraient des princes alors que d’autres, en trimant, n’arrivent même pas au Smig. Il y a va du devenir de la nation.

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