Aujourd’hui, les fiançailles et les mariages, sous
prétexte de se référer à la tradition, sont devenus de véritables opérations de
d’arnaque et de véritables gouffres d’argent. A l’origine, il n’en était pas
ainsi. Il est intéressant de noter que la compensation ne fait que s’élever. Si
l’on se plaignait déjà dans les années 70 que cela allait jusqu’à 50 000
francs CFA en ville, aujourd’hui il faut parler de centaines de milliers de
francs. Nous reprenons ici ce qu’a écrit le père Joseph Fortier dans son livre Dragon et sorcière. Contes et moralités mbaï,
Classiques Africains, 1974, pp. 61-62.
A la différence des Sara-Madjingaï (sous-préfecture de
Koumra et Bédaya) qui ne tolèrent qu’un prétendant au début des fiançailles, la
coutume des Mbaï et Ngama en permet plusieurs. Il semble aussi que la jeune
fille aie dans ces deux tribus une liberté plus grande de choisir celui qu’elle
aime, même si, comme ailleurs, la cupidité des parents, du père surtout, lui
impose souvent le candidat qui offre la compensation matrimoniale le plus
considérable.
Voici
en bref le déroulement du processus des fiançailles dans les deux groupes (sara
et mbay), avec les étapes principales.
a) Chez les
Sara-Madjingaï. Les fiançailles duraient souvent six ou sept ans,
parfois même davantage. C’était habituellement avec une fillette d’une dizaine
d’années qu’on commençait les opérations du mariage.
- Demande de fiançailles. La sœur du garçon va porter, à la nuit
tombée, chez les parents de la jeune fille, des pois de terre grillé dans une
petite calebasse finement gravée. Si le cadeau est accepté, les deux jeunes
gens sont fiancés officiellement et il ne leur est plus permis désormais de se
rencontrer en public. Actuellement une somme d’argent (5ooo frs CFA) constitue
le plus souvent l’unique « entrée en matière ».
- Cadeaux en nature. Au moment de chaque récolte, le « messager
du fiancé » va offrir une botte de cannes à sucre la première année, deux
bottes la seconde et ainsi de suite ; en septembre, un panier
d’arachides ; début novembre, un panier de pois de terre ; en
décembre, un panier de farine de mil. Lorsque la fiancée est nubile, qu’elle
est physiquement devenue une femme, la garçon qui guette cet instant, pique des
épis de mil dans une bottes de cannes à sucre envoyée en présent, façon non
équivoque de dire à son futur beau-père : « C’est la dernière fois
que je t’envoie les prestation des fiançailles. »
- La case des visites chez les beaux-parents. L’avant-dernière année,
le père de la jeune fille invite son futur gendre à construire dans sa propre
cour une case modeste ornée d’un plafond en paille tressée. C’est là désormais
que les fiancés pourront se rencontrer pendant la nuit : dans les débuts au
moins, la fille est muette, le garçon s’assied sur le lit, elle s’asseoit par
terre en face de lui et écoute ce qu’il lui dit.
- La remise des couteaux de jet. Quand le garçon, un soir, remet deux
couteaux de jet à sa fiancée – et celle-ci, à son tour les remettra à la sœur
de son père – c’est le signe que les événements vont se précipiter. Dès ce
moment, la langue de la jeune fille se déliera et de véritables conversations
auront lieu durant la nuit. Les choses même pourraient aller beaucoup plus loin
et les parents n’y verraient aucun inconvénient. Mais, normalement, l’union ne
peut se consommer que dans la case du jeune homme. La jeune fille s’y rendra un
soir sur l’invitation du « messager du fiancé ».
- La grossesse devient apparente. A partir de ce moment-là, la jeune
fille peut sans honte préparer la « boule » pour son fiancé et la lui
porter. Le garçon, de son côté, cesse tous les cadeaux en nature.
- La naissance du premier enfant. En général, le beau-père attendra
cet événement pour réclamer tout ou partie de ce qu’on appelle improprement, la
dot. Autrefois, la compensation matrimoniale était payée en kul, couteau de jet miniature en fer
forgé. Le kul ne servait pas
uniquement pour la dot, c’était une véritable monnaie avec laquelle on pouvait
acquérir tout ce qui se trouve sur les marchés, en particulier les esclaves et
le bétail. Aujourd’hui le papier-monnaie a remplacé les kul et le montant de la dot augmente sans cesse (il a passé en dix
ans de 15000 à 30000, en brousse et il atteint fréquemment 50 000 frs CFA
en ville)
- Conduite au domicile conjugal. Lorsque la dot est complètement
versée, la femme pourra se rendre chez son marie qui, entre temps, lui aura
construit une case pour dormir et une cuisine. Quand cette « conduite de
la mariée » chez son époux est solennisée – elle ne l’est pas toujours, à
cause des frais considérables que cela entraîne – c’est la tante paternelle de
l’épouse qui conduit les opérations et fait confectionner la bière de mil.
b) Chez les Mbaï
ou les Ngama. Autrefois, le frère aîné ou un proche parent, à présent
le garçon lui-même vient faire :
- La demande de fiançailles. S’il est agréé, il offrira aussitôt une
somme d’argent – 5 000 frs CFA – comme « entrée en matière ».
Puis, ce sera la série des cadeaux en
nature, comme plus haut, cannes à sucre, arachides, ignames, mil, pois de
terre ; et cela pendant deux ans ou plus. La coutume autorise plusieurs
prétendants, deux ou trois qui, tous, font les mêmes cadeaux en nature ou en
argent. Les visites ont lieu librement de jour ou à la veillée, au domicile des
beaux-parents. Mais jamais à ce moment-là la fille n’adressera la parole à l’un
de ses amoureux ; elle ne le fera que lorsqu’elle aura dormi secrètement
avec l’un d’eux. Elle se cache pendant ses visites.
- La fille déclare son choix. Un soir, elle raccompagnera chez lui,
celui qu’elle aime. Ils dormiront ensemble. Le lendemain, elle déclarera à son
père : « c’est un tel que je veux épouser. »
Entre temps, les parents auront discuté entre eux des
mérites respectifs de tel et tel candidat ; le frère aîné du père peut
avoir son mot à dire, surtout s’il est plus riche ou s’il a aidé les frères de
la fiancée à se marier. Si les parents sont d’accord avec leur fille sur le
choix qu’elle a fait, alors l’heureux élu versera le dernier acompte de la dot
et il pourra emmener sa femme chez lui. Le père rembourse alors aux prétendants
évincés les versements en argent qu’ils ont pu faire ; il arrive rarement,
mais cela se produit tout de même, que le père ait encaissé le montant complet
de deux dots.
- Versement de la dot et derniers cadeaux. Autrefois, la compensation
matrimoniale était de 100 kul (couteau
de jet – monnaie). Maintenant, on donne du numéraire. Quand le montant en
argent a été versé, le nouveau mari peut emmener sa femme chez lui, surtout
s’il habite en ville. En brousse, maintenant encore, la femme restera chez ses
parents jusqu’à la naissance du premier enfant ; elle ne mange pas avec
son mari, bien qu’elle prépare la nourriture pour ses beaux-parents ; elle
vient seulement de temps en temps dormir avec lui.
- Naissance du premier enfant. Le mari fait un dernier cadeau à ses
beaux-parents : autrefois, un chevreau et un kul ; maintenant, un chevreau et 1000 frs CFA. Après quoi, il
emmène sa femme chez lui.
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