mardi 6 janvier 2015

TCHAD : Les fiançailles en pays mbay et en pays sara



            Aujourd’hui, les fiançailles et les mariages, sous prétexte de se référer à la tradition, sont devenus de véritables opérations de d’arnaque et de véritables gouffres d’argent. A l’origine, il n’en était pas ainsi. Il est intéressant de noter que la compensation ne fait que s’élever. Si l’on se plaignait déjà dans les années 70 que cela allait jusqu’à 50 000 francs CFA en ville, aujourd’hui il faut parler de centaines de milliers de francs. Nous reprenons ici ce qu’a écrit le père Joseph Fortier dans son livre Dragon et sorcière. Contes et moralités mbaï, Classiques Africains, 1974, pp. 61-62.
            A la différence des Sara-Madjingaï (sous-préfecture de Koumra et Bédaya) qui ne tolèrent qu’un prétendant au début des fiançailles, la coutume des Mbaï et Ngama en permet plusieurs. Il semble aussi que la jeune fille aie dans ces deux tribus une liberté plus grande de choisir celui qu’elle aime, même si, comme ailleurs, la cupidité des parents, du père surtout, lui impose souvent le candidat qui offre la compensation matrimoniale le plus considérable.
Voici en bref le déroulement du processus des fiançailles dans les deux groupes (sara et mbay), avec les étapes principales.
            a) Chez les Sara-Madjingaï. Les fiançailles duraient souvent six ou sept ans, parfois même davantage. C’était habituellement avec une fillette d’une dizaine d’années qu’on commençait les opérations du mariage.
- Demande de fiançailles. La sœur du garçon va porter, à la nuit tombée, chez les parents de la jeune fille, des pois de terre grillé dans une petite calebasse finement gravée. Si le cadeau est accepté, les deux jeunes gens sont fiancés officiellement et il ne leur est plus permis désormais de se rencontrer en public. Actuellement une somme d’argent (5ooo frs CFA) constitue le plus souvent l’unique « entrée en matière ».
- Cadeaux en nature. Au moment de chaque récolte, le « messager du fiancé » va offrir une botte de cannes à sucre la première année, deux bottes la seconde et ainsi de suite ; en septembre, un panier d’arachides ; début novembre, un panier de pois de terre ; en décembre, un panier de farine de mil. Lorsque la fiancée est nubile, qu’elle est physiquement devenue une femme, la garçon qui guette cet instant, pique des épis de mil dans une bottes de cannes à sucre envoyée en présent, façon non équivoque de dire à son futur beau-père : « C’est la dernière fois que je t’envoie les prestation des fiançailles. »
- La case des visites chez les beaux-parents. L’avant-dernière année, le père de la jeune fille invite son futur gendre à construire dans sa propre cour une case modeste ornée d’un plafond en paille tressée. C’est là désormais que les fiancés pourront se rencontrer pendant la nuit : dans les débuts au moins, la fille est muette, le garçon s’assied sur le lit, elle s’asseoit par terre en face de lui et écoute ce qu’il lui dit.
- La remise des couteaux de jet. Quand le garçon, un soir, remet deux couteaux de jet à sa fiancée – et celle-ci, à son tour les remettra à la sœur de son père – c’est le signe que les événements vont se précipiter. Dès ce moment, la langue de la jeune fille se déliera et de véritables conversations auront lieu durant la nuit. Les choses même pourraient aller beaucoup plus loin et les parents n’y verraient aucun inconvénient. Mais, normalement, l’union ne peut se consommer que dans la case du jeune homme. La jeune fille s’y rendra un soir sur l’invitation du « messager du fiancé ».
- La grossesse devient apparente. A partir de ce moment-là, la jeune fille peut sans honte préparer la « boule » pour son fiancé et la lui porter. Le garçon, de son côté, cesse tous les cadeaux en nature.
- La naissance du premier enfant. En général, le beau-père attendra cet événement pour réclamer tout ou partie de ce qu’on appelle improprement, la dot. Autrefois, la compensation matrimoniale était payée en kul, couteau de jet miniature en fer forgé. Le kul ne servait pas uniquement pour la dot, c’était une véritable monnaie avec laquelle on pouvait acquérir tout ce qui se trouve sur les marchés, en particulier les esclaves et le bétail. Aujourd’hui le papier-monnaie a remplacé les kul et le montant de la dot augmente sans cesse (il a passé en dix ans de 15000 à 30000, en brousse et il atteint fréquemment 50 000 frs CFA en ville)
- Conduite au domicile conjugal. Lorsque la dot est complètement versée, la femme pourra se rendre chez son marie qui, entre temps, lui aura construit une case pour dormir et une cuisine. Quand cette « conduite de la mariée » chez son époux est solennisée – elle ne l’est pas toujours, à cause des frais considérables que cela entraîne – c’est la tante paternelle de l’épouse qui conduit les opérations et fait confectionner la bière de mil.
            b) Chez les Mbaï ou les Ngama. Autrefois, le frère aîné ou un proche parent, à présent le garçon lui-même vient faire :
- La demande de fiançailles. S’il est agréé, il offrira aussitôt une somme d’argent – 5 000 frs CFA – comme « entrée en matière ». Puis, ce sera la série des cadeaux en nature, comme plus haut, cannes à sucre, arachides, ignames, mil, pois de terre ; et cela pendant deux ans ou plus. La coutume autorise plusieurs prétendants, deux ou trois qui, tous, font les mêmes cadeaux en nature ou en argent. Les visites ont lieu librement de jour ou à la veillée, au domicile des beaux-parents. Mais jamais à ce moment-là la fille n’adressera la parole à l’un de ses amoureux ; elle ne le fera que lorsqu’elle aura dormi secrètement avec l’un d’eux. Elle se cache pendant ses visites.
- La fille déclare son choix. Un soir, elle raccompagnera chez lui, celui qu’elle aime. Ils dormiront ensemble. Le lendemain, elle déclarera à son père : « c’est un tel que je veux épouser. »
            Entre temps, les parents auront discuté entre eux des mérites respectifs de tel et tel candidat ; le frère aîné du père peut avoir son mot à dire, surtout s’il est plus riche ou s’il a aidé les frères de la fiancée à se marier. Si les parents sont d’accord avec leur fille sur le choix qu’elle a fait, alors l’heureux élu versera le dernier acompte de la dot et il pourra emmener sa femme chez lui. Le père rembourse alors aux prétendants évincés les versements en argent qu’ils ont pu faire ; il arrive rarement, mais cela se produit tout de même, que le père ait encaissé le montant complet de deux dots.
- Versement de la dot et derniers cadeaux. Autrefois, la compensation matrimoniale était de 100 kul (couteau de jet – monnaie). Maintenant, on donne du numéraire. Quand le montant en argent a été versé, le nouveau mari peut emmener sa femme chez lui, surtout s’il habite en ville. En brousse, maintenant encore, la femme restera chez ses parents jusqu’à la naissance du premier enfant ; elle ne mange pas avec son mari, bien qu’elle prépare la nourriture pour ses beaux-parents ; elle vient seulement de temps en temps dormir avec lui.
- Naissance du premier enfant. Le mari fait un dernier cadeau à ses beaux-parents : autrefois, un chevreau et un kul ; maintenant, un chevreau et 1000 frs CFA. Après quoi, il emmène sa femme chez lui.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire