Il est étonnant de voir le succès que le film Kirikou a auprès des enfants au Tchad.
Il vient sans doute combler le vide causé par l’absence des contes et des
histoires merveilleuses au coin du feu le soir. En vérité, le film vient
rejoindre dans l’inconscient collective de ces enfants, des histoires qui remontent
au fond des âges. Si beaucoup savent que Kirikou
est l’adaptation d’un conte de l’Afrique de l’Ouest pour en faire un dessin
animé, très peu savent qu’un conte semble existe également au Tchad. C’est
l’histoire de Dog-lem que nous allons maintenant écouter. On ne raconte jamais
les contes le jour, à moins que vous ne vous mettez entre les orteils des pieds un
morceau de charbon et cela pour les deux pieds ; alors, nous pouvons commencer notre
histoire.
Un certain jour, des jeunes garçons accompagnèrent en
mariage la fiancée de d’un de leurs amis. La maman de cet ami était enceinte.
Celle-ci voulut se rendre au puits pour puiser de l’eau. Sur la route,
l’enfant, du ventre de sa mère parla : « Kó̰m, kó̰m, ’risɪ jó ləí nanǵ ngaá ójəm̄ ādə̄ m-ɔ̄w̄ gō ngáko̰ḿje tə́: Maman, maman, dépose ton canari et mets-moi au monde, pour que je
rejoigne mes frères. » La femme, étonnée se dit : « Rā bań ə́ ngon kə́ m-ndanē rā yā̰ aĺ ɓəý yaá pa səḿ ta be wa: Comment se fait-il que l’enfant me parle,
car cela ne fait pas longtemps que je suis enceinte. » Sans attendre
la réponse, l’enfant sortit du ventre de sa mère, avec sa peau de cabri comme
cache-sexe, son cor, sa lance, son couteau de jet et son cheval. Le nouveau-né dit à sa mère : « ’īndə rīḿ: donne-moi un nom ! »
Avant que le mère ne puisse le faire, l’enfant dit : « M-tō dɔg ləḿ, m-a diī go ngáko̰mje: Je suis Dog-lem (c’est-à-dire mon buffle),
je vais suivre mes frères. » Il sauta à cheval et se lança à leur
poursuite. Son corps était tout rouge. Son frère l’attrape, le frappe mbuk mbuk
puis le renvoie. Il revient ; son frère l’attrape, le frappe si fort que
sa bâton se casse ; il revient encore et son frère le chasse une troisième
fois.
Dog-lem rentra à la maison pendant que son frère continua
sa route et arriva au village de la sorcière. Il se trouva que c’était la mère
de la fiancée. Elle lui donne une case. Dog-lem avait dit à son frère de dormir
à gauche. Il devra passer la nuit dans la hutte avec sa fiancée. Dog-lem revint la
nuit, se cacha près de la hutte puis rampa jusqu’à l’intérieur et se coucha
sous le lit.
Au milieu de la nuit, toutes les grandes sorcière se
rassemblèrent devant la hutte et se mirent à chanter :
« Hḛ hḛ, j-rā lapia mbājē: Hein,
hein ! Il faut saluer avec les visiteurs ! »
Dog-lem leur répond : « sé d-rā lapia mbāje kadá ə sé d-rā dě lapia ndɔɔ̄: Ne salue-t-on pas les visiteurs en plein jour ou est-ce seulement la
nuit qu’il faut le faire ?» Elles disent : « Ngon kɪ́n to kumə̄ aĺ? Cet enfant est-il un sorcier ? »
Il leur répondit : « M-tō kumə̄ lé ōyī ko̰m lo ndām ta gajɪ rə́b tə? M-to kumə̄ lé ōyī bo̰m lo ndām ta gajɪ rə́b tə? Si je suis
sorcier, avez-vous vous ma mère sur la place où l’on danse ? Si je suis,
un sorcier, avez-vous vous mon père sur la place de la danse ? »
La fiancée réveille son fiancé et lui dit : « ādə̄ ngōkó̰yí ɔw̄ to ɓī kə ngákó̰mje : Que ton frère aille dormir avec mes
frères. » Le frère de Dog-lem l’attrape donc et le bat mbouk bouk, le
fit sortir de la case et referma la porte. Profitant des ténèbres, la sorcière
entre pouh, pouh pouh comme le vent, saisit son couteau et égorgea sa fille
sans se rendre compte que le garçon dormait à gauche à la place de sa fille.
Dog-lem est un magicien des termitières ; il appela
son frère, creusa un tunnel qu’il emprunta avec lui pour s’évader et rentrer à
la maison. Tôt le matin, la sorcière vint pour chercher le cadavre du frère de
Dog-lem pour le préparer et le manger. Dès qu’elle se rendit compte de sa
méprise, son sang ne fit qu’un tour et elle s’écria : « Dɔgləḿ ə́ rā né kɪ́n : c’est Dog-lem qui a fait cela. »
Quelque temps après, la sorcier se transforma en palmier
dattier. Elle se rendit au village de Dog-lem où elle arriva à l’aube.Dog-lem
se rendait au champ avec son père. Dès qu’il vit le palmier, il dit :
« Tō dené kə́ nje kumə̄ ə́ a̰ tin, to kāgɪ̄ tūbūr aĺ, i-tɔ́yī nja ngánsíje, ūtī tadé kə́ý : C’est la sorcière qui est là, ce
n’est pas un palmier dattier ; attachez les pieds à vos enfants,
mettez-les dans les cases et fermez les portes sur eux. » Les gens firent comme Dog-lem l’a demandé.
Il y avait un enfant qui était infirme. Personne ne
l’avait attaché. Il rampa vers le palmier, prit une datte et la mangea. Il la
trouva délicieux. Il en prit quelques-unes et rampa vers la case de son ami, et
les lui glissa sous la porte. Celui-ci trouva les fruits délicieux ; il
demanda qu’on lui ouvre la porte. Aussitôt dit, aussitôt fait. Une fois sorti,
l’ami ouvrit la porte à ses camarades et bientôt tous les enfants furent
dehors.
Les enfants sortirent et grimpèrent sur le palmier et
commencèrent à manger les fruits. Seul l’enfant infirme resta par terre.
Brusquement, la sorcière s’éleva dans les airs et brrr, s’envola, emportant
avec lui les enfants. Il passa au-dessus des champs. Les mères commencèrent à
pleurer. Dog-lem dit : « ōyī nje kumə̄ lé ə́ ɔw̄ kə ngánsíjē tīn. Kété m-ídəsí kadɪ̄ ūtī ta ngánsíje kəý pá tāá i rēí ndɔrɔ́ : Regardez,
la sorcière part avec vos enfants. Je vous avais dit de les enfermer avant de
venir au champ. A leur retour au village, les mères vinrent chacune à son
tour dire à Dog-lem : « Dɔgləḿ ɔ̄w̄ ’reē kə ngonəḿ adɪḿ : Dog-lem,
va me chercher mon enfant. »
Le lendemain matin, Dog-lem se changea en vache noire
mour mour, pleine, prête à mettre bas. Il part au village de la sorcière.
Celle-ci dit : « Tō Dɔgləḿ ɓɪ̄ tō kó̰ māng ləḿ aĺ. Kínə́ i to māng ləḿ yaā tɔ̄gərɔ̄ tə́ dáa, ójɪ̄ ngōn māng kə́ nda ɓó̰ng ādə̄m : Ça c’est
Dog-lem, ce n’est pas ma vache ! Si tu es vraiment ma vache, fais un veau
tout blanc bong ! » Dog-lem mit bas un veau tout blanc bong.
La sorcière commença à faire des pots pour manger les
enfants. Dog-lem encouragea son petit à aller piétiner les pots. La sorcière
dit : « Qu’un enfant ramène ce
veau auprès de la vache. » Elle se remit à modeler ses pots. Le veau
revint écraser les poteries fraîches. Exaspérée, la sorcière dit aux
enfants: « Levez-tous, attrapez ce
veau et sa mère et emmenez-les loin de moi. »
Dès qu’ils se furent éloignés, Dog-lem prit son petit,
l’avala, puis repris sa forme humaine ; il dit aux enfants : ‘ M-o ḱ̰ māng aĺ, m-to Dɔgləḿ. Kó̰síje ə́ ulə̄yīmi gōsí tə. I-rēī i-tūwə̄ī bəl̄ dɔḿje kə jiḿje ādə̄ m-tə́l səsí ɓēé gogɪ́ : Je ne suis pas une vache, je suis Dog-lem.
Ce sont vos mères qui m’ont envoyé vous chercher. Venez vous accrocher à mes
cheveux et à mes bras pour que je vous ramène à la maison. » Les enfants firent comme Dog-lem le
leur a demandé et il les ramena au village. Lorsque la sorcière les vit passer
au-dessus de son village, elle s’écria : « Aā, tō Dɔglə́m ə́ rā né kɪ́n. A koō ɓə̄y : Han ? C’est Dog-lem qui a fait cela ; il verra ! »
Lorsque Dog-lem arriva au village, tous les gens vinrent
le voir. Dog-lem leur dit : « Il
faut quitter le village ! » Tout le monde s’en alla ailleurs.
Quelque temps après, Dog-lem revint au village à la recherche de la gourde à
piment. Il entra dans la case et grimpa dans la toiture pour la prendre. La
sorcière arriva également et entra dans la case. Elle lui dit : « Kínə́ Si c’est bien toi Dog-lem qui es là,
lève les yeux et regarde le soleil pour la dernière fois. »
Dog-lem lui répondit : « Tɔ̄gə́rɔ̄ tə́ ? I-tɛ᷄ kəmí om majɪ : C’est vrai ? Ouvre tes yeux et regarde-moi ! » La
sorcière ouvrit les yeux pour regarder Dog-lem. Dog-lem lui renversa dans les
yeux le sel pimenté qui était dans la gourde. La sorcière s’écria :
« Ɔy, ɔy, kəḿ tɔ̄, kəḿ tɔ : Aie ! Je suis aveugle. »
Dog-lem descendit du toit, renversa la case sur la sorcière et y mit le feu.
Les gens revinrent au village et firent de Dog-lem leur chef.
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