Au Tchad, lorsque survient un décès, tout devient
irrationnel. Les comportements sortent de l’ordinaire. On a l’impression de
vivre dans un monde parallèle à celui où on vit habituellement. La seule
explication plausible de tout ce changement est que la mort étant elle-même
absurde, il faut une autre absurdité pour en sortir. C’est seulement en suivant
cette clé de lecture qu’on pourrait trouver du sens aux comportements humains
qui accompagnent un décès.
Si nous avons jusque-là décrit tout avec un calme absolu,
c’est tout simplement que nous avons voulu pénétrer au corps de l’irrationalité
pour en extraire une signification. En réalité, rien ne se passe exactement
comme décrit dans les pages précédentes.
Dès que le décès survient, tout tend vers l’excès, à
commencer par les femmes. Elles expriment leur douleur bruyamment avec des
pleurs et en se jetant par terre. Il faut un être assez fort à côté pour les
retenir et leur éviter de se faire mal.
Aussi bien pendant le temps du recueillement (en présence
ou sans le corps), toute femme qui arrive pour le première fois à la place où
se tient le deuil doit éclater en sanglot, entraînant les pleurs de celles qui étaient
déjà présentes. Il y a une sorte de solidarité qui consiste à accompagner la
nouvelle arrivante dans ses pleurs.
Au Sud du Tchad, pour une grande partie des populations,
il ne fait pas bon pour un homme de perdre sa femme alors qu’il n’a pas encore
payé la dot. Ce serait le comble de la désolation pour lui. La belle-famille
viendra avec le corps de la défunte chez le veuf et tant qu’il n’aura pas payé la dot jusqu’au dernier sou, il ne sera pas
procédé à l’inhumation.
Au cimetière, avant l’inhumation, on assiste à toute une
mise en scène où se mêlent la parodie, la mesquinerie, la vengeance et
l’hypocrisie. C’est le lieu où toutes les querelles contenues vont s’exprimer
avec une violence qui étonnera plus d’un. La violence du décès semble ne
pouvoir se résorber que par une autre violence qui remettra les choses à
l’endroit.
Après l’enterrement, la famille se recueillera à la
maison familiale transformée en « place mortuaire ». La durée de ce
recueillement dépendra du sexe du défunt : trois jours pour les hommes et
quatre pour les femmes.
Pendant cette période, les cousins croisés passeront leur
temps à parodier le défunt dans tout ce qu’il faisait, ce qui mettra une
ambiance plus détendue dans l’assistance. Les fils et filles du défunt
accepteront toutes les plaisanteries que leurs cousins feront. Il peut arriver
que certains se fâchent et gâtent la fête mais cela n’est pas courant.
A la fin de ces jours, on égorgera soit un mouton, soit
une chèvre pour un repas commun avant qu’on donne la permission aux différentes
personnes présentes de rentrer chez elle ; c’est le signal de la « dispersion ».
Ce sera aussi l’occasion d’une réunion familiale pour voir comment continuer la
vie après le défunt.
La question qu’il faudra se poser est de savoir comment
tout ce comportement autour de la mort se maintient alors que d’autres valeurs
plus importantes de la culture sont en train de disparaitre. Faut-il se dire en
suivant la théorie fonctionnaliste que si toutes ses structures se
maintiennent, c’est qu’elles ont une fonction dans la société donc sont utiles ?
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