La récente polémique autour de l’enseignement de la
théorie du genre mérite qu’on s’y arrête. Au premier abord, il s’agit d’appliquer
à la question du genre une vision de l’homme et de la société selon laquelle
les différences ne sont nullement naturelles, mais au contraire dues à la
socialisation et à l’éducation. Notre identité, selon ce point de vue, serait
construite et conditionnée par des représentations sociales qu’il nous revient
alors de « déconstruire », afin de retrouver ce qui, en nous, relève
de la nature. Par où l’on comprendra sans difficulté quels sont les ressorts de
la théorie du genre. Car il ne s’agit pas seulement de montrer que les femmes
et les hommes se conforment à des stéréotypes culturels. Il s’agit de combattre
la « domination masculine », appuyée sur la prétendue naturalité de
ces types comportementaux. En affirmant que, par nature, les hommes et les
femmes ne diffèrent pas, donc que la nature ne
veut pas de domination masculine, c’est bien une position militante que les
partisans de la théorie du genre défendent. Or, deux questions doivent ici être
posées.
Première question : est-il tellement certain que les
différences entre les hommes et les femmes ne sont que des constructions
culturelles ? Est-il tellement évident qu’hommes et femmes soient par
nature identiques ? Les défenseurs de la théorie du genre dirons ici qu’ils
n’ont jamais parlé d’identité. On leur objectera alors que leur position est
soi naïve, soit de mauvaise foi. Car comment ne pas confondre les hommes et les
femmes, si l’on part du principe que rien ne les distingue ? Aussi est-il
clair que la théorie du genre, selon laquelle les différences entre hommes et
femmes, ne sont que des « construction » sociales, repose sur un
présupposé. Ce dernier n’est autre que celui de l’identité naturelle des hommes
et des femmes.
Car c’est la confusion de deux plans pourtant distincts
qui est ici impliquée, celui de l’institution et celui de la nature. Le
principe républicain et démocratique veut que les hommes et les femmes soient
égaux en droits. Mais l’égalité des hommes et des femmes n’est aucunement un
fait de nature. C’est une norme juridique. Vouloir prendre celle-ci pour celui-là revient à confondre une donnée
naturelle et une construction culturelle.
Seconde question : s’il faut défendre le principe de
l’égalité des droits pour les hommes et les femmes, faut-il mener ce combat au
nom de faits prétendument naturels ? N’est-ce pas là affirmer que les
sociétés humaines doivent se conformer à l’ordre de la nature ? Or, cela,
nous ne pouvons l’accepter. Les raisons en sont multiples. Quand la nature
détermine l’animal à satisfaire ses besoins, l’hommes peut maîtriser ses
instincts et opposer au déterminisme la force de sa volonté. Quand la bête n’est
que ce que la nature fait d’elle, l’homme est capable de culture, c’est-à-dire
de faire quelque chose de lui-même. Enfin, quand la force est la mesure des
rapports qu’entretiennent les bêtes et que les plus faibles sont condamnés à y
céder, l’homme, lui, proclame la force
des faibles ! Cela s’appelle la justice, cela s’appelle la vertu ou
bien encore le droit des faibles,
autrement dit le devoir de les secourir et d’affirmer leur dignité. Or, a-t-on
jamais vue que la nature veuille d’une telle dignité ? Qui osera soutenir
que, par nature, le faible est fort et que l’homme en bonne santé n’est pas
différent du malade ? Soyons sérieux. Si l’Europe doit à Athènes le
paradigme de la démocratie, elle doit au judéo-christianisme l’idée que l’homme
est une « anti-nature », que l’humanité réside dans le combat que l’homme
peut mener contre ses instincts et son irascibilité. Or, ne tient-on pas là,
non seulement le fondement de l’humanisme européen, mais la dernière digue qu’il
confient d’opposer à ceux qui, de près ou de loin, suspendent le respect de l’homme
à telle ou telle condition ?
Gardons-nous donc de céder, sur cette question du genre
comme sur d’autres, à l’illusion d’un fondement naturelle de la société et des
lois. Les femmes doivent jouir des mêmes droits que les hommes. Au nom de l’humanité
et au nom de la culture, non de la nature.
(le journal La Croix
du mercredi 24 juillet 2013)
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