jeudi 30 janvier 2014

Centrafrique : quel tisserand pour un tissu fragile ? (par Pascal Djimoguinan)


Au bord de l’Oubangui, alors que crépitent dans les airs la musique

Qui de chansons n’entonne

Mais qui, tel un ogre, avale des vies,

Je vois le pays s’enfoncer dans l’onde amère qui pourtant ne touche le pays.

Tel un gâteau qu’on se partage je vois Bangui mais point pour une célébration

La haine se contamine et d’arrondissement en arrondissement la ville est fragmentée

Ici la portion musulmane, là celle des anti-balaka !

Désormais s’est installé le délit du facies.

Toi tu es musulman, celui-là est chrétien. Nous ne pouvons cheminer ensemble

Lentement le tissu social part en lambeaux

Ô Centrafrique, ô pays des bantous, est-ce toi ce haillon qui ne peut couvrir la nudité ?

Quel tisserand sortira du lot, et du métier mettra en marche la navette ?

Est-ce un oiseau, tisserin, qui des brins d’herbes collectées, construira un nid ?

Il faut un démiurge moderne qui pourra rassembler tous les fils pour faire une Centrafrique unie !

mercredi 29 janvier 2014

Centrafrique : ce que je crois (par Pascal Djimoguinan)


            La Centrafrique est en train de se débattre pour sortir de la situation dans laquelle elle se trouve. La communauté internationale voudrait bien lui donner un coup de main mais il revient d’abord aux centrafricains de décider de ce qu’ils veulent. Pour ce faire, ils doivent éviter de prêter l’oreille aux sirènes des solutions fallacieuses et s’engager résolument vers d’autres plus courageuses.

            A cause de la difficulté que connaît le pays et du chaos qu’on effleure, la première tentation pour les responsables politiques centrafricains mais aussi pour tous les citoyens et de vouloir revenir au status quo ante. Les difficultés présentes font oublier la réalité de la situation telle qu’elle était avant l’entrée de la séléka dans Bangui. On s’imagine qu’en revenant à cette situation, on sortirait de l’ornière pour retrouver l’état normal des choses.

            Le fait est que c’est la situation telle qu’elle était auparavant qui a provoqué la crise que le pays connaît maintenant. Comment se présentait-elle ? Tout le monde sait que le mal qui rongeait le pays était la gabegie et le népotisme. Cela se manifestait par la corruption, le régionalisme et l’impunité à toutes les échelles.
            Ce n’est certainement pas à cette situation qu’il faut ramener la Centrafrique. Il faut sortir de ce mythe de vouloir revenir en arrière pour retrouver l’âge d’or. L’avenir pour la Centrafrique est devant elle. Il faudra être capable d’invention démocratique. Il faut créer des conditions pour que la vie ensemble soit possible. C’est un défi que les centrafricains, tous ensemble, doivent relever !

mardi 28 janvier 2014

Souvenir, souvenir, lire Aime Césaire



Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile

Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile
que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés
sur cette ville que je prophétise, belle,
donnez-moi la foi sauvage du sorcier
donnez à mes mains puissance de modeler
donner à mon âme la trempe de l’épée
je ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proue
et de moi-même mon cœur, ne faites ni un père, ni un frère,
ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils,
ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie
comme le poing à l’allongée du bras!
Faites-moi commissaire de son ressentiment
faites-moi dépositaire de son sang
faites de moi un homme de terminaison
faites de moi un homme d’initiation
faites de moi un homme de recueillement
mais faites aussi de moi un homme d’ensemencement

faites de moi l’exécuteur de ces œuvres hautes
voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme-

Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine
ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine
car pour me cantonner en cette unique race vous savez pourtant mon amour tyrannique
vous savez que ce n’est point par haine des autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle

la sommer libre enfin
de produire de son intimité close
la succulence des fruits.

Aimé CESAIRE, Cahier d’un retour au pays natal








http://static.canalblog.com/sharedDocs/images/frontend/share_yahoobuzz.gifY

samedi 25 janvier 2014

Centrafrique : enfin un Premier ministre (par Pascal Djimoguinan)


            Après plusieurs jours d’attente et sans doute d’intenses négociations, alors que le climat sécuritaire est remonté brusquement comme seule Bangui en a le secret, la présidente de la transition Catherine Samba-Panza vient de nommer son Premier ministre : André Nzapayeke.

            André Nzapayeke est un homme de 62 ans ; il occupe actuelle le poste de vice-président de la BDEAC (Banque de développement des Etats de l’Afrique Centrale).

            Il ne tardera pas à former son gouvernement. D’ores et déjà, on sait que ce sera un gouvernement restreint de technocrate dont le nombre ne devrait pas excéder 20 personnes.

            Le gouvernement devra rapidement se mettre à l’ouvrage car le défi est immense. Il faudra redonner assez rapidement confiance aux déplacés pour qu’ils puissent rentrer chez eux. Pour cela, il faudra que la sécurité revienne. Ensuite, l’administration de recommencer à fonctionner. La tête est immense car il s’agit presque de recréer un Etat qui n’existait plus.

            En Afrique, les noms de personnes sont tout un programme de vie. Nzapayeke signifie : Dieu existe. Il faut donc prier pour que Dieu bénisse la Centrafrique. Ce nom annonce sans doute la renaissance de la Centrafrique.

vendredi 24 janvier 2014

Non, la femme n'est pas un objet (par Pascal Djimoguinan)


            « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres. » Cette phrase de Dostoïevski que Levinas aimait répéter est d’actualité. La responsabilité d’autrui nous incombe !

            C’est un coup de gueule ! Non au nom des femmes, elles peuvent le pousser. Cri de gueule tout simplement parce que je suis humain. Quand quelque chose d’aberrant se passe contre l’humain, se taire c’est tout simplement être complice.

            Pour les âmes sensibles, arrêtez-vous ici, ne continuez pas votre lecture plus loin que ce dont il est question, même les animaux n’en sont pas capables. En Inde, dans la région du Bengale occidental, une femme a été victime d’un viol en réunion suite à une condamnation prononcée par le conseil du village. Les treize violeurs auraient été arrêtés et attendent leur condamnation.

            On est surpris d’entendre parler ici d’un conseil de village. Pour moi, il ne s’agit ni plus ni moins d’une bande de barbares patriarcaux au service de la dictature macho. Il s’agit ici de l’intégrisme mâle dans son expression la plus abjecte ! Ce n’est pas un problème propre à l’Inde, on le retrouve sur toutes les latitudes et dans tous les hémisphères. C’est partout où l’homme ne comprend pas son rôle dans la société.

            Il s’agit ici d’une perversité extrême ! Comment un acte qui exprime l’amour dans ce qu’il a de plus beau pourrait être une condamnation ? Comme l’acte sexuel qui devrait être le don total volontaire de soi à l’autre qui se donne également peut devenir une violence où l’on arrache, au nom d’une loi injuste, l’intimité de de l’autre ? Comment un acte qui devrait élever l’autre devient source de la perte de dignité de l’autre, la blessant dans ce qu’elle a de plus profond en elle ?

            Il ne faut pas se tromper. Violer une femme, la violenter n’est pas un signe de virilité. C’est le plus grand signe de lâcheté qui puisse exister. Chaque fois qu’une femme est violée, c’est chacun de nous qui l’est.

            Et dire que le viol est devenu une arme de guerre ! Nous sommes tous coupables ! Il faudrait que les hommes se rendent compte que le viol est non seulement un crime mais c’est l’expression d’une lâcheté suprême. Il faut dire non au viol, quelques soient les circonstances. Au besoin, il faudra aller jusqu’à la castration chimique pour éviter cela !

jeudi 23 janvier 2014

Centrafrique : la résilience ? (par Pascal Djimoguinan)


            Alors que tout le monde attend la prestation de serment de la présidente de transition de la Centrafrique dans l’après-midi et dans la foulée la nomination du Premier ministre, la violence refait surface. Dans les journées du  21 et 22 janvier, la Croix Rouge centrafricaine a parlé d’une quinzaine de personnes tuées et d’une trentaine de blessés, presque tous à l’arme blanche. La question qui se pose est de savoir si la population est capable de résilience.

            On parle de résilience généralement lorsqu’on veut parler de la capacité d’un organisme, d’une structure ou d’un groupe à s’adapter à un environnement changeant. Sur le plan psychologique, la résilience s’applique à un individu qui est affecté par un traumatisme et prend en compte l’événement qui l’a provoqué pour ne pas vivre dans la dépression et ainsi se reconstruit.

            L’environnement est tout le temps changeant en Centrafrique en ce moment. On passe d’une situation où la sécurité semble revenir à une situation d’insécurité totale. La population a-t-elle une personnalité bien structurée qui lui permettra de s’adapter où faudra-t-il passer par une thérapie ?

            La difficulté actuelle est aggravée par le fait que la nouvelle présidente de transition a accepté de travailler avec des cailloux dans sa chaussure. Elle a accepté de jouer le jeu de la confiance avec l’ex séléka, les facas et les anti-balaka.

            Le problème qui se pose semble assez simple pourtant. Il est impossible de faire une différence entre les facas et les anti-balaka. Et pourtant, on appelle les facas à venir reprendre leur poste. Ne faudrait-il pas commencer par cantonner les anti-balaka ? Cela les empêcherait d’agir en électrons libres. Déjà leurs chefs commencent à parler d’éléments anti-balaka incontrôlés comme le faisait déjà l’ex séléka.

            Il faudrait dans un premier temps cantonner toutes les milices, puis rappeler les facas. Pour le moment, seule la police et la gendarmerie devraient reprendre du travail. Le chemin de la paix en Centrafrique est encore long et il faudra se faire à cette idée. La paix ne viendra pas sous l’effet d’une baguette magique.

mercredi 22 janvier 2014

Tchad, la relation avec la belle famille (par Pascal Djimoguinan)


            Au Tchad, plus particulièrement dans le sud du pays, la relation à la belle famille est des plus complexes. Elle est mêlée à la fois de crainte, de honte, de gratitude et de rancune ; on peut dire que c’est une relation tout-à-fait paradoxale. Cela fait qu’on pense souvent se marier « contre » la belle famille. Ce sont surtout les femmes qui subissent les conséquences de cet état de fait mais les hommes également ont à se plier à certaines règles.

            Nous ne pouvons pas dire que les comportements qui sont induits par la complexité du rapport à la belle-famille soient homogènes mais nous voulons glaner par-ci, par-là ce qui ne manque pas de sel.

            L’attitude la plus remarquable concerne la parole. Dans toute une partie du sud du Tchad, la bru et le gendre ne doivent pas adresser la parole directement à leurs beaux-parents.

            Le dialogue doit nécessairement passer par un tiers qui est censé transmettre la parole aux beaux-parents. En cas de nécessité, il est permis à la bru de s’adresser à ses beaux-parents en parlant à un absent dont elle prononcera le nom avant de lui demander de dire ce qu’elle dit.

            Cette interdiction est plus ou moins bien gérée en tenant compte de la complicité qui pourrait exister avec le temps entre le gendre et le beau-père d’un côté et de la bru avec la belle-mère.

            Dans certaines parties du sud du Tchad, l’interdiction ne va pas jusqu’à empêcher d’adresser la parole directement à la belle-mère ou au beau-père mais on ne doit s’adresser à eux qu’en les vouvoyant. C’est la seule possibilité où le vouvoiement est attesté dans certaines langues du groupe sara, notamment le ngambaye.

            Cette interdiction s’étend à la nourriture. Le gendre et la bru ne peuvent pas manger avec leurs beaux-parents. Ils doivent s’isoler pour manger.

            Les règles sont encore plus compliquées lorsqu’il y a un deuil. Toutes les femmes liées par des liens matrimoniaux à la famille éplorée ne doivent pas manger de la nourriture dans les lieux du deuil. Elles ont interdiction absolue d’ingurgiter tout condiment ou tout aliment utilisé pour la cuisine pour le deuil.

            Ces interdictions étaient liées, semble-t-il, à l’origine à la prohibition de l’inceste. L’explication de tout cela demanderait plus de temps. Il suffirait par exemple de lire Totem et tabou de Sigmund Freud pour s’en faire une idée.