Ne vous laissez pas vaincre par le mal,
mais soyez vainqueurs du mal par le bien
(cf. Rm
12,21)
Message des Évêques de
Centrafrique à l’Église Famille de Dieu,
aux hommes et aux femmes de
bonne volonté.
INTRODUCTION
Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous,
hommes et femmes de bonne volonté ;
Au début de cette Nouvelle Année, nous, Évêques de
Centrafrique, vous adressons nos vœux de paix et de joie, de miséricorde et de
prospérité, de dialogue et de réconciliation de la part de Dieu le Père et de
Jésus-Christ notre Seigneur, « qui s’est livré pour nos
péchés » (Ga 1,4).
Réunis en Assemblée plénière du 05 au 15 janvier 2017,
nous nous sommes donné l’occasion d’échanger autour des questions concernant la
vie du pays et de l’Église. De ce partage, il est ressorti d’une part que
l’Eglise famille de Dieu en Centrafrique continue de savourer les bienfaits de
l’année de la miséricorde qui fut marquée par la visite pastorale historique du
Pape François, la tenue des élections générales apaisées, la signature de
l’Accord-Cadre entre le Saint-Siège et la République Centrafricaine sur des
matières d’intérêts commun, la création de son Eminence Dieudonné Cardinal NZAPALAINGA,
l’engouement pour les festivités de fin d’année pour ne citer que cela. D’autre
part, nous constatons que la vie de nos populations dans de nombreuses
préfectures n’a pas grandement changée en matière de justice, de dialogue et de
réconciliation. Ce qui fait l’objet du présent message que nous vous adressons.
- Les efforts en faveur
de la paix et les contrastes
Au lendemain du rétablissement de l’ordre
constitutionnel dans notre pays, l’heure est au bilan. Nous apprécions les
efforts de paix que fournissent la communauté nationale et internationale, en
vue du redressement de notre beau et cher pays. Mais, force est de constater
que le processus de dialogue et de réconciliation qui est amorcé reste
superficiel. Nous rappelons qu’à deux reprises nos messages ont porté sur le
dialogue ou la réconciliation. Ce fut d’abord le 12 Janvier 1997 par le
truchement du document intitulé « Ne
laissons pas mourir notre pays, entrons dans la réconciliation » et
ensuite le 15 Janvier 2008 à travers le texte que nous avons titré d’après les
mots de l’Apôtre Paul : « Laissez
vous réconcilier… » (2 Co 5, 20).
Par ailleurs, à plusieurs reprises, il nous est arrivé
de mettre en garde contre le chaos que pourrait engendrer tout déficit de
dialogue social, toute complaisance dans la culture de la médiocrité, de la
corruption, de l’impunité, du népotisme, de la
haine et de la violence que la paupérisation voire tout simplement la
déliquescence du pays engendrait, maintenait ou affermissait. Nous citons à
titre d’illustration les lettres pastorales des années 1991 (Que
faisons-nous de notre pays ?), 1992 (Une espérance pour notre pays)
et le message de 2016 (Un temps pour la paix…). Nous
voulons encore évoquer les nombreuses exhortations issues de tribunes
chrétiennes, politiques et sociales par le biais desquelles hommes et femmes
épris de paix et conduits par le sens de la cohabitation pacifique se sont
écriés pour nous inviter à embrasser la voie du dialogue et de la
réconciliation. Qu’avons-nous fait de toutes ces ressources ?
Aujourd’hui, nous traversons une période pleine de
contrastes présentant à la fois des
ombres et des lumières. Cette période est sombre parce que plus de la moitié du
pays échappe à l’autorité de l’Etat. Dans certaines régions les représentants
de l’Etat sont présents à titre figuratif. Des forces armées non conventionnelles
y règnent en maître, dictant leurs lois, défiant l’autorité de l’Etat et les
forces onusiennes présentes dans ces
régions. Tel est le cas à Koui, à Pahoua, à Kaga-Bandoro, au Mbrès, à Bambari, à Alindao à Nzako, à Mboki, Béma, à Poudjo… Au regard
des ces tristes réalités que continuent de vivre nos compatriotes, s’ajoutent :
-
Les cas de braquages, de pillages ;
-
Des maisons brûlées et des personnes calcinées à Bandoro,
à Bambari, à Alindao ;
-
Des cas de justice populaire à Mbaïki ;
-
Des prises d’otage fréquents par les éléments de la
LRA, le cas de l’Abbé Bienfait WALIBANGA kidnappé le 20 Décembre 2016 à KONO dans
la sous préfecture d Bakouma ;
-
Les rackettes sur les barrières légales tenues par les
forces de défenses et de la sécurité intérieure fraîchement redéployées sur le
terrain. Telle est la même pratique constatée dans les zones tenues par les groupes
armés non conventionnels ;
-
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs qui
écument nos régions et qui sont lourdement armés, le cas de Niem yelewa et de Kaga-Bandoro ;
-
Le trafic illégal des armes.
Chers frères et sœurs, où vont nos richesses
forestières et minières ? A qui profitent-elles ?
En plus des difficultés d’ordre sécuritaire, certains
secteurs sociaux de base tels que l’éducation et la santé sont sérieusement
affectés. Nous déplorons le manque cruel de personnel qualifié dans le domaine
de la santé et de l’éducation à l’intérieur du pays.
Nous mentionnons au passage l’inefficacité de certains
contingents onusiens et certaines forces
spéciales sur le terrain qui jouent le rôle de pompiers ou d’ambulancier après
les drames.
En dépit de tous ces maux qui paralysent la quiétude
de nos compatriotes qui sont dans les zones occupées, il y a une lueur d’espoir
qui se pointe à l’horizon. On peut aussi parler de cette période lumineuse qui
s’annonce prometteuse pour notre pays. Il s’agit d’abord de la visite du
Saint-Père qui a donné le signal du
temps de la réconciliation. Cela a abouti à l’organisation des élections
générales apaisées et acceptées par tous. C’est l’occasion ici de saluer la
maturité des hommes politiques de notre pays qui ont unanimement accepté le
verdict des urnes. Nous voulons saluer également les efforts qui se font de
part et d’autre pour le relèvement et la reconstruction du pays. Le cas de ‘‘l’union
sacrée’’ autour des discussions avec les bailleurs de fonds à Bruxelles qui a
permis la promesse de déblocages de fonds pour le relèvement économique de
notre pays, la restauration de l’autorité de l’Etat déjà dans certaines préfectures,
le redéploiement de nos forces de défenses et de sécurité dans certaines
régions, des efforts de reconstruction des routes et édifices publics sont en
cours, le retour de certains déplacés dans leurs quartiers. Mais qu’allons-nous
faire en faveur de nos frères et sœurs qui vivent encore sur les sites de
refuge ou qui sont réfugiés à l’étranger ?
Nous
témoignons notre gratitude à l’Eglise Universelle à travers le Saint Père, pour
la tenue de sa promesse pour la construction d’un nouveau bâtiment au complexe
pédiatrique à Bangui et la nomination d’un Evêque coadjuteur à Bambari. Tous
ces efforts nous font croire que la reconstruction du pays est possible grâce à
l’acceptation de l’autre, au vivre ensemble et à la paix sociale dans la
vérité, la justice, le dialogue et la
réconciliation.
- Notre Dieu est dialogue et réconciliation
Notre engagement pour le rétablissement d’un dialogue et d’une
réconciliation authentiques ne s’enracine et ne trouve son achèvement que dans
la contemplation de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Car, de toute éternité,
notre Dieu est Dialogue, Communication ininterrompue. En effet, la Trinité nous
donne l’exemple d’une vie de dialogue continu et vrai à travers les relations
entre les trois personnes divines qui donnent lieu à la création et à
l’économie du salut (Dt 6,4 ; Mt 28,19-20 ; Jn 17,20-21).
Dans
la Bible, nombreux sont les passages qui mettent en évidence la nécessité du
dialogue et de la réconciliation pour qu’advienne ou se manifeste la paix de
Dieu. Notre Dieu se révèle à nous comme un Dieu de paix, une paix qu’Il offre
gratuitement. À Noël nous avons entendu le chant des Anges : « Gloire
à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime »
(Lc 1,14). Dieu donne sa paix aux hommes qu’Il aime à travers le dialogue et la
réconciliation. Prenons, donc, en exemple dans le Livre de la Genèse le
dialogue entre Abraham et Abiméleck à l’issue duquel est établi un pacte de
non-agression. Ils se jurent mutuellement fidélité pour mettre un terme au
conflit qui avait éclaté entre eux à propos d’un puits d’eau. Après avoir
dialogué, ils conclurent une alliance de paix : « Maintenant, jure-moi ici
par Dieu que tu ne me tromperas pas, ni mon lignage et parentage, et que tu
auras pour moi et pour ce pays où tu es venu en hôte la même amitié que j’ai
eue pour toi. Abraham répondit : Oui, je le jure ! »
(Gn 21,22-24).
La paix
reste, donc, le fruit d’un effort collectif d’ouverture sans cesse à fournir.
C’est dans ce sens que le St Père affirme que la « paix est une œuvre artisanale »,
c’est-à-dire un travail de longue haleine qui demande la passion, la patience,
l’expérience, la ténacité et la collaboration de tous. À cet effet, que l’on soit chrétiens,
musulmans ou adeptes des Religions Traditionnelles Africaines, nous sommes
appelés à vivre ensemble dans un même monde, dans un même pays et dans une même
famille. Il nous faut cultiver les attitudes qui poussent à la paix, qui
favorisent la rencontre et la cohabitation dans une charité envers tous les
hommes même les ennemis. Saint Paul nous dit en Rm 12,9.14-15 : « Que l'amour soit sincère.
Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien… Bénissez ceux qui vous
persécutent ; bénissez, ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec ceux qui sont
dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent ». Au nombre de ces attitudes, nous avons le pardon
qui ouvre la voie à la réconciliation à l’exemple de Jésus qui, sur la croix,
demande au Père de pardonner à ses bourreaux (cf. Lc 23,34).
C’est
pourquoi, nous vous rappelons l’importance du sacrement de la Confession qui
nous réconcilie avec Dieu et nos frères. Il éduque, aussi, nos cœurs et nos
esprits pour que nous apprenions à vivre « en esprit d’union, dans la
compassion, l’amour fraternel, la miséricorde et l’esprit d’humilité » (1P
3,8). Ce sacrement dans sa structure est important pour nous introduire dans
un processus de paix du fait qu’il
permette de procéder à l’aveu, à la confession de nos péchés, nos fautes et à
la promesse de ne plus les commettre. Aussi, l’importance du sacrement de
l’Eucharistie qui nous fait vivre en intime communion avec Dieu, et nous ouvre
à une vie de communion, de fraternité et d’unité avec nos frères quelles que
soient leurs provenances et appartenances religieuses et confessionnelles (1Cor
10,16-17).
- Engageons-nous pour le dialogue et la
réconciliation
Nous
Evêques, conscients de la situation dans laquelle se trouve le pays, nous
lançons de nouveau un appel à toutes et à tous de privilégier un dialogue
sincère et une réconciliation authentique. Ce dialogue est comme un moyen de
résoudre pacifiquement les conflits qui sévissent. Il nécessite la contribution
de tous sans exception et fait appel à notre sens de patriotisme et de
responsabilité face à l’histoire. Ce dialogue n’est pas le travail d’un groupe
de personnes, ni d’un seul parti politique, ni d’un groupe religieux. C’est une
œuvre communautaire qui requiert de la part de chacun l’esprit de vérité, de
justice et de réparation.
Peuple de
Dieu, au terme de notre assemblée plénière et par souci de notre pays et de
notre société, nous invitons chacun, même ceux qui détiennent illégalement les
armes à rejeter la violence sous toutes ses formes, à privilégier le dialogue,
à promouvoir l’unité et à désirer inlassablement la paix.
Aux
Familles
Conscients
de souffrances multiples dans les familles, nous soulignons la place première
et irremplaçable de la famille comme éducatrice à la paix (Benoit XVI, Africae Munus, n°43). Chers parents, que
les valeurs évangéliques et civiques s’enracinent par vos efforts dans vos
familles afin qu’elles deviennent des lieux de dialogue, d’accueil réciproque,
d’entente, de solidarité, d’unité, de pardon et d’amour.
Aux jeunes
Chers
jeunes, malgré les difficultés que vous rencontrez dans les situations
actuelles, ne cédez pas au pessimisme. Devenez, comme le souhaite le Pape
François, des artisans de paix. Ne laisser pas instrumentaliser votre jeunesse
au service des intérêts égoïstes et belliqueux des ennemis de la paix. Unissez
vos forces juvéniles en faveur d’une culture de paix fondée sur des valeurs.
Œuvrez pour la promotion des attitudes et des comportements qui militent en
faveur du « vivre ensemble » dans vos milieux de vie respectifs (Rencontre du pape avec les jeunes à Bangui,
29 Nov. 2015).
Aux hommes politiques
Au-delà
de l’espoir suscité par des élections démocratiques acceptées par tous, nous
rappelons que le dialogue constitue la pierre angulaire de toute vraie
démocratie. A cet effet, nous invitons la classe politique à faire preuve de
responsabilité, à préserver l’unité nationale et à conduire le pays vers la
sécurité pour le bien-être de tous. Que le fléau des intérêts égoïstes et
personnels qui par le passé a détruit notre pays, ne guide plus vos décisions.
Travaillez donc ensemble pour l’émergence d’une nouvelle vision de société
basée sur l’honnêteté, l’intégrité et le du respect du bien commun.
Aux professionnels des medias
Nous
louons la grandeur de votre tâche et n’oublions pas les difficultés que vous
rencontrez dans votre métier. Nous vous lançons l’appel à utiliser les medias à
bon escient. Ayez le courage d’orienter les personnes dans le processus du
dialogue et de la réconciliation sans manipuler les informations. Que vos
medias deviennent à l’heure où nous sommes des instruments de pacification et
d’unité.
Aux groupes armés et aux seigneurs de guerre
Nous vous
rappelons ainsi qu’à ceux qui tirent les ficelles de ce conflit dans
l’ombre: chaque homme est une image de Dieu et la vie est sacrée. Que cessent
les vols, les viols, les pillages, les incendies des maisons, les tueries qui
engendrent les souffrances inutiles des innocents. Nous vous demandons de
déposer les armes et d’œuvrer en vue d’un retour définitif de la paix dans le
pays dans l’esprit des accords signés et dans le processus du DDRR
(Désarmement, Démobilisation, Réinsertion, Rapatriement).
À la Communauté internationale
En dépit
des efforts consentis jusqu’à ce jour, nous vous demandons :
- D’intensifier
davantage vos engagements en appuyant avec les moyens financiers et logistiques
conséquents pour le redressement du pays ;
- D’accompagner
les organisations des sociétés civiles dans leurs engagements pour la
réconciliation, le respect des droits humains et la formation civique des
citoyens ;
- D’œuvrer le
plus rapidement possible pour la formation et la réhabilitation d’une armée
nationale digne et professionnelle.
Nous
pensons que votre présence à travers la MINUSCA est dans le but d’aider au
retour de sécurité et de mettre fin aux massacres. Utilisez ces moyens non pour
constater les morts des innocents après les passages dévastateurs des groupes
armées, mais pour protéger les vies
humaines.
Aux agents Pastoraux
Nous vous
exhortons à être de véritables artisans de paix dans vos différents lieux
d’apostolat. Que vos paroles, gestes et actes conduisent à semer l’amour, la
paix et l’espérance dans les cœurs des hommes et des femmes. En ce temps de
défis, usons de la force de la parole évangélique pour donner la bonne
direction et l’espérance au Peuple de Dieu.
Conclusion
Chers frères et sœurs en Christ, et vous hommes et
femmes de bonne volonté, voici venus les temps nouveaux, temps de dialogue et de pardon, de réconciliation et de reconstruction
dans la vérité, de justice et de paix. Accueillons ce moment favorable pour
notre renouvellement spirituel et le renouveau de notre pays. Ne nous laissons pas vaincre par le mal, mais soyons vainqueurs
du mal par le bien (cf. Rm 12,21).
Confions notre pays à la grâce et à la miséricorde de
Notre Dieu qui est Père, Fils et Saint Esprit, par l’intercession de
l’Immaculée Conception, Reine de la Paix et Mère de Centrafrique.
Donné à la cathédrale de l’Immaculée
Conception
Bangui, le 15 janvier 2017,
2ème dimanche du temps ordinaire A
Dieudonné Card. NZAPALAINGA
Archevêque de Bangui
Président de la CECA
Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA
Évêque de Bossangoa
Vice-Président de la CECA
Mgr Guerrino PERIN
Évêque de M’Baïki
Mgr Cyr-Nestor YAPAUPA
Evêque d’Alindao
Mgr Denis AGBENYADZI
Evêque de Berberati
Mgr Edouard MATHOS
Evêque de Bambari
Mgr Juan José AGUIRRE
Évêque de Bangassou
|
|
Mgr Thadeusz KUSY
Évêque de Kaga-Bandoro
Mgr Armando GIANNI
Évêque de Bouar
Mgr Bertrand-Guy-Richard APPORA NGALANIBE
Évêque coadjuteur de Bambari
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire