lundi 16 janvier 2017

Message de Noël des évêques de Centrafrique


Ne vous laissez pas vaincre par le mal,

mais soyez vainqueurs du mal par le bien

(cf. Rm 12,21)

 

 

Message des Évêques de Centrafrique à l’Église Famille de Dieu,

aux hommes et aux femmes de bonne volonté.

 

 

 

INTRODUCTION

 

Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté ;

 

Au début de cette Nouvelle Année, nous, Évêques de Centrafrique, vous adressons nos vœux de paix et de joie, de miséricorde et de prospérité, de dialogue et de réconciliation de la part de Dieu le Père et de Jésus-Christ notre Seigneur, « qui s’est livré pour nos péchés » (Ga 1,4).

 

Réunis en Assemblée plénière du 05 au 15 janvier 2017, nous nous sommes donné l’occasion d’échanger autour des questions concernant la vie du pays et de l’Église. De ce partage, il est ressorti d’une part que l’Eglise famille de Dieu en Centrafrique continue de savourer les bienfaits de l’année de la miséricorde qui fut marquée par la visite pastorale historique du Pape François, la tenue des élections générales apaisées, la signature de l’Accord-Cadre entre le Saint-Siège et la République Centrafricaine sur des matières d’intérêts commun, la création de son Eminence Dieudonné Cardinal NZAPALAINGA, l’engouement pour les festivités de fin d’année pour ne citer que cela. D’autre part, nous constatons que la vie de nos populations dans de nombreuses préfectures n’a pas grandement changée en matière de justice, de dialogue et de réconciliation. Ce qui fait l’objet du présent message que nous vous adressons.

  1. Les efforts en faveur de la paix et les contrastes

 

Au lendemain du rétablissement de l’ordre constitutionnel dans notre pays, l’heure est au bilan. Nous apprécions les efforts de paix que fournissent la communauté nationale et internationale, en vue du redressement de notre beau et cher pays. Mais, force est de constater que le processus de dialogue et de  réconciliation qui est amorcé reste superficiel. Nous rappelons qu’à deux reprises nos messages ont porté sur le dialogue ou la réconciliation. Ce fut d’abord le 12 Janvier 1997 par le truchement du document intitulé « Ne laissons pas mourir notre pays, entrons dans la réconciliation » et ensuite le 15 Janvier 2008 à travers le texte que nous avons titré d’après les mots de l’Apôtre Paul : « Laissez vous réconcilier… » (2 Co 5, 20).

 

Par ailleurs, à plusieurs reprises, il nous est arrivé de mettre en garde contre le chaos que pourrait engendrer tout déficit de dialogue social, toute complaisance dans la culture de la médiocrité, de la corruption, de l’impunité, du népotisme, de la  haine et de la violence que la paupérisation voire tout simplement la déliquescence du pays engendrait, maintenait ou affermissait. Nous citons à titre d’illustration les lettres pastorales des années 1991 (Que faisons-nous de notre pays ?), 1992 (Une espérance pour notre pays) et le message de 2016 (Un temps pour la paix…). Nous voulons encore évoquer les nombreuses exhortations issues de tribunes chrétiennes, politiques et sociales par le biais desquelles hommes et femmes épris de paix et conduits par le sens de la cohabitation pacifique se sont écriés pour nous inviter à embrasser la voie du dialogue et de la réconciliation. Qu’avons-nous fait de toutes ces ressources ?

 

Aujourd’hui, nous traversons une période pleine de contrastes présentant à  la fois des ombres et des lumières. Cette période est sombre parce que plus de la moitié du pays échappe à l’autorité de l’Etat. Dans certaines régions les représentants de l’Etat sont présents à titre figuratif. Des forces armées non conventionnelles y règnent en maître, dictant leurs lois, défiant l’autorité de l’Etat et les forces onusiennes présentes  dans ces régions. Tel est le cas à Koui, à Pahoua, à Kaga-Bandoro, au Mbrès, à  Bambari, à Alindao  à Nzako, à Mboki, Béma, à Poudjo… Au regard des ces tristes réalités que continuent de vivre nos compatriotes, s’ajoutent :

-       Les cas de braquages, de pillages ;

-       Des maisons brûlées et des personnes calcinées à Bandoro, à Bambari, à Alindao ;

-       Des cas de justice populaire à Mbaïki ;

-       Des prises d’otage fréquents par les éléments de la LRA, le cas de l’Abbé Bienfait WALIBANGA kidnappé le 20 Décembre 2016 à KONO dans la sous préfecture d Bakouma ;

-       Les rackettes sur les barrières légales tenues par les forces de défenses et de la sécurité intérieure fraîchement redéployées sur le terrain. Telle est la même pratique constatée dans les zones tenues par les groupes armés non conventionnels ;

-       Les conflits entre agriculteurs et éleveurs qui écument nos régions et qui sont lourdement armés, le cas de Niem yelewa et de Kaga-Bandoro ;

-       Le trafic illégal des armes.

 

Chers frères et sœurs, où vont nos richesses forestières et minières ? A qui profitent-elles ?

 

En plus des difficultés d’ordre sécuritaire, certains secteurs sociaux de base tels que l’éducation et la santé sont sérieusement affectés. Nous déplorons le manque cruel de personnel qualifié dans le domaine de la santé et de l’éducation à l’intérieur du pays.

 

Nous mentionnons au passage l’inefficacité de certains contingents  onusiens et certaines forces spéciales sur le terrain qui jouent le rôle de pompiers ou d’ambulancier après les drames.

 

En dépit de tous ces maux qui paralysent la quiétude de nos compatriotes qui sont dans les zones occupées, il y a une lueur d’espoir qui se pointe à l’horizon. On peut aussi parler de cette période lumineuse qui s’annonce prometteuse pour notre pays. Il s’agit d’abord de la visite du Saint-Père  qui a donné le signal du temps de la réconciliation. Cela a abouti à l’organisation des élections générales apaisées et acceptées par tous. C’est l’occasion ici de saluer la maturité des hommes politiques de notre pays qui ont unanimement accepté le verdict des urnes. Nous voulons saluer également les efforts qui se font de part et d’autre pour le relèvement et la reconstruction du pays. Le cas de ‘‘l’union sacrée’’ autour des discussions avec les bailleurs de fonds à Bruxelles qui a permis la promesse de déblocages de fonds pour le relèvement économique de notre pays, la restauration de l’autorité de l’Etat déjà dans certaines préfectures, le redéploiement de nos forces de défenses et de sécurité dans certaines régions, des efforts de reconstruction des routes et édifices publics sont en cours, le retour de certains déplacés dans leurs quartiers. Mais qu’allons-nous faire en faveur de nos frères et sœurs qui vivent encore sur les sites de refuge ou qui sont réfugiés à l’étranger ?

 

Nous témoignons notre gratitude à l’Eglise Universelle à travers le Saint Père, pour la tenue de sa promesse pour la construction d’un nouveau bâtiment au complexe pédiatrique à Bangui et la nomination d’un Evêque coadjuteur à Bambari. Tous ces efforts nous font croire que la reconstruction du pays est possible grâce à l’acceptation de l’autre, au vivre ensemble et à la paix sociale dans la vérité, la justice,  le dialogue et la réconciliation.

  1. Notre Dieu est dialogue et réconciliation

         Notre engagement pour le rétablissement d’un dialogue et d’une réconciliation authentiques ne s’enracine et ne trouve son achèvement que dans la contemplation de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Car, de toute éternité, notre Dieu est Dialogue, Communication ininterrompue. En effet, la Trinité nous donne l’exemple d’une vie de dialogue continu et vrai à travers les relations entre les trois personnes divines qui donnent lieu à la création et à l’économie du salut (Dt 6,4 ; Mt 28,19-20 ; Jn 17,20-21).

         Dans la Bible, nombreux sont les passages qui mettent en évidence la nécessité du dialogue et de la réconciliation pour qu’advienne ou se manifeste la paix de Dieu. Notre Dieu se révèle à nous comme un Dieu de paix, une paix qu’Il offre gratuitement. À Noël nous avons entendu le chant des Anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime » (Lc 1,14). Dieu donne sa paix aux hommes qu’Il aime à travers le dialogue et la réconciliation. Prenons, donc, en exemple dans le Livre de la Genèse le dialogue entre Abraham et Abiméleck à l’issue duquel est établi un pacte de non-agression. Ils se jurent mutuellement fidélité pour mettre un terme au conflit qui avait éclaté entre eux à propos d’un puits d’eau. Après avoir dialogué, ils conclurent une alliance de paix : « Maintenant, jure-moi ici par Dieu que tu ne me tromperas pas, ni mon lignage et parentage, et que tu auras pour moi et pour ce pays où tu es venu en hôte la même amitié que j’ai eue pour toi. Abraham répondit : Oui, je le jure ! » (Gn 21,22-24).

La paix reste, donc, le fruit d’un effort collectif d’ouverture sans cesse à fournir. C’est dans ce sens que le St Père affirme que la « paix est une œuvre artisanale », c’est-à-dire un travail de longue haleine qui demande la passion, la patience, l’expérience, la ténacité et la collaboration de tous.  À cet effet, que l’on soit chrétiens, musulmans ou adeptes des Religions Traditionnelles Africaines, nous sommes appelés à vivre ensemble dans un même monde, dans un même pays et dans une même famille. Il nous faut cultiver les attitudes qui poussent à la paix, qui favorisent la rencontre et la cohabitation dans une charité envers tous les hommes même les ennemis. Saint Paul nous dit en Rm 12,9.14-15 : « Que l'amour soit sincère. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien… Bénissez ceux qui vous persécutent ; bénissez, ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent ». Au nombre de ces attitudes, nous avons le pardon qui ouvre la voie à la réconciliation à l’exemple de Jésus qui, sur la croix, demande au Père de pardonner à ses bourreaux (cf. Lc 23,34).

        C’est pourquoi, nous vous rappelons l’importance du sacrement de la Confession qui nous réconcilie avec Dieu et nos frères. Il éduque, aussi, nos cœurs et nos esprits pour que nous apprenions à vivre « en esprit d’union, dans la compassion, l’amour fraternel, la miséricorde et l’esprit d’humilité » (1P 3,8). Ce sacrement dans sa structure est important pour nous introduire dans un  processus de paix du fait qu’il permette de procéder à l’aveu, à la confession de nos péchés, nos fautes et à la promesse de ne plus les commettre. Aussi, l’importance du sacrement de l’Eucharistie qui nous fait vivre en intime communion avec Dieu, et nous ouvre à une vie de communion, de fraternité et d’unité avec nos frères quelles que soient leurs provenances et appartenances religieuses et confessionnelles (1Cor 10,16-17).

  1. Engageons-nous pour le dialogue et la réconciliation

Nous Evêques, conscients de la situation dans laquelle se trouve le pays, nous lançons de nouveau un appel à toutes et à tous de privilégier un dialogue sincère et une réconciliation authentique. Ce dialogue est comme un moyen de résoudre pacifiquement les conflits qui sévissent. Il nécessite la contribution de tous sans exception et fait appel à notre sens de patriotisme et de responsabilité face à l’histoire. Ce dialogue n’est pas le travail d’un groupe de personnes, ni d’un seul parti politique, ni d’un groupe religieux. C’est une œuvre communautaire qui requiert de la part de chacun l’esprit de vérité, de justice et de réparation.

Peuple de Dieu, au terme de notre assemblée plénière et par souci de notre pays et de notre société, nous invitons chacun, même ceux qui détiennent illégalement les armes à rejeter la violence sous toutes ses formes, à privilégier le dialogue, à promouvoir l’unité et à désirer inlassablement la paix.

Aux Familles

Conscients de souffrances multiples dans les familles, nous soulignons la place première et irremplaçable de la famille comme éducatrice à la paix (Benoit XVI, Africae Munus, n°43). Chers parents, que les valeurs évangéliques et civiques s’enracinent par vos efforts dans vos familles afin qu’elles deviennent des lieux de dialogue, d’accueil réciproque, d’entente, de solidarité, d’unité, de pardon et d’amour. 

Aux jeunes

Chers jeunes, malgré les difficultés que vous rencontrez dans les situations actuelles, ne cédez pas au pessimisme. Devenez, comme le souhaite le Pape François, des artisans de paix. Ne laisser pas instrumentaliser votre jeunesse au service des intérêts égoïstes et belliqueux des ennemis de la paix. Unissez vos forces juvéniles en faveur d’une culture de paix fondée sur des valeurs. Œuvrez pour la promotion des attitudes et des comportements qui militent en faveur du « vivre ensemble » dans vos milieux de vie respectifs (Rencontre du pape avec les jeunes à Bangui, 29 Nov. 2015).

 

 

Aux hommes politiques

Au-delà de l’espoir suscité par des élections démocratiques acceptées par tous, nous rappelons que le dialogue constitue la pierre angulaire de toute vraie démocratie. A cet effet, nous invitons la classe politique à faire preuve de responsabilité, à préserver l’unité nationale et à conduire le pays vers la sécurité pour le bien-être de tous. Que le fléau des intérêts égoïstes et personnels qui par le passé a détruit notre pays, ne guide plus vos décisions. Travaillez donc ensemble pour l’émergence d’une nouvelle vision de société basée sur l’honnêteté, l’intégrité et le du respect du bien commun.

Aux professionnels des medias

Nous louons la grandeur de votre tâche et n’oublions pas les difficultés que vous rencontrez dans votre métier. Nous vous lançons l’appel à utiliser les medias à bon escient. Ayez le courage d’orienter les personnes dans le processus du dialogue et de la réconciliation sans manipuler les informations. Que vos medias deviennent à l’heure où nous sommes des instruments de pacification et d’unité.

Aux groupes armés et aux seigneurs de guerre

Nous vous rappelons  ainsi qu’à ceux qui tirent les ficelles de ce conflit dans l’ombre: chaque homme est une image de Dieu et la vie est sacrée. Que cessent les vols, les viols, les pillages, les incendies des maisons, les tueries qui engendrent les souffrances inutiles des innocents. Nous vous demandons de déposer les armes et d’œuvrer en vue d’un retour définitif de la paix dans le pays dans l’esprit des accords signés et dans le processus du DDRR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion, Rapatriement).

À la Communauté internationale

En dépit des efforts consentis jusqu’à ce jour, nous vous demandons :

-       D’intensifier davantage vos engagements en appuyant avec les moyens financiers et logistiques conséquents pour le redressement du pays ;

-       D’accompagner les organisations des sociétés civiles dans leurs engagements pour la réconciliation, le respect des droits humains et la formation civique des citoyens ;

-       D’œuvrer le plus rapidement possible pour la formation et la réhabilitation d’une armée nationale digne et professionnelle.

Nous pensons que votre présence à travers la MINUSCA est dans le but d’aider au retour de sécurité et de mettre fin aux massacres. Utilisez ces moyens non pour constater les morts des innocents après les passages dévastateurs des groupes armées,  mais pour protéger les vies humaines.

Aux agents Pastoraux

Nous vous exhortons à être de véritables artisans de paix dans vos différents lieux d’apostolat. Que vos paroles, gestes et actes conduisent à semer l’amour, la paix et l’espérance dans les cœurs des hommes et des femmes. En ce temps de défis, usons de la force de la parole évangélique pour donner la bonne direction et l’espérance au Peuple de Dieu.

Conclusion

Chers frères et sœurs en Christ, et vous hommes et femmes de bonne volonté, voici venus les temps nouveaux, temps de dialogue  et de pardon, de réconciliation et de reconstruction dans la vérité, de justice et de paix. Accueillons ce moment favorable pour notre renouvellement spirituel et le renouveau de notre pays. Ne nous laissons pas vaincre par le mal, mais soyons vainqueurs du mal par le bien (cf. Rm 12,21).

Confions notre pays à la grâce et à la miséricorde de Notre Dieu qui est Père, Fils et Saint Esprit, par l’intercession de l’Immaculée Conception, Reine de la Paix et Mère de Centrafrique.

 

Donné à la cathédrale de l’Immaculée Conception

Bangui, le 15 janvier 2017, 2ème dimanche du temps ordinaire A

 

 
 
Dieudonné Card. NZAPALAINGA
Archevêque de Bangui                                  
Président de la CECA
 
 
Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA
Évêque de Bossangoa                                                                   
Vice-Président de la CECA
 
 
Mgr Guerrino PERIN                           
Évêque de M’Baïki
 
 
Mgr Cyr-Nestor YAPAUPA
Evêque d’Alindao
 
 
Mgr Denis AGBENYADZI
Evêque de Berberati
 
 
Mgr Edouard MATHOS
Evêque de Bambari
 
Mgr Juan José AGUIRRE
Évêque de Bangassou
 

 

 

Mgr Thadeusz KUSY

Évêque de Kaga-Bandoro

 

 

Mgr Armando GIANNI

Évêque de Bouar

 

 

Mgr Bertrand-Guy-Richard APPORA NGALANIBE

Évêque coadjuteur de Bambari

 

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