jeudi 26 janvier 2017

Les Serments : Comment on jurait autrefois chez les Sars (par Pascal Djimoguinan)

            Dis-moi comment tu jures et je te dirai en quoi tu crois. Une des grandes manifestations des croyances des peuples se révèlent dans la manière dont ils prêtent serment ou dans les manières dont ils jurent. Comment faisaient les peuples Sars autrefois. Sans doute, nous avons encore aujourd’hui dans les habitudes, les relents de ce qui se faisait autrefois.
            Les chefs de terre avaient un grand rôle dans la société traditionnelle Sar. Leurs adjoints étaient appelés « Ngomgang ». C’était donc le Ngombang qui donnait, lorsqu’il y avait litige le sorgho hâtif qui servait pour les serments.
            Pour prêter serment, ou pour jurer comme on le dit couramment, on pouvait utiliser soit les feuilles de néré (Parkla africana), soit une plante appelée en sar «də̀ro » (Combretum glutinosum), soit le sorho hâtif. Le də̀ro était difficile à trouver puisqu’il faut aller le chercher loin en plus, généralement, on utilisait les feuilles du néré et le sorgho hâtif pour les serments.
            Pour le serment, les deux adversaires apportent l’agent que le ngombang dépose sur l’épi de sorgho avant de dire[1] :
            « Vous êtes venus me voir pour prendre le sorgho et jurer parce que vous avez un litige entre vous. Je n’y suis pour rien. J’ignore ce que vous avez fait, j’ignore votre querelle. Vous êtes cependant venus me voir. Je vous donne le sorgho pour jurer. Je ne suis pas coupable du malheur qui pourrait survenir. Je n’ai de querelle personnelle avec aucun d’entre vous deux. Cependant, comme c’est ma charge de donner le sorgho, et que vous êtes venus me voir, je le ferai. Ce sorgho que je vous donne, je le donne avec un cœur pur. Si l’un de vous va raconter des histoires sur moi au village, qu’il réfléchisse sur ce qu’il dira, car je ne suis pas allé moi-même vous chercher pour venir faire le serment.
            Voilà ce que le ngombang dit avant de donner le sorgho quand il s’agit de jurer dans un litige qui oppose deux personnes.
            Il y a aussi des cas de calomnies et de rumeurs malsain contre une personne ; cela peut concerner la sorcellerie. Lorsqu’une personne prend conscience de pareilles rumeurs contre elle, elle peut chercher elle-même le sorgho hâtif et aller trouver l’instigateur des rumeurs en disant :
            « Cette histoire, cela fait longtemps que j’en entends parler ! Comme j’ai vainement attendu que tu viennes me trouver, c’est moi qui viens faire un serment sur moi-même devant toi. Si ce que tu racontes, c’est moi qui l’ai fait, que ce sorgho que je vais manger sous tes yeux me fasse gonfler le ventre et me tue ! Ou bien que la saison sèche qui vient arrive après ma disparition, et qu’elle n’arrive pas en ma présence ! »
            Il y a également des cas ou quelqu’un jure avec l’eau du marigot ou la foudre. Si la personne a choisi de jurer par l’eau du marigot, elle dit : « Si j’ai fait ces actions-là, que l’eau du marigot me prenne. » S’il se trouve que la personne a effectivement commis l’action et qu’il est juré par mensonge pour convaincre les autres, il peut aller trouver le « Na-Naw-man » (le chargé d’office des fonctions liées au fleuve). Elle dira :
            « Moi, ou, j’ai fait telle faute. Quand on m’en a parlé, j’ai nié catégoriquement, et j’ai juré par l’eau du marigot, annule ce serment-là pour moi »
            La personne paiera avec de l’argent ou avec des céréales.
            Quand il s’agit du serment avec la foudre, on le fait de la même façon mais la personne qu’il faut voir est le « faiseur de pluie ». C’est lui qui a habilité d’annuler le serment avec la foudre.
            Des différents serments dont il a été question, ceux concernant l’eau (marigot ou foudre) sont moins grave car on peut les annuler si on s’y prend à temps et qu’on voit la bonne personne pour le faire. Par contre, le serment avec le sorgho, le də̀ro ou le néré est plus grave car on les ingère et il est impossible par la suite de les recracher totalement.
            Il y a un troisième cas où l’on peut être amené à jurer. Ici, il ne s’agit ni d’accusation mutuelle, ni par le sorgho ou le néré ; il s’agit du cas il y a une mésentente entre deux frères et qu’ils en viennent à échanger des paroles méchantes. Celui qui en prend l’initiative prononcera un serment sur lui-même, disant :
            « Toi, mon frère, je n’ai plus que toi dans la famille ; mais puisque tu ne peux me supporter, je m’en vais de mon côté ; quant à ce départ qui est le mien, je ne remettrai plus jamais les pieds dans ce village : ou alors, ce sera mon cadavre ! Si je retourne en camion, que le camion me renverse et que je meure : si je reviens à pieds, qu’une bête m’attrape en chemin et me tue ! »
            Après avoir dit cela la personne quitte pour aller s’installer dans un autre village. Si jamais il ressent de la nostalgie pour son ancien village, il appelle alors ses amis, au nombre de quatre ou cinq pour leur dire :
            « Moi, j’ai maintenant un grand désir de retourner dans mon village ; or, ce qui m’avait fait partir, c’est tel ou tel problème. Je vous le fais savoir ; quant à moi, je retourne au village. »
            Après ces paroles, il prépare son voyage. A son arrivée d’un l’autre village, avant même de manger ou de boire, il se rend chez un chef de terre, et s’étant assis devant lui fait cette déclaration :
            « Moi, ce qui m’a fait jurer sur moi-même c’est telle ou telle chose ; mais puisque maintenant je veux revenir, donne-moi de l’eau que je boive et que je me lave le visage, car ce village n’est pas pour moi un village d’emprunt. »





[1] Jacques Fédry, Pascal Djiraingue, Prière traditionnelles du pays Sara, CEL, 1977,Sarh, p 21-25.

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