MESSAGE DES EVEQUES AUX CHRETIENS, AUX
HOMMES ET AUX FEMMES
DE BONNE VOLONTE
« Je vis un ciel nouveau
et une terre nouvelle » (Ap 21, 1).
Le livre de l’Apocalypse en tant que littérature de
crise et des opprimés, interprète les évènements de notre monde à la lumière de
la présence active et transformatrice de Dieu dans l’histoire. Il annonce la
victoire du Christ sur les puissances du mal et les forces démoniaques. Cette
victoire permet d’avoir un regard lucide sur le passé, le présent et de
percevoir la réalisation d’un futur merveilleux. Ainsi donc, saint Jean se
projette avec optimisme et annonce le renouvellement de toute chose : « Je vis
un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21,1). L’ordre nouveau trouve sa
pleine réalisation dans « la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle » (Ap 21, 2).
Cet ordre nouveau est établi par le Dieu de la vie qui essuiera toute larme de
ceux et celles qu’il a adoptés en son Fils Jésus Christ comme ses propres
enfants.
A la manière de ceux qui ont fait l’expérience de
cette grande sollicitude de Dieu, le peuple centrafricain ne peut pas fuir
devant son histoire douloureuse, ni opter pour le status quo. En dépit
des nombreuses tribulations auxquelles il a été soumis lors de cette crise
militaro-politique qui affecte le pays depuis plus d’un an, le peuple peut
encore espérer en la victoire finale du projet de Dieu et l’anéantissement de
toute oppression. Cette espérance eschatologique nous engage au service de la
paix par la conversion de notre regard et de notre coeur. Au nom de notre foi
qui fait de nous des enfants de Dieu dans l’Eglise et des citoyens de notre
nation, chacun a le devoir de relever le défi de construire une Centrafrique
nouvelle, plus digne, plus unie et plus prospère. Que faisons-nous donc à cet
effet ?
Nous, Pasteurs de l’Eglise de Dieu en Centrafrique,
sommes réunis l’année dernière en Assemblée Plénière dans le contexte de la
crise militaro-politique que traverse notre pays depuis le déclenchement de la
rébellion initiée par l’ex-coalition seleka le 10 décembre 2012. Nous avons
dénoncé les méfaits dévastateurs de cette crise dans le double message que nous
avons adressé au Président de la transition1
et au Peuple centrafricain2. L’ampleur de
la crise a
1 Conférence des Evêques de Centrafrique, Message des Evêques de
Centrafrique au Chef de l’Etat, CECA, 20 juin 2013. 2
2 Conférence des Evêques de Centrafrique, Message des Evêques de
Centrafrique aux chrétiens et aux hommes de bonne volonté : Rendons compte de
notre foi (1 P 3, 15), CECA, 23 juin 2013.
été
phénoménale et ses conséquences énormes. Elle n’a épargné aucun aspect de la
Nation au point que le constat était celui du « jamais vu… ». Un an plus tard,
où en sommes-nous ? Que sont devenues les différentes propositions de sortie de
crise ?
I.
SITUATION PRESENTE
Une certaine
évolution a été constatée par rapport à la situation politico-militaire en
République centrafricaine.
1. Un
nouveau départ
Le laxisme
manifesté par le président de transition et son gouvernement, les odieuses
exactions commises par l’ex-coalition seleka et les nombreuses violations des
droits de l’homme ont induit la montée en puissance des anti-balaka,
improprement présentés comme milice chrétienne par de nombreux medias
étrangers. Le pays est tombé dans une spirale de violences, de représailles et
de contre-représailles. C’est la loi de la jungle où le plus fort s’impose par
les armes. L’incapacité affichée par les responsables de la transition à gérer
la crise a conduit la communauté internationale à les contraindre à la
démission entérinée lors du sommet extraordinaire de la Communauté économique
des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) sur la crise centrafricaine tenu le 9
janvier 2014 à N’Djamena. Madame Catherine Samba Panza a été alors élue par les
membres du Conseil National de Transition (CNT) pour présider au destin du pays
et mener à terme la transition. Une nouvelle page s’est tournée dans cette
lugubre histoire où l’avenir du peuple centrafricain s’écrivait dans le sang
innocent de ses enfants. Les Centrafricaines et les Centrafricains se sont mis
à espérer une prise en compte intégrale de cette crise en vue de sa résolution
pacifique et harmonieuse. Malheureusement l’espoir tarde à se matérialiser au
profit de cette population en très grandes souffrances.
2. La
mobilisation de la communauté internationale
La
mobilisation en faveur de la résolution de la crise a gagné en ampleur. Les
résolutions 2121, 2127 et 2149 du Conseil de Sécurité des Nations Unies ont
respectivement transformé la Force multinationale de l’Afrique centrale (FOMAC)
en Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine
(MISCA), permis le déploiement des forces françaises de l’Opération Sangaris en
appui à la MISCA et le passage du Bureau intégré des Nations Unies pour la
consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA) à la Mission
intégrée multidimensionnelle des Nations Unies pour la stabilité en République
centrafricaine (MINUSCA). Nous saluons l’engagement de l’Union Européenne (UE)
à travers le déploiement de l’Eufor-RCA aux côtés du peuple centrafricain
meurtri par une crise qui n’a cessé de faire des victimes innocentes.
L’implication de cette force européenne pour la sécurisation de l’aéroport
Bangui-M’Poko et les quartiers de Bangui s’inscrit dans une dynamique de
pacification nécessaire à la cohésion sociale et au vivre ensemble. Par
ailleurs nous constatons avec bonheur le retour des humanitaires et leur
redéploiement à l’intérieur du pays. Cette présence contribue à la mise en
confiance de la population abandonnée à elle-même. Toutefois nous condamnons
avec fermeté les exactions et les crimes à l’égard du personnel humanitaire.
II. DEFIS A
LA RELEVE ET A LA RECONSTRUCTION DE LA NATION
L’aspiration
au bonheur, à la paix et à la cohésion sociale soutient la population
centrafricaine dans la pire des crises de son histoire. Néanmoins, en dépit des
efforts fournis par les différents protagonistes, force est malheureusement de
constater que le parcours reste jonché d’obstacles. Ces défis couvrent un large
spectre.
1.
Insécurité
Les tueries de masse ont certes diminué à Bangui, mais la
République centrafricaine est loin de retrouver sa quiétude d’antan.
L’insécurité a encore droit de cité. La loi appartient aux détenteurs illégaux
d’armes et aux groupes armés, en l’occurrence les ex-seleka, les anti-balaka,
des groupes autonomes des auto-défenses, des archers de la commune
d’élevage, Ourou-Djafoun de Bambari et l’armée de résistance du Seigneur (LRA).
Le pays ressemble à une grande prison à ciel ouvert. Telle est la douloureuse
expérience des entrepreneuses populations de Kouango, Bakala, Grimari, Bambari,
Kabo, Batangafo, Kaga Bandoro, Ndélé, Kembè, Abba, Bohong, Boda… qui ne peuvent
plus vaquer librement à leurs occupations champêtres. En effet elles sont
prises à partie par les peulhs, les mbarara, les archers, les seleka, les
anti-balaka ainsi que des LRA qui écument la campagne en semant la mort. De
manière générale, les Centrafricaines et les Centrafricains se sentent traqués
comme des bêtes de somme. Ces violences insensées ne sont pas l’apanage d’une
seule communauté ou d’un seul groupe. Tuer, incendier des maisons voire des
villages entiers, traquer des gens en brousse deviennent désormais des actes
anodins et sans poursuite judiciaire. La vie humaine ne semble plus avoir de
prix.
2. Impunité
Face à la recrudescence des actes abominables et criminels,
la déliquescence de l’Etat consacre un régime fondé sur l’impunité et compromet
la garantie des droits fondamentaux inhérents à chaque citoyen. Il n’est donc
pas étonnant que chacun veut prendre la loi entre ses mains et se faire
justice. Comment se fait-il que des groupes armés illégaux (anti-balaka et
ex-seleka) orchestrent en toute impunité des parodies de justice en vue de
vouer à une mort infâme de paisibles citoyens sous prétexte qu’ils sont des
sorciers ou à cause de leur supposée affiliation soit aux anti-balaka soit aux
ex-seleka ? Comment rendre compte du fait que des brigands, des criminels et
des bandits de grand chemin qui ont le sang du peuple centrafricain sur la
main, de surcroît connus et identifiés, jouissent toujours de leur liberté de
nuisance sans être inquiétés ?
3. Menaces
visant le personnel pastoral
En dehors des actes de vandalisme perpétrés contre les
institutions ecclésiales et de profanation à l’endroit de nos églises, nous
condamnons avec la plus grande fermeté les innombrables attaques orientées
contre le personnel pastoral. Il s’agit notamment des menaces physiques contre
les prêtres de Ndélé, de Mala et de Bozoum, la tentative d’enlèvement du curé
de Kèmbè, l’enlèvement, la séquestration, les tortures et la tentative
d’assassinat de l’évêque de Bossangoa en compagnie de trois de ses prêtres,
l’abominable et cruel assassinat de l’abbé Christ Forman WILIBONA du diocèse de
Bossangoa, la torture psychologique imposée aux prêtres et aux religieuses de
Dékoa. Les paroisses de Bokaranga et de Ngaoundaye ont été directement
attaquées, mitraillées et pillées. Les Pères et les soeurs ont dû fuir la
mission sous des menaces pour dormir quelques jours en brousse. Le récent
massacre lâche et insensé perpétré contre les déplacés du site de la paroisse
Notre Dame de Fatima, durant lequel l’abbé Paul-Emile NZALE a été abattu,
prolonge ainsi la longue liste des victimes de cette folie meurtrière. A ces
faits s’ajoutent des crimes odieux perpétrés contre les pasteurs de
l’Association des Eglises Evangéliques en Centrafrique.
4.
Institutions de l’Etat en panne
Les anomalies
et les dysfonctionnements susmentionnés révèlent au grand jour les limites d’un
Etat en panne et dont les institutions tournent au ralenti.
a.
Précarité et insécurité alimentaire
Le quotidien du peuple centrafricain est devenu précaire. L’on
se demande de quoi le lendemain sera fait. Beaucoup de concitoyens ont perdu
non seulement leurs biens, mais aussi leurs moyens de subsistance. Leurs
maisons ont été saccagées. Ils sont contraints à l’errance, vivant pour
certains en brousse comme des animaux ou encore dans des camps de fortune. En
dépit d’une certaine amélioration, la situation reste préoccupante. Le
mouvement des populations indique 542.400 personnes déplacées internes (PDI) en
RCA dont 117.400 sur 43 sites à Bangui, 101.731 réfugiés centrafricains au
Cameroun depuis décembre 2013 et 2.5 millions de personnes ayant besoin d’une
assistance3. Cette situation de nomadisme liée à
l’insécurité dans l’arrière-pays empêche la reprise effective des activités
champêtres et fait planer un risque grandissant d’insécurité alimentaire.
3 OCHA, République centrafricaine (RCA) : Rapport de situation N° 30,
Bangui, juin 2014 sur www.unocha.org
b. Risque
d’une éducation de luxe pour certains privilégiés
Le droit à l’éducation est fondamental. Nous encourageons
donc les initiatives et saluons les efforts déployés par le ministère de
l’éducation nationale et les partenaires associés en vue d’assurer aux enfants
une scolarité normale. Néanmoins force est de constater qu’une large portion du
territoire national échappe totalement au contrôle de l’Etat et par conséquent
le programme élaboré par le ministère de tutelle ne touche qu’une infime partie
des élèves. L’éducation risque de devenir, dans de telles circonstances, un
luxe réservé uniquement à certains privilégiés. Que faisons-nous de la majorité
des enfants qui n’ont accès ni à l’école, ni à un enseignant, et qui sont par
ailleurs privés de toute condition adéquate d’apprentissage et d’instruction ?
L’avenir d’une nation se construit sur la formation intellectuelle et
socioprofessionnelle de ses enfants. Quel choix faisons-nous donc pour la
République centrafricaine alors que les autres nations se donnent les moyens
humains pour leur développement socioéconomique ?
c.
Précarité sanitaire
L’impact de cette crise militaro-politique continue à se
faire sentir sur la santé de la population centrafricaine. L’accès aux soins de
santé est rendu particulièrement difficile à cause de la mobilité incessante
des populations et la grandissante insécurité qui les a contraintes à trouver
refuge en brousse. Soumis aux intempéries, à l’insalubrité, au manque de soins
de santé, beaucoup de nos frères et soeurs meurent dans l’indifférence
complète. L’avenir de notre pays ne se construira pas sur la tombe des innocents.
d. Economie
exsangue
La sécurisation du corridor Bangui-Garamboulaye dans l’ouest
a permis l’approvisionnement du pays à partir du Cameroun. Mais des régions
entières de l’est et du nord-est demeurent coupées du pays. La circulation des
personnes et des biens reste compromise à cause des bandes armées. Cette
reprise d’activités économiques a favorisé une petite rentrée de recettes.
Toutefois l’essentiel des taxes échappe encore aux régies financières de l’Etat
et profite aux groupes armés ex-seleka et anti-balaka. Les prix ont flambé sur
nos marchés et le panier de la ménagère s’en ressent durement. Pour son
fonctionnement et la mise en place de son projet de développement, de
reconstruction et de relance de l’économie, l’Etat dépend de la solidarité
internationale. Beaucoup de promesses lui ont été faites, mais les dons tardent
à se concrétiser.
e.
Exploitation illégale des ressources minières et forestières
Nous déplorions la mise à sac de nos ressources minières et
l’exploitation illégale de nos forêts. Le braconnage fut légitimé en
compensation de l’effort de guerre. Par ailleurs les chefs de guerre se sont
répartis les zones minières que chacun exploite à son avantage et dans
l’intérêt de la cause partisane qu’ils défendent. Les ressources minières
illégalement exploitées servent ainsi au financement de la rébellion et à la
déstabilisation du pays.
f.
Partition du pays en deux
Certains membres de l’ex-coalition seleka ont annoncé
publiquement la partition du pays. La tenue de la convention par les ex-seleka
à Ndélé et la mise en place d’un état-major ont laissé les Centrafricains
pantois. Peut-on avoir deux états-majors dans un même pays ? Que se cache
derrière cette décision ? Pourquoi les gendarmes déployés à Bambari ne sont pas
acceptés ? Barthélémy BOGANDA a laissé un pays uni. Nous pensons que la
solution à notre problème passera par l’acceptation de l’autre. Dans l’unité,
nous découvrirons la richesse de nos différences. Aux chrétiens, nous rappelons
la parole du Christ : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que
je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi afin que le monde croit que tu
m’as envoyé » (Jn 17, 21).
III. POUR
UNE SORTIE DE CRISE
Les défis sont
certes réels, mais la sortie de crise reste à la portée du peuple centrafricain
avec l’appui de la communauté internationale.
1.
Désarmement
Face aux nombreuses exactions commises sur les populations
civiles et la capacité de nuisance des groupes armés ex-seleka, anti-balaka et
LRA, quelle application faisons-nous des différentes résolutions du Conseil de
sécurité des Nations Unies qui déterminent le cadre juridique de l’intervention
des forces internationales en Centrafrique ? Le désarmement n’est pas
négociable. Il rentre dans l’application de ces résolutions. Nous en demandons
donc la stricte observation et condamnons les différentes interprétations qui
nous éloignent de l’esprit des résolutions et les rendent par conséquent
inefficaces. Toutefois, avant la mise en place d’un programme rigoureux de
Désarmement Démobilisation Réinsertion et Rapatriement des mercenaires (DDRR)
au profit des combattants de la seleka et des anti-balaka, il est urgent de
procéder sans complaisance au désarmement de toute personne en possession
illégale d’armes de guerre. Les groupes incontrôlés de la seleka et des
anti-balaka doivent être neutralisés ; il en va de même pour les archers et les
groupes d’auto-défenses autonomes. En effet, le désarment constitue une clé majeure
dans la désescalade des tensions et dans le processus de résolution de la
crise. Frères et soeurs, il est de notre devoir de soutenir les efforts qui
sont déployés en ce sens et d’être des acteurs de paix en désarmant non
seulement nos mains, mais surtout nos esprits et nos coeurs.
2.
Réhabilitation des forces armées centrafricaines (FACA)
Que dire de
cette situation ubuesque où la sécurité et la protection des citoyens sont
laissées à la merci des groupes armés (ex-seleka, anti-balaka et LRA) qui sont
supposés faire l’objet d’un désarmement sans condition ? Alors que certains
établissent des structures militaires parallèles (états-majors des armées, de
la gendarmerie et de la police), empêchent les gendarmes et les policiers en
poste dans les régions sous leur contrôle à assurer leur mission de sécurité et
occupent indûment les administrations, il se pose un véritable problème quant à
la souveraineté de notre pays qui manque d’armée. Jusqu’à quand allons-nous
reposer le destin de tout un peuple entre les mains des forces étrangères ?
Partout ailleurs pour de pareilles missions de paix, les forces internationales
viennent en appui aux forces nationales. Pourquoi serait-il différent en ce qui
concerne la Centrafrique ? Loin de suivre des fossoyeurs de la nation, animés
par des intérêts égoïstes et sordides, il conviendrait de procéder promptement
à la juste Réforme du secteur de sécurité (RSS), au Désarmement,
Démobilisation, Réinsertion des combattants centrafricains et Rapatriement des
mercenaires (DDRR) et enfin de ne ménager aucun effort pour réhabiliter, dans
les plus brefs délais, les Forces armées centrafricaines (FACA) et les doter de
moyens adéquats pour leur mission.
3.
Rétablissement de l’autorité de l’Etat
Le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’étendue du
territoire se fera nécessairement par le redéploiement de l’administration et
par la lutte effrénée contre l’impunité. En effet pour des raisons flagrantes
d’insécurité, beaucoup d’endroits sont aujourd’hui abandonnés à la merci des
groupes armés qui font la loi à leur guise et convenance.
4. Cohésion
sociale
La crise qui mine la Centrafrique, depuis plus d’un an, est
un phénomène complexe dont les causes sont multiples et très profondes. Or pour
des raisons inavouées, un subtil déplacement sémantique a été opéré du terrain
militaro-politique au religieux. Instrumentaliser l’antagonisme religieux
semble davantage porteur de l’exacerbation de la haine et des tensions
intercommunautaires. Conscients de ce grand danger, les responsables religieux
se sont mobilisés pour dénoncer une telle manipulation qui continue à faire des
victimes innocentes. L’initiative de la plateforme s’inscrit dans cette
perspective. Ce n’est que par notre engagement pour la cohésion sociale que
nous triompherons de cette crise. Il est de notre devoir de consolider les
acquis du vivre-ensemble dans le respect mutuel et la vérité. Nous en
appelons aux hommes et femmes de bonne volonté, épris de cohésion sociale, à
s’impliquer davantage dans les initiatives prises par la plateforme
interreligieuse en faveur du vivre-ensemble.
5. Dialogue
Traditionnellement l’arbre à palabre était une institution
qui servait de régulateur social et permettait à nos ancêtres de régler leurs
différends. La communauté se retrouvait dans le seul souci de sauver la
cohésion sociale en faisant la vérité sur les blessures. Dans cette
perspective, le dialogue est donc un exercice exigeant qui met l’accent sur la
parole, demande l’art de l’écoute et de la remise en question. Il convient que
chacun se demande aujourd’hui : pourquoi les nombreux débats et dialogues
politiques et sociaux organisés au niveau national peinent à produire les
résultats escomptés ? Tout n’est pas dans le verbiage qu’on débite, mais
davantage dans le coeur. Se parler en vérité sans faire de petits calculs, tel
est ce à quoi chacun est exhorté en conscience.
6. Paix
La paix est le premier don que le Ressuscité a fait à ses
disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix (Jn 14, 27a) ».
En tant que croyants, nous en sommes les porteurs et les témoins dans le
monde et auprès de nos frères et soeurs. La paix véritable est davantage une
thérapie qui nous guérit de nos blessures, de la haine et de l’esprit de vengeance
qui nous enferment et nous tiennent prisonniers. Dans les malheurs qui
accablent notre peuple, continuons ensemble à promouvoir la culture de la paix
dans la justice et la vérité : « Heureux les artisans de paix, car ils
seront appelés fils de Dieu (Mt 5,9) ».
7. Pardon
et réconciliation par la justice et la réparation (Africae Munus 155)
Le pardon manifeste la miséricorde et la magnanimité de Dieu
à l’égard des pécheurs que nous sommes. S’ouvrir à l’amour de Dieu qui nous
réconcilie avec nous-mêmes et avec nos frères et soeurs est la voie royale pour
nous réaliser pleinement à l’image et à la ressemblance de notre Père céleste
qui nous fait marcher dans sa lumière. Le pardon libère des ressentiments, de
la haine et de la vengeance qui mènent à la mort. Dans le contexte de la crise
et de la méfiance qui nous affectent aujourd’hui, pardonner c’est se donner la
chance de regarder l’avenir avec optimisme. Ce processus trouvera un terreau
fertile dans le cadre d’une justice transitionnelle qui permettra aux victimes
et à leurs bourreaux d’engager dans la vérité les démarches en vue de la
réconciliation et de créer par conséquent des espaces pour la cohésion sociale.
Certes, les blessures saignent encore, les souvenirs de ce
que nous avons endurés sont encore frais. Mais, il faut oser s’ouvrir à
l’action de l’Esprit Saint qui est capable de nouer les relations brisées. Car,
comme le témoigne le Saint Père, le Pape François, dans son Exhortation
Apostolique Evangelii Gaudium au numéro 178 : « L’Esprit Saint possède une
imagination infinie, précisément de l’Esprit divin, qui sait dénouer les noeuds
même les plus complexes et les plus inextricables de l’histoire humaine ».
IV.
CONFIANCE, TEMOIGNONS AUJOURD’HUI DE L’AMOUR DE DIEU
L’Evangile fait de nous les témoins et les hérauts de la
Bonne Nouvelle. La Bonne Nouvelle alimente notre espérance. Mais la
construction d’une Centrafrique nouvelle ne se fera pas sans nous. Nous sommes
appelés à devenir « le sel de la terre et la lumière du monde » (Mt 5,13a.14a).
Aussi sommes-nous des facteurs de transformation au sein de notre Eglise et de
notre pays. Nous avons donc un rôle actif à jouer auprès de nos frères et
soeurs pour la consolidation de la paix et la cohésion sociale. Déjà, au plus
fort de la crise, nous avons su témoigner de notre attachement au Christ et à
l’homme. Dans la détresse et le désespoir, alors que Dieu semblait absent, une
plus grande piété paradoxalement a vu le jour chez nombre d’entre nous. Nous
nous sommes davantage tournés vers la prière et la confiance au seigneur.
Lorsque les villages brulaient et que les coups de feu mettaient sur le chemin
de l’exil des milliers de nos frères et soeurs, nous avions été encore très
nombreux à offrir notre hospitalité, partageant ainsi notre pauvreté avec ceux
qui n’avaient plus rien. Nous nous sommes protégés les uns les autres sans
prendre en considération la région, l’ethnie et la religion.
Témoigner de l’amour de Dieu aujourd’hui en ce temps de crise
et de tensions intercommunautaires, c’est porter le message de tolérance, de
réconciliation, du dialogue dans le respect mutuel, la vérité et la justice
(cf. Africae Munus 163). Nous manifesterons la maturité de notre foi et
notre sens de responsabilité chrétienne en devenant les garants de nos frères
et sœurs et en créant, au niveau de nos
régions, villes et communautés, des organes permanents de dialogue
intercommunautaire à l’exemple de la plateforme interreligieuse. Ceci exige de
la part de tout un chacun une grande disponibilité à l’écoute de la Parole de
Dieu en vue de se laisser transformer par celle-ci. C’est une démarche de foi
que nous nous proposons pour la sortie de crise.
Chers frères
et soeurs, c’est encore possible de nous en sortir. Nous ne sommes pas seuls.
Le Christ ressuscité et glorieux, source profonde de notre espérance est
toujours avec nous. Jamais son aide ne nous manquera. Avec le Pape François,
nous croyons ceci : « Là où tout semble être mort, de partout, les germes de la
résurrection réapparaissent… Il est vrai que souvent Dieu semble ne pas exister
: nous constatons que l’injustice, la méchanceté, l’indifférence et la cruauté
ne diminuent pas. Pourtant, il est aussi certain que dans l’obscurité commence
toujours à germer quelques chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit
»4.
4 Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, n°
276.
« Esprit
Saint, fais de nous des artisans de paix.
La paix qui
est amour et justice, vérité et dignité, respect et unité.
Que cette paix
soit dans notre coeur, dans nos paroles et dans nos actions ».
Fait à la CECA, le
28 juin 2014
S. E. Mgr
Dieudonné NZAPALAINGA Cssp
Archevêque
Métropolitain de Bangui
Président de
la Conférence Episcopale Centrafricaine
S. E. Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA SMA
Evêque de
Bossangoa
Vice-Président
de la Conférence Episcopale Centrafricaine
S. E. Mgr Perin GUERRINO Mccj
Evêque de
M’Baïki
S. E. Mgr
Edouard MATHOS
Evêque de
Bambari
S. E. Mgr
Albert VANBUEL
Evêque de
Kaga-Bandoro
S. E. Mgr Juan
José AGUIRRE MUNOZ, Mccj
Evêque de
Bangassou
S. E. Mgr
Armando GIANNI Ofm
Evêque de
Bouar
S. E. Mgr Cyr
Nestor YAPAUPA
Evêque
d’Alindao
S. E. Mgr
Dennis Kofi AGBENYADZI SMA
Evêque de
Berbérati
Mgr Thaddeus
KUSY
Evêque
coadjuteur nommé de Kaga-Bandoro
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