MESSAGE
de
S. Em Dieudonné Cardinal NZAPALAINGA,
Archevêque
Métropolitain de Bangui,
aux hommes et femmes de bonne volonté.
Chers
frères et sœurs en Christ,
Et
vous hommes et femmes de bonne volonté,
À
vous tous, je souhaite la paix et la joie de notre Seigneur Jésus-Christ !
Aujourd’hui
commence le temps de l’Avent riche en grâces, en significations et en figures. Comme
figures, je voudrais mentionner le Prophète Isaïe et sa vision de la Paix
cosmique[1].
La paix qu’apporte le Seigneur concerne tout l’univers. Je voudrais aussi
évoquer Jean Baptiste dont la voix nous appelle à la conversion, attitude
fondamentale caractérisant le temps de l’Avent. Et enfin, la sainte Vierge
Marie, notre Mère, dont l’attitude gracieuse d’accueil du projet de Dieu nous
est éloquemment missionnaire.
La
découverte des différents sens du mot « Avent » peut nous aider à
vivre dans la dynamique d’un si beau temps de grâce. Qui plus est, ils permettent
de voir combien l’Avent et Noël qu’il annonce peuvent se référer à notre
contexte particulier.
En
effet, Adventus qui signifie « avènement »
désigne le temps liturgique de préparation intérieure et extérieure à
l’avènement de Jésus. Pour ce faire, il faudrait, conformément aux appels d’Isaïe
puis de Jean Baptiste, rendre droits les sentiers intérieurs[2].
Saint Paul concrétise davantage cet appel en exhortant les Thessaloniciens à
demeurer sans reproche dans l’attente du Seigneur[3].
Adventus
comporte aussi le sens de visitatio,
une visite : Jésus entre dans nos vies pour nous visiter. La visite ici peut
aussi être envisagée au sens médical du terme : Jésus vient nous examiner
et nous soigner. Cent vingt-cinq ans après avoir accueilli l’évangile, le
Maître de la vigne vient s’assurer de la profondeur de notre attachement à sa
Parole libératrice.
1.
Après
125 ans, qu’avons nous fait de l’accueil de la Bonne Nouvelle?
Frères
et sœurs,
Jésus
vient. Il vient habiter nos cœurs. Il vient demeurer chez nous. Il vient nous
régénérer. Il vient apporter la lumière dans les situations qui nous
caractérisent individuellement et collectivement. Jésus est le Roi qui vient
habiter nos pauvretés pour nous manifester sa toute puissance : il vient
s’établir dans notre pays qui a été douloureusement marqué par les récentes
inondations.
L’Oubangui
dont la crue aura causé tant de dégâts matériels et humains cette année fut aussi
le canal par lequel, en 1894, les missionnaires spiritains vinrent nous
annoncer la Bonne Nouvelle.
De
façon positive, l’évocation des 125 ans d’évangélisation devrait nous permettre
de rendre hommage à tous les hérauts, hommes et femmes, missionnaires religieux
et laïcs qui ont tout donné pour que l’Evangile soit accueilli et vécu chez
nous. Notre Eglise ne cesse de grandir : elle a enfanté un cardinal, des
évêques, des prêtres, de nombreux religieux et religieuses, des laïcs
consacrés, des catéchistes… Elle manifeste une ferveur de plus en plus grande.
La réussite de la pastorale de l’autoprise en charge montre que nous commençons
à mûrir en tant qu’Eglise et que nous sommes engagés à apporter notre part à
l’édification du Corps du Christ. Bonne Nouvelle : en cette fin d’année,
la nouvelle traduction du Fini Mbuki
pourra parvenir aux confins de notre pays. Jésus-Christ pourra nous parler dans
notre langue affermissant ainsi cette fraternité que seul son amour peut
établir.
Après
125 ans de marche, notre jeune Eglise locale a été récemment honorée par le
Pape François lorsqu’il a proclamé Bangui : la « Capitale
spirituelle » du monde. Quelle grâce ! Cette capitale spirituelle du
monde est abritée par ce continent même que le Pape Benoit XVI avait baptisé d’ « immense
poumon spirituel pour une humanité en pleine crise de foi et d’espérance.[4] »
Merci Seigneur pour cette responsabilité que ta miséricorde nous accorde !
Cependant,
comme le commente le Pape Benoit XVI, un poumon peut aussi tomber malade.
Ainsi, après tout ce temps de marche, il nous faudrait regarder frontalement nos
maladies voire toutes les entraves qui empêchent notre marche de correspondre
au rythme de l’Esprit.
Ces
entraves peuvent être aperçues dans cette dichotomie qui existe entre une
ferveur si vibrante, une foule de plus en plus nombreuse dans les lieux de
culte de nos différentes religions avec la qualité de vie que nous manifestons au
regard de la situation sociale qui prévaut. 125 ans après l’évangélisation,
mais quel marasme politique et socio-économique ! Notre foi devrait nous
aider à discerner et à lutter contre les causes de notre engourdissement
parfois si évidentes : la gabegie et la corruption parfois
« normalisée », l’enrichissement allègre et illicite au vu et au su
de tous et au détriment du pauvre dont le croupissement dans la misère
n’inquiète personne, l’impunité, les attitudes stériles tels les palabres pour
des questions d’héritage, la maltraitance des veuves, des veufs, des orphelins…
Avons-nous
perdu le sens du péché alors que Jésus est avec nous ?
Nos
contemporains ont souvent manifesté leur inquiétude devant le fait que la
classe dirigeante comporte autant d’anciens séminaristes que de serviteurs du
Seigneur. Cela mérite sérieusement de nous questionner sur l’approfondissement
de la foi dans nos cœurs, dans nos us et coutumes, sur la conscience que nous
avons du fait d’être enfants de Dieu : que faisons-nous de notre foi en cette
Parole qui est Parole de Vie et de libération, parole de charité et de
justice ? Autrement dit, l’Evangile nous conduit-il a un souci réel de
l’amélioration de la situation sociale de nos contemporains ? Cette Parole est
en réalité un trésor inestimable, « vivante et efficace »[5] ;
elle est ce levain[6] qui
peut transformer positivement la pâte.
Au
plan religieux, après 125 ans d’évangélisation, nous constatons le surgissement
d’une piété populaire certes chaleureuse mais parfois si suspecte et inquiétante.
Elle se caractérise par l’apparition et la croissance d’une mentalité de plus
en plus magico-religieuse, par une soif du miraculeux et du surnaturel laquelle
par le truchement de neuvaines, d’exorcismes mal orientés peut rendre
vulnérable à la manipulation de pseudo leaders religieux. Le règne de
l’irrationnel, de l’ésotérisme, du fanatisme ne font qu’accroitre la misère et
la déresponsabilisation.
Dans
un tel contexte, quel sens pourrait-on accorder à la perspective d’une
prochaine visite de Jésus ? Il vient certainement nous inspirer de vivre authentiquement
le baptême qui fait de nous des créatures nouvelles et des témoins de son amour
et de sa miséricorde.
2. Le respect du créé
Frères
et sœurs,
Adventus
évoque aussi une présence. C’est cela même le cœur du mystère de Jésus :
il est avec nous et accompagne notre marche jusqu’à son retour glorieux. Il
nous appelle à vivre dans l’attente de ce retour en gardant nos lampes allumées[7],
les lampes de l’espérance et de la charité.
Le
fait que Jésus soit présent nous invite au discernement des signes des temps et
à être des témoins de son Royaume au cœur de ce monde.
Réunie
pour le synode pour l’Amazonie, l’Eglise a de nouveau repris le thème de
l’écologie, du respect du créé et du rapport que nous devons entretenir avec la
nature. Ce thème est d’actualité en Centrafrique où les débordements des eaux
ont révélé nos mauvais comportements dans l’aménagement de la « maison
commune »[8]. Du
mauvais choix de nos dépotoirs, l’obstruction des caniveaux par nos déchets ménagers
que le fleuve a ramené dans nos quartiers, la mauvaise installation de nos
puits, de nos briqueteries artisanales à la destruction de nos forêts,
l’exploitation frauduleuse du sous-sol au détriment de la population : que
d’attitudes mortifères adoptons-nous, nous chez qui habite la Parole de
vie !
Avons-nous
un plan d’urbanisme ? Toutes ces maisons bâties sur les flancs de la
colline de Gbazoubangui respectent-elles les normes établies ? Allons-nous
passivement attendre les prochaines catastrophes pour réagir ?
Pourtant
l’Avent est bel et bien un temps d’embellissement, de nos cœurs pour qu’y loge
notre divin Roi, de nos églises pour que rayonne aux yeux du monde la splendeur
de la vraie Lumière. Prendre concrètement soin de la « maison commune »
serait aussi une sorte de « fiat » à l’harmonie de l’œuvre de Dieu.
Enfin,
signes de cette présence stimulante, deux appels ont été récemment adressés, différents
mais convergents : le mois spécial de la mission que nous avons célébré en
Octobre 2019 et les résolutions prises lors des assises de la rentrée pastorale
diocésaine. Nous avons nous-mêmes formuler les traits de la mission qu’il nous
incombe d’accomplir dans ce pays où la question du vivre ensemble continue de se
poser impérieusement au lendemain des accords de Khartoum et de Bangui :
poser des actes concrets dans l’optique du dialogue interreligieux et de l’œcuménisme.
Demandons à Notre Dame de
l’Oubangui, celle qui est reconnue bienheureuse parce qu’ayant cru en
l’accomplissement de ce que le Seigneur lui avait dit[9],
d’intercéder pour nous afin que nous soyons comblés des grâces de ce temps et
que nous marchions dans la joie vers la célébration de la naissance de son
Fils, notre Sauveur, amen !
[1] Cf. Is 11, 1-10.
[2] Cf. Is 40, 3 ; Mt 3, 3.
[3] 1 Th 5, 23.
[4] Benoit XVI, Homélie
de la messe d’ouverture de la IIème assemblée
spéciale pour l’Afrique du synode des évêques, 5 octobre 2009.
[5] Cf. He 4, 12 a.
[6] Cf. Mt 13, 33.
[7] Cf. Mt 25, 1-13.
[8] Expression du Pape François, in Laudato si, n° 1.
[9] Cf. Luc 1, 45 cité par le Pape François, Aperuit illis, n° 15.
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