vendredi 23 février 2018

LU POUR VOUS /L’Homme cosmique (Engelbert MVENG sj)

            Le point de départ de la pensée négro-africaine n’est pas l’être en tant qu’être. Il est au contraire l’expérience la plus fondamentale de l’Homme, l’expérience de la vie, et de la vie de l’Homme vivant. Nous sommes ici en face, non d’une ontologie mais d’une anthropologie.
            On a dit et répété, avec le Père Tempels, que c’est la force vitale qui constitue le point de départ de la philosophie négro-africaine. Cette force vitale considérée comme un « en-soi » nous ramène à l’ontologie. L’analyse des mythes africains nous met aux prises avec le mystère de la Vie. Cette vie n’est pas une notion simple et abstraite ; c’est une expérience vécue de façon dramatique, au sens étymologique du mot. Ce drame met en scène deux forces contradictoires : la Vie et la Mort. C’est l’expérience de ce drame qui constitue, à proprement parler, le point de départ de la philosophie et de la religion négro-africaines. L’homme, en vivant intensément ce drame, se découvre dans la totalité de ses dimensions, microcosme au sein du macrocosme : destinée, communauté, histoire, pérennité.
            Les textes que nous avons mentionnés présentent l’Homme avant tout comme un être cosmique. Ol est, comme on dirait aujourd’hui, l’aboutissement de l’évolution, à partir du Nun primordial, en passant par les étapdes d’Atun, (forcevitale), du Shu et Tefnet (masculinité et féminité), de Geb et de Nut (terre et ciel). Cette évolution n’est pas avant tout celle de la conscience. Elle est essentiellement celle de la vie, qui, à travers le laborieux cheminement de son devenir, se personnalise dans l’Homme vivant. Ce processus se vérifie dans les cosmogonies ouest-africaines, chez les Dongons, les Senoufo, les Bambara, comme en Afrique Centrale chez les Fang ou les groupes Bantou du bassin du Zaïre (RDC). Quelle que soit la terminologie employée, même dans le cas de la Dialectique du Verbe chez les Bambara dont parle le Professeur D. Zahan, ce cheminement est celui de la vie vers la conquête de son plein épanouissement.
            Cette évolution n’est pas, comme chez les Grecs, une dégradation et une chute ; elle ne part pas du Nous pour tomber, en passant par le Logos et la Psychè, dans le Chao de la Hylè. Elle est au contraire une marche en avant, une ascension, une conquête, une passion, un mort, une résurrection.
            Dans cette montée, c’est tout l’univers qui s’affranchit, s’unifie, se personnalise et s’accomplit. Le rite africain est incompréhensible à qui n’a pas la claire vision de cette dimension cosmique de l’Homme. L’Homme est à la fois du monde des Vivants et de celui des Morts ; il est esprits, animaux, minéraux ; il est feu, il est eau, il est vent ; il est Geb et Nut, c’est-à-dire ciel et terre. La liturgie africaine, c’est le cosmos qui emprunte la voix de l’homme pour adorer Dieu et célébrer la victoire de la vie sur la mort. Le vêtement liturgique est à la fois masque, dépouilles animales, végétales et minérales ; la matière du rte est eau, feu, sang, plantes, animaux ; tout cela récapitule en l’homme l’univers qui s’humanise ainsi et devient l’Eglise de la célébration cosmique, c’est-à-dire la communauté de foi ou toute la création s’exprime dans l’homme vivant.
            Cette anthropo-cosmologie n’est pas panthéisme. Dans la généalogie qui va de Nun à Osiris, Atum représente le Primum Movens, le premier Principe qui crée tout et qui n’a pas été créé.
            Ce premier principe qui apparaît comme la négation du Néant primordial (Nun) ne se confond pas avec les divinités. On dit que ces dernières sont créées par lui. En fait les divinités représentent dans la pensée populaire de l’Egypte – et de l’Afrique traditionnelle – ce qu’ailleurs on nomme les héros civilisateurs, ces archétypes d’une Humanité exemplaire, celle des fondateurs et des Saints protecteurs. Ce premier principe ne se confond pas non plus avec Shu et Tefnet de qui procèdent Geb et Nut (la terre et le ciel), c’est-à-dire notre univers. Les Dieux eux-mêmes ne s’identifient pas avec ce double principe mâle et femelle. Tout se tient sans se confondre : il y a comme on dit aujourd’hui, participation ; il n’y a pas émanation ni confusion.
            L’homme apparait comme le Fils de la Terre et du Ciel, véritable synthèse de l’univers auquel nous appartenons. Il appartient au monde céleste, monde des esprits, du soleil, de la lune et des étoiles, mon des forces cosmiques et des puissances mystérieuses, là où règnent les « Puissances, les Trônes et les Dominations. » Il appartient au monde terrestre, avec son foisonnement de la vie et de la mort. Il appartient enfin au monde d’en bas, royaume des ténèbres, de l’angoisse et de la peur.
            L’homme appartient à la totalité de la durée ; il est racine initiatique, à la fois aboutissement et commencement absolu ; il est le fondement de l’histoire qui donne à la durée son sens et son contenu. A la fois, terre et ciel, esprits et forces cosmiques, passé, présent et avenir, l’homme est réellement l’univers en miniature, microcosme au sein du macrocosme.

Engelbert Mveng, L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant, L’Harmattant, Paris, 1986, pp. 10-12.

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