vendredi 30 juin 2017

Bédaya – Ngakédjé : les célébrations : Na Sar, Nouvel An (Par Pascal Djimoguinan)

            Le grand personnage à Bédaya est, s’il faut le rappeler, le Mbang-Day, l’homme soleil. Il est donc le responsable de la fertilité. C’est lui qui préside une fête des semailles, qui doit assurer la pluie et de bonnes récoltes aux vivants.
            Dans la hierarchie Sar, on a également le Ngorgue Hori. Il est l’homme de la Lune et de la nuit. C’est lui qui préside la fête du Nouvel An qui doit apaiser la colère des défunts et éloigner les épidémies.
Le calendrier Sar
            Le calendrier des célébrations importantes du pays sar sont comme suit :
Avril : Le Na Bena à Bédaya
Fin novembre : Le Na Sar à Ngakédjé, au Canton Balimba.
            Ces deux fêtes constituent les deux sommets du cycle festif en pays sar.
1.    La fête du Nouvel An à Ngakédjé
En partant de Balimba, le long du Bahr ko, Ngakédjé est signalé sur la gauche par l’arbre sacré, constitué par les troncs enlacés des deux ficus bol et dol et l’orme yala, sur la droie par le gros tambour de guerre, Ngardobo, qui est monté sur un pilotis et entouré de six greniers à mil avec des toits de pailles qu’il protège des voleurs.
      Si l’on prend le Ngorgue Nambatengar qui est décédé en 1978 et qu’on essaie de faire sa généalogie, on peut à peine remonter jusqu’à 1850 ; elle comporte 9 noms. Par contre, il y a la présence de l’enclume de pierre, mbal-ninga qui est à demi-enterrée dans un champ et qui a sans doute été laissée là par l’arrière-grand-père Kikiya du forgeron de Bédaya lorsqu’il a quitté Nakédjé vers 1850… Ici comme à Bédaya, le prestige de la chefferie repose sur l’alliance avec les forgerons Nôy. Parmi les dignitaires du Ngorgue, les deux mûû, officiants de l’initiation, le balafoniste, et la mère du Nambatengar appartenaient à cette caste.
      A Ngakédjé, plus encore qu’à Bédaya, le Couteau de jet sacré est considéré comme un bessi dangereux et il n’est jamais montré, même pas le jour de la fête. Il est couché sous un arbre à 100 mètres du village, dans une paillotte dont le toit est surmonté d’une lance. C’est une réplique antithétique du Miya-bo de Bédaya ; il est constitué par deux fourreaux de cuir, contenant chacun 7 couteaux. Les 7 couteaux en F dont les pointes sont tournées vers l’est, lorsqu’ils sont couchés sur leur lit de baguettes ; ils sont dits ‘mâles » et constituent le talisman véritable ; les 7 autres ont les pointes tournées vers le couchant ; elles sont dites « femelles » et on les appelle nguéégue « princesse » ; elles n’ont pas les mêmes valeurs que les mâles. Le miya-bo servait à la purification des criminels. Le Ngorgue le plongeait dans l’eau dans une calebasse et les criminels devaient s’y laver les mains. Ils étaient alors assurés de l’impunité tant qu’ils restaient dans le village de Ngakédjé, au service du maître du lieu.
Célébration du Na sar en 1973 (Joseph Fortier)
      Le lundi 26 novembre, u peut après le coucher du soleil, tandis que tous observaient l’apparition du mince croissant de lune à l’Ouest, un peu au-dessus de l’horizon, le Ngorgue, accompagné de son Ngombang est allé chercher le Miya-ba dans sa paillotte ; ils se sont dirigés vers l’ouest, derrière l’arbre sacré ; là, il a brandi le couteau de jet vers la lune, puis l’ayant replacé dans sa paillotte, il est revenu dans sa concession : personne n’avait rien vu.
      A la nuit tombée, vers 18 heures, un cortège se forme, Ngorgue et ngombang en tête, portant des cannes de sorgho ; puis, viennent le Nguébessi, qui porte le panier aux reliques (belague et guedé), les deux balafonistes et enfin les gens du hameau. Quand on arrive derrière l’arbre sacré, le Ngorgue et son Ngombang énoncent à toute vitesse une série de souhaits : pour la santé des villageois, pour que tous aient des bonnes récoltes, succès à la chasse et à la pêche, pour que les femmes aient beaucoup d’enfants… puis, chacun à son tour lance vers la lune trois ou quatre cannes de mil, selon sa « chance », suivant que son premier-né est un garçon ou une fille. Tout le monde rentre chez soi.
      Le « charivari », propre aux fêtes du Nouvel An, commence ; cris stridents, youyou des femmes ; calebasses ou cuvettes en émail entrechoquées ; puis, tout rentre dans le silence, il fait nuit noire, la lune a disparu.
Cette présentation du Miya-bo à la lune nouvelle est propre à Ngakédjé et à Sanguelé, au canton voisin de Djoli. Dans la symbolique générale des religions, la lune est toujours plus ou moins en relation avec les « défunts ». Même si on ne les a pas spécialement invoqués, cette première offrande d’épis à la lune n’en est pas moins hautement significative.
      La fête publique a lieu le lendemain après-midi : elle attire régulièrement trois à quatre cents personnes venues de tout le canton de Balimba. Vers 15 heures, le Ngorgue, entouré de ses dignitaires et des chefs de terre du voisinage, s’avance en dansant, avec marches et contremarches, vers l’arbre sacré qui se trouve de l’autre côté de la piste, à une centaine de mètres de son enclos. Suivi de son ngobang et du porteur de reliques, puis des gens du hameau, ils vont faire trois ou quatre fois le tour de l’arbre sacré, puis assis à son pied, ils vont procéder aux libations de bière de mil, sur un monticule de sable, évasé au sommet, et préparé à cet effet. Le Ngorgue prononce un bref discours : « S’il préside aujourd’hui cette fête du Nouvel an, la « lune des Sar », c’est pour suivre la coutume et continuer les rites (bessi) légués par les « ancêtres ». Ces rites, bien observés, doivent éloigner les épidémies, assurer de bonnes récoltes, des pêches abondantes, permettre aux femmes d’avoir de nobmreux enfants » Le ngobang émet des vœux analogues, ils il verse une calebasse de bière au somme du cône de sable et en canalise la coulée aux quatre points cardinaux, en l’honneur des ancêtres. Les défunts, ayant eu leur part, les vivant speuvent boire à leur tour. Le Ngorgue d’abord, puis tous les autres dignitaires boivent à tour de rôle à la même calebasse. Le sens de cette libation dans le cône de sable est clair :
      Le sorgho hâtif (godji) est la tête de toutes les récoltes et à ce titre, dangereux ; il doit être consacré par un rite : c’est pourquoi la bière, confectionnée avec les grains de godji est offerte par le Ngorgue aux « ancêtres défunts », avant que les vivants puissent la consommer sans danger.
Bénédiction avec les reliques. Au coucher du soleil, ceux qui ont des souhaits personnels (réussite à un examen, emploi à trouver, etc.) se rendent au fond du petit bois, derrière l’arbre sacré, devant la paillotte aux reliques. Ils déposent leurs offrandes, épis de sorgho, pièces de monnaie, exposent leurs désirs et le Ngué-bessi leur frappe deux fois le front avec la petite massue (belague) et une fois avec la patte de civette (guedé).
      Ces deux objets sacrés n’ont que peu de rapport avec le nom qui les désigne. Le petite marteau, en peau de biche-cochon, contient, dit-on, des pierres tombées du ciel et il est enfermé, comme la patte de civette, dans un panier rond dont le couvercle est orné de cauris, de petits coquillages marins, (oulague, belague) qui servaient autrefois de monnaie à travers l’Afrique. Quant au guedé, il désigne un arbre de savane qui jouait autrefois le rôle de refuge pour le criminel ; si ce dernier l’enserrait de ses bras, en invoquant son aide, on ne pouvait le tuer.
Le Gorgue Hori et le Mbang Day
      Déjà de son temps, le ngorgue Nambatengar (+ 1978) ne se reconnaissait pas de lien d’allégeance avec le Roi de Bédaya. Il allait jusqu’à rappeler que lors de la dernière razzia de Mamat Abou Sékkine en 1884 à Bédaya en pleine sémailles, Mougode, le Mbang de Bédaya, fugitif, fut accueilli par Kindé son ancêtre près de Bémouli. Son ancêtre lui avait alors accordé sept villages des environs, pour y faire observer sa coutume ».
      L’importance de Ngakédjé réside dans le fait que la fête du Nouvel An, qui est en même temps la fête des ancêtres défunts, est la plus populaire chez les Sarh de l’est, ceux qui dépende de Bédaya (Koumogo, Balimba et Djoli). La veille au soir, chaque père de famille dépose au pied de son lit boule de mil et calebasse de bière, pour que les défunts puissent manger et boire pendant la nuit. Le lendemain, il tuera poulet ou cabri et festoiera avec tous les siens. Or, le Ngorgue Hori est le seul dans sa région à célébrer lui-même avec éclat cette fête de la « lune sar ». A Bédaya, le Roi ne se montre pas et se borne à faire en privé des offrandes aux Mbang défunts.

      Le Ngorgue ne se rend jamais à Bédaya pour la fête des sémailles. Il ne fait qu’envoyer un panier de petit mil pour les boules rituelles. En retour, le Mbang lui envoie un bouc et un panier de millet, en septembre quand il célèbre la Na-bol, fête de la croissance des épis.

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