vendredi 24 juin 2016

Tchad : Faut-il repenser le bilinguisme ? (par Pascal Djimoguinan)

            Il est des sujets au Tchad où le commun des mortels perd toute objectivité lorsqu’il consent à l’aborder. Tel est le cas du bilinguisme. Très vite, il y a un amalgame et il devient très vite impossible de mener un débat constructif. Or il s’agit d’un sujet qui concerne la construction d’une nation. Au Tchad, il s’agit de faire mémoire d’’’un avenir à construire ensemble et pour cela, il faut savoir avancer sans tabou, cherchant ce qui peut aider. Une fois que l’on a réussi à se débarrasser de toutes les pesanteurs culturelles et socioreligieuses, que peut-ont dire du bilinguisme au Tchad ?
            Au Tchad comme partout ailleurs, on ne vit pas en vase clos ; nul n’est comme une ile dans la mer. Il s’agit donc de regarder autour de nous pour voir ce qui se vit avec beaucoup de bonheur.
            Nous avons l’exemple de quelques grandes démocraties qui vivent le bilinguisme et qui pourraient nous servir de paradigme. Il s’agit du Canada, de la Belgique et de la Suisse.
            Le Canada vit le bilinguisme (anglais et français) en développant des législation et des politiques qui qui mettent en œuvre le statut égal du français et de l’anglais au niveau national tout en protégeant les droits des minorités anglophones ou francophones dans les différentes provinces. Sur le plan pratique, cela comprend quatre grands points à savoir :
·         l'obligation pour le gouvernement fédéral de gérer ses affaires à la fois en français et en anglais et le droit pour les usagers de recevoir les services de l'administration dans l'une des deux langues ;
·         l'encouragement des autres niveaux de gouvernement (les provinces et territoires, mais également les municipalités) à fournir des services dans les deux langues ;
·         l'obligation pour certains acteurs privés à fournir des indications dans les deux langues (comme l'étiquetage des produits alimentaires par exemple) ;
·         le soutien aux acteurs non-gouvernementaux qui encouragent ou promeuvent le statut de l'une ou l'autre des langues officielles (ce qui inclut un soutien aux organisations de la minorité anglophone au Québec et à celles de la minorité francophone ailleurs).
En Belgique, le bilinguisme a suivi les vicissitudes de l’histoire. A la naissance de la Belgique, il y a eu une révolution contre le Pays-Bas (1830) ; c’était la bourgeoisie en grande partie francophone qui se tournait contre un pays néerlandophone. En 1898, le flamand devenait une langue officielle en Belgique. Les francophones, prenant peur que le flamand ne deviennent obligatoire pour eux, ont favorisé la loi de 1921 qui dit que la langue serait limitée, basée sur un territoire. C’est ainsi que petit à petit, on verra se mettre en place les trois communes linguistiques. A partir de 1932, la langue flamande est devenue obligatoire dans les écoles flamandes. Aujourd’hui, la situation linguistique de la Belgique peut se résumer ainsi : les langues officielles sont le français qu’on parle en Wallonie au sud de la Belgique, le néerlandais au nord de la Belgique et l’allemand à l’est.
            En Suisse, la question des langues est une composante culturelle et politique essentielle. Il y a quatre langues parlées en Suisse : le français, l’allemand, l’italien et le romanche. Seules les trois premières sont en usage officiel pour les rapports à la confédération et aux cantons. Le territoire national est découpé en quatre zones linguistiques. La langue majoritaire y détermine la langue en usage. La constitution fédérale fixe quatre principes : l'égalité des langues, la liberté des citoyens en matière de langue, la territorialité des langues et la protection des langues minoritaires.
           La vue cavalière de ces trois pays parlant plusieurs langues officielles pourrait aider le Tchad à sortir de son bourbier. Il y a des pays qui reviennent dans tous les pays cités quand il s’agit des langues officielles :
- L’égalité des langues : cela signifie que dans l’administration, les langues officielles se valent ;
- La liberté des citoyens en matière de langue : on ne devrait pas obliger un citoyen à étudier une autre langue en plus de la langue officielle qu’il parle. Il est libre d’apprendre une autre langue et on ne devrait pas lui demander s’il est quand même tchadien quand il ne parle pas l’autre langue officielle.
- L’Etat a l’obligation de respecter le droit pour les usagers de recevoir les services de l'administration dans l'une des deux langues
- Et si l’on disait qu’au Tchad, la langue officielle majoritaire déterminait la langue en usage ? C’est ici que nous touchons le point qui fâche. Il ne faut pas imposer une langue inconnue dans un milieu qui ne la parle pas. Ainsi pour les affections des fonctionnaires, il faudra tenir compte de leur formation pour éviter des créer des impairs. Chacun à la place qu’il faut et tous construirons le pays.

            La question du bilinguisme est une épine au pied du Tchad mais seul un débat sans passion et rationnel peut aider à avancer. Ne pas prendre l’utilisation de l’arabe et du français dans l’administration comme un problème religieux mais plutôt comme un problème pratique. Ne pas confondre l’arabe littéraire qui est la langue officielle et l’arabe dialectal qui est une langue nationale comme toutes les autres langues parlées dans le pays. Le débat continue…

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