« MARCHONS
ENSEMBLE DANS LA VERITE » |
«
Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la
vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jn
18, 37).
Chers frères et sœurs
dans le Christ,
Hommes et femmes de
bonne volonté !
1. La fête de Noël est la
célébration de l’événement joyeux de la naissance de Jésus, le Fils de Dieu.
C’est lui, « la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde »
(Jn 1, 9). Malgré les problèmes, nous sommes convaincus que les ténèbres de ce
monde, bien qu’épaisses, peuvent retarder mais ne jamais empêcher cette Lumière
de briller pour éclairer les hommes (cf. Jn 1, 5). Dieu donne à tous ceux qui
accueillent cette révélation le pouvoir de devenir ses enfants (cf. Jn 1, 12)
et la joie de vivre dans la paix comme frères et sœurs. Cependant, cette paix
n’advient pas sur notre terre, sans un long et patient travail initié par des
hommes et des femmes épris de justice et de vérité.
2. Dans notre Message de Noël
2021, nous avons invité tous les croyants, hommes et femmes de bonne volonté, à
cultiver l’espérance. Cette espérance est ravivée chaque année par la
célébration de la Nativité de Jésus. Cette année, nous vous adressons encore un
message d’espérance mais centré sur la nécessité et la beauté de marcher
ensemble dans la vérité. En effet, c’est le seul chemin qui peut nous conduire
à la liberté, à la paix profonde et durable.
Qu’entendons-nous par vérité ?
3. Pour nous chrétiens, la
vérité n’est pas une idée, mais une personne. Jésus lui-même s’est présenté
comme « Chemin, Vérité et Vie » (cf. Jn 14, 6). En outre, il nous révèle que si
nous demeurons fidèles à sa parole, nous connaîtrons la vérité et la vérité
nous rendra libres (cf. Jn 8, 31-32).
4. Saint Paul nous invite à
nous « Débarrasser du mensonge, et à dire la vérité, chacun à son prochain,
parce que nous sommes membres les uns des autres » (Eph 4, 25). C’est ainsi
que, dans la mission qui nous est confiée de défendre et de répandre cette
vérité, nous prenons la parole, certes avec un peu d’audace, mais toujours dans
le but d’être de véritables artisans de paix. En effet, « Qui fait des clins
d’œil provoque des troubles, qui reproche avec franchise fait œuvre de paix »
(Pr 10, 10).
I.
LES OPPORTUNITÉS DE MARCHER ENSEMBLE DANS LA VÉRITÉ
La nécessité de marcher
ensemble en Église
5. En vue de la célébration de
la prochaine Assemblée Ordinaire du Synode des Évêques convoquée par le Pape
François pour le mois d’octobre 2023, les Églises du monde entier ont été
appelées à une phase préparatoire d’écoute et de consultation. La réflexion sur
le thème du prochain Synode « Pour une Église synodale : communion,
participation, mission » a été au centre de nombreuses rencontres dans tous les
diocèses de notre Eglise Famille de Dieu qui est au Tchad durant l’année
pastorale 2021-2022.
6. Le mot « Synode » signifie « Marcher
ensemble ». Un Père de l’Église, St Jean Chrysostome disait : « Église et
Synode sont synonymes » parce que l’Eglise n’est autre que le « Marcher
ensemble » du peuple de Dieu sur les sentiers de l’histoire à la rencontre du
Christ Seigneur.
7. Beaucoup de personnes « ont
éprouvé, chemin faisant, la joie de se rencontrer en tant que frères et sœurs
dans le Christ, de partager ce que l’écoute de la Parole a fait résonner en
elles et de s’interroger sur l’avenir de l’Église […]. Cela a nourri en elles
le désir d’une Église de plus en plus synodale : la synodalité a cessé d’être
pour eux un concept abstrait et a pris le visage d’une expérience concrète ;
elles en ont goûté la saveur et veulent continuer à le faire. À travers ce
processus, elles ont découvert que la synodalité est une manière d’être Église
; en fait c’est la manière » (Document de travail pour l’étape Continentale, n°
3).
8. Aussi, pour que l’Église
devienne davantage communion et participation, elle doit travailler en synergie
dans tous les domaines de sa mission. Laïcs, Religieux, Religieuses, Prêtres,
Évêques et Pape doivent discerner de nouvelles routes pour ce « Marcher
ensemble ». Marcher ensemble est un concept facile à exprimer en paroles, mais
difficile à mettre en pratique pour annoncer fidèlement l’Evangile à toute
l’humanité.
9. La communion entre pasteurs
et fidèles pour le maintien, la pratique et la profession de la foi, dont nous
avons pu faire une vive expérience cette année, peut devenir une force
d’espérance capable de susciter, même en dehors des frontières de l’Église, le
désir d’un véritable consensus dans tous les domaines de la vie pour une
authentique renaissance de notre pays le Tchad.
Le dialogue, chemin du vivre
ensemble
10. Le dialogue n’est pas un
phénomène nouveau pour le peuple tchadien. Nos traditions considèrent l’arbre à
palabres comme lieu de rassemblement, d’écoute mutuelle, de concertation et
d’orientation pour organiser et promouvoir le vivre ensemble. Dans l’histoire
récente de notre pays, nous rappelons l’organisation de la Conférence Nationale
Souveraine (CNS) de 1993 qui a été une expérience d’écoute mutuelle, au moins,
dans sa forme.
11. Après une trentaine
d’années, le besoin de se retrouver au dialogue s’est fait sentir suite aux
modifications de la Constitution issue de la CNS à des fins politiques. C’est
ainsi qu’après la mort tragique du Président Idriss Deby Itno, le dialogue
était une opportunité pour trouver des solutions aux problèmes du peuple
tchadien. Ce désir d’aller au dialogue exprime la bonne volonté des fils et
filles du Tchad de trouver un cadre idéal pour diagnostiquer dans un climat de
fraternité et d’écoute mutuelle, tous les maux qui minent leur pays et
empêchent son développement socio-économique, culturel et politique. Pour de
nombreux tchadiens, le Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) devait
permettre, dans un débat franc et sincère, de jeter les jalons d’un Tchad
nouveau, solide et démocratique.
12. A travers ce dialogue, le
peuple tchadien voulait démontrer sa capacité de se rencontrer au-delà de ses
diversités, de s’exprimer librement et de s’écouter. Pendant le déroulement du
DNIS, des Tchadiens courageux, animés d’un fort sentiment patriotique, ont
saisi cette occasion unique pour exprimer leur détermination et leur ambition
de voir renaître un Tchad nouveau, dans lequel tous les Tchadiens
bénéficieraient des mêmes droits et devoirs.
13. Comme la plupart de
tchadiens, nous aussi, Evêques du Tchad, avons cru au DNIS et l’avons pris au
sérieux. Pendant des mois, nous nous y sommes préparés à travers la prière et
la réflexion. Nous y avons pris part puisque pour nous, « Le dialogue social
authentique suppose la capacité de respecter le point de vue de l’autre en
acceptant la possibilité qu’il contienne quelque conviction ou intérêt
légitime. De par son identité, l’autre a quelque chose à apporter. Et il est
souhaitable qu’il approfondisse ou expose son point de vue pour que le débat
public soit encore plus complet. Certes, lorsqu’une personne ou un groupe est
cohérent avec ce qu’il pense, adhère fermement à des valeurs ainsi qu’à des
convictions et développe une pensée, ceci profitera d’une manière ou d’une
autre à la société. Mais cela ne s’accomplit que dans la mesure où le processus
en question se réalise dans le dialogue et dans un esprit d’ouverture aux
autres » (Pape François, Fratelli tutti, n° 203).
14. Malheureusement, le
caractère inclusif et souverain du dialogue n’a pas été respecté. De surcroit,
la révision de la Charte de transition n’a pas été à la hauteur des espérances
du peuple tchadien.
II. LES MANQUEMENTS À LA MARCHE ENSEMBLE DANS
LA VÉRITÉ
Au niveau de l’Église
15. Tout au long de la phase
consultative du Synode, nous avons pris conscience des obstacles qui entravent
notre « marche ensemble ». Nous avons relevé, en particulier, le manque
d’écoute, les dérives autoritaires dans nos communautés chrétiennes, l’absence
des réunions de concertation, l’individualisme, le manque d’engagement dans la
vie de l’Église.
16. Les manquements à la
correction fraternelle dans nos communautés font que la vérité se dit 3 à
demi-mots par peur de représailles. Pourtant, Jésus nous invite explicitement à
reprendre notre frère, s’il fait quelque chose de mal : « Si ton frère vient à
pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné
ton frère » (Mt 18, 15).
17. Par ailleurs, malgré le
nombre important des femmes présentes et actives dans nos communautés, le poids
de la tradition fait qu’elles sont moins écoutées et n’occupent que peu de
place dans les instances décisionnelles. Jésus ressuscité nous montre la voie à
suivre, par sa considération et sa confiance aux femmes en les envoyant
annoncer la Bonne Nouvelle (cf. Lc 24, 1-12).
Au niveau des acteurs
politiques, des gouvernants et de la société civile
18. Les manquements les plus
préoccupants s’observent, surtout, chez les acteurs politiques et les
gouvernants. Pendant une trentaine d’années, le pouvoir est confisqué et
considéré comme un butin de guerre. Tous les moyens sont utilisés à cette fin :
manipulation de la vérité, non-respect des lois de la République, clientélisme,
achat de conscience, tout cela au détriment de la population qui continue à
croupir dans la misère, à être victime des représailles et tueries.
19. Au lieu de s’attaquer aux
vrais problèmes que sont notamment la mauvaise gouvernance, les injustices, les
inégalités et le chômage, on préfère se voiler la face en déplaçant les causes
des problèmes sur des terrains ethniques, régionaux et religieux. Les
événements du 20 octobre dernier et leur exploitation sont une illustration de
la manipulation de la vérité. Tout cela constitue un déni de démocratie et
affecte la confiance du peuple envers ses dirigeants.
20. Nous constatons aussi que
certains groupes de la société civile se laissent prendre au piège de la corruption
et de l’avidité. Au lieu de poursuivre leurs objectifs premiers, ils les
trahissent et perdent toute autonomie d’action en cédant aux facilités.
III.
PASSER DE LA CULTURE DU MENSONGE À LA CULTURE DE LA VÉRITÉ
21. Avec le psalmiste, nous voudrions vous
inviter à passer de la culture du mensonge à celle de la vérité : « Seigneur,
qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera ta sainte montagne ? Celui qui se
conduit parfaitement, qui agit avec justice et dit la vérité selon son cœur. Il
met un frein à sa langue, ne fait pas de tort à son frère et n'outrage pas son
prochain » (Ps 14, 1-3//Ps 15, 1-3). Cette parole du psalmiste, Jésus la
confirme : « la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32).
Aux fidèles chrétiens
22. Toute la vie de Jésus est
ainsi révélée comme l’avènement de la Vérité que l’Évangile déploie sous vos
yeux. Votre attachement à Jésus, notre Sauveur, vous engage à combattre le
mensonge sous toutes ses formes et dans tous les domaines de la vie, notamment
sur le plan politique et socio-économique. C’est ainsi que nous pouvons adorer
« le Père en esprit et en vérité » (Jn 4, 23).
23. Dans votre recherche de la
vérité, le Seigneur ne vous laisse pas seuls, car il vous a consacrés dans la
vérité (cf. Jn 17, 17-19). Par conséquent, vous êtes appelés par le Christ à
lutter contre les ténèbres, en vivant comme les fils et filles de la lumière et
en témoignant de la vérité. En vous comportant ainsi, vous rendez un immense
service, non seulement à vous-mêmes, mais aussi à votre pays en rendant témoignage
à celui qui vous a appelés « des ténèbres à son admirable lumière » (1P 2, 9).
Aux familles
24. La famille est le lieu par
excellence pour l’accueil et la transmission de la vie ainsi que des valeurs
humaines. Chers parents, nous vous invitons à transmettre les valeurs
d’honnêteté, d’amour, de vérité et de respect de l’autre à vos enfants.
25. Pour faire face au danger
du repli identitaire, créez des lieux de rencontre et d’éducation dans vos
quartiers, paroisses et écoles. Ainsi, vous permettrez à vos enfants de grandir
ensemble dans le respect de leur différence régionale, ethnique, religieuse et
de construire l’avenir commun de la famille humaine.
Aux jeunes
26. Chers jeunes, nous savons
que vous désirez un Tchad juste, uni et prospère. Mais vos aspirations
légitimes sont continuellement réprimées et étouffées. Ayez confiance en Dieu
qui ne déçoit pas et ayez confiance en vous (cf. Rm 10, 11). Ne vous découragez
pas. Comme nous enseigne la Parole de Dieu, ne vous laissez pas vaincre par le
mal, mais soyez vainqueurs du mal par le bien (cf. Rm 12, 21). N’utilisez
jamais la violence pour résoudre vos problèmes. Cherchez la voie de la
non-violence. Cultivez les valeurs de fraternité, d’unité, de vérité, de
courage, du travail bien fait et du progrès. C’est ainsi que vous collaborerez
à l’œuvre créatrice de Dieu et au développement de notre pays.
Aux leaders religieux
27. L’homme de Dieu est
pleinement dans son rôle quand il prie pour le peuple, quand il l’instruit et
l’encourage. Il est aussi pleinement dans son rôle, quand il dénonce le mal
(Cf. 2 Tm 4, 2). « Le culte sincère et humble de Dieu, écrit le Pape François,
conduit non pas à la discrimination, à la haine et à la violence, mais au
respect de la sacralité de la vie, au respect de la dignité et de la liberté
des autres, et à l’engagement affectueux pour le bien-être de tous » (Fratelli
Tutti, n° 282).
28. Conscients de notre rôle
de « Collaborateurs de la vérité » (3 Jn, 8) et d’ambassadeurs du Christ pour
la réconciliation (cf. 2 Co 5, 20), nous réitérons notre disponibilité d’offrir
nos services pour toute démarche de réconciliation.
À la Société civile
29. La prise de position de
certaines organisations de la Société civile démontre une volonté manifeste de
défendre le droit des travailleurs, des consommateurs et des pauvres de notre
société tchadienne. Alors que les problèmes socio-économiques s’aggravent, nous
vous demandons de poursuivre vos actions. Continuez à vous mobiliser contre la
cherté de la vie, l’impunité et l’absence d’alternance démocratique. Assumez
pleinement votre rôle d’animateurs de développement, en étant une société
civile indépendante, crédible et porteuse d’espérance pour l’avenir de la
nation tchadienne. Continuez à entreprendre de manière légale des actions pour
qu’un Etat de droit soit instauré au Tchad.
Aux acteurs politiques
30. Parlant de la politique,
le Pape Pie XI disait aux universitaires : « La politique est la forme la plus
haute de la charité ». La vraie politique ne peut se passer d’exigences
morales. « Par rapport aux normes morales qui interdisent le mal intrinsèque,
écrit le Pape Jean-Paul II, il n'y a de privilège ni d'exception pour personne.
Que l'on soit le maître du monde ou le dernier des « misérables » sur la face
de la terre, cela ne fait aucune différence : devant les exigences morales,
nous sommes tous absolument égaux » (Veritatis splendor, n° 96).
31. Un leader politique doit
être exemplaire dans le respect des normes. Cultivez en vous l’amour de la
vérité pour gagner la confiance du peuple. Nous vous exhortons à toujours
privilégier l’intérêt général de la nation.
Aux gérants des institutions
de la Transition
32. Le rôle premier des
gouvernants est d’assurer le bien-être du peuple. Un bon gouvernant est un
homme de parole qui fixe des objectifs clairs et s’y tient. Mettez vos
compétences au service de la nation et non au service de vos intérêts
personnels et ceux de votre entourage. Prenez conscience que vous avez entre
vos mains les rênes d’un des pays figurant parmi les plus pauvres de la planète
et dans les derniers rangs de l’Indice de Développement Humain (IDH). Nous vous
invitons donc à écouter la voix des hommes et des femmes, issue de la base de
votre peuple et non seulement celle de votre entourage.
33. Les événements du 20
octobre dernier constituent une plaie ouverte au seuil de la seconde phase de
la transition. L’exploitation de ces événements caractérisée essentiellement
par le mensonge risque de conduire le pays dans le chaos. Aucune démocratie ne
peut se construire en voulant éliminer toute opposition.
À la Communauté internationale
et aux pays amis du Tchad
34. Nous sommes reconnaissants
pour l’attention que la Communauté internationale et les pays amis portent à
notre nation dans les moments difficiles de son histoire. Le rôle reconnu à la
Communauté internationale est de promouvoir la paix et la solidarité entre les
peuples.
35. C’est dans ce cadre que
doivent s’inscrire vos interventions pour accompagner le peuple tchadien vers
le développement durable en luttant contre la mal gouvernance et les injustices
qui sont sources d’insécurité et du terrorisme.
36. Cependant, que votre
attention ne s’arrête pas seulement au niveau des gouvernants, mais aussi au
peuple qui souffre. Aussi, nous vous invitons à plus de cohérence et
d’objectivité dans vos prises de position sur la situation du Tchad.
37. Chers frères et sœurs dans
le Christ, hommes et femmes de bonne volonté, ce message est le cri de notre
cœur de pasteurs pour qu’adviennent, dans notre pays, la vérité, la justice et
la fraternité. Que l’Enfant Jésus, Soleil levant, illumine nos chemins
nouveaux, notre chemin synodal et celui de la transition politique au Tchad !
Bonne fête de Noël et du
Nouvel An 2023 à toutes et à tous
DJITANGAR
GOETBE Edmond, archevêque
de N’Djamena, président de la CET
Miguel
Angel SEBASTIAN, évêque
de Sarh
Rosario
Pio RAMOLO,
évêque de Goré
Joachim
KOURALEYO TAROUNGA, évêque
de Moundou
Martin
WAÏNGUE BANI, évêque
de Doba
Nicolas
NADJI BAB, évêque de Laï
Philippe
ABBO CHEN, vicaire apostolique
de Mongo
Dominique
TINOUDJI, évêque de Pala
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