samedi 10 décembre 2022

LU POUR VOUS/MESSAGE DE NOËL 2022 DE LA CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES DU TCHAD


« MARCHONS ENSEMBLE DANS LA VERITE »

 

« Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jn 18, 37).

Chers frères et sœurs dans le Christ,

Hommes et femmes de bonne volonté !

1. La fête de Noël est la célébration de l’événement joyeux de la naissance de Jésus, le Fils de Dieu. C’est lui, « la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn 1, 9). Malgré les problèmes, nous sommes convaincus que les ténèbres de ce monde, bien qu’épaisses, peuvent retarder mais ne jamais empêcher cette Lumière de briller pour éclairer les hommes (cf. Jn 1, 5). Dieu donne à tous ceux qui accueillent cette révélation le pouvoir de devenir ses enfants (cf. Jn 1, 12) et la joie de vivre dans la paix comme frères et sœurs. Cependant, cette paix n’advient pas sur notre terre, sans un long et patient travail initié par des hommes et des femmes épris de justice et de vérité.

2. Dans notre Message de Noël 2021, nous avons invité tous les croyants, hommes et femmes de bonne volonté, à cultiver l’espérance. Cette espérance est ravivée chaque année par la célébration de la Nativité de Jésus. Cette année, nous vous adressons encore un message d’espérance mais centré sur la nécessité et la beauté de marcher ensemble dans la vérité. En effet, c’est le seul chemin qui peut nous conduire à la liberté, à la paix profonde et durable.

Qu’entendons-nous par vérité ?

3. Pour nous chrétiens, la vérité n’est pas une idée, mais une personne. Jésus lui-même s’est présenté comme « Chemin, Vérité et Vie » (cf. Jn 14, 6). En outre, il nous révèle que si nous demeurons fidèles à sa parole, nous connaîtrons la vérité et la vérité nous rendra libres (cf. Jn 8, 31-32).

4. Saint Paul nous invite à nous « Débarrasser du mensonge, et à dire la vérité, chacun à son prochain, parce que nous sommes membres les uns des autres » (Eph 4, 25). C’est ainsi que, dans la mission qui nous est confiée de défendre et de répandre cette vérité, nous prenons la parole, certes avec un peu d’audace, mais toujours dans le but d’être de véritables artisans de paix. En effet, « Qui fait des clins d’œil provoque des troubles, qui reproche avec franchise fait œuvre de paix » (Pr 10, 10).

I. LES OPPORTUNITÉS DE MARCHER ENSEMBLE DANS LA VÉRITÉ

La nécessité de marcher ensemble en Église

5. En vue de la célébration de la prochaine Assemblée Ordinaire du Synode des Évêques convoquée par le Pape François pour le mois d’octobre 2023, les Églises du monde entier ont été appelées à une phase préparatoire d’écoute et de consultation. La réflexion sur le thème du prochain Synode « Pour une Église synodale : communion, participation, mission » a été au centre de nombreuses rencontres dans tous les diocèses de notre Eglise Famille de Dieu qui est au Tchad durant l’année pastorale 2021-2022.

 6. Le mot « Synode » signifie « Marcher ensemble ». Un Père de l’Église, St Jean Chrysostome disait : « Église et Synode sont synonymes » parce que l’Eglise n’est autre que le « Marcher ensemble » du peuple de Dieu sur les sentiers de l’histoire à la rencontre du Christ Seigneur.

7. Beaucoup de personnes « ont éprouvé, chemin faisant, la joie de se rencontrer en tant que frères et sœurs dans le Christ, de partager ce que l’écoute de la Parole a fait résonner en elles et de s’interroger sur l’avenir de l’Église […]. Cela a nourri en elles le désir d’une Église de plus en plus synodale : la synodalité a cessé d’être pour eux un concept abstrait et a pris le visage d’une expérience concrète ; elles en ont goûté la saveur et veulent continuer à le faire. À travers ce processus, elles ont découvert que la synodalité est une manière d’être Église ; en fait c’est la manière » (Document de travail pour l’étape Continentale, n° 3).

8. Aussi, pour que l’Église devienne davantage communion et participation, elle doit travailler en synergie dans tous les domaines de sa mission. Laïcs, Religieux, Religieuses, Prêtres, Évêques et Pape doivent discerner de nouvelles routes pour ce « Marcher ensemble ». Marcher ensemble est un concept facile à exprimer en paroles, mais difficile à mettre en pratique pour annoncer fidèlement l’Evangile à toute l’humanité.

9. La communion entre pasteurs et fidèles pour le maintien, la pratique et la profession de la foi, dont nous avons pu faire une vive expérience cette année, peut devenir une force d’espérance capable de susciter, même en dehors des frontières de l’Église, le désir d’un véritable consensus dans tous les domaines de la vie pour une authentique renaissance de notre pays le Tchad.

Le dialogue, chemin du vivre ensemble

10. Le dialogue n’est pas un phénomène nouveau pour le peuple tchadien. Nos traditions considèrent l’arbre à palabres comme lieu de rassemblement, d’écoute mutuelle, de concertation et d’orientation pour organiser et promouvoir le vivre ensemble. Dans l’histoire récente de notre pays, nous rappelons l’organisation de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) de 1993 qui a été une expérience d’écoute mutuelle, au moins, dans sa forme.

11. Après une trentaine d’années, le besoin de se retrouver au dialogue s’est fait sentir suite aux modifications de la Constitution issue de la CNS à des fins politiques. C’est ainsi qu’après la mort tragique du Président Idriss Deby Itno, le dialogue était une opportunité pour trouver des solutions aux problèmes du peuple tchadien. Ce désir d’aller au dialogue exprime la bonne volonté des fils et filles du Tchad de trouver un cadre idéal pour diagnostiquer dans un climat de fraternité et d’écoute mutuelle, tous les maux qui minent leur pays et empêchent son développement socio-économique, culturel et politique. Pour de nombreux tchadiens, le Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) devait permettre, dans un débat franc et sincère, de jeter les jalons d’un Tchad nouveau, solide et démocratique.

12. A travers ce dialogue, le peuple tchadien voulait démontrer sa capacité de se rencontrer au-delà de ses diversités, de s’exprimer librement et de s’écouter. Pendant le déroulement du DNIS, des Tchadiens courageux, animés d’un fort sentiment patriotique, ont saisi cette occasion unique pour exprimer leur détermination et leur ambition de voir renaître un Tchad nouveau, dans lequel tous les Tchadiens bénéficieraient des mêmes droits et devoirs.

13. Comme la plupart de tchadiens, nous aussi, Evêques du Tchad, avons cru au DNIS et l’avons pris au sérieux. Pendant des mois, nous nous y sommes préparés à travers la prière et la réflexion. Nous y avons pris part puisque pour nous, « Le dialogue social authentique suppose la capacité de respecter le point de vue de l’autre en acceptant la possibilité qu’il contienne quelque conviction ou intérêt légitime. De par son identité, l’autre a quelque chose à apporter. Et il est souhaitable qu’il approfondisse ou expose son point de vue pour que le débat public soit encore plus complet. Certes, lorsqu’une personne ou un groupe est cohérent avec ce qu’il pense, adhère fermement à des valeurs ainsi qu’à des convictions et développe une pensée, ceci profitera d’une manière ou d’une autre à la société. Mais cela ne s’accomplit que dans la mesure où le processus en question se réalise dans le dialogue et dans un esprit d’ouverture aux autres » (Pape François, Fratelli tutti, n° 203).

14. Malheureusement, le caractère inclusif et souverain du dialogue n’a pas été respecté. De surcroit, la révision de la Charte de transition n’a pas été à la hauteur des espérances du peuple tchadien.

 II. LES MANQUEMENTS À LA MARCHE ENSEMBLE DANS LA VÉRITÉ

Au niveau de l’Église

15. Tout au long de la phase consultative du Synode, nous avons pris conscience des obstacles qui entravent notre « marche ensemble ». Nous avons relevé, en particulier, le manque d’écoute, les dérives autoritaires dans nos communautés chrétiennes, l’absence des réunions de concertation, l’individualisme, le manque d’engagement dans la vie de l’Église.

16. Les manquements à la correction fraternelle dans nos communautés font que la vérité se dit 3 à demi-mots par peur de représailles. Pourtant, Jésus nous invite explicitement à reprendre notre frère, s’il fait quelque chose de mal : « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère » (Mt 18, 15).

17. Par ailleurs, malgré le nombre important des femmes présentes et actives dans nos communautés, le poids de la tradition fait qu’elles sont moins écoutées et n’occupent que peu de place dans les instances décisionnelles. Jésus ressuscité nous montre la voie à suivre, par sa considération et sa confiance aux femmes en les envoyant annoncer la Bonne Nouvelle (cf. Lc 24, 1-12).

Au niveau des acteurs politiques, des gouvernants et de la société civile

18. Les manquements les plus préoccupants s’observent, surtout, chez les acteurs politiques et les gouvernants. Pendant une trentaine d’années, le pouvoir est confisqué et considéré comme un butin de guerre. Tous les moyens sont utilisés à cette fin : manipulation de la vérité, non-respect des lois de la République, clientélisme, achat de conscience, tout cela au détriment de la population qui continue à croupir dans la misère, à être victime des représailles et tueries.

19. Au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes que sont notamment la mauvaise gouvernance, les injustices, les inégalités et le chômage, on préfère se voiler la face en déplaçant les causes des problèmes sur des terrains ethniques, régionaux et religieux. Les événements du 20 octobre dernier et leur exploitation sont une illustration de la manipulation de la vérité. Tout cela constitue un déni de démocratie et affecte la confiance du peuple envers ses dirigeants.

20. Nous constatons aussi que certains groupes de la société civile se laissent prendre au piège de la corruption et de l’avidité. Au lieu de poursuivre leurs objectifs premiers, ils les trahissent et perdent toute autonomie d’action en cédant aux facilités.

III. PASSER DE LA CULTURE DU MENSONGE À LA CULTURE DE LA VÉRITÉ

 21. Avec le psalmiste, nous voudrions vous inviter à passer de la culture du mensonge à celle de la vérité : « Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera ta sainte montagne ? Celui qui se conduit parfaitement, qui agit avec justice et dit la vérité selon son cœur. Il met un frein à sa langue, ne fait pas de tort à son frère et n'outrage pas son prochain » (Ps 14, 1-3//Ps 15, 1-3). Cette parole du psalmiste, Jésus la confirme : « la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32).

Aux fidèles chrétiens

22. Toute la vie de Jésus est ainsi révélée comme l’avènement de la Vérité que l’Évangile déploie sous vos yeux. Votre attachement à Jésus, notre Sauveur, vous engage à combattre le mensonge sous toutes ses formes et dans tous les domaines de la vie, notamment sur le plan politique et socio-économique. C’est ainsi que nous pouvons adorer « le Père en esprit et en vérité » (Jn 4, 23).

23. Dans votre recherche de la vérité, le Seigneur ne vous laisse pas seuls, car il vous a consacrés dans la vérité (cf. Jn 17, 17-19). Par conséquent, vous êtes appelés par le Christ à lutter contre les ténèbres, en vivant comme les fils et filles de la lumière et en témoignant de la vérité. En vous comportant ainsi, vous rendez un immense service, non seulement à vous-mêmes, mais aussi à votre pays en rendant témoignage à celui qui vous a appelés « des ténèbres à son admirable lumière » (1P 2, 9).

Aux familles

24. La famille est le lieu par excellence pour l’accueil et la transmission de la vie ainsi que des valeurs humaines. Chers parents, nous vous invitons à transmettre les valeurs d’honnêteté, d’amour, de vérité et de respect de l’autre à vos enfants.

25. Pour faire face au danger du repli identitaire, créez des lieux de rencontre et d’éducation dans vos quartiers, paroisses et écoles. Ainsi, vous permettrez à vos enfants de grandir ensemble dans le respect de leur différence régionale, ethnique, religieuse et de construire l’avenir commun de la famille humaine.

Aux jeunes

26. Chers jeunes, nous savons que vous désirez un Tchad juste, uni et prospère. Mais vos aspirations légitimes sont continuellement réprimées et étouffées. Ayez confiance en Dieu qui ne déçoit pas et ayez confiance en vous (cf. Rm 10, 11). Ne vous découragez pas. Comme nous enseigne la Parole de Dieu, ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais soyez vainqueurs du mal par le bien (cf. Rm 12, 21). N’utilisez jamais la violence pour résoudre vos problèmes. Cherchez la voie de la non-violence. Cultivez les valeurs de fraternité, d’unité, de vérité, de courage, du travail bien fait et du progrès. C’est ainsi que vous collaborerez à l’œuvre créatrice de Dieu et au développement de notre pays.

Aux leaders religieux

27. L’homme de Dieu est pleinement dans son rôle quand il prie pour le peuple, quand il l’instruit et l’encourage. Il est aussi pleinement dans son rôle, quand il dénonce le mal (Cf. 2 Tm 4, 2). « Le culte sincère et humble de Dieu, écrit le Pape François, conduit non pas à la discrimination, à la haine et à la violence, mais au respect de la sacralité de la vie, au respect de la dignité et de la liberté des autres, et à l’engagement affectueux pour le bien-être de tous » (Fratelli Tutti, n° 282).

28. Conscients de notre rôle de « Collaborateurs de la vérité » (3 Jn, 8) et d’ambassadeurs du Christ pour la réconciliation (cf. 2 Co 5, 20), nous réitérons notre disponibilité d’offrir nos services pour toute démarche de réconciliation.

À la Société civile

29. La prise de position de certaines organisations de la Société civile démontre une volonté manifeste de défendre le droit des travailleurs, des consommateurs et des pauvres de notre société tchadienne. Alors que les problèmes socio-économiques s’aggravent, nous vous demandons de poursuivre vos actions. Continuez à vous mobiliser contre la cherté de la vie, l’impunité et l’absence d’alternance démocratique. Assumez pleinement votre rôle d’animateurs de développement, en étant une société civile indépendante, crédible et porteuse d’espérance pour l’avenir de la nation tchadienne. Continuez à entreprendre de manière légale des actions pour qu’un Etat de droit soit instauré au Tchad.

Aux acteurs politiques

30. Parlant de la politique, le Pape Pie XI disait aux universitaires : « La politique est la forme la plus haute de la charité ». La vraie politique ne peut se passer d’exigences morales. « Par rapport aux normes morales qui interdisent le mal intrinsèque, écrit le Pape Jean-Paul II, il n'y a de privilège ni d'exception pour personne. Que l'on soit le maître du monde ou le dernier des « misérables » sur la face de la terre, cela ne fait aucune différence : devant les exigences morales, nous sommes tous absolument égaux » (Veritatis splendor, n° 96).

31. Un leader politique doit être exemplaire dans le respect des normes. Cultivez en vous l’amour de la vérité pour gagner la confiance du peuple. Nous vous exhortons à toujours privilégier l’intérêt général de la nation.

Aux gérants des institutions de la Transition

32. Le rôle premier des gouvernants est d’assurer le bien-être du peuple. Un bon gouvernant est un homme de parole qui fixe des objectifs clairs et s’y tient. Mettez vos compétences au service de la nation et non au service de vos intérêts personnels et ceux de votre entourage. Prenez conscience que vous avez entre vos mains les rênes d’un des pays figurant parmi les plus pauvres de la planète et dans les derniers rangs de l’Indice de Développement Humain (IDH). Nous vous invitons donc à écouter la voix des hommes et des femmes, issue de la base de votre peuple et non seulement celle de votre entourage.

33. Les événements du 20 octobre dernier constituent une plaie ouverte au seuil de la seconde phase de la transition. L’exploitation de ces événements caractérisée essentiellement par le mensonge risque de conduire le pays dans le chaos. Aucune démocratie ne peut se construire en voulant éliminer toute opposition.

À la Communauté internationale et aux pays amis du Tchad

34. Nous sommes reconnaissants pour l’attention que la Communauté internationale et les pays amis portent à notre nation dans les moments difficiles de son histoire. Le rôle reconnu à la Communauté internationale est de promouvoir la paix et la solidarité entre les peuples.

35. C’est dans ce cadre que doivent s’inscrire vos interventions pour accompagner le peuple tchadien vers le développement durable en luttant contre la mal gouvernance et les injustices qui sont sources d’insécurité et du terrorisme.

36. Cependant, que votre attention ne s’arrête pas seulement au niveau des gouvernants, mais aussi au peuple qui souffre. Aussi, nous vous invitons à plus de cohérence et d’objectivité dans vos prises de position sur la situation du Tchad.

37. Chers frères et sœurs dans le Christ, hommes et femmes de bonne volonté, ce message est le cri de notre cœur de pasteurs pour qu’adviennent, dans notre pays, la vérité, la justice et la fraternité. Que l’Enfant Jésus, Soleil levant, illumine nos chemins nouveaux, notre chemin synodal et celui de la transition politique au Tchad !

Bonne fête de Noël et du Nouvel An 2023 à toutes et à tous

DJITANGAR GOETBE Edmond, archevêque de N’Djamena, président de la CET

Miguel Angel SEBASTIAN, évêque de Sarh

Rosario Pio RAMOLO, évêque de Goré

Joachim KOURALEYO TAROUNGA, évêque de Moundou

Martin WAÏNGUE BANI, évêque de Doba

Nicolas NADJI BAB, évêque de Laï

Philippe ABBO CHEN, vicaire apostolique de Mongo

Dominique TINOUDJI, évêque de Pala

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