mercredi 7 décembre 2022

La longue et progressive autonomisation de la femme tchadienne (par Pascal Djimoguinan)

 Notre réflexion sur la situation de la femme tchadienne aujourd’hui partira d’un problème de vocabulaire avant de s’étendre sur la progression que connait la femme tchadienne par rapport à son « être citoyen ». En parlant de la femme tchadienne, il y a un abus de langage qu’il faudra tout de suite corriger. Nous ne parlerons que des femmes originaires du Sud du pays dont nous sommes plus familiers de vécu. Il faudrait qu’une autre réflexion se fasse sur celle du Centre et du Nord du pays pour compléter le tableau que nous donnons.

1 Question de vocabulaire :

En voulant parler de la situation de la femme tchadienne, un problème de vocabulaire s’est d’emblée posé et il nous a fallu faire un choix.

- Emancipation : C’est le premier mot qui s’est présenté à nous. Il nous a paru très adéquat au départ mais nous l’avons rejeté parce qu’il nous donne l’impression d’exprimer un état fixe à atteindre.

- Libération de la femme tchadienne : Le deuxième mot qui s’est présenté est la libération de la femme. Nous aurions pu l’utiliser mais nous aurions été très vite rattrapés par l’actualité. Ce mot est chargé ; l’ombre du féminisme avec ses différents courants se profile. Il nous fallait un mot plus neutre, non parce que nous ne voulons pas nous engager, mais parce que nous voulons réfléchir en englobant toute la réalité.

- Autonomisation : Finalement nous avons préféré ce mot aux autres puisque d’abord cela son sens même, veut dire « se donner la loi », c’est-à-dire, avoir un comportement basé sur des règles choisies en toute liberté. En plus, ce mot donne l’idée d’un processus. Tout cela que ce mot a notre préférence dans cette réflexion.

2 L’autonomisation en question :

- Le parcours de la femme tchadienne pour écrire son autonomisation n’est pas un long fleuve tranquille. C’est un chemin escarpé sur lequel il y a des obstacles contre lesquels il a fallu et il faut s’y reprendre plusieurs fois avant d’avancer. Parmi les obstacles sur lesquels la femme tchadienne bute, il y a la tradition.

La tradition constitue un élément essentiel de la vie humaine. Malheureusement, elle fait parfois intégrer des attitudes et des comportements qui, en réalité, ne sont pas porteurs. Ainsi donc, la femme au Sud du Tchad a intégré que son développement normal doit se faire à l’ombre de l’homme. C’est comme si la maturité de la femme se fait grâce à un tuteur permanent. Cela a une incidence sur toutes les activités de la femme.

Enfant, elle travaille dans les champs des parents, puis mariée, dans celui de son mari. Elle ne peut donc pas gérer par elle-même le produit de son travail. Elle ne possède pas de grenier, si bien qu’elle faire le commerce, et elle le fait bien, mais elle le fait pour son père, pour ses frères ou pour son mari. Elle ne pouvait donc pas avoir une activité productrice de revenu pour son propre compte.

Cette conception de dépendance par rapport au mari était si forte qu’au début des indépendance, le salaire de la femme qui avait un emploi (elles étaient très peu nombreuses), appartenait à son mari, et elle ne pouvait pas en user comme elle le voudrait.

Avec l’indépendance, vers la fin des années 70 surtout, l’idée de l’émancipation de la femme tchadienne était à l’ordre du jour. Cependant, cette idée était comprise comme une chose qui se passe sous la tutelle de l’homme. La politique semblait lâcher du lest, mais en réalité, c’était une liberté contrôlée. L’émancipation se faisait pour autant qu’elle ne remettait pas en cause l’emprise de l’homme. Il faut signaler que cette idée se développait dans la même période où la politique de l’authenticité se mettait en place. Il fallait revenir à la tradition et cela se passait avec l’idée de la femme qui devait plier l’échine (dans le vrai sens du mot puisque, pour donner de l’eau à un homme ou pour le saluer, la femme devait s’asseoir respectueusement pour le faire…)

 - La rupture va avoir lieu involontairement pour l’homme. Ce sont les circonstances qui vont créer les conditions à cette autonomisation de la femme.

On peut situer la période de cette rupture en 1979. C’est l’année où ont commencé ce qu’on appelle pudiquement au Tchad, les événements. Avec la guerre civile en pleine capitale, la majorité de la population originaire du Sud du pays a dû se replier dans l’arrière-pays où elle a ses origines, donnant ainsi un sens politique à une appellation géographique : « La zone méridionale ».

Avec ce repli, et les salaires étant coupés, il a fallu réinventer toute l’économie ménagère. Ce sont les femmes qui ont pris la situation en main. Entreprenantes et vigoureuses, elles ont pris sur elles de faire bouillir la marmite. Ce qui a commencé comme une solution de circonstance, va changer toute la société. La femme va commencer à gagner son autonomie, d’abord financière, puis le reste suivra. Avec l’argent qu’elles arrivent à gagner, les femmes vont entreprendre dans tous les domaines. Elles auront d’abord une plus grande liberté pour leurs déplacements (le commerce exige des déplacements pour acquérir des marchandises) ; elles vont commencer à investir (achats de terrains, de champs, constructions de maisons). Disposant de moyens financiers, elles font payer la scolarisation de leurs filles…

En prenant leur autonomie physique, les femmes vont aussi gagner leur autonomie intellectuelle et pourront prendre des décisions avec plus de liberté.

Beaucoup plus de femmes vont être intégrées dans la fonction publique ; il y aura de moins en moins de métiers qui sont considérés uniquement comme masculins. Les femmes parviendront à se créer une nouvelle place dans la société. Ce qui leur était refusé, elles vont le prendre grâce à leur dynamisme et à leurs compétences.

Le long chemin de l’autonomisation de la femme tchadienne a commencé et elle continue. Le combat n’est pas fini. Il reste à acquérir d’autres droits dans la société et faire inscrire toutes les filles à l’école, éliminer le mariage précoce et toute violence faite à la femme. L’avenir peut être regardé avec optimisme car l’espoir est permis. Mais il ne faut pas dormir sur le laurier des combats déjà gagnés. Il faut rester vigilant.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire