jeudi 8 octobre 2020

Un clin d’œil à la littérature africaine, Amos TUTUOLA (par Pascal Djimoguinan)

 

                       En souvenir de mes années du secondaire, je voudrais revisiter une page de la littérature africaine en relisant Amos Tutuola, un écrivain nigérian ( né le 20 juin 1920 et mort le 8 juin 1997). Je n’ai jamais cessé d’être impressionné par son ouvrage « The palmwine drinkard ». On y retrouve toute la spontanéité  et toute la vivacité de la narration africaine. La page que nous avons choisie de retranscrire n’a rien à envier au cycle de Merlin l’enchanteur.

            Je me rendis dans un village aux environs de cette huitième ville, où par bonheur je rencontrai un esprit-magicien en train de faire étalage de son pouvoir magique devant le principal chef du village. Je voulus entrer en compétition avec lui et montrer moi aussi de quoi j’étais capable aux chefs qui étaient rassemblés là. Je changeai le jour en nuit et tout devin aussitôt sombre ; je dis à mon rival de faire revenir le jour sous sa forme habituelle, mais il n’y parvint pas. Après cela, je le changeai en chien et il se mit à aboyer aux trousses de tous ces gens ; et, comme mon pouvoir s’avérait visiblement plus fort que le sien, le chef et tous les habitants offrirent à moi seul tous les cadeaux qui auraient dû être partagés entre nous deux. Je lui rendis ensuite sa forme usuelle d’esprit. Je fis un paquet de tous les cadeaux et, sans en offrir un seul à mon rival, je me remis en marche vers la huitième ville.

            A environ un mille du village, je vis venir cet esprit-magicien à ma rencontre. Il me demanda de partager les cadeaux avec lui, mais je refusai. Il se changea aussitôt en un serpent venimeux et chercha à me mordre, mais alors je fis appel à mon tour à mon pouvoir magique et, me transformant en un long bâton, je me mis à le frapper à coups répétés. Roué de coups et se sentant près à mourir, il fut bien forcé de quitter sa forme de serpent et se changea en un feu qui réduisit le bâton en cendres et commença à me brûler moi aussi. Sans hésiter, je me changeai en pluie et l’éteignis d’un seul coup. Mais il avait la rapidité prompte et il prit le dessus un fois de plus, se muant en un puits profond au fond duquel je me trouvai tout à coup à ma grande surprise. En un instant le puits fut rempli jusqu’au bord. Je compris qu’il voulait remettre le couvercle et me laisser mourir prisonnier dans le puis, aussi je pris la forme d’un poisson et remontant à la surface, je m’apprêtais à bondir hors de l’eau. Au même moment, il se changea en crocodile et, sautant dans l’eau, se mit en devoir de me dévorer. Mais avant qu’il ait pu m’atteindre, j’étais devenu un oiseau, et transformant tout le tas des cadeaux en une seule pomme de palmier, je saisis celle-ci dans mon bec en m’envolant tout droit vers la huitième ville. Sans plus attendre, mon rival prit la forme d’un grand faucon et s’élança à ma poursuite.

(Un ivrogne dans la brousse, trad. de Raymond Queneau, Editions Gallimard, Paris)

 

 



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