En souvenir de mes années du secondaire, je voudrais revisiter une page de la littérature africaine en relisant Amos Tutuola, un écrivain nigérian ( né le 20 juin 1920 et mort le 8 juin 1997). Je n’ai jamais cessé d’être impressionné par son ouvrage « The palmwine drinkard ». On y retrouve toute la spontanéité et toute la vivacité de la narration africaine. La page que nous avons choisie de retranscrire n’a rien à envier au cycle de Merlin l’enchanteur.
Je me rendis dans un village aux environs de cette
huitième ville, où par bonheur je rencontrai un esprit-magicien en train de faire
étalage de son pouvoir magique devant le principal chef du village. Je voulus
entrer en compétition avec lui et montrer moi aussi de quoi j’étais capable aux
chefs qui étaient rassemblés là. Je changeai le jour en nuit et tout devin
aussitôt sombre ; je dis à mon rival de faire revenir le jour sous sa
forme habituelle, mais il n’y parvint pas. Après cela, je le changeai en chien
et il se mit à aboyer aux trousses de tous ces gens ; et, comme mon
pouvoir s’avérait visiblement plus fort que le sien, le chef et tous les
habitants offrirent à moi seul tous les cadeaux qui auraient dû être partagés
entre nous deux. Je lui rendis ensuite sa forme usuelle d’esprit. Je fis un
paquet de tous les cadeaux et, sans en offrir un seul à mon rival, je me remis
en marche vers la huitième ville.
A environ un mille du village, je vis venir cet
esprit-magicien à ma rencontre. Il me demanda de partager les cadeaux avec lui,
mais je refusai. Il se changea aussitôt en un serpent venimeux et chercha à me
mordre, mais alors je fis appel à mon tour à mon pouvoir magique et, me
transformant en un long bâton, je me mis à le frapper à coups répétés. Roué de
coups et se sentant près à mourir, il fut bien forcé de quitter sa forme de
serpent et se changea en un feu qui réduisit le bâton en cendres et commença à
me brûler moi aussi. Sans hésiter, je me changeai en pluie et l’éteignis d’un
seul coup. Mais il avait la rapidité prompte et il prit le dessus un fois de plus,
se muant en un puits profond au fond duquel je me trouvai tout à coup à ma
grande surprise. En un instant le puits fut rempli jusqu’au bord. Je compris qu’il
voulait remettre le couvercle et me laisser mourir prisonnier dans le puis,
aussi je pris la forme d’un poisson et remontant à la surface, je m’apprêtais à
bondir hors de l’eau. Au même moment, il se changea en crocodile et, sautant dans
l’eau, se mit en devoir de me dévorer. Mais avant qu’il ait pu m’atteindre, j’étais
devenu un oiseau, et transformant tout le tas des cadeaux en une seule pomme de
palmier, je saisis celle-ci dans mon bec en m’envolant tout droit vers la
huitième ville. Sans plus attendre, mon rival prit la forme d’un grand faucon
et s’élança à ma poursuite.
(Un ivrogne dans la brousse, trad. de Raymond Queneau, Editions
Gallimard, Paris)
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