Le grand personnage à Bédaya est, s’il faut le rappeler,
le Mbang-Day, l’homme soleil. Il est donc le responsable de la fertilité. C’est
lui qui préside une fête des semailles, qui doit assurer la pluie et de bonnes
récoltes aux vivants.
Dans la hierarchie Sar, on a également le Ngorgue Hori.
Il est l’homme de la Lune et de la nuit. C’est lui qui préside la fête du
Nouvel An qui doit apaiser la colère des défunts et éloigner les épidémies.
Le calendrier Sar
Le calendrier des célébrations importantes du pays sar
sont comme suit :
Avril : Le
Na Bena à Bédaya
Fin novembre : Le Na Sar à Ngakédjé, au Canton Balimba.
Ces deux fêtes constituent les deux sommets du cycle
festif en pays sar.
1.
La fête du Nouvel An à Ngakédjé
En
partant de Balimba, le long du Bahr ko, Ngakédjé est signalé sur la gauche par
l’arbre sacré, constitué par les troncs enlacés des deux ficus bol et dol et l’orme yala, sur
la droie par le gros tambour de guerre, Ngardobo,
qui est monté sur un pilotis et entouré de six greniers à mil avec des toits de
pailles qu’il protège des voleurs.
Si l’on prend le Ngorgue Nambatengar qui
est décédé en 1978 et qu’on essaie de faire sa généalogie, on peut à peine
remonter jusqu’à 1850 ; elle comporte 9 noms. Par contre, il y a la
présence de l’enclume de pierre, mbal-ninga
qui est à demi-enterrée dans un champ et qui a sans doute été laissée là par
l’arrière-grand-père Kikiya du forgeron de Bédaya lorsqu’il a quitté Nakédjé
vers 1850… Ici comme à Bédaya, le prestige de la chefferie repose sur
l’alliance avec les forgerons Nôy. Parmi les dignitaires du Ngorgue, les deux mûû, officiants de l’initiation, le
balafoniste, et la mère du Nambatengar appartenaient à cette caste.
A Ngakédjé, plus encore qu’à Bédaya, le
Couteau de jet sacré est considéré comme un bessi
dangereux et il n’est jamais montré, même pas le jour de la fête. Il est couché
sous un arbre à 100 mètres du village, dans une paillotte dont le toit est
surmonté d’une lance. C’est une réplique antithétique du Miya-bo de
Bédaya ; il est constitué par deux fourreaux de cuir, contenant chacun 7
couteaux. Les 7 couteaux en F dont les pointes sont tournées vers l’est,
lorsqu’ils sont couchés sur leur lit de baguettes ; ils sont dits ‘mâles »
et constituent le talisman véritable ; les 7 autres ont les pointes
tournées vers le couchant ; elles sont dites « femelles » et on
les appelle nguéégue
« princesse » ; elles n’ont pas les mêmes valeurs que les mâles.
Le miya-bo servait à la purification des criminels. Le Ngorgue le plongeait
dans l’eau dans une calebasse et les criminels devaient s’y laver les mains.
Ils étaient alors assurés de l’impunité tant qu’ils restaient dans le village
de Ngakédjé, au service du maître du lieu.
Célébration
du Na sar en 1973 (Joseph Fortier)
Le lundi 26 novembre, u peut après le
coucher du soleil, tandis que tous observaient l’apparition du mince croissant
de lune à l’Ouest, un peu au-dessus de l’horizon, le Ngorgue, accompagné de son
Ngombang est allé chercher le Miya-ba dans sa paillotte ; ils se
sont dirigés vers l’ouest, derrière l’arbre sacré ; là, il a brandi le
couteau de jet vers la lune, puis l’ayant replacé dans sa paillotte, il est
revenu dans sa concession : personne n’avait rien vu.
A la nuit tombée, vers 18 heures, un
cortège se forme, Ngorgue et ngombang en tête, portant des cannes de
sorgho ; puis, viennent le Nguébessi, qui porte le panier aux reliques (belague
et guedé), les deux balafonistes et enfin les gens du hameau. Quand on arrive
derrière l’arbre sacré, le Ngorgue et son Ngombang énoncent à toute vitesse une
série de souhaits : pour la santé des villageois, pour que tous aient des
bonnes récoltes, succès à la chasse et à la pêche, pour que les femmes aient
beaucoup d’enfants… puis, chacun à son tour lance vers la lune trois ou quatre
cannes de mil, selon sa « chance », suivant que son premier-né est un
garçon ou une fille. Tout le monde rentre chez soi.
Le « charivari », propre aux
fêtes du Nouvel An, commence ; cris stridents, youyou des femmes ;
calebasses ou cuvettes en émail entrechoquées ; puis, tout rentre dans le
silence, il fait nuit noire, la lune a disparu.
Cette
présentation du Miya-bo à la lune nouvelle est propre à Ngakédjé et à Sanguelé,
au canton voisin de Djoli. Dans la symbolique générale des religions, la lune
est toujours plus ou moins en relation avec les « défunts ». Même si
on ne les a pas spécialement invoqués, cette première offrande d’épis à la lune
n’en est pas moins hautement significative.
La fête publique a lieu le lendemain
après-midi : elle attire régulièrement trois à quatre cents personnes
venues de tout le canton de Balimba. Vers 15 heures, le Ngorgue, entouré de ses dignitaires et des chefs de terre du
voisinage, s’avance en dansant, avec marches et contremarches, vers l’arbre
sacré qui se trouve de l’autre côté de la piste, à une centaine de mètres de
son enclos. Suivi de son ngobang et du porteur de reliques, puis des gens du
hameau, ils vont faire trois ou quatre fois le tour de l’arbre sacré, puis assis
à son pied, ils vont procéder aux libations de bière de mil, sur un monticule
de sable, évasé au sommet, et préparé à cet effet. Le Ngorgue prononce un bref
discours : « S’il préside
aujourd’hui cette fête du Nouvel an, la « lune des Sar », c’est pour
suivre la coutume et continuer les rites (bessi) légués par les
« ancêtres ». Ces rites, bien observés, doivent éloigner les
épidémies, assurer de bonnes récoltes, des pêches abondantes, permettre aux
femmes d’avoir de nobmreux enfants » Le ngobang émet des vœux
analogues, ils il verse une calebasse de bière au somme du cône de sable et en
canalise la coulée aux quatre points cardinaux, en l’honneur des ancêtres. Les
défunts, ayant eu leur part, les vivant speuvent boire à leur tour. Le Ngorgue
d’abord, puis tous les autres dignitaires boivent à tour de rôle à la même
calebasse. Le sens de cette libation dans le cône de sable est clair :
Le sorgho hâtif (godji) est la tête de
toutes les récoltes et à ce titre, dangereux ; il doit être consacré par
un rite : c’est pourquoi la bière, confectionnée avec les grains de godji est offerte par le Ngorgue aux
« ancêtres défunts », avant que les vivants puissent la consommer
sans danger.
Bénédiction
avec les reliques. Au coucher du soleil, ceux qui ont des
souhaits personnels (réussite à un examen, emploi à trouver, etc.) se rendent
au fond du petit bois, derrière l’arbre sacré, devant la paillotte aux
reliques. Ils déposent leurs offrandes, épis de sorgho, pièces de monnaie,
exposent leurs désirs et le Ngué-bessi leur frappe deux fois le front avec la
petite massue (belague) et une fois avec la patte de civette (guedé).
Ces deux objets sacrés n’ont que peu de
rapport avec le nom qui les désigne. Le petite marteau, en peau
de biche-cochon, contient, dit-on, des pierres tombées du ciel et il est
enfermé, comme la patte de civette, dans un panier rond dont le couvercle est
orné de cauris, de petits coquillages marins, (oulague, belague) qui servaient
autrefois de monnaie à travers l’Afrique. Quant au guedé, il désigne un arbre de savane qui jouait autrefois le rôle
de refuge pour le criminel ; si ce dernier l’enserrait de ses bras, en
invoquant son aide, on ne pouvait le tuer.
Le
Gorgue Hori et le Mbang Day
Déjà de son temps, le ngorgue Nambatengar
(+ 1978) ne se reconnaissait pas de lien d’allégeance avec le Roi de Bédaya. Il
allait jusqu’à rappeler que lors de la dernière razzia de Mamat Abou Sékkine en
1884 à Bédaya en pleine sémailles, Mougode, le Mbang de Bédaya, fugitif, fut
accueilli par Kindé son ancêtre près de Bémouli. Son ancêtre lui avait alors
accordé sept villages des environs, pour
y faire observer sa coutume ».
L’importance de Ngakédjé réside dans le
fait que la fête du Nouvel An, qui est en même temps la fête des ancêtres
défunts, est la plus populaire chez les Sarh de l’est, ceux qui dépende de
Bédaya (Koumogo, Balimba et Djoli). La veille au soir, chaque père de famille
dépose au pied de son lit boule de mil et calebasse de bière, pour que les
défunts puissent manger et boire pendant la nuit. Le lendemain, il tuera poulet
ou cabri et festoiera avec tous les siens. Or, le Ngorgue Hori est le seul dans
sa région à célébrer lui-même avec éclat cette fête de la « lune sar ».
A Bédaya, le Roi ne se montre pas et se borne à faire en privé des offrandes
aux Mbang défunts.
Le Ngorgue ne se rend jamais à Bédaya pour
la fête des sémailles. Il ne fait qu’envoyer un panier de petit mil pour les
boules rituelles. En retour, le Mbang lui envoie un bouc et un panier de
millet, en septembre quand il célèbre la Na-bol, fête de la croissance des
épis.