lundi 28 mars 2016

Fédération, vous avez dit fédération planétaire ? (Par Pascal Djimoguinan)

            L’actualité nous rattrape toujours et nous fait prendre conscience de nos manques. Face au terrorisme islamiste (DAECH, EI etc.) les Etats-nations se sont retrouvées impuissantes et sans ressources. Il en est de même devant les problèmes écologiques qui sont désormais d’ordre planétaire. N’est-il pas temps de penser sérieusement à d’autres types d’Etats ? Pour faire ce travail, il ne serait pas superflu de lire certains penseurs. Nous proposons ici un beau texte de Raymond Aron (Paix et guerre entre les nations, Paris Calmann-Lévy, pp 737ss).
            Si la nation est idéal en même temps que fait, si une humanité privée des hétérogénéités nationales serait appauvrie, les nationalismes – volonté de puissance ou orgueil des nations, refus de se soumettre à une loi ou à un tribunal – ne sont pas pour autant justifiés. Là est, en effet, l’antinomie dernière du destin politique de l’’homme. Il n’est pas plus satisfaisant pour la conscience de nier que de sanctifier les nations, de leur refuser le droit de déterminer elles-mêmes leur destinée que de leur accorder le droit de se faire justice elles-mêmes. L’antinomie n’est pas résolue par les juristes qui raisonnent comme si l’Etat n’était qu’une institution entre d’autres, comme si la société humaine avait la même cohérence que les sociétés nationales, comme si le système des normes du droit des gens avait le même caractère que les systèmes de droit interne, comme si l’interdiction de recourir à la guerre ou à la menace avait, pour les Etats, la même positivité et la même effectivité que l’interdiction de tuer ou de voler pour les individus. Cette antinomie est réelle, elle a duré, sous une forme ou sous une autre, depuis l’aurore des temps historiques. Elle n’est pas nécessairement éternelle, mais elle n’est pas encore résolue, à supposer qu’elle puisse l’être.
            La solution théorique est celle de la fédération, version civilisée ou volontaire de l’empire. La communauté de culture est préservée, elle renonce seulement à ceux des pouvoirs dont l’unité supérieure a besoin pour assurer la défense et le bien-être de tous. L’exemple classique est celui de la Suisse. C’est la Confédération helvétique qui est « souveraine », qui a une volonté d’indépendance, elle qui a une armée, elle qui est l’équivalent d’une personne sur la scène internationale : la liberté à l’intérieur pour les individus et pour les groupes de vivre selon leur idéal et d’adorer leurs dieux n’en est pas moins rigoureusement préservée. Pourquoi l’humanité entière ne créerait-t-elle pas une Confédération planétaire à l’image de la Confédération helvétique, chargée de la mission de résoudre les problèmes qui ne sauraient l’être à un niveau inférieur – conservation des ressources naturelles, conditions des échanges, diminution ou limitation de la violences organisées ?

            Deux sortes de questions se posent à propos de l’utopie de la Confédération ou Fédération planétaire. Les unes sont historico-sociologiques : quelles en sont, dans l’abstrait, les conditions ? Celles-ci, au milieu du XXème siècle, apparaissent-elles probables ou improbables ? Les autres sont proprement philosophiques : l’utopie est-elle ou non contraire à la nature des hommes ? A la nature des sociétés humaines ? A l’essence de la politique ? Peut-on concevoir une société sans ennemi ?

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