L’actualité nous rattrape toujours et nous fait prendre
conscience de nos manques. Face au terrorisme islamiste (DAECH, EI etc.) les
Etats-nations se sont retrouvées impuissantes et sans ressources. Il en est de
même devant les problèmes écologiques qui sont désormais d’ordre planétaire. N’est-il
pas temps de penser sérieusement à d’autres types d’Etats ? Pour faire ce
travail, il ne serait pas superflu de lire certains penseurs. Nous proposons
ici un beau texte de Raymond Aron (Paix
et guerre entre les nations, Paris Calmann-Lévy, pp 737ss).
Si la nation est idéal en même temps que fait, si une
humanité privée des hétérogénéités nationales serait appauvrie, les
nationalismes – volonté de puissance ou orgueil des nations, refus de se
soumettre à une loi ou à un tribunal – ne sont pas pour autant justifiés. Là
est, en effet, l’antinomie dernière du destin politique de l’’homme. Il n’est
pas plus satisfaisant pour la conscience de nier que de sanctifier les nations,
de leur refuser le droit de déterminer elles-mêmes leur destinée que de leur
accorder le droit de se faire justice elles-mêmes. L’antinomie n’est pas
résolue par les juristes qui raisonnent comme si l’Etat n’était qu’une
institution entre d’autres, comme si la société humaine avait la même cohérence
que les sociétés nationales, comme si le système des normes du droit des gens
avait le même caractère que les systèmes de droit interne, comme si l’interdiction
de recourir à la guerre ou à la menace avait, pour les Etats, la même
positivité et la même effectivité que l’interdiction de tuer ou de voler pour
les individus. Cette antinomie est réelle, elle a duré, sous une forme ou sous
une autre, depuis l’aurore des temps historiques. Elle n’est pas nécessairement
éternelle, mais elle n’est pas encore résolue, à supposer qu’elle puisse l’être.
La solution théorique
est celle de la fédération, version civilisée ou volontaire de l’empire. La
communauté de culture est préservée, elle renonce seulement à ceux des pouvoirs
dont l’unité supérieure a besoin pour assurer la défense et le bien-être de
tous. L’exemple classique est celui de la Suisse. C’est la Confédération
helvétique qui est « souveraine », qui a une volonté d’indépendance,
elle qui a une armée, elle qui est l’équivalent d’une personne sur la scène
internationale : la liberté à l’intérieur pour les individus et pour les
groupes de vivre selon leur idéal et d’adorer leurs dieux n’en est pas moins rigoureusement
préservée. Pourquoi l’humanité entière ne créerait-t-elle pas une Confédération
planétaire à l’image de la Confédération helvétique, chargée de la mission de
résoudre les problèmes qui ne sauraient l’être à un niveau inférieur –
conservation des ressources naturelles, conditions des échanges, diminution ou
limitation de la violences organisées ?
Deux sortes de questions se posent à propos de l’utopie
de la Confédération ou Fédération planétaire. Les unes sont historico-sociologiques :
quelles en sont, dans l’abstrait, les conditions ? Celles-ci, au milieu du
XXème siècle, apparaissent-elles probables ou improbables ? Les
autres sont proprement philosophiques : l’utopie est-elle ou non contraire
à la nature des hommes ? A la nature des sociétés humaines ? A l’essence
de la politique ? Peut-on concevoir une société sans ennemi ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire