« Frères, si vous êtes ressuscités avec
le Christ,
recherchez les réalités d’en haut » Col
3, 1
Chers
frères et sœurs,
Et
vous, hommes et femmes de bonne volonté,
«
La paix soit avec vous ! » (Lc 24, 36)
C’est
avec les mots du Ressuscité que je voudrais introduire la méditation de cette
nuit glorieuse où le ciel et la terre se rencontrent en une même aspiration
profonde et si importante : la paix.
Aujourd’hui, Jésus ressuscité nous donne
la paix, sa paix, non pas celle du monde, mais la vraie paix. Tous nous
désirons ardemment la paix : la paix du cœur, la paix de l’esprit, la paix dans
nos familles et dans l’ensemble de notre pays. Sans cela, il ne pourrait y
avoir ni croissance, ni prospérité, ni développement intégral[1].
Jésus nous comble de sa paix au terme de
l’intense combat spirituel qui nous a opposés au Malin durant le carême. Le
Seigneur nous a dispensé la force spirituelle nécessaire pour aller jusqu’au
bout et triompher. Ce furent 40 jours de ferventes prières, de privations, de
solidarité dans le partage, d’assiduité à répondre aux appels de l’Eglise. De
telles attitudes reflèten[2]t la descente nécessaire,
la plongée dans la mort avec le Christ qui précède la remontée vers la Vie
incorruptible.
La paix du Ressuscité se manifesta dans
un climat d’abattement où les apôtres, éprouvés par l’absence physique du
Maître, timorés et ceints par la menace de la mort, se condamnèrent eux-mêmes à
la réclusion. Pour nous aussi la joie pascale s’épanouit dans une morosité
lourde et inquiétante liée à la situation socio-politique de notre pays, à
toutes nos espérances inassouvies et à tous ces évènements qui, se produisant,
ne cessent de susciter de multiples questionnements : sommes-nous sortis de
cette crise infernale qui dure depuis des décennies ? Le forum de Bangui avait
prôné la résolution « impunité zéro ». La Constitution de la République
Centrafricaine indique que la justice sociale fait partie des principes de la
République. Les décisions politiques actuelles respectent-elles l’esprit de ces
deux textes ? Il ne peut pas avoir de paix sans justice comme le rappelle le
psalmiste : « Justice et paix s’embrassent » (Ps 84, 11).
C’est au milieu de ces frustrations, de
ces désespoirs, de ces croupissements que retentit aujourd’hui ce cri joyeux :
Alléluia, Jésus est ressuscité !
1.
« Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a
ressuscité le troisième jour » (Ac 10, 39)
Frères
et sœurs,
Afin de nous sauver et de nous
réconcilier avec Dieu, Jésus s’est abaissé jusqu’à atteindre le comble : la
mort sur la croix. Cet abaissement salutaire eut deux aspects : d’abord celui
que lui ont assigné ses ennemis puis celui, sublime, qu’il manifesta de son
plein gré : ma vie « je la donne de moi-même » (Jn 10, 18)
Les pages de l’Évangile que nous avons
écoutées durant les dernières semaines du temps de carême nous présentèrent un
Jésus autour de qui l’étau s’est progressivement resserré. Nombreuses furent
les tentatives publiques pour lui faire dire la parole blasphématoire qui
aurait alors justifié son arrestation et sa mise à mort : mais chaque fois le
Fils de l’homme y échappait, sans pour autant renoncer à marcher jusqu’au terme
de sa mission. Il fallut alors qu’un des siens le trahît : ses adversaires
purent enfin assouvir leur courroux en l’humiliant jusqu’à l’extrême. (cf. Is
52, 14 ; 53, 2b-3 ; Is 53 4a - 5b).
Jésus, en acceptant d’être humilié, et
de descendre jusqu’au shéol, a voulu se faire solidaire de toute la misère
humaine. Aujourd’hui, son geste atteste qu’il accepte de prendre sur lui le
sort injuste des nombreuses victimes de la crise centrafricaine. Il n’y a pas
raison de désespérer car son destin indique ce que sera l’aboutissement de
l’histoire. La satisfaction des bourreaux de Jésus ne fut qu’un triomphe
éphémère car Dieu a ressuscité son Fils et il a choisi de ne pas leur
manifester la gloire de son relèvement (Cf. Ac 10, 41 ).
Frères et sœurs,
Tout au long de sa vie, Jésus s’est
abaissé pour servir l’humanité. Aujourd’hui encore, il s’abaisse pour se faire
solidaire de tous ceux qui souffrent et qui, les yeux levés vers le ciel,
implorent désespérément la justice. Lui qui s’est fait esclave de l’humanité
afin de l’élever dans la gloire du Père nous montre aussi qu’il n’y a de
véritable glorification que dans le service et l’amour du service.
Aujourd’hui, il nous arrive de courir
éperdument après le pouvoir ainsi qu’après des postes ministériels en y voyant
la récompense suprême, la gloire sur terre, en oubliant que « ministre »
signifie « serviteur », abaissement et que celui qui veut être le premier doit
être l’esclave de tous. (Cf. Mc 10, 44) Ne courir qu’après les honneurs
terrestres, c’est choisir de descendre vers le shéol non pas pour en ressortir
mais pour y demeurer. Or le Christ en ressuscitant montre qu’il n’y a de
réalités d’en haut, de véritables valeurs que l’abaissement, le service,
l’humilité lesquels favorisent la proximité, le dialogue et la compassion.
Qu’il me soit permis à travers un tel appel de
rendre hommage à l’Eglise de Centrafrique qui depuis 125 ans, dans la
souffrance et la joie, n’a cessé d’annoncer le Christ et d’œuvrer pour la
libération de tous ses enfants qui croupissent sous le poids de la misère et de
l’injustice. Puisse-t-elle annoncer encore et toujours Jésus solidaire des
pauvres et des petits dans la pauvreté et le service. En cette année que nous
avons consacrée au dialogue œcuménique et interreligieux, je voudrais aussi
saluer toutes les autres religions, qui, depuis leur installation en
Centrafrique, prônent la paix, l’amour et la réconciliation. La joie de Pâques
est un appel à l’espérance et à la persévérance, un appel au dialogue pour la
réunification de l’unique Corps du Christ. Le Christ est ressuscité, alléluia !
2.
Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie (Cf. Jn 14, 6)
Frères et sœurs, Si nous sommes
ressuscités avec le Christ, nous sommes concrètement appelés à vivre non plus
selon la chair mais selon l’Esprit. C’est à cela que nous appelle le baptême
dont le moment de célébration par excellence est la Pâques. Répondant à l’appel
du Christ, tous nous acceptons de renoncer à Satan ainsi qu’à toutes ses
séductions. Être ressuscité avec le Christ après avoir plongé dans la mort avec
lui signifie opter résolument pour un nouvel état de vie. Telle est aussi
l’espérance du Seigneur pour chacun de nous, lui qui nous appelle à le retrouver
en Galilée.
Plus que jamais, en ces heures
d’inquiétude et de questionnements, Jésus s’offre à nous comme un compagnon de
route, la route à suivre pour la prospérité, la justice, le partage équitable
des biens que recèle notre terre. Il se présente à nous comme la vie, une vie
donnée, une vie à contempler et à accueillir qui fournira l’énergie vitale dont
nous avons besoin pour traverser ces heures sombres de notre histoire et faire
enfin lever sur notre terre une authentique civilisation de l’amour. Jésus qui
a triomphé de la mort nous apprend que le bien et la vérité constituent les
derniers mots de l’histoire, non pas la violence, l’arrogance, la vengeance,
corollaires du mal.
«
Le bras du Seigneur se lève, le bras du Seigneur est fort ! » (Ps 118, 16). La
puissance du Seigneur est susceptible de faire de la pierre méprisée, bafouée,
humiliée, rejetée par le bâtisseur, la pierre angulaire de la création
renouvelée (cf. Ps 118, 22). Je dis cela pour vous encourager vous tous qui
souffrez et peinez aujourd’hui afin que vous ne désespériez pas de voir se
lever le jour nouveau et que vous ne perdiez pas foi en Jésus-Christ.
Frères et sœurs,
L’évangile de la messe du jour nous
présente les premiers témoins de la résurrection : Marie Madeleine, la pécheresse
pardonnée que l’Eglise honore en tant qu’« apostola apostolorum », Pierre et
Jean. Leur mention nous rappelle que nous sommes nous aussi appelés à être
témoins de la résurrection de Jésus dans nos cités, dans nos familles. Pierre,
4 Jean, Marie Madeleine et les autres disciples ont été les témoins de la
vérité que le monde s’évertue souvent à occulter afin d’égarer les fils de
Dieu.
Oui, notre société a besoin de voir se
manifester des hérauts de justice et de vérité. « La vérité germera de la terre
» a proclamé le psalmiste (Ps 84, 12). Je souhaite de tout cœur qu’en
Centrafrique nous nous dévouions à œuvrer en toute franchise, en toute
transparence et qu’ainsi nous brisions le silence sur les drames qui s’y
jouent. « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ! » (Ps
84, 11)
Ne laissons pas croître une culture du
mensonge qui desservirait toutes nos attentes et même fausserait nos dialogues.
Jésus nous révèle le secret pour être dans la vérité et la récompense inouïe
que nous en obtenons : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes
vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous
rendra libres. » (Jn 8, 31-32) Cela revient à dire que vivre dans le mensonge
établit dans la servitude, la servitude vis-à-vis de Satan, le Père du
mensonge.
Je voudrais saluer la Commission Vérité,
Justice, Réparation et Réconciliation qui a été mise en place sur le plan
national pour promouvoir la vérité et la justice et je l’appelle à ne pas
oublier les nombreuses victimes qui attendent que l’on considère et résolve
leurs revendications.
Tous ensemble, demandons au Christ, par
l’intercession de la Vierge Marie, Notre Dame de l’Oubangui, de dissiper les
ténèbres de notre méchanceté, de notre convoitise et des faux témoignages qu’il
nous arrive de porter, afin que nous entreprenions le chemin de la conversion
et de la paix intérieure. Qu’il nous donne la force de tenir fermes lorsque
nous sommes victimes d’injustice et de mensonge. Que son Esprit éclaire tous
ceux qui exercent le ministère de la justice pour qu’ils délaissent l’impunité
et rendent vraiment justice.
À tous, je souhaite une très belle et
sainte fête de Pâques. Amen !
Dieudonné Cardinal NZAPALAINGA
Archevêque Métropolitain de Bangui
[1] 1 Cf.
Paul VI, Populorum progressio, n° 87, 1967 : « Le développement est le nouveau
nom de la paix. »
[2] 2 Cf.
Constitution de la République Centrafricaine, art. 25.
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